Mosaïque/07

La bibliothèque libre.
Deom Frères, Éditeurs (p. 54-55).


DANGER DES COMMÉRAGES




M orale : Il ne faut pas trop ajouter foi aux commérages, et une femme, qui caresse son mari, ne doit pas en laisser des traces accusatrices.

Voici une preuve à l’appui de la susdite morale.

Dans un moment d’épanchement, très légitime, du reste, ma petite femme, à qui je n’en veux pas du tout, empoigna mon long appendice nasal de ses mains de nâcre, et serra si fort, si fort, que je dus demander grâce.

Elle lâcha prise.

Mais dans quel état me trouvais-je, grand Dieu ! Tout le long de mon pauvre nez se reflétaient les sept nuances de l’arc-en-ciel. Le nez de Cyrano ! mais il eût pâli à côté du mien, après le cyclone de tendresse de ma chère moitié.

Je me consolai facilement, pensant que cette boîte d’aquarelle s’en irait en peu de temps.

Hélas, non !

Frotter, j’avais beau frotter, les sanguinolentes marques ne disparaissaient pas plus que les fameuses taches des mains de Lady Macbeth.

J’étais au désespoir.

Le soir, je me rendis, en compagnie de ma femme, à un « euchre party, » agité des plus noirs pressentiments.

Ne voilà-t-il pas qu’une écervelée, qui avait depuis longtemps oublié ce qu’est le printemps des roses, laissa entendre à son entourage, que tout n’était pas bleu ciel dans le ménage, et pour preuve, mon nez qui aurait été griffé dans un spasme suprême de rage et de désespoir.

La nouvelle plût et fit sensation. Au bout de vingt minutes, j’étais le point de mire. Une heure plus tard, on me riait presque au nez, et le lendemain, j’étais cité comme un triste exemple dans les honnêtes intérieurs.

Pour remonter, sur son piédestal, ma réputation, que l’on avait si brutalement délogée, je dus suer sang et eau quinze jours durant, en fournissant les arguments les plus péremptoires de ma rhétorique classique.

Séparateur