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Myrtes et Cyprès/Trépas en janvier

La bibliothèque libre.
Librairie des Bibliophiles (p. 185-188).


TRÉPAS EN JANVIER


Il fait froid, le vent du nord pleure,
La neige fouette le passant.
Reste encore, ô muse ! demeure,
Ne me quitte point à cette heure,
Demeure encore un seul instant.

Plus de chants… Au ciel pas d’étoile,
Plus de barque glissant sur l’eau ;

Chaque objet est couvert d’un voile,
Et mot je sens peser la toile
Dont on se revêt au tombeau.

Il fait froid. Une cloche tinte…
Est-ce un glas, ou bien un tocsin ?
Le chien hurle, et dans cette enceinte
La lampe obscure et presque éteinte
Des spectres conjure l’essaim.

Je te retiens près de ma couche,
Muse, tu devines pourquoi,
Tu guettes l’adieu sur ma bouche,
La pâleur de mon front te touche.
Pleure, ah ! pleure, muse, sur moi !

Pourquoi ne puis-je attendre encore
L’hirondelle et le rossignol,
Et voir aux larmes de l’aurore,

Lorsque la brume s’évapore,
L’alouette prendre son vol ?

L’an dernier encor sur la branche
Je guettais le premier bourgeon,
J’allais découvrir la pervenche,
Soumettant sa corolle blanche
Au baiser du premier rayon.

Sur mon modeste toit de chaume
Reverrai-je quelques instants
La cigogne, oiseau cher à l’homme,
Bâtir son nid, comme un symptôme
De la présence du printemps ?

Mais maintenant la terre humide
N’a point de fleurs pour l’embellir ;
La glace lui fait une ride ;
Au ciel un nuage livide
Passe en me regardant mourir.


Passons donc comme ce nuage.
Lyre jette un dernier accord…
Donne un sourire à mon visage,
Pour que le prêtre du village
Dise en entrant demain : « Il dort. »


Février 1876.