Myrtes et Cyprès/Xaviola

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XAVIOLA


Rafaël.

..........Hé ! voulez-vous avoir La Camargo, l’ami ?

L’Abbé, (se levant).

Tèête et ventre ! Ce soir ?

Rafaël.

Ce soir même.

A. de Musset.

« Comtesse de Bagatelle,
Xaviola toute belle,
Sais-tu que c’est mal à toi
De venir tenter un prêtre
Qui sent battre un cœur de reître
Que tu mets tout en émoi ! »


Ainsi pensait l’abbé d’Arche,
Confesseur que sa démarche,
Son bel air, son doux parler,
Rendaient l’idole des femmes.
Elles venaient, pauvres âmes !
À son autel se brûler.

L’abbé d’Arche, jeune encore,
Soulevait des bras d’amphore
Quand il prêchait, et sa main
Blanche, fine, aux longs doigts minces,
N’avait rien des crocs, des pinces
Attributs du capucin.

« Xaviola, pécheresse,
Murmura-t-il sans rudesse
Quand la pauvre enfant rougit,
Ignores-tu que cet homme,
Deviné sans qu’on le nomme
Est un mécréant maudit ?


« Est-il bien vrai que le comte,
Ce faquin sans foi ni honte,
Est à cette heure l’amant
En titre de l’innocente,
Hier encore sa servante,
Et sa reine maintenant ?

« Ô ma gentille brunette,
Un jour vient où l’on regrette
La pudeur qu’on dépouilla,
Où, si c’était à refaire,
On reprendrait sa misère,
Ma belle Xaviola ! »

Et sa voix vibrait émue.
La pauvre fille perdue
L’écoutait distraitement ;
Du prêtre la chaude haleine
L’impressionnait à peine :
C’était assez d’un galant.


Lui, parla pendant une heure :
« Faut-il sur toi que je pleure !
Faisait-il l’œil animé.
Crois-moi, ces seigneurs volages
Ont causé bien des ravages
Sans jamais avoir aimé. »

Il sermonnait à voix haute,
Pardonnant la grosse faute,
Accablant le séducteur.
« Et que faut-il que je fasse ?
— Laisse-moi prendre sa place,
Je dirigerai ton cœur ! »

Xaviola, ma mutine,
Brune ardente à la peau fine,
Aux regards malicieux,
Se lève, troussant sa robe,
Léger tissu qui dérobe
Des charmes si dangereux,


Et dit à l’abbé, tout chose :
« Bon confesseur, frais et rose,
Est-ce ainsi que le Sauveur
Parlait à la Madeleine ?
Lui disait-il : « Je t’emmène,
« Je te cueille, pauvre fleur !

« On peut aimer Dieu sans crainte ;
« Mon amour te fera sainte
« À la barbe du démon.
« Providence complaisante,
« Je tiens dans ma main puissante
« Ce qu’il te faut, ma charmante,
« Et l’amour, et le pardon ! »

Sur ce, la rieuse folle
Laisse l’abbé sans parole,
Confus plus que furieux.
Depuis lors, il devint raide :
La bigote la plus laide
Était trop femme à ses yeux.


La morale de l’histoire,
Galant en soutane noire,
Lovelace tonsuré,
C’est qu’il faut rester logique,
Mettre un sermon en pratique,
Ou n’être jamais curé.

Si l’anecdote est légère,
Excusez-moi, très-cher frère
Jésuite, pardonnez-moi :
On était sous la Régence.
Les mœurs ont changé, je pense ;
On suit mieux la sainte loi.
Mon cher frère, excusez-moi.


Paris, 23 juin 1876.