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Muses d’aujourd’hui/Hélène Picard

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HÉLÈNE PICARD

PORTRAIT ET AUTOGRAPHE


Autographe
Autographe



Fierté


Point de blason orné. Je suis une bourgeoise
Il me plaît de le dire. Il me plaisait encor
De m’entendre appeler Marianne ou Françoise
Noms sonnant bien français comme des écus d’or

Au niveau de mes doigts, j’ai ma force et ma terre
Les sentences de mon pays je les connais
J’ai dans ma main spirituelle et volontaire
L’églantine de France et le lis béarnais

Dans la tradition du sol héréditaire
Je respire… et je lis Rabelais et Ronsard
Et je sais que mon sang vient de la noble artère
D’un aïeul paysan qui n’eut pas de bâtard

Hélène Picard


Portrait
Portrait

Les poètes possèdent cette merveilleuse faculté de créer de la vie avec toutes les suggestions qui les sollicitent. Si les individus, ainsi que les sociétés qu’ils composent, ont besoin, pour alimenter leur vie, d’un mensonge religieux, philosophique ou sentimental, les poètes sont les êtres les plus vivants, parmi ces individus, puisqu’ils poussent leur faculté d’illusion jusqu’à la métamorphose, jusqu’à se vouloir tout à fait autres à leurs propres yeux, et à s’inventer des sentiments et des passions qui deviennent les principaux mobiles de leur activité cérébrale, et, par répercussion, physique. C’est la justification de la formule de Nietzsche ; a Le non-vrai comme condition de vie. »

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L’œuvre poétique d’Hélène Picard nous montre une jeune femme, belle et sensuelle, cultivant avec ténacité le mensonge d’un amour aussi absolu que celui de Dante pour Béatrix, malgré la certitude que cet amour ne sera jamais ni partagé, ni réalisé sensuellement. Mais elle sait transformer cérébralement cette douleur en volupté, et se donner des raisons de croire à son décevant amour.

J’ai regardé la vie et j’en ai rapporté

Le sentiment qu’elle est inférieure et pire,

Que les amants promis à de l’éternité

S’étaient presque toujours aimés sans se le dire.


Le dédain vient si vite après la volupté !

Seul, le rêve, à nos fronts, met la suprême marque.

La mort, la mort fait seule épouser la Beauté.

Ainsi l’ont éprouvé, jadis, Dante et Pétrarque.

Forte de ces glorieux exemples, elle se persuade

que c’est mieux et plus beau ainsi :

Va-t-en !… qu’à tout jamais ma tendresse soit pure,

Ton ombre est immortelle et toi tu ne l’es pas !

Elle imagine que son bien-aimé vivra éternellement, sorte de Béatrix-homme, dans la mémoire des femmes :

Mes vers vous font un coin éternel dans l’espace.

Tous vous ignoreront… mais des yeux aussi purs

Que les miens, mon Héros, en des printemps futurs.

S’ouvriront doucement, dans des clartés suprêmes

Pour vous chercher, ô vous qu’ont chanté mes poèmes !

Non, vous ne mourrez pas, vous qui fûtes aimé…

On devine que cette muse s’est grisée de poésie romantique jusqu’au délire : elle s’est voulue aimée, comme Tont été les héroïnes de Musset, de Lamartine, de Leopardi, de Dante et de Pétrarque, etc. L’amour, elle sait que c’est l’absolu : elle l’associe à l’idée de gloire et d’immortalité, elle s’échappe du temps et bat de l’aile vers l’infini.

Ces battements d’ailes — cette poésie — ont un rythme fou et sans mesure : on perd le souffle à vouloir suivre le vol de ces strophes vers la gloire. L’œuvre d’Hélène Picard est certes vivante, lourde de sensations, de désirs, mais sa plus grande qualité, c’est d’être dépouillée de tout art. Plus qu’en toute autre œuvre féminine, c’est ici de la vie immédiate, où se bousculent les sensations vraies et les suggestions livresques.

Dans son premier recueil, l’Instant Eternel, la poétesse nous dit, avec une très belle sincérité, le besoin d’amour de la jeune fille : en vérité, toutes ses pensées sont lourdes du désir de respirer la nudité de l’homme.

Oh ! sur sa tempe avoir un fardeau de douceur,

Par des pleurs amoureux mouiller toute son âme,

Et goûter une lèvre en sentant une fleur,

Et se sentir mourir du frisson d’être femme 1…

L’amour est partout qui la guette : elle voudrait être sa proie : « L’amour est là présent… Et je suis jeune fille ! »

Le jet de l’arbre « droit, adorant » trouble sa chair vierge : elle a peur, et elle sent « monter des lis » sur le sol où elle passe :

Oh ! le Bien-Aimé qu’on attend dans l’ombre,

Ô soirs inconnus !…

Le désir qui croît, le vouloir qui sombre

Entre des bras nus…

Elle est triste d’attendre, et nul amant n’est venu, pendant son sommeil, relever « le voile épars de sa jeunesse ». L’image est jolie et d’une si fraîche impudeur. Chastes rêves des jeunes filles !

Je sens que je péris de n’être pas aimée.

D’avoir de tièdes mains et la bouche embaumée…

Cette première partie de l’œuvre d’Hélène Picard est peut-être la plus belle, la plus pure de

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toute emphase lyrique. Mais voilà TAmour. Ce

fut « terrible, indicible »,

Ce fut un incendie, un vertige, une crue…

Une crue d’éternités, d’heures sacrées, d’étoiles et de voiles, de roses, d’allégresses et d’ivresses :

Avant qu’il ne parût, je l’ignorais encore

Et, cependant, je crus que, plus que la prière,

Que la bonté, l’ardeur, le rêve de la mort,

Il m’était, à jamais, devenu nécessaire.

Il lui vient du génie, avoue-t-elle : alors elle chante l’Amour vrai, qui est un, qui est seul, qui est tout, qui est soi… mais qui n’est encore qu’une imagination.

Ces exagérations d’expression ne peuvent pas cependant étouffer tout à fait la sincérité de ce sentiment subit :

Tu passas… je me tus… L’âme, à tes pieds, fauchée,

J’écoutai, les yeux clos, tes pas qui décroissaient,

Je te suivis de toute mon ardeur cachée…

Oh ! ce silence et les lilas qui l’emplissaient !

L’exaltation passée, la poétesse réintègre sa tristesse solitaire, et j’aime cette plainte biblique, digne et sobre :

Jamais il ne m’a dit : « Je suis ton bien-aimé »…

. . . . .

Toi qui dois me quitter, garde-moi la douceur

D’une pensée et d’une larme…

. . . . .

Jamais il ne m’a dit : « Je suis ton bien-aimé… »

Et pourtant, et pourtant, il est mon bien-aimé !

Ce vers, que je cueille à Tespalier d’un long poème, est un beau fruit qui contient vraiment le goût d’amertume du désir impossible :

Je voudrais, une fois, prendre vos mains, un soir.

. . . . .

Mais, elle souffre dans sa chair, en contemplant sa beauté inutile. Il y a une sincère émotion dans ces strophes que soulève un sanglot :

C’est trop de s’endormir sans que l’on vous console,

D’être belle dans tout l’éclat de son miroir,

De se sentir si grave, et, tout à coup, si folle

Et si tendre qu’on en arrive au désespoir.

Ah ! oui c’est trop cruel de mourir de son âme,

Et de sa vie et de ses veines au sang lourd,

C’est trop amer, ô volupté, d’être une femme,

Une bien vraie avec des flancs et de l’amour.

Son désir la fait défaillir, et elle « tombe sur la nuit, lourde comme une rose ».

La poétesse nous dit elle-même ce qu’il entre de réminiscences littéraires dans son amour : elle a accumulé dans son bien-aimé tous les héros des poètes ; il synthétise en lui toutes les sentimentalités, toutes les poésies, et son cœur est « plus doux que Naples et la musique ». Cette dernière image nous montre qu’Hélène Picard s’est assimilé la manière de Mme de Noailles ; mais savez-vous pourquoi vous m’êtes aussi cher ? demande-t-elle à son bien-aimé :

C’est parce qu’Eloa pleura sur Lucifer,

Que Lamartine mit son front contre sa lyre

Et que le Lac monta jusqu’à l’âme d’EIvire…

. . . . .

Ce ne fut pas en vain que Pétrarque a chanté

Et que Laure mourut dans l’odeur de beauté…

. . . . .

Et voici qu’elle nous révèle la composition de sa subtile et lumineuse ardeur : on y trouve, à l’analyse, les lèvres d’Héloïse, les yeux de Rolla, la douleur de Werther, la robe d’Ophélie,

Et le temps romantique et les belles chimères Et les joyaux des doigts qui ne bougeront plus,

et jusqu’à l’âme de Salomon, la mo^t, Venise, et une grenade ouverte.

C’est tout cela qu’elle voudrait revivre, en un soir d’amour, quand le bien-aimé aura franchi le seuil de sa demeure pleine de fantômes romantiques.

Mais elle trouve un immense bonheur dans la contemplation de son propre amour,

Lorsque je vous aurai rencontré, tout à l’heure,

Vite, je rentrerai m’asseoir dans ma demeure,

Je fermerai la porte et mon cœur sera seul,

Dans son parfum, ainsi que, le soir, un tilleul…

dans l’orgueil de se sentir une grande poétesse :

Oh ! cet instant lyrique où mon âme divague

Avec l’universel et fou balbutiement !

. . . . .

Splendide incohérence 1 Ardeur vive de l’Être !…

Quelles larmes. Poète, exaspèrent tes yeux,

Quand de toi, tout à coup, un poème veut naître,

Fait, de sa face occulte, autour de toi, paraître

Ce désordre sacré qui précède les dieux !…

Le second recueil d’Hélène Picard : les Fresques, est tout bousculé par ce désordre sacré. La poétesse parle de son œuvre faite éternelle « de par la patience et la ferveur de Tart » alors que ses vers ne sont souvent qu’un épanchement presque physique : on y devine la respiration haletante du désir. Cette spontanéité est belle, mais en dehors de toute précision artistique : on dirait que cette Muse a été frappée d’une démence sacrée par les premiers rayons de la gloire.

La gloire et Tamour sont les deux motifs de sa mélodie. Elle voudrait « perdre cet air d’avoir touché l’ombre de Dante » et pouvoir être aimée un soir, un divin soir,

Par un blond Titien qui me tiendrait captive.

. . . . .

Au fond de son exaltation sentimentale, on découvre, et elle découvre toujours elle-même, la sincérité de son désir physique de l’homme, de « l’amère odeur de l’homme ». Je suis « toute impureté », dit-elle. Alors, cette ferveur physique, qui se couchera le long de ses poèmes, s’appuira à sa propre poésie comme au corps tiède du bien-aimé. La voici,

Souffrant de ma blancheur, de mon flanc, d’être femme

Jusqu’au gémissement.

Elle parle à Tamour, qui est nu devant elle, et elle s’écrie :

Quand vous nous imposez vos farouches élans.

Lorsque vous nous brisez sous le grand poids de vivre…

Mais pour nous empêcher d’être à vous, de vous suivre,

Il faudrait qu’on changeât la forme de nos flancs !

Mais on dirait que, pour elle, l’adaptation parfaite à la vie est impossible. En un des meilleurs poèmes de son œuvre : Nostalgie, Hélène Picard a eu Tintuition d’une sorte de dépaysement :

J’ignore cette lune… Une autre m’est présente…

Elle éclaire un adieu, des vagues, des regrets…

Ah : ma mélancolie à ma robe est pesante

Plus que septembre encore aux branches des forêts !…

Quel sentiment d’avoir, éternelle passante,

De fleurs, de fleurs, toujours mes gestes désemplis…

Hélas ! Quel sentiment désolé d’être absente

D’un soir aux pentes d’or, d’un cœur et d’un pays !…

Toute sa poésie, pleine de ferveur, de regrets et de désirs, se trouve résumée dans ces deux vers, qui semblent le refrain d’une éternelle complainte :

Dans quels pays sont mes amours, sont mes royaumes ?

Quand m’y conduirez-vous, nostalgique rameur ?

Et dans son dernier volume en préparation : les Sept Dieux, je trouve cet aveu qui indique bien sa perpétuelle inquiétude devant l’amour : le Désir déchirant :

Vie infortunée !

Où donc est-il, ô destinée.

L’amant de ma meilleure année ?…

Ô cœur maudit, ô cœur d’amour,

Toujours de souffrir c’est ton tour :

Du jour au soir, du soir au jour…

Que je te hais, mon bien céleste !…

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Va-t-en… Crève… ah ! crève… Bat… Reste…

Palpite… Non ! meurs sous mon geste !…

Ah ! ce cœur triste, ce cœur fou,

Que ne puis-je, comme un caillou,

Le saisir, l’arracher d’un coup

Et le lancer je ne sais où !…

Alors, elle se réfugie dans la pensée de la mort. Mourir jeune avec « cette gloire éclatante de n’avoir pas vécu ». NVt-elle pas laissé dans ses vers la plus belle expression d’elle-même, de sa jeunesse et de ses désirs fous : « On n’écrit qu’un seul soir son âme… »

Voici quelques stances de cet hymne À la Mort, Aimons la sérénité païenne de cette poésie :

Mort, vous qui serez ma dernière paresse,

Quand vous viendrez me voir,


Je veux, sur mon épaule, avoir ma longue tresse

Telle qu’elle est ce soir.


N’attendez pas, ô mort, que j’aie assez de vivre

Pour venir me chercher.

Et que, sur le chemin où je devrai vous suivre.

Le soleil soit couché.

. . . . .


Je veux porter au bras ma noblesse et ma grâce

Comme deux gerbes d’or,


Et non, spectre accablé, traîner sur votre trace

Un fagot de bois mort.

. . . . .


N’attendez pas, ô mort, que la vieillesse amère

Ait déformé mon pied,


Je veux fuir avec vous en sandale légère

Et retrouver Chénier.

Il y a certes, dans l’œuvre poétique d’Hélène Picard, une grande richesse de vie, de véritables trouvailles d’images : c’est tout un monde de rêves, sages et fous ; mais quelques-unes de ses poésies vivront, parce qu’elle y a mis toute la tiédeur et tout le parfum de son corps de femme, et l’élan harmonieux de son désir de l’homme. Elle a encore agrandi son désir de tous les désirs des grands poètes, et grossi sa propre ardeur de tous les apports des littératures.