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Musique et Musiciens/Reber

La bibliothèque libre.
P. Lethielleux, imprimeur-éditeur (Premier volumep. 123-126).


HENRI REBER.

MEMBRE DE L INSTITUT.


Peu de jours après qu’il appelait M. A. Thomas à la direction du Conservatoire, le ministre de l’Instruction publique nommait M. Henri Reber, inspecteur des succursales que cet établissement possède en province.

Avant l’honneur que nous avait fait M. Maurice Richard, alors ministre des Beaux-Arts en nous nommant de la commission, chargée de réformer l’administration et les études au Conservatoire, nous ne connaissions pas la personne de M. Reber, qu’on connaît très-peu d’ailleurs tant il vit à l’écart, mais nous avions toujours eu pour son œuvre une très-haute estime.

Voilà plus de trente ans que M. Reber faisait exécuter à Paris ses premières compositions. Aujourd’hui, il est professeur de composition au Con servatoire, officier de la Légion d’honneur et membre de l’Institut de France. Tels sont ses titres. Ses œuvres, les voici : il a écrit des mélodies, ou, pour me servir d’une expression allemande, faute d’en trouver une bonne en français, des lieders, d’une grâce, d’un coloris, d’une délicatesse de style et d’un sentiment qui le placent au premier rang dans ce genre. Il a donné plusieurs opéras-comiques, entre autres la Nuit de Noël, le Père Gaillard, les Papillotes de M. Benoist dans lesquels se trouvent des morceaux de maître, et une partie d’un délicieux ballet : le Diable amoureux. Il a composé des symphonies que la Société des concerts exécute trop rarement enfin de la musique de chambre, daps laquelle ou il excelle.

Cependant le nom de M. Henri Reber est peu connu du grand public. Il n’est pas populaire. Ajoutons que M. Reber ne semble pas tenir beaucoup à cette popularité dont tant d’artistes sont jaloux. En effet, rien dans le caractère de ses ouvrages ne prouve qu’il l’ait recherchée. S’il est vrai que l’artiste à succès est presque t oujours expression de la société dans laquelle il vit, on ne doit pas s’étonner que M. Reber ait travaillé sans grand souci de la popularité, dans une époque avec laquelle il est en désaccord. Sa muse est chaste, et ce n’est pas précisément ce mérite que notre temps apprécie. En toutes choses, même en musique, on aime à cette heure le salé, comme disait Saint-Simon.

Si M. Henri Reber est presque ignoré de la foule, en revanche il a des partisans convaincus, et nous devons dire que ceux-ci sont les juges les plus autorisés et les plus sévères. Ce dédommagement en vaut bien un autre.

On accuse M. Reber d’imiter le style des vieux maîtres, entre autres celui de Haydn. Pour ma part, je ne saurais l’en blâmer. Mais, n’a-t-on pas aussi reproché longtemps à M. Ingres de s’être inspiré de Raphaël ? Et, en définitive, le peintre de l’apothéose d’Homère n’en reste pas moins la plus grande personnalité de la peinture contemporaine.

M. Reber n’a donc pas eu tort de choisir Joseph Haydn pour modèle. D’ailleurs quoiqu’on fasse on est toujours le fils de quelqu’un ; et il ne nous serait pas difficile de montrer que les artistes qui ont rompu avec la tradition, méconnu les enseignements des grands génies du passé, resteront comme des accidents, le plus souvent malheureux dans l’histoire de l’art, sans pouvoir prétendre jamais à une place dans la chaîne des illustrations immortelles.

Si donc, M. Reber s’affirme comme un petit-fils de Haydn, nous ne saurions que l’en féliciter hautement. Si sa musique n’est pas populaire, le tort en retombe sur la foule dont le goût n’est ni cultivé, ni délicat. Ajoutons que M. Reber semble avoir abandonné le théâtre, qu’il vit et travaille loin du bruit et des coteries. C’est un caractère. Tout cela n’aide pas la réputation dans le présent ; mais à bien considérer les choses, c’est encore le meilleur moyen de marquer sa place dans l’avenir.