Musique et prison/20

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MUSIQUE ET PRISON

(Suite)

RELIGIONS

La musique, accompagnement obligé des sacrifices humains en Gaule, au Mexique, chez les Peaux-Rouges, au Dahomey. — Autodafés de l’Inquisition. — Ministres protestants aux îles Sainte-Marguerite. — Autres pasteurs aux galères ; symphonie et exercices de forçats. — Prêtres catholiques au donjon de Vincennes ; le serin de l’abbé d’Astros.

Les religions primitives entouraient de pompes théâtrales les sacrifices des prisonniers de guerre et autres victimes immolées à leurs dieux. La musique contribuait à l’éclat de ces fêtes barbares : mais, dans l’esprit des bourreaux ou des martyrs, son emploi répondait à des états d’âme variant avec les latitudes.

Quand les druides égorgeaient sur les dolmens les guerriers vaincus, les bardes, s’accompagnant de leur harpe, chantaient la gloire et la toute-puissance de Teutatès.

L’orchestre beaucoup plus compliqué des Aztèques, le peuple prépondérant au Mexique avant la conquête des Espagnols, jouait un rôle tout différent dans les sacrifices humains. Le grand prêtre choisissait le plus bel homme du pays qui devait ce tribut de sang, et le faisait enfermer dans une cage où il était l’objet de soins tout particuliers. On le nourrissait des mets les plus délicats, et on lui donnait d’aimables compagnes pour charmer les ennuis de cette étroite réclusion. Enfin, on lui offrait chaque jour des récréations musicales où figuraient les divers instruments de la région, sifflets, petites flûtes et tambours couverts de peau de cerf tannées, que les doigts seuls mettaient en vibration. Les prêtres s’imaginaient apparemment qu’en prodiguant à la victime toutes les délices de la vie, elle se résignerait avec joie à son sort, et que l’offrande n’en serait que plus agréable à la divinité. Cet entraînement durait souvent six mois. Au jour fixé pour l’exécution, le prisonnier, revêtu de ses plus riches habits, sortait de la cage avec son escorte de jolies femmes et de musiciens ; puis, le grand prêtre l’étendait sur la pierre des sacrifices, lui ouvrait la poitrine avec un couteau d’obsidienne et en arrachait le cœur, qu’il allait porter tout fumant aux pieds de la statue du Soleil.

Lorsque, à une époque plus rapprochée de la nôtre, les Peaux-Rouges attachaient encore au poteau fatal les prisonniers des tribus voisines, ceux-ci entonnaient leur chant de guerre, qui ne cessait qu’avec leur mort. Plus les vainqueurs s’ingéniaient à inventer de nouvelles tortures, plus les vaincus redoublaient de sarcasme et de mépris. Leur invocation lyrique au Grand-Esprit les armait de courage et de constance au milieu des plus atroces supplices.

Hier encore, les sacrifices humains étaient en honneur au Dahomey. C’était au bruit infernal des tam-tams, de tambours et de guitares informes, que les griots ou sorciers faisaient égorger de malheureux noirs jetés tout empaquetés des remparts d’Abomey. Il n’était pas de plus sûr moyen, prétendaient-ils, de conjurer les sortilèges de l’esprit malin.

Dans les civilisations d’ordre supérieur, les religions ne vouent plus à la mort que leurs ennemis personnels, c’est-à-dire les dissidents qui se prévalent de leur hérésie ou de leur schisme. Pour définir d’un seul trait le rôle joué par la musique dans le cours de ces sanglantes exécutions, rappelons qu’en Espagne et en Portugal, les autodafés ordonnés par l’Inquisition comportaient une mise en scène terrifiante, dont de lugubres harmonies augmentaient encore les épouvantements. Tambours voilés de crêpe, glas sinistre de cloches, chant funèbres des processions, rien ne manquait à cette symphonie de l’agonie lente, commencée dans les prisons du Saint-Office, et s’achevant au fond du quemadero. L’émotion grave, pénétrante, mystérieuse, qui s’en dégageait, entretenait chez les spectateurs cette terreur sacrée, but suprême d’une institution non moins politique que religieuse.

Pendant la seconde moitié du xviie siècle, ces pratiques deviennent plus rares et même disparaissent, du moins en France. Ce n’est pas que le prosélytisme religieux s’y soit ralenti. Il est toujours aussi fervent qu’il est autoritaire. Seulement, il n’envoie plus les récalcitrants au bûcher, mais au cachot. Et là, changeant une fois encore