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Napoléon III général en chef/02

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Napoléon III général en chef
Revue des Deux Mondes4e période, tome 153 (p. 326-358).
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NAPOLÉON III
GÉNÉRAL EN CHEF

LA CAMPAGNE D’ITALIE[1]


IV. — MAGENTA. — MELEGNANO


I

L’occupation de la capitale d’un ennemi ne termine rien tant que son armée principale n’a pas été détruite. L’anéantissement aussi complet que possible de cette armée, c’est le but principal ou plutôt unique de la stratégie : le reste suit naturellement. Voilà Giülay tourné, dupé, dépisté, surpris. Supposez l’oncle à la place du neveu, il ne se serait pas occupé de Milan, il se serait rué, par une conversion à droite, dans le carré de Mortara, n’aurait pas perdu un instant pour tomber sur les Autrichiens. Giülay effaré était aux abois. Depuis plusieurs jours, son intelligent chef d’état-major s’efforçait de lui persuader qu’il était tourné, il n’en voulait rien croire. Le 1er juin, la réalité lui apparaît menaçante, et il en perd la tête. Il avait à choisir entre deux partis : ou rappeler ses troupes du Sud où elles n’avaient rien à faire, les ramener vers Mortara et Bobbio, et, là, essayer de couper notre armée par une attaque de flanc, ou bien se porter résolument derrière le Tessin et nous en disputer le passage. Pendant toute la journée du 1er et la matinée du 2, le malheureux général passe à chaque heure d’un parti à l’autre, et il exténue ses troupes dans des marches contremandées sitôt qu’ordonnées. Que serait-il devenu si l’armée alliée avait fondu sur lui au milieu de ce désarroi ?

L’Empereur pourtant ne s’occupe pas de Giülay : on eût dit que tout ce qu’il avait en lui de force d’impulsion avait été épuisé. La marche qu’il venait de terminer si habilement n’avait de sens que si elle préparait une offensive foudroyante : il la conclut par une défensive circonspecte ; il ne va pas vers l’ennemi, il l’attend ; il ne brusque pas l’événement, il le voit venir. Personne ne se montrant, il ne cherche pas à prendre le contact qu’on ne lui offre pas ; il se remet en marche vers le Tessin et Milan, avec précaution, en colonnes prêtes à s’appuyer. À ne considérer les choses que superficiellement, comme, malgré tout, il s’avance du côté du territoire de l’ennemi, sinon contre son armée, on peut dire qu’il agit offensivement. Mais cette offensive, dépourvue de décision et de promptitude, a la timidité, l’incertitude qui sont la condition et l’infériorité de toute défensive : c’est une défensive qui se déplace en avant. Cette fois il ne semble plus entendre l’autre conseil de son oncle à Masséna : « Activité, activité, vitesse. »

Giülay a la liberté de reprendre ses sens. François-Joseph, en route sur Vérone, lui télégraphie : « Faites un énergique effort offensif et conservez au moins la ligne du Tessin. » Il répond : « C’est impossible, » et le 2, à midi, donne l’ordre de la retraite derrière le fleuve. Du coup Garibaldi est dégagé. Urban, qui le serrait de près, rappelé brusquement de Varese, le laisse sans personne devant lui. L’histoire démagogique raconte que c’est son génie militaire qui l’a tiré de peine.

Les deux armées marchaient donc parallèlement vers le même but, sans s’aborder, sans même soupçonner leurs mouvemens réciproques, bien qu’ayant de la cavalerie pour s’éclairer. Le choc qui va se produire entre elles sera l’effet du hasard.


II

Dans la journée du 3, l’Empereur continue à s’embarrasser dans sa malheureuse stratégie défensive. Au lieu de se préoccuper uniquement de déterminer par où et comment il attaquera, de choisir son champ de bataille et de fondre sur l’adversaire incertain, il perd son temps à demander par où il sera attaqué lui-même et à dresser des plans en vue d’hypothèses dépourvues de toutes probabilités. Il persiste à supposer Giülay encore sur la rive droite du Tessin ; il songe à se prémunir contre une attaque venant du carré de Mortara ; et cependant il ne veut pas rester immobile. Alors il adopte à son tour le détestable expédient du moyen terme. Il renonce à sa concentration de marche au moment où elle va devenir le plus nécessaire ; il ne laissera pas son armée entière sur la rive gauche ; il ne la transportera pas sur la rive droite ; il la coupe en deux, la met à cheval sur le fleuve, se croyant ainsi en mesure de repousser l’attaque de quelque côté quelle vienne, se condamnant en réalité à ne lui opposer sur chaque côté qu’une partie de ses forces : ce qui est préparé à deux fins ne vaut en général pour aucune.

En conséquence il décide que, dans la journée du 4, le corps de Baraguay d’Hilliers demeurera sur la rive droite, dans la forte position de la Bicoque, à plus de quinze kilomètres du fleuve ; le corps de Mac-Mahon, grossi des voltigeurs de la Garde, se portera sur Magenta par Turbigo et Buffalora ; il sera suivi et appuyé en réserve par toute l’armée du Roi venant de Lumelogno et de Galliate. Ce devait être le mouvement important de la journée. Pendant qu’il s’opérerait, les grenadiers de la Garde s’empareraient du pont de San Martino établi sur le Tessin, s’y tiendraient en attendant Canrobert et Niel, et tous ensemble iraient rejoindre Mac-Mahon à Magenta, si décidément on ne voyait rien venir du côté du Pô. Ainsi le 4, l’Empereur ne songeait qu’à un passage partiel du Tessin, non à une bataille.

Les dispositions que Giülay prenait le même jour montraient plus de résolution. Tout entier sur la rive gauche, il s’apprêtait à nous disputer par une bataille la possession de la Lombardie. En avant de lui, il avait le Tessin, large, profond, rapide, et, trois kilomètres plus loin, le Naviglio grande, canal de deux mètres environ de profondeur, aux berges hautes par endroits de dix mètres, qui suit le cours du fleuve jusqu’à Abbiategrasso où, faisant un coude, il se dirige vers Milan. De petits canaux, des fossés coupaient le sol environnant ; des arbres, des cultures à haute tige ne permettaient pas d’apercevoir le mouvement des troupes ; on ne s’en rendait compte, et encore imparfaitement, que du haut des clochers.

Giülay, à la nouvelle que les Français ont passé le Tessin à Turbigo, décide de marcher sur eux par Magenta. Il ordonne de faire sauter le pont de San-Martino, deux des ponts du Naviglio, ceux de Buffalora et de Ponte Vecchio, de miner celui de Ponte Nuovo et d’établir une redoute sur celui du chemin de fer. Il préparerait ses troupes et leurs renforts au violent effort qu’il en attendait en leur accordant un jour complet de repos, le 4.

Si le plan eût été exécuté, Mac-Mahon et la Garde se fussent trouvés inopinément aux prises avec 142 320 hommes, 15 470 chevaux et 552 pièces, avant que nos corps de seconde ligne eussent eu le temps d’accourir. La Providence veillait alors sur nous. Les ordres de Giülay furent mal obéis ; le pont de San Martino ne sauta qu’à moitié, deux piles seulement s’affaissèrent sans s’écrouler, et il resta praticable aux fantassins et même à l’artillerie moyennant quelques réparations. Un envoyé de François-Joseph, le feld-maréchal de Hess, retint à l’étourdie, le long du Tessin, de Corbetta à Stradella, les corps qu’il eût fallu pousser au plus vite vers Magenta. Ainsi, et non par sa faute, Giülay n’eut pas sous la main l’ensemble de ses forces, mais seulement 57 470 hommes, 4 170 chevaux et 152 pièces. Sans ces bienheureux contretemps, nous étions probablement jetés dans le Naviglio Grande et le Tessin.


III

Le 2, au soir, la brigade Manèque, de la Garde, traversa le Tessin sur un pont de bateaux et le Naviglio sur le pont qu’on n’avait pas détruit ; elle s’établit à Turbigo ; le 3 dans l’après-midi, le 2e corps vint la rejoindre. Le Tessin passé, Mac-Mahon traverse Turbigo et exécute une reconnaissance vers Robechetto. Il monte sur le clocher ; à peine au sommet, il aperçoit une forte colonne autrichienne à cinq cents ou six cents mètres du village ; il descend quatre à quatre, galope vers ses troupes qui débouchaient de Turbigo, ordonne à La Motterouge de repousser les Autrichiens. Ceux-ci, embusqués derrière les clôtures des haies, accueillent la tête de nos colonnes par une fusillade nourrie. Les tirailleurs algériens, les turcos, sans répondre à ce feu, s’élancent dans les rues au pas de course, et en quinze minutes le village est évacué : leur teint basané, leurs sauts de panthère, leurs cris produisirent sur les Autrichiens un véritable effet de panique. Le 2e corps bivouaqua sur la rive gauche du Naviglio, sauf la brigade Decaen. attardée de l’autre côté du fleuve.

Le lendemain 4, Mac-Mahon appelle vers lui la brigade retardataire, ce qui encombre le pont pendant vingt à quarante minutes ; il fait passer ses bagages sur la rive droite du Naviglio, ce qui produit encore sur le même pont un encombrement de près d’une heure et demie. Après quoi il s’ébranle à neuf heures et demie. Il dirige la. division La Motterouge sur Buffalora, le long de la rive gauche du canal, et la fait appuyer par les voltigeurs de la Garde. Pour éviter les lenteurs de la marche en une seule colonne, il fait défiler la division Espinasse par la route directe qui va à Magenta par Inveruno, Mesero, Marcallo, ce qui met entre les deux divisions une distance variant de trois à quatre mille mètres. La cavalerie de Gaudin de Villaine avait mission de protéger Espinasse en le reliant à La Motterouge.

À la même heure, les grenadiers de la Garde partent de Trecate, ne trouvent personne à San Martino, s’y établissent, débusquent quelques tirailleurs ennemis et poussent des reconnaissances vers Ponte Nuovo et Buffalora. Leur unique mission jusqu’à nouvel ordre étant de s’assurer de San Martino, Regnault de Saint-Jean-d’Angély les rappelle en avant du pont.

L’Empereur, ne croyant guère à une bataille imminente, avait déjeuné à l’heure habituelle à Novare, entouré de son état-major général et d’un bataillon du 1er grenadiers de la Garde. Après déjeuner, il vient en voiture avec le général Martimprey savoir ce qui se passe : il est une heure. Tandis que le commandant de la Garde lui rend compte, il entend le canon. C’était La Motterouge qui, s’avançant de Turbigo avec sa vigueur habituelle, avait enlevé Bernate et commencé l’attaque de Buffalora. — Mac-Mahon est donc en action, pense l’Empereur, il faut l’aider par une diversion. — Il prend le commandement (une heure et demie) et envoie le 2e grenadiers à Buffalora et le 3e vers le Ponte Nuovo et la redoute du chemin de fer, le 1er grenadiers et les zouaves de la Garde en réserve.

Arrivés devant Buffalora, les grenadiers trouvent le pont coupé et s’arrêtent. L’attaque sur le pont du chemin de fer et le Ponte Nuovo paraît d’abord plus heureuse. La redoute semblait imprenable : en vingt minutes, la Garde la prend. Le Ponte Nuovo était balayé par les obus et les balles : le général Cler et ses zouaves en forcent le passage, s’emparent des maisons qui le bordent à gauche et à droite et tuent le général autrichien Burdina. Dans leur élan, sans songer à leur petit nombre, ils s’avancent sur la route de Magenta. Giülay envoie une nouvelle division (Reieschach). Qu’importe ? Si Mac-Mahon arrive, on s’en tirera. Mais tout à coup (deux heures), ce canon vers lequel on marchait, ce canon d’appel qui serait devenu le canon de secours, ce canon qui avait donné le signal de l’engagement, au lieu de se rapprocher, se tait. Et l’ennemi grossit toujours, il en vient de tous les côtés, jusqu’à 25 000. Entre grenadiers et zouaves les nôtres sont à peine 5 000. Et néanmoins ils ne rompent pas d’une semelle. Obligés d’abandonner le pont, ils se retranchent dans les maisons environnantes et s’y cramponnent avec une indomptable ténacité ; leur nombre décroît ; un de leurs chefs aimés, le général Cler, est tué ; Wimpffen blessé ; à la masse qui les assaille en face s’en ajoute une autre, venant par la route d’Abbiategrasso, qui va les tourner ; tout semble perdu ; ils tiennent bon, ils tombent les uns sur les autres, pas un ne recule. Notre vieille terre de vaillance et d’honneur n’a pas produit d’enfans qui aient porté sa gloire plus haut.

Pendant ces heures effroyables, l’Empereur, immobile entre le pont de Buffalora et le Naviglio, au centre du combat, craignant que Mac-Mahon, qui ne donnait plus signe de vie, n’ait été écrasé, l’âme dévorée d’angoisse, brûlé d’une fièvre intérieure, assistant, sans moyens de l’arrêter, à l’hécatombe de tant de braves, se demandant si sa fortune et celle de la France n’allaient pas s’écrouler dans un épouvantable effondrement, ne laisse percer aucune émotion sur son visage impassible, et par le calme stoïque de son attitude maintient et exalte les courages. Aux messagers réclamant des secours qu’il ne peut accorder, il répond d’un ton ferme : « Tenez toujours ! » Il expédie des officiers d’ordonnance à Niel, à Canrobert, à Mac-Mahon, à Victor-Emmanuel ; il envoie l’artillerie de la Garde au soutien des grenadiers.

Enfin (trois heures et demie) un premier sauveur se montre, le général Picard, du 3e corps. Il avait eu les plus grandes difficultés à arriver. Les impedimenta des troupes de première ligne n’ayant pas été rejetés en arrière de celles de seconde ligne, la route de Novare au Tessin était obstruée de voitures pressées sur cinq rangs qu’on ne pouvait écarter ni à gauche ni à droite, car la route était construite en chaussée. Les soldats, obligés de se glisser homme par homme à travers les voitures, accouraient au pas de course. Une immense acclamation les accueille, le combat est rétabli. La redoute du Ponte Nuovo dégagée, le pont repris, Picard se porte vers le Ponte Vecchio, contre le mouvement tournant qui menace du côté d’Abbiategrasso. Les Autrichiens jettent de nouvelles forces dans le combat, 16 000 hommes à peu près, et cette fois encore, tout semble perdu. Mais voici, arrivant au galop, le général Niel et la division Vinoy. La situation n’en restait pas moins terrible, lorsque enfin le canon, muet depuis plus de deux heures, se réveille et envoie dans tous les cœurs un souffle d’espérance (quatre heures et demie).

Pourquoi ce canon, après avoir parlé, s’était-il tu ? Pourquoi l’entendait-on de nouveau ?


IV

Pendant que La Motterouge attaquait Buffalora et entraînait l’Empereur à s’engager, le chef d’état-major de Mac-Mahon, le général Lebrun, distingue, du clocher de Cuggiono, des troupes d’ennemis en marche ; il leur suppose le dessein de se glisser dans l’espace libre entre nos deux divisions et de les séparer ; il conseille à Mac-Mahon de rappeler La Motterouge de Buffalora jusqu’à ce qu’on ait rapproché Espinasse. Le général Auger, commandant de l’artillerie, officier du plus grand mérite, appuie l’avis de Lebrun. Aucun doute qu’Espinasse ne doive être rapproché, et un officier lui en porte l’ordre ; mais interrompre le combat, revenir en arrière, Mac-Mahon ne peut s’y résoudre ; l’armée du Roi le suit et, avec son aide, il se sent en état de déjouer la tentative des Autrichiens. Dans cette incertitude survient Della Rocca, le chef de l’état-major du Roi ; il raconte que deux divisions seulement, celles de Durando et de Fanti, viennent de traverser le pont de Turbigo ; qu’il est obligé de retenir celle de Durando dans la prévision d’une attaque de l’Autrichien Urban ; que Fanti, retardé par l’entassement des bagages, n’avance que difficilement : Mac-Mahon n’a plus à compter sur ce concours. Il ne cache pas à Délia Rocca son désappointement. La nécessité le contraint alors à suivre les conseils de Lebrun et d’Auger : il rappelle La Motterouge (deux heures), et à la canonnade, à la fusillade succède le silence lugubre qui porte à San Martino l’étonnement et l’angoisse.

Alors commence un drame poignant. Le canon de l’Empereur ne se taisait pas ; il redoublait de fureur, il arrivait à Mac-Mahon comme un reproche et comme une imploration : les minutes lui pèsent autant que des heures, et point de nouvelles d’Espinasse ! Il n’y tient plus. Suivi d’un officier, il s’élance à travers les champs, les vignes, les fossés, renversant les cavaliers, bravant les tirailleurs, terrible, irrésistible. Il trouve Espinasse maître de Marcallo et, en prévision du concours des Piémontais, s’apprêtant à continuer sur Magenta. Mac-Mahon lui dit que les Piémontais viendront très tard, s’ils viennent, lui prescrit de s’établir fortement à Marcallo, qui doit être conservé à tout prix comme appui de sa gauche et dépôt de notre ambulance, et de se rallier à lui par la ferme de Guzzafame.il revient ensuite en ouragan. — Imprudence, a-t-on dit. — Certainement, mais l’histoire aime ces imprudences, elles font les héros et les victoires.

Les Autrichiens se rendent compte du resserrement ordonné par Mac-Mahon et veulent l’empêcher par une attaque sur Marcallo. Espinasse les repousse, laisse sa brigade Gault dans le village, jusqu’à ce que Fanti, auquel Mac-Mahon a envoyé son premier aide de camp, soit arrivé, et avec son autre brigade il refoule les vaincus sur Magenta.

Rassuré sur Espinasse, Mac-Mahon ordonne à La Motterouge de reprendre son mouvement contre Buffalora (quatre heures). Le général, qui s’élance aussitôt, a la surprise de trouver là les grenadiers de la Garde maîtres de la position : craignant d’être pris entre deux feux, les Autrichiens s’étaient retirés[2]. Il continue sur Magenta. À la ferme de Casa Nuova, il se heurte à une sérieuse résistance ; il s’y arrête le temps d’en venir à bout. C’est le bruit de la fusillade et de la canonnade engagées là qui, arrivant à San Martino, a relevé les espérances : les courages n’avaient pas à l’être. Les Autrichiens, qui commencent à sentir que la journée tourne contre eux, redoublent néanmoins de vigueur : ils succombent.

La prise de la Casa Nuova détermine un mouvement en avant qui rassure définitivement Espinasse sur la possession de Marcallo. Quoique Fanti ne s’y soit pas encore montré, il rappelle vers lui la brigade Gault, sauf quelques détachemens (six heures et demie), et rejoint Mac-Mahon.

Mac-Mahon a tout son monde sous la main, il prend ses dernières dispositions. Lui, à la tête de la division La Motterouge, attaquera par la route de Buffalora, Espinasse par celle de Marcallo, Camou suivra au centre de la ligne ; tous se dirigeront sur le clocher de Magenta par un mouvement convergent de plus en plus serré (sept heures).

Les généraux deviennent soldats pour mieux entraîner les troupes. La Motterouge, debout sur son cheval, les excite ; Castagny, qui a abandonné le commandement de sa brigade, fait le coup de feu, Auger établit son artillerie disponible sur le chemin de fer et fauche l’ennemi. De part et d’autre on accomplit des prodiges de valeur. Espinasse, qui tout le jour avait été superbe de sang-froid et de vaillance, est tué raide du coup de carabine d’un Tyrolien, à la porte d’une maison qu’il essaye d’enfoncer. L’extérieur du village pris, le combat continue de maison en maison et devient atroce (huit heures). Il se termine par la pleine déroute des Autrichiens.

À ce moment se montre l’avant-garde de Fanti, un bataillon de bersagliers et quatre canons. Sans s’attarder à entrer dans le village de Marcallo, abandonné par la brigade Gault, et dont il savait la possession assurée, il s’était judicieusement hâté vers Magenta par Casone. Ses quatre canons purent encore tirer quelques coups sur les fuyards ; quand le reste de sa division, à trois kilomètres environ, se rapprocha, il n’y avait même plus de fuyards à achever. Là, comme partout, où il avait été attendu pendant la journée, Fanti arrivait quand tout était fini.

Du côté du Naviglio, la victoire n’avait pas été moins pénible à obtenir. L’entrée en scène de Mac-Mahon redoubla l’ardeur au Ponte Nuovo et au Ponte Vecchio, et nous reprîmes l’avantage. Mais les Autrichiens, une troisième fois, reviennent en force contre les ponts du Naviglio et de San Martino par les deux bords du canal. Après des péripéties diverses, malgré une résistance acharnée, la brigade Picard, épuisée, décimée, est rejetée loin du Ponte Vecchio ; elle aurait été à maie partie si, de notre côté aussi, n’eussent continué d’arriver des fractions des 3e et 4e corps qui ranimaient le combat. Ce n’était pas, comme à Magenta, une vague de fond irrésistible qui s’avance sans reculer un instant, c’étaient deux vagues furieuses, à l’écume ensanglantée, qui, tour à tour, s’avancent et reculent. L’acharnement des Autrichiens ne se lassait pas. Canrobert le brise enfin par une charge à la baïonnette ; Trochu l’achève en survenant avec une partie de sa division ; nous restons maîtres du terrain sur les deux rives, au Ponte Vecchio comme à Ponte Nuovo de Magenta. Ce n’est sûrement pas une défaite, mais est-ce une victoire ? l’ennemi est contenu, repoussé, il n’est pas en déroute ; il l’est si peu qu’il prépare déjà un retour agressif pour le lendemain. À Magenta, au contraire, la débandade est telle que les Ier et IIe corps autrichiens écrasés fuient, vers les trois heures du matin, précipitamment sur Milan.

Les Autrichiens avaient eu 1 365 morts, 4 348 blessés, 45 00 disparus ou prisonniers ; les Français 657 morts, 3 223 blessés et 655 disparus : les Piémontais n’eurent ni morts ni blessés.


V

À San Martino, l’Empereur établit son quartier général dans une misérable auberge. Il était assis au milieu de ses généraux lorsque Victor-Emmanuel entre brusquement, sans s’être fait annoncer. Une seule de ses divisions, celle de Fanti, avait essayé de suivre Mac-Mahon, et elle était arrivée partout trop tard. Ses autres troupes, malgré les ordres réitérés de l’Empereur, malgré l’appel pressant du canon, étaient restées immobiles sur place à Turbigo et à Galliate, avec une persistance d’apparence systématique, à laquelle on donnait les interprétations les plus diverses, dont la plus indulgente était que, Roi, il n’avait pas voulu se mettre sous les ordres d’un simple divisionnaire.

Victor-Emmanuel venait apporter ses explications. Il exprima en termes expansifs son désespoir de n’avoir pas pris part à la lutte. Il en avait été empêché, disait-il, par un encombrement au débouché du pont de Turbigo ; par l’inquiétude que lui causait l’apparition de quelques cavaliers et la présence signalée à Gallarate de la division Urban, d’où elle menaçait les derrières des troupes en marche sur Magenta. Ces raisons n’étaient pas sérieuses. L’encombrement expliquait deux ou trois heures de retard, non une abstention complète de toute la journée. La crainte vague d’une attaque d’Urban, à plus forte raison l’apparition de quelques cavaliers, justifiait à peine l’immobilité d’une division, car il eût suffi de se couvrir par une arrière-garde laissée à Castano : elle n’expliquait nullement que le Roi et ses trois divisions eussent entendu pendant tant d’heures le tonnerre de la bataille sans bouger, se retrouvant le soir à la place où ils étaient le matin.

L’Empereur, qui était resté assis, ne s’arrêta pas à une discussion inutile et sans dignité ; il répondit froidement : « Sire, lorsque l’on doit opérer une jonction devant l’ennemi, on exécute strictement ses instructions et l’on tient ses engagemens ; je regrette que Votre Majesté ne l’ait pas fait. » — Le Roi demanda à être placé à l’avant-garde à la prochaine affaire et il regagna son quartier général[3].


VI

Le succès de cette bataille décousue, incohérente, conduite au hasard, est dû à la vaillance sans doute, plus encore à l’esprit d’initiative offensive. Il n’appartenait qu’au commandant en chef d’imprimer ce caractère à l’ensemble des opérations : les officiers de tout grade, comme les soldats, firent d’instinct de cette offensive la règle de la tactique du champ de bataille ; chacun à son rang, sans attendre les ordres, alla toujours de l’avant, sans regarder ni en arrière ni de côté ; c’est pourquoi ils vainquirent.

Ils furent aidés, il est vrai, puissamment par l’artillerie rayée de l’Empereur, dont la supériorité sur les canons à âme lisse des Autrichiens se démontra d’une manière foudroyante. Elle porta le désordre même dans les réserves qui ne prenaient point part au combat, préparant la défaite par la démoralisation. Cette nouvelle artillerie fut employée avec un à-propos de coup d’œil et de décision supérieur par le général Auger au 2e corps et par le général Lebœuf au Ponte Vecchio. Regnault de Saint-Jean-d’Angély dit de celui-ci : « Bien que le général Lebœuf ne soit pas sous mon commandement, je manquerais à un devoir si je ne signalais pas l’énergique assistance que cet officier général m’a prêtée en dirigeant le feu de mon artillerie pendant le plus chaud de l’action. Son zèle seul l’amenait au milieu de nous : c’est un officier qu’on est sûr de rencontrer partout où se présente le danger[4]. »

Si les Autrichiens avaient su comme nous se déployer en chaîne épaisse de tirailleurs, agir d’une manière indépendante et libre, profiter des accidens du terrain pour s’abriter et bien ajuster, s’avancer ou se replier avec rapidité, ils seraient parvenus, par un emploi judicieux de leur fusil, supérieur au nôtre, à compenser l’infériorité de leur artillerie. Mais, accolés les uns aux autres dans une défensive systématique et passive, ils essayaient, quand ils nous voyaient venir en bondissant, de nous arrêter par quelques décharges précipitées, et, n’y réussissant pas, ils n’osaient attendre le combat corps à corps et se débandaient.

L’Empereur fit maréchaux Regnault de Saint-Jean-d’Angély et Mac-Mahon : c’étaient, en effet, avec lui-même, les victorieux de la journée. En outre, il fit Mac-Mahon duc de Magenta. Il donna ainsi par sa générosité de récompense des apparences à la légende de dénigrement fabriquée presque aussitôt par ses ennemis. — L’Empereur, dirent-ils, était perdu ; Mac-Mahon, prenant sur lui de désobéir à ses instructions, était allé à gauche tandis qu’on l’avait envoyé à droite ; il était accouru au canon de détresse de l’Empereur et l’avait sauvé. Quiconque a connu le caractère de Mac-Mahon n’a pas cru un instant à une pareille invention. C’était un chef de corps de la plus haute valeur, mais subordonné jusqu’à l’abnégation, aimant mieux obéir à un ordre absurde qui le dégageait que prendre une initiative raisonnable qui l’eût engagé. Si on lui avait enjoint de se diriger à droite, il n’aurait, par aucune considération, marché à gauche. En réalité, il n’a pas suivi une direction autre que celle prescrite par l’Empereur ; il devait aller à Magenta, il y est venu, seulement quelques heures plus tard qu’on n’y comptait. Il n’a pas couru au canon de l’Empereur, c’est l’Empereur qui a marché au sien. Il a déterminé la victoire, après l’avoir compromise pendant plusieurs heures par un retard que, sans l’héroïsme de la Garde, il n’eût pu réparer. « Mon cher général, a dit l’Empereur à Regnault de Saint-Jean-d’Angély, vous avez sauvé l’armée par votre énergie ; sans vous, Dieu sait ce qui serait arrivé ! »

Dans l’armée, on ne récrimina pas contre Mac-Mahon : en regrettant qu’il n’eût pas concentré dès le début ses ailes, au lieu de laisser entre elles un intervalle trop considérable, on ne retint que le sang-froid et l’impétuosité avec lesquels il avait ramassé dans sa main ses divisions avant de les lancer compactes dans cette offensive glorieuse qui emporta les dernières résistances ; on reconnaissait qu’après tout, il avait déterminé la victoire et qu’un succès moins écrasant à Magenta eût permis aux Autrichiens de recommencer le lendemain une lutte aussi acharnée et aussi difficile. Ils n’y pensèrent pas, Giülay ordonna l’évacuation de Milan et de Pavie et la retraite vers Lodi et l’Adda.


VII

Supposons encore Napoléon Ier à la tête de cette armée victorieuse. Il disposait de 110 000 hommes dont 63 200 n’avaient pas été engagés la veille ; Giülay n’avait sous la main, par suite de la retraite de sa droite sur Milan, que 80 000 hommes démoralisés et fatigués par la défaite. Dans cette situation est-ce aux ovations de Milan qu’aurait couru le grand capitaine ? Se serait-il occupé d’autre chose que d’achever l’armée de Giülay, d’opérer avec toute la sienne la poursuite qui n’avait pas été possible le soir de la victoire, de provoquer une nouvelle rencontre qui eût probablement mis fin à la guerre ? Napoléon III n’ordonna aucune poursuite, et Giülay, étonné de n’être pas inquiété, tournant de temps en temps la tête pour voir s’il n’est pas suivi, gagne tranquillement l’Adda. Le 7 au soir, il avait mis à l’abri toutes ses troupes, sauf une brigade laissée en arrière à Melegnano.

Dans la journée du 7, les gens du pays informaient notre état-major de la présence de ce corps autrichien à Melegnano. L’Empereur ordonna de le débusquer. Il paraissait naturel de confier l’opération aux corps les plus rapprochés, ceux de Niel et de Mac-Mahon ; on en chargea le plus éloigné, Baraguay d’Hilliers, bivouaqué à San Pier d’Olmo, au delà de Milan, probablement pour lui fournir l’occasion de se distinguer qu’il n’avait pas eue à Magenta. Mac-Mahon fut placé sous ses ordres, et Niel chargé de l’appuyer. Seize brigades furent mises en mouvement contre une ! Baraguay d’Hilliers, parti à quatre heures du matin de San Pier d’Olmo, n’arriva à Melegnano que vers cinq heures du soir retenu par les encombremens des convois. En route, il avait convenu avec Mac-Mahon que son corps, divisé en trois colonnes, attendrait à bonne distance de Melegnano que Mac-Mahon eût gagné par un mouvement tournant la route de Lodi en arrière de la ville, et fermé toute retraite aux Autrichiens. — « Vous verrez qu’il ne m’attendra pas, dit Mac-Mahon à Lebrun ; il est trop impatient de faire son coup. »

C’était bien deviner. Le mouvement de Mac-Mahon fut, il est vrai, plus lent à exécuter qu’on ne l’avait cru ; le pays était entrecoupé de canaux d’irrigation surplombés de chaussées ; une pluie torrentielle tombait ; on avait à traverser à gué une rivière. Baraguay n’attendit pas même que ses deux colonnes de flanc fussent en position d’attaquer, ni que son artillerie eût balayé le terrain, il lança sa colonne de centre sur Melegnano barricadé, le long d’une route bordée de deux fossés pleins d’eau. Bazaine et ses zouaves, grâce à des prodiges de dévouement, s’emparèrent de la place, mais au prix de quels sacrifices ! 951 hommes tués ou blessés. Et cette hécatombe ne servit de rien, car, Mac-Mahon n’étant pas encore posté sur la route en arrière, les Autrichiens purent se dérober.

Lebrun croit qu’une demi-heure d’attente eût suffi pour que Mac-Mahon fût en position. Dans tous les cas, pourquoi n’avoir pas attendu que les colonnes de flanc fussent en action et que son artillerie eût balayé le terrain ? L’Empereur, sur ce triste champ de bataille, recommanda « de ne plus faire de ces tours de force inutilement. » On a essayé de justifier cette sauvagerie en disant que Baraguay d’Hilliers avait reçu l’ordre d’emporter Melegnano le jour même et que, s’il avait attendu Mac-Mahon, il eût été obligé de différer jusqu’au lendemain. Tous les ordres comportent la réserve de bon sens et d’humanité, dans la limite de ce qui sera possible ; il n’y avait pas de péril à ce que la brigade autrichienne ne fût expulsée que le lendemain. Aucun ordre donné de loin ne saurait lier l’initiative du chef présent sur les lieux, c’est l’avis de Napoléon. Baraguay d’Hilliers s’était montré là ce qu’il a été partout : d’une intrépidité tenace qui ne reculait devant rien, mais sans souci de la vie de ses hommes, aussi dur aux autres qu’il l’était à lui-même[5].

Le jour même de cette bataille, Napoléon III et Victor-Emmanuel entraient à Milan au milieu d’une ovation frénétique. Quelques-uns alors se rappelèrent la soirée tragique dans laquelle Charles-Albert, hué parce qu’il avait été malheureux, s’enfuyait, pâle et défait, le sabre sous le bras, murmurant d’une voix éteinte par le désespoir : « Quelle journée ! » Les plus pessimistes n’eussent osé prédire qu’un jour viendrait où, l’Empereur ayant été malheureux à son tour, les petits Italiens de la Triple Alliance, qui ont succédé aux grands Italiens du Risorgimento, n’auraient pas, quarante ans après, placé la statue de leur libérateur sur une de ces voies triomphales à travers lesquelles il s’avançait, le 8 juin 1859, sous des flocons de fleurs.


V. MILAN


I

Les préoccupations politiques ressaisirent aussitôt l’Empereur. Les nouvelles de l’Italie centrale n’étaient pas satisfaisantes : on criait, on manifestait, on ne s’enrôlait pas ; malgré les excitations de Cavour, on ne comprenait pas que, pour justifier leurs plaintes aux yeux de l’Europe, les Italiens devaient apporter à la guerre une coopération énergique. En Toscane surtout, la mollesse était invincible. Le prince Napoléon, arrivé à Florence le 31 mai, y tenait une conduite d’une irréprochable correction ; il n’avait pas tenté de s’immiscer dans les affaires intérieures, ni prononcé un mot, ni fait un acte que les malveillans pussent interpréter comme une manœuvre de prétendant ; bien plus, il soutenait publiquement, au grand déplaisir de Walewski, l’annexion au Piémont. Il tenta de constituer une armée, et peu et mal secondé par le commissaire piémontais Buoncompagni, il n’y réussissait guère. Les Toscans, sauf une petite minorité, acceptaient plus qu’ils ne souhaitaient de devenir indépendans, à condition de ne pas interrompre leur dolce vivere, et de n’entendre parler ni d’impositions exceptionnelles, ni de levées. Ils regardèrent avec stupéfaction le Prince quand il réclama un contingent de trente mille hommes. Juste ciel ! plutôt rappeler Léopold[6]. On ne put rassembler sous Ulloa que 4 000 à 5 000 hommes, divisés en deux brigades commandées par un colonel et un lieutenant-colonel, deux batteries d’artillerie et un escadron de guides de cent chevaux. — « Est-ce pour un pareil résultat, écrivait le Prince à l’Empereur, que la Toscane s’est soulevée au cri de Vive la guerre ! et a changé la forme de son gouvernement ? »

Ces déboires étaient cependant de bien peu de gravité à côté des menaces européennes grondant de Londres et d’Allemagne.


II

Persigny exposait sans réticences l’état d’esprit anglais : « Le public anglais croit que l’Empereur veut recommencer les conquêtes de l’Empire, qu’après l’Italie, il attaquera l’Allemagne et enfin l’Angleterre elle-même… Au fond, il déteste l’Autriche et fait des vœux ardens pour l’indépendance de l’Italie et pour le développement de la liberté dans le monde. Il ne comprend guère qu’un prince absolu comme l’Empereur puisse s’intéresser de bonne foi au bonheur d’un peuple étranger. Il est enfin disposé à soupçonner l’Empereur de n’avoir qu’un but personnel[7]. »

La reine Victoria était plus animée que son peuple. Que nous aidions le Piémont à se débarrasser de l’invasion autrichienne, elle s’y résignait, pourvu que la guerre fût localisée, et elle expliquait à l’Impératrice ce qu’elle entendait par une guerre localisée : c’était une guerre qui ne dépasserait pas le Tessin ; au delà, commençait la guerre de conquête. Les possessions autrichiennes envahies, elle trouvait tout naturel que l’Allemagne, effrayée de voir un des membres les plus importans de sa confédération en péril, vînt à son secours, et que toute l’Europe s’alarmât de voir mettre en question les traités d’où dépendent sa sécurité et son existence[8]. Souveraine absolue, elle se serait déclarée en faveur de l’Autriche, dès la proclamation de l’Empereur annonçant qu’il ne localiserait pas la guerre et irait des Alpes à l’Adriatique ; elle l’eût fait encore plus au lendemain de Magenta. Mais ses ministres, quoique de son avis, étaient obligés de tenir compte de l’opinion anglaise, et cette opinion n’était pas encore arrivée à un tel degré de défiance et d’animosité qu’elle autorisât son gouvernement à partir en guerre pour maintenir la détestable domination de l’Autriche, en Italie. Le cabinet fut obligé de cacher son hostilité sous la neutralité ; il la rendit du moins aussi hargneuse qu’il le put. La flotte fut mise sur pied de guerre ; des corps de tirailleurs, des milices de volontaires, des compagnies d’artillerie dans les villes maritimes furent organisées. Malmesbury, espérant nous embarrasser, posa à Paris et à Pétersbourg la même interrogation. Existe-t-il une alliance offensive et défensive de la France et de la Russie contre l’Angleterre ? Existe-t-il un traité par lequel le Piémont s’engage à céder la Savoie à la France en échange de la Lombardie ? — Non, répondirent Walewski et Gortchakof avec une parfaite bonne foi, car il n’existait aucune alliance contre l’Angleterre et ils ignoraient l’un et l’autre le traité secret du 10 décembre 1858 sur Nice et la Savoie. Ils auraient pu ajouter, ainsi que le fit en pareille occasion Bismarck : « Et si cela était vrai, vous répondrais-je autrement ? » Malmesbury devient alors d’une indiscrétion encore plus impertinente, et demande à Gortchakof de lui communiquer le texte des arrangemens russes avec la France. Gortchakof se moqua : « Un amant pourrait tout au plus faire une pareille question à sa maîtresse, et ce ne sont pas les termes dans lesquels l’Angleterre est avec la Russie. »


III

Des nuages plus sombres encore s’amassaient du côté de l’Allemagne. Nos agens en racontaient au moins l’équivalent de ce que Persigny mandait de Londres. Surtout dans les petits États si chers à nos diplomates, la haine contre nous touchait à l’exaspération. Personne n’y doutait que l’attaque en Italie, si elle était victorieuse, ne fût le prélude d’une tentative sur le Rhin : il fallait prendre immédiatement parti pour l’Autriche sans condition et ne pas attendre qu’écrasée, elle fût dans l’impuissance de contribuer à la défense commune. Le ministre Dalwigk, en prêchant la croisade contre les Français, n’éprouvait qu’un embarras : à qui donnerait-on l’Alsace ? On ne parlait de rien moins que d’une déclaration de guerre immédiate. Malmesbury, informé comme nous, ne voulut pas qu’on comptât sur son appui pour cette démarche prématurée. Il fit savoir à la Diète que, quant à présent l’Allemagne n’avait pas de motifs plausibles de déclarer la guerre à la France ; et que, si elle était assez mal inspirée pour se mêler à la guerre sitôt que cela (at this early stage), avant qu’il existât vraiment un casus fœderis ; si, ainsi, elle rendait générale une guerre qu’il était possible de localiser, le gouvernement de Sa Majesté britannique qui, dans les circonstances existantes (at present, under existing circumstances), avait résolu de garder une stricte neutralité, ne lui accorderait aucune assistance et ne protégerait pas ses côtes contre une attaque (2 mai).

Dans cette effervescence martiale et gallophobe, parut un opuscule du fondateur du parti socialiste allemand, Ferdinand Lassalle, intitulé : La guerre d’Italie et le devoir de la Prusse, conseillant aussi hardiment au peuple que Bismarck le conseillait au roi de prendre parti pour l’Italie. « Sa cause, disait-il, n’est pas moins juste parce que son champion est un usurpateur. Le principe des nations libres et indépendantes est la base des revendications de la Démocratie. La bonne entente entre les deux grands peuples de progrès, les Allemands et les Français, c’est la condition de laquelle dépend uniquement toute liberté politique, toute civilisation en Europe, toute réalisation des idées morales de l’humanité, tout développement démocratique. Si nous avions pour roi un autre grand Frédéric, il attaquerait l’Autriche à l’instant et ferait l’unité de l’Allemagne. » — Il conseillait de ne pas combattre inutilement le principe des nationalités en Italie et d’en tirer profit en Allemagne en mettant la main sur le Sleswig-Holstein. Cet opuscule était si fort en opposition avec le courant général qu’il ne fit pas même scandale, si ce n’est parmi les amis de l’auteur, qui se récrièrent contre l’apologie du césarisme prussien. Lassalle s’en tira en écrivant à Marx qu’il avait dit le contraire de sa pensée. Il désirait la guerre entre la Prusse et la France, il savait de source sûre que le gouvernement prussien y était décidé ; mais une guerre populaire ranimerait le sentiment dynastique au dommage du parti démocratique, tandis qu’une guerre impopulaire, mal conduite, finalement malheureuse, serait un triomphe pour la cause sociale de Marx[9].

Quelle que fût l’excitation des États moyens de l’Allemagne, elle n’était pas redoutable tant qu’ils étaient réduits à leurs propres forces. Ils ne pouvaient que japper sans mordre ; leur armée dans un état pitoyable, les fusils de l’infanterie remontant pour la plupart à un demi-siècle, l’éducation militaire presque nulle ; les troupes, grâce à l’abus des congés, composées moins de soldats que de paysans indisciplinés, les rendaient incapables de se mouvoir, et les passions allemandes ne deviendraient dangereuses que si la Prusse les secondait.

Les libéraux prussiens n’étaient pas à leur diapason de fureur. Bien que redoutant nos ambitions, peu tendres à l’Autriche, blâmant sa mauvaise administration, son ingérence dans l’Italie centrale, ils ne croyaient pas que l’intérêt allemand exigeât son maintien en Lombardie ; l’intérêt allemand ne commençait qu’au Mincio. Le régent de Prusse pensait comme les libéraux, sur la défense du Mincio ; comme eux, il admettait la nécessité d’abandonner les traités particuliers avec les princes italiens, d’opérer des réformes en Italie ; mais moins accommodant qu’eux sur la perte de la Lombardie, il considérait comme un intérêt de l’Allemagne, et par conséquent de la Prusse, de la conserver à l’Autriche. De même que pendant la guerre de Crimée on a accusé son frère de ne pas savoir ce qu’il voulait, on lui a reproché ses indécisions pendant la guerre d’Italie. Il n’en a eu aucune. Dès le premier moment il fut décidé à exiger de l’Autriche des réformes et l’abandon des traités particuliers, à imposer à la France, même par les armes, le respect des circonscriptions territoriales de 1815. Et il entendait remplir cette mission allemande de par son autorité propre de roi de Prusse, non comme délégué de la Confédération. Le chef de son ministère, le prince Antoine de Hohenzollern, animé des passions des petits États, l’excitait contre nous, bien que cela ne fût pas nécessaire. Au contraire, le ministre des Affaires étrangères, Schleinitz, le suivait à regret, s’efforçant de retenir, de différer. Bismarck se déclarait encore opposé à cette politique d’intervention contre nous : de Pétersbourg, où on l’avait relégué, il représentait que l’Autriche était l’ennemi inévitable, prochain, avec lequel il faudrait se mesurer bientôt ferro et igne ; qu’il faudrait assister avec satisfaction à son effondrement et ne pas l’empêcher. Mais son opinion alors ne comptait pas[10].

Le Régent, par plusieurs raisons, ne découvrit pas tout d’abord le dessein auquel il s’était arrêté. Il voulait attendre pour attaquer que l’Empereur, engagé à fond en Italie, ne pût lui opposer sur le Rhin qu’une résistance disproportionnée. Il l’a raconté lui-même. En juin 1860, le roi Max de Bavière lui ayant dit que son attitude pendant cette guerre lui avait beaucoup nui et qu’on avait cru qu’il temporisait à dessein pour laisser l’Autriche subir des défaites, il avait répondu : « Quand alors ton armée était-elle prête à marcher ? — En juillet. — Le prince Frédéric de Wurtemberg, poursuivit le Régent, m’a dit la même chose. Que serait-il donc arrivé si nous avions marché en avril ? Nous avons temporisé pour ne pas attirer dès le commencement la principale armée française sur le sol allemand. »

Une autre considération l’arrêta. En avril, révélant ses dispositions belliqueuses, il avait ordonné la mobilisation de trois corps d’armée et de toute la cavalerie de ligne et proposé à la Diète de mettre sur pied de guerre trois corps fédéraux, puis toute l’armée. La mobilisation prussienne s’était mal faite, avait indiqué de graves lacunes, les mêmes que celles qui paralysaient nos mouvemens, par exemple l’inexistence d’un train formé, et une imperfection que nous ne connaissions pas, l’inaptitude d’une portion de cette armée, la landwehr, à tout service sérieux. « L’attitude politique de la Prusse fut influencée de la manière la plus fâcheuse par l’insuffisance de son armée[11]. »

Enfin, le langage de la Russie était une autre raison de ne pas précipiter les décisions. Aucune guerre contre la France n’est possible à la Prusse, quand elle se sent à des la Russie hostile ou seulement incertaine. Or, le cabinet de Pétersbourg ne dissimulait pas ses sentimens aussi favorables pour nous que contraires à l’Autriche. François-Joseph avait cherché à rétablir les anciennes relations en envoyant un diplomate, le comte Karolyi, avec une lettre autographe. Le Tsar l’avait reçu sans empressement, et Gortchakof catégoriquement rebuté. François-Joseph tenta plus encore. Buol, aussi odieux à Pétersbourg que Gortchakof à Vienne, avait été sacrifié et remplacé par Rechberg, président de la Diète, contre lequel la Russie ne nourrissait aucun ressentiment (13 mai). Cette concession, à laquelle on avait cru le Tsar très sensible, ne l’adoucit pas, et l’on s’en aperçut au langage de Gortchakof. « Le temps de la politique de sentiment était passé, la Russie entendait conserver sa liberté d’action ; elle garderait la neutralité, à moins que l’Allemagne ne s’engageât dans la cause de l’Autriche, sur des données conjecturales, contre lesquelles elle avait obtenu déjà plus d’une garantie ; dans ce cas, la Russie croirait de son devoir de s’opposer à toute immixtion qui eût eu nécessairement pour effet un embrasement général et d’incommensurables calamités[12]. »

Toutefois ces motifs de temporisation perdaient chaque jour de leur force ; la mobilisation s’opérait mal, mais elle s’opérait, et, quand elle serait terminée, elle fournirait, en dehors de la landwehr, une excellente armée, commandée par des officiers d’élite ; chaque jour, il devenait certain que la Russie ne serait pas en état, le voulût-elle, d’appuyer ses conseils par des actes ; elle n’avait pas réussi à réaliser un emprunt de 300 millions, il s’en fallait de beaucoup qu’elle eût réparé ses plaies récentes ; enfin l’opposition du ministère anglais à une initiative prussienne paraissait conjurée.

Les meneurs de la Diète avaient mal reçu les conseils de modération de Malmesbury ; l’un des plus remuans, Beust, ministre de Saxe, s’était rendu à Londres pour obtenir mieux. Vite convaincu que, si le ministre sortait en quoi que ce fût de la plus stricte neutralité, il perdrait aussitôt son pouvoir précaire, il avait vu non moins clairement que, tant que l’agitation allemande paraîtrait dirigée contre la liberté italienne, elle ne trouverait aucune sympathie dans l’opinion anglaise ; qu’il fallait la transformer en une manifestation contre la tyrannie napoléonienne, détourner les regards du Mincio et les reporter sur le Rhin. Il se borna à demander que, sans sortir de la neutralité, le cabinet ne décourageât pas le déploiement de la Prusse. On le lui accorda. L’ambassadeur prussien à Londres, Bernstorff, fit savoir à Berlin que l’Angleterre verrait sans déplaisir et sans opposition une initiative plus décidée. La suggestion germa dans l’esprit du Régent : le lendemain de Magenta, il décrète la mobilisation de trois autres corps d’armée. Antoine de Hohenzollern l’annonce, le 8 juin à Roon, commandant de la 16e division à Dusseldorff, en termes significatifs : « Pour vous tout seul, cette importante nouvelle qui marquera notre entrée dans le développement historique du drame[13]. »

IV

La double préoccupation qui hantait l’esprit de l’Empereur se retrouve dans la proclamation que, de Milan, il adressa aux Italiens : « La fortune de la guerre me conduit aujourd’hui dans la capitale de la Lombardie ; je viens vous dire pourquoi j’y suis. Lorsque l’Autriche attaqua injustement le Piémont, je résolus de soutenir mon allié le roi de Sardaigne, l’honneur et les intérêts de la France m’en faisant un devoir. Vos ennemis, qui sont les miens, ont tenté de diminuer la sympathie universelle qu’il y avait en Europe pour votre cause, en faisant croire que je ne faisais la guerre que par ambition personnelle ou pour agrandir le territoire de la France. S’il y a des hommes qui ne comprennent pas leur époque, je ne suis pas du nombre. Dans l’état éclairé de l’opinion publique, on est plus grand aujourd’hui par l’influence morale qu’on exerce que par des conquêtes stériles, et cette influence morale, je la recherche avec orgueil en contribuant à rendre libre une des plus belles parties de l’Europe. Votre accueil m’a déjà prouvé que vous m’avez compris. Je ne viens pas ici avec un système préconçu pour déposséder les souverains ni pour vous imposer ma volonté ; mon armée ne s’occupera que de deux choses : combattre vos ennemis et maintenir l’ordre intérieur ; elle ne mettra aucun obstacle à la libre manifestation de vos vœux légitimes. La Providence favorise quelquefois les peuples comme les individus en leur donnant l’occasion de grandir tout à coup ; mais c’est à la condition qu’ils sachent en profiter. Profitez donc de la fortune qui s’offre à vous. Votre désir d’indépendance si longtemps exprimé, si longtemps déçu, se réalisera si vous vous en montrez dignes. Unissez-vous donc dans un seul but, l’affranchissement de votre pays. Organisez-vous militairement, volez sous les drapeaux du roi Victor-Emmanuel, qui vous a déjà si noblement montré la voie de l’honneur. Souvenez-vous que, sans discipline, il n’y a pas d’armée ; et, animés du feu sacré de la patrie, ne soyez aujourd’hui que soldats : demain, vous serez citoyens libres d’un grand pays. »

Cette proclamation s’adressait à l’hostilité des Allemands pour la conjurer, à la mollesse des Italiens pour l’exciter. Elle n’obtint de succès d’aucun côté : les Italiens ne se firent pas soldats[14] et les Allemands ne se calmèrent pas.

Enfin, au moment de quitter Milan pour Gorgonzola, l’Empereur reçut une nouvelle réconfortante. Le ministère tory avait été renversé par une majorité de dix voix. Comment cet événement heureux s’était-il produit ? Dans quelles circonstances ? Quels allaient être les successeurs de Derby ? Il l’ignorait. Du moins il était certain que le ministère nouveau ne saurait être pire que le précédent, surtout si, selon toutes les probabilités, Palmerston en était le chef.


VI. — SOLFER1NO


I

Giülay, en conséquence de l’abandon de la ligne du Pô, avait évacué Plaisance et les Légations ; il ne se maintint pas sur l’Adda, il se retira sans s’arrêter, avec ordre et très habilement, jusqu’à la Chiese (16 juin). Il se préparait à y livrer une nouvelle bataille quand, averti d’une disgrâce imminente, il la devança et donna sa démission : il n’avait plus l’autorité morale qui permet le commandement.

L’empereur François-Joseph constitua deux armées, l’une sous Wimpffen[15], l’autre sous Schlick ; il prit le commandement supérieur avec le feld-maréchal Hess comme chef d’état-major (17 et 18 juin). Le chef d’état-major proposait de recommencer ce qui, en 1849, réussit à Radetzky dont il avait été l’aide de camp : abandonner la ligne du Mincio, se retrancher derrière celle de l’Adige, dans le quadrilatère, y attirer l’ennemi, et, après l’avoir battu dans une bataille défensive, reprendre l’offensive. Le général Schlick, soutenu vivement par le général Ramming, jugeait préférable de se maintenir derrière la Chiese sur la ligne de Lonato-Castiglione, et d’y tenter encore la fortune des armes sur les hauteurs de Castiglione. Après d’interminables va-et-vient d’opinion, le plan de Hess fut adopté, et l’armée se reporta sur la rive gauche du Mincio (20 juin) par huit ponts sur un front de quarante kilomètres. Aussitôt cette retraite exécutée, on la déplore ; on regrette l’abandon des belles positions de la Chiese, et l’on décide de les reprendre, de repasser sur la rive droite du Mincio (23 juin). Ainsi toujours ordres, contre-ordres.

Le 24, les corps autrichiens établis de nouveau sur la rive droite du Mincio devaient s’ébranler à neuf heures, après le repas du matin, pour réoccuper la ligne Lonato-Castiglione-Carpenedolo.


II

Les perplexités de Napoléon III égalaient celles des Autrichiens. Le contact avec l’ennemi perdu après Melegnano, il ne restait évidemment qu’à marcher vers le Mincio à tout hasard, soit par les routes du Nord, soit par celles du Sud. Comme c’était en manœuvrant par sa gauche et en débordant la droite autrichienne qu’il avait réussi à surprendre le passage du Tessin et à forcer Magenta, il résolut de continuer à opérer par le Nord ; il s’assurait ainsi la facilité de surveiller les débouchés des Alpes, de profiter d’un chemin de fer, de demeurer en communication avec les grands centres du Nord de la Lombardie.

Urban, rappelé après Magenta, avait laissé le champ libre à Garibaldi, qui prit avec des hâbleries triomphantes ce que l’Autrichien lui abandonnait ; mais cet apparent succès ne servait de rien à l’armée, car Garibaldi ne se conformait pas aux ordres de l’état-major et n’envoyait aucune information. On lui expédia le vigoureux Cialdini : tous les deux essayeraient de déboucher vers le haut Adige. Le 5e corps, dont la présence en Toscane devenait inutile depuis que les Autrichiens avaient évacué les Légations, fut rappelé : il inquiéterait l’ennemi à sa gauche, vers Mantoue.

On alla ainsi devant soi, serrés les uns contre les autres, en ordre de bataille, prêts à se soutenir, mais aussi se gênant, s’affamant, quoique le pays fût riche ; s’arrêtant à tout instant pour attendre les vivres et laisser s’écouler les longs et interminables convois ; parcourant un peu moins de neuf kilomètres par jour, alors que, dans la même saison et sous la même chaleur, Bonaparte en faisait vingt-cinq.

À Brescia on séjourna trois jours (18, 19, 20). On y reçut d’importantes nouvelles de l’Italie centrale et de L’Allemagne. L’évacuation des Autrichiens avait été suivie de la révolution à Modène, Parme, Bologne, Ravenne, Forli, Aucune, Pérouse (du 12 au 16 juin). Le même scénario se déroulait partout, car il avait été arrangé d’avance à Turin. Les princes s’en vont ; un gouvernement provisoire préparé dans l’ombre les remplace, proclame l’annexion au Piémont ; Victor-Emmanuel ne l’accepte pas, mais envoie un commissaire exercer en son nom la dictature pendant la guerre : à Modène, Farini ; à Bologne, Massimo d’Azeglio. En Allemagne, la mobilisation de trois nouveaux corps d’armée, décidée le 8 juin, était officielle depuis le 15.

De Brescia l’Empereur s’établit à Montechiaro après avoir franchi la Chiese. Les soucis politiques cheminent avec lui.

Les troupes du Pape n’avaient pas osé affronter Bologne, mais elles avaient réduit Pérouse (20 juin). Les dures exigences du combat auxquelles elles n’avaient pu se soustraire, grossies, dénaturées, étaient présentées comme des cruautés atroces et sans exemple. En même temps, des volontaires réunis en Toscane sous Mezzacapo se dirigeaient vers la Cattolica et faisaient mine de reprendre Pérouse. Une députation bolonaise arrivait au camp offrir la dictature à Victor-Emmanuel. L’Empereur la reçut sévèrement : « Si les Bolonais, dit-il, avaient pris les armes contre les Autrichiens, le cas eût été autre ; mais vous avez pris les armes contre qui ? contre le Pape. Je ne suis pas venu en Italie pour priver le Pape de ses possessions. » — Il ne consentit pas à l’établissement de la dictature du Roi, ni à quoi que ce fût qui ressemblât à une solution de la question territoriale réservée à la paix ; il ne permit que l’envoi d’un commissaire pour garantir la tranquillité et organiser les forces militaires. Il exigea en outre la promesse de ne tenter ou favoriser aucune entreprise contre les Marches ou l’Ombrie. Cavour, l’organisateur de tous ces mouvemens spontanés, s’y engagea.

Simultanément l’Impératrice annonçait que l’armée prussienne se concentrait à Coblentz et à Cologne, que les forces restées en France ne suffiraient pas à repousser l’invasion ; dans les termes les plus pressans, elle suppliait l’Empereur de conclure la paix ou de renvoyer une portion de l’armée.

Le jour de l’arrivée de cette lettre (23 juin), Victor-Emmanuel avait invité l’Empereur à déjeuner. Ils allèrent d’abord visiter les positions et galopèrent de droite et de gauche ; au moment de rentrer, l’Empereur congédia sa suite et pria le Roi de monter seul avec lui sur une petite colline d’où l’on pourrait mieux embrasser le pays. Quelques pas faits, il arrêta son cheval, Victor-Emmanuel en fit autant ; l’Empereur tira de sa poche la lettre de l’Impératrice, la lut tout haut ; le Roi atterré l’écouta en silence, puis tous deux redescendirent pensifs, sans se dire une parole.

Cette scène n’avait eu pour témoin que le chef d’état-major Della Rocca, amené comme guide, et qui, peu éloigné, entendit la lecture, tant l’Empereur la fit à voix accentuée. À déjeuner, un de ses voisins lui dit : « Eh bien ! général, que va-t-il arriver ? — J’ai été assez bon prophète jusqu’ici, je le serai encore en affirmant qu’il n’y aura plus de bataille sur la rive droite du Mincio. » L’Empereur, qui avait l’ouïe très fine, quoique séparé du général par la largeur de la table, l’entendit et, jouant sur le mot droite du Mincio, s’écria : « Belle prophétie, en vérité ! Comment y aurait-il encore une bataille sur la rive droite, puisqu’il n’y a plus d’ennemis ? » Entre Victor-Emmanuel et Napoléon III, il ne fut plus question de lettre, ils ne s’entretinrent que des dispositions à prendre le lendemain.


III

L’armée reçut l’ordre d’occuper la ligne Lonato-Castiglione-Carpenedolo, sur les positions Pozzolengo, Solferino, Giudizolo, d’où les Autrichiens devaient, le même jour, s’ébranler vers la ligne que les Français allaient quitter. Il était inévitable que l’on se heurtât en route.

Le terrain sur lequel on devait forcément se rencontrer, situé entre le sud du lac de Garde, le Mincio et la Chiese, se divise en trois zones différentes. À gauche, en regardant le Mincio, entre le lac de Garde et les hauteurs de Solferino, des collines et monticules confus, sur un desquels San Martino. Au centre, Solferino, sa vieille tour la Spia d’Italia, et plus en avant, après une dépression du terrain, Cavriana s’avançant comme un promontoire. À droite, une vaste plaine, en partie coupée de cultures, de canaux, rizières, prairies, ormeaux, mûriers, sauf une lande d’une lieue carrée, le Campo di Medole ; dans cette plaine, les villages de Medole, Giudizolo, Rebecco, Castel-Goffredo.

38 000 Piémontais devaient s’avancer à gauche contre les 25 000 hommes et les 84 pièces de Benedek. Au centre, Baraguay d’Hilliers, Mac-Mahon, la Garde, 52 000 hommes, devaient rencontrer les 50 000 de Stadion, Clam-Gallas et Zobel. À droite, les 32 000 hommes de Canrobert et Niel auraient affaire aux 49 000 de Schwarzemberg, Schaffgotsche et Veighl.

De deux heures à quatre heures du matin, nos quatre colonnes se mettent en mouvement ; elles ne tardent pas à rencontrer des détachemens ennemis ; sur toute la ligne, de petits engagemens deviennent vite de sérieuses mêlées : Canrobert prend Castel-Goffredo, Niel Medole, Mac-Mahon Casa Nuova, Baraguay d’Hilliers le mont Fenile. De tous les corps, des messagers sont expédiés au quartier général, à Montechiaro.

L’état-major assistait, dans la petite église du village, aux obsèques d’un aide de camp de l’Empereur, le général de Cotte, frappé l’avant-veille d’un coup d’apoplexie ; chacun sort précipitamment. L’Empereur avait déjà fait communiquer à Canrobert l’avertissement vague envoyé par un notable d’Assola qu’un voiturier avait vu un corps autrichien, jugé fort de 20 000 à 30 000 hommes, sortir de Mantoue ; il l’avait invité à bien faire observer le côté indiqué. Aussitôt averti des rencontres avec les Autrichiens, il ordonne à l’infanterie de la Garde d’accélérer son mouvement sur Castiglione, et à la cavalerie, qui ne devait se mettre en route qu’à neuf heures, de partir le plus tôt possible ; lui-même gagne en voiture Castiglione et monte sur le clocher (sept heures et demie).

La logique ne permettait pas d’admettre qu’après avoir laissé notre armée passer tranquillement la Chiese, s’emparer sans coup férir de sa rive gauche et des magnifiques positions qui la dominent, les Autrichiens vinssent livrer la bataille, le Mincio à dos, dans une situation bien moins avantageuse que celle qu’ils occupaient peu de jours auparavant. Aussi la plupart des officiers inclinaient-ils à penser qu’on n’avait devant soi que des reconnaissances. « Vous vous trompez, dit l’Empereur, c’est une bataille générale. » Il descend, et, suivi de deux officiers, galope vers Mac-Mahon, lui donne ses instructions, puis va vers Baraguay d’Hilliers, sur le mont Fenile. De là, il embrasse toute l’étendue du champ de bataille. À gauche, les Piémontais sont en train de reculer devant Benedek, maître de San Martino ; à droite, Niel se maintient difficilement contre de furieuses attaques, et Canrobert regarde vers Mantoue si les Autrichiens arrivent. Au centre, Baraguay d’Hilliers, qui, comme à Melegnano, avait débuté en jetant ses troupes sur des positions crénelées, réparait sa bévue en faisant abattre par le canon les murs du cimetière de Solferino. Alors l’Empereur, réveillé de l’espèce de léthargie d’initiative dans laquelle il était engourdi depuis Palestro, se retrouve l’homme de guerre supérieur des premiers jours de la campagne. D’un coup d’œil prompt et sur il juge que c’est à Solferino et à Cavriana que se décidera le sort de la journée ; que c’est en perçant le centre des Autrichiens qu’on les obligera à replier leurs ailes ; et que cette tactique ne réussira que si, entre nos deux corps de la plaine et ceux destinés à escalader Solferino et Cavriana, ne subsiste aucune fissure par laquelle l’ennemi puisse nous couper pendant que nous nous efforçons de le couper lui-même. S’emparer de Solferino et de Cavriana et veiller à ce qu’aucune attaque ne réussisse à séparer les deux corps de la droite, tels sont les deux buts que l’Empereur poursuivra avec une imperturbable sûreté de vue pendant toute la journée.

Rien n’est plus délicat pour un général en chef que de choisir l’heure de lancer sa réserve. C’est un moment très court et très difficile à saisir : trop tôt, on se désarme ; trop tard, cela ne sert plus. D’excellens juges ont pensé que Napoléon Ier lui-même s’y était parfois trompé, et qu’ainsi, à la Moskowa, il avait eu tort de ne pas faire donner sa Garde. Napoléon III, quoique la bataille ne fût qu’en son commencement, n’hésite pas à y jeter sa réserve tout entière. Il envoie les voltigeurs de sa Garde (Camou) à Baraguay d’Hilliers pour enlever Solferino ; la cavalerie (Morris) à Mac-Mahon pour boucher l’intervalle qu’il a aperçu entre lui et Niel ; et enfin, estimant que Canrobert regarde trop vers Mantoue, il lui ordonne, par son aide de camp Clermont-Tonnerre, d’appuyer Niel. Chacun ainsi bien engagé, il suit avec une lorgnette les péripéties de la lutte, son état-major rangé en demi-cercle à quelques pas derrière lui. Tout à coup une balle siffle et frappe au poitrail le cheval du docteur Larrey, qui ne s’en aperçoit pas. L’Empereur se retourne : « Larrey, dit-il, descendez, votre cheval tombe. » Puis, sans se mouvoir d’un pas, il reprend sa lorgnette et continue à observer le champ de bataille[16].

Les ordres de l’Empereur s’exécutent avec précision, impétuosité, succès. Baraguay d’Hilliers se raidit encore plus que de coutume, Mac-Mahon se surpasse, Niel se révèle, Lebœuf se multiplie. Solferino est emporté par Forey, Bazaine et Camou. Mellinet se dirige sur Cavriana ; Camou, son inférieur en grade, qui le précède, vient se placer derrière lui. « Non, lui répond Mellinet, je vous suivrai ; vous étiez là avant moi. » La Motterouge, l’indomptable, prend le mont Fontana ; Lebœuf, dont l’artillerie est partout l’âme invincible du combat, fait hisser des canons sur les pentes abruptes, et porte le dernier coup : Cavriana succombe.

Les Autrichiens, superbes de valeur, ne se découragent pas et essayent de reprendre, à gauche sur Victor-Emmanuel et à droite sur Niel, la victoire qui leur a échappé au centre. Selon leur coutume les Piémontais se battent en vaillans, mais ils s’engagent mal ; quoique plus nombreux que les Autrichiens, ils sont toujours en moindre nombre sur les points d’attaque. Benedek repousse vigoureusement leurs avant-gardes des hauteurs de la Madonna della Scoperta et de San Martino, et, s’il ne s’était pas cru obligé de subordonner son mouvement à celui du centre, il les eût poursuivis jusqu’à Lonato. L’Autrichien WimpfTen est moins heureux contre Niel. Il ne réussit pas à le débusquer de la Casa Nuova, mais l’oblige à des efforts violens. Si, à ce moment, Canrobert avait cessé de regarder du côté de Mantoue, si, au lieu d’envoyer parcimonieusement au secours, à neuf heures et demie la brigade Jeannin, à midi et demi la brigade Trochu, il fût accouru tout entier au premier appel, notre victoire eût été plus rapide, moins chèrement achetée, plus complète. Cependant son intervention, quoique tardive, fut efficace.

À quatre heures, la déroute autrichienne était aussi complète à droite qu’au centre, et l’empereur François-Joseph donnait l’ordre de la retraite. Le ciel se mit alors de la partie : un effroyable cyclone de vent, d’eau, d’éclairs, de tonnerre, de poussière, de pierres s’éleva du lac de Garde et fondit sur le champ de bataille, saccageant les cultures, déracinant les arbres, soulevant les hommes sur les chevaux. On ne distingue rien à dix pas. Sauf les Autrichiens qui en profitèrent pour accélérer leur retraite, chacun demeura immobile où il était, l’Empereur au mont Fontana, trempé jusqu’aux os.

La tourmente calmée (cinq heures et demie), les Piémontais, qui noblement voulaient aussi être victorieux, resserrent, sous La Marmora, leurs colonnes disséminées et reviennent à la charge[17]. Benedek, ayant reçu l’ordre de suivre la retraite générale, rompt cette fois devant eux ; ils le poussent, le pressent, le suivent, bordent San Martino de leurs quatre divisions, menacent son flanc de gauche et même ses derrières. Benedek voit sa retraite compromise s’il ne retient pas cette poussée impétueuse ; il s’arrête, se retourne, se met en personne à la tête de ses colonnes et les conduit en avant, la baïonnette basse, sous une grêle de projectiles. Les Piémontais, à ce choc inattendu, abandonnent les positions conquises. Benedek eut grand’peine à retenir ses troupes victorieuses et à les ramener en arrière. Il se retira tranquillement, malgré un semblant de poursuite de Fanti, emmenant quatre cents prisonniers et n’en laissant aucun ; mais, à cause des difficultés du terrain, il abandonna les cinq pièces qui avaient tiré jusqu’au dernier moment pour couvrir sa marche en échelons. Les Piémontais s’établirent sans obstacle à San Martino[18]. Quoique constamment battus par Benedek, dont cette journée créa la renommée, les Piémontais n’en ont pas moins le droit de se placer parmi les victorieux. S’ils n’eussent point, par leur acharnement qu’aucun échec ne découragea, retenu Benedek devant eux, il se serait joint aux défenseurs de Solferino et de Cavriana, et notre victoire eût été bien plus difficile. Il est puéril d’imaginer deux batailles distinctes, celle de Solferino et celle de San Martino : San Martino n’a été que l’épisode final de la bataille générale.


IV

Napoléon fut le premier qui sut tirer parti d’une victoire autant que l’obtenir. Une poursuite le soir de Solferino eût produit d’immenses résultats. La route de Volta était encombrée de blessés, de bagages, d’équipages, le tout se précipitant dans un inexprimable désordre ; avec quelque célérité, on les eût devancés au pont de Valeggio. On ne pouvait, il est vrai, demander quoi que ce fût aux troupes de Baraguay d’Hilliers, de Mac-Mahon, de la Garde, exténuées, et Mac-Mahon était dans le vrai, alors qu’aux interrogations de l’Empereur, il répondait que l’infanterie n’avait pas mangé depuis le matin ; que la plupart des sacs avaient été déposés à terre au moment des différentes attaques ; et que ses soldats seraient incapables de soutenir les trois divisions de cavalerie si on les lançait après l’ennemi. Mais le corps de Canrobert, dont la plus grande partie n’avait pas été engagée, aurait été un soutien plus que suffisant de la poursuite.

Il serait injuste de prononcer que l’Empereur ne sut pas tirer parti de sa victoire ; il ne le voulut pas. L’acharnement de la poursuite suppose une haine vigoureuse et le désir d’anéantir l’adversaire vaincu. Or l’aversion toute politique du défenseur des nationalités contre la nation de la conquête n’était pas une haine vigoureuse, et loin de songer à anéantir les Autrichiens, l’Empereur avait déjà dans son esprit de traiter la paix avec eux. Entré dans la maison de Cavriana que lui abandonnait François-Joseph, il s’assit devant une table, triste, fatigué, la tête appuyée sur ses mains. Il resta quelque temps ainsi, pensif au milieu de son état-major immobile et muet, puis il se leva et dit : « La journée est terminée. »

Les alliés avaient 2 313 tués, 12 102 blessés et 2 776 disparus. Les Autrichiens, 2 886 tués, 10 634 blessés et 9 990 disparus. Le contingent des Piémontais, cette fois, était considérable et attestait leur bravoure : 691 tués, 3 572 blessés, 1 258 disparus. Au total, dans les deux armées, tant tués, blessés que disparus : 39 501, sur 246 000 combattants[19].

Niel fut fait maréchal de France. Si le nouveau maréchal eût demandé à être créé duc de Solferino, Napoléon III aurait pu lui répondre ce que dit son oncle à Soult sollicitant le titre de duc d’Austerlitz : « Ah ! Monsieur le Maréchal, laissez-moi au moins celle-là. »

La poursuite des Autrichiens, dont les effets eussent été foudroyans le soir de la bataille, aurait été très efficace encore le lendemain. L’eussions-nous voulu, nous aurions dû y renoncer faute de vivres suffisans ; toutes les voitures du pays ayant été réquisitionnées par l’ennemi, celles de l’administration française suffisaient à peine au transport des blessés[20].

Ce stationnement n’était pas compris par l’armée. Il en résulta une sorte d’énervement d’imagination qui se traduisit, le 25, par une de ces paniques que les meilleures troupes éprouvent parfois et dont les plus célèbres sont celle qui précéda Austerlitz, et celle qui suivit Wagram. Des cavaliers envoyés en reconnaissance, apercevant quelques fuyards autrichiens encore en deçà du fleuve, se figurèrent que ces fuyards opéraient un retour offensif. Ils partent au galop, entraînant la brigade tout entière, et deux mille chevaux se précipitent à travers le camp ; les soldats se réunissent en désordre, courent aux armes ; des artilleurs coupent les traits de leurs canons et les abandonnent ; les conducteurs de voitures d’ambulance se sauvent en jetant les malheureux blessés sur les routes, et parmi eux le général Auger, commandant l’artillerie, blessé la veille, qui en mourut. Dans les camps, l’ordre fut promptement rétabli, mais les cavaliers s’enfuirent jusqu’à Brescia : sur toute leur route, les populations, croyant à notre désastre, remplaçaient les drapeaux français par les drapeaux autrichiens !

Le 25 juin au matin, Benedek proposa à François-Joseph la reprise immédiate du combat : « Les Français, disait-il, ont subi d’aussi grandes pertes que nous et disposent de moins de troupes en réserve. » François-Joseph répondit, les larmes aux yeux : « Plutôt perdre une province que d’assister encore une fois à un aussi cruel spectacle ! » Il s’était retiré derrière l’Adige, sur la ligne de Vérone à Legnano, son quartier général à Vérone. De son côté, l’Empereur avait ordonné, le 27, l’investissement de Peschiera avec l’équipage sarde et un autre de 12 rayé de notre armée. Le 1er juillet, il mettait fin au long stationnement que l’armée comprenait si peu et la faisait passer sur la rive gauche du Mincio, le quartier général à Valeggio.

L’Empereur paraît d’abord ne songer qu’à la continuation de la guerre. Il appelle de France une nouvelle division qui ira soutenir Garibaldi et Cialdini, chargés de surveiller les défilés des Alpes et d’opérer vers la Valteline. Il presse l’arrivée de son parc de siège, ordonne à la flotte, maîtresse de Lossini, de préparer l’attaque de Venise, et envoie le nouveau général de division Wimpffen prendre le commandement des troupes de débarquement. Il hâte la marche du 5e corps, qui rejoint le 3 juillet à Goïto, couvert de plus de poussière que de gloire. Ce corps aurait-il pu, en faisant diligence, participer à la bataille de Solferino ? On l’a prétendu. Néanmoins, quoique absent, il fut utile en retenant, par l’inquiétude qu’il donnait, un corps autrichien sur le bas Adige. Malgré ces préparatifs, l’Empereur, en réalité, s’occupait de la paix à conclure plus que de la guerre à poursuivre.


EMILE OLLIVIER.

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. Mac-Mahon se trompe dans son rapport lorsqu’il parle d’une attaque vigoureuse contre la position.
  3. Je tiens ce récit du maréchal Lebœuf, présent à l’entretien.
  4. Rapport de Regnault de Saint-Jean-d’Angély.
  5. Se sentant sur le point de mourir, il envoya à chacun des maréchaux sa carte avec un P. P. C. (pour prendre congé).
  6. Lambruschini à Ricasoli (28 avril 1859). — « Cher Bettino, on dit que, nos troupes devant être envoyées à la guerre, on fera une levée extraordinaire des hommes de dix-huit à vingt-cinq ans. Cette résolution inconsidérée ne pourrait être prise ou suggérée que par quelqu’un ne connaissant pas la Toscane et voulant la traiter comme le Piémont : elle aurait pour résultat de faire désirer le retour du Grand-Duc, de rendre très odieux le Piémont, abhorrée la cause de l’Italie… J’espère que tu comprends comme moi le dommage et les périls de cette mesure inconsidérée et que tu feras tout le possible afin qu’elle ne soit pas adoptée. » Elle ne le fut pas.
  7. De Londres, 6 juin 1859.
  8. Lettre à l’Impératrice du 25 mai.
  9. Voir sur cet épisode le ch. VII du livre intéressant de M. Ernest Seillière sur Ferdinand Lassalle.
  10. Schleinitz à Werther (14 juin 1859) : « Nous voulons que la guerre qui a éclaté en Italie ne conduise pas à un renversement de l’ordre de choses existant ; nous voulons, au contraire, obtenir le maintien des possessions territoriales de l’Autriche en Italie telles qu’elles ont été fixées par les traités de 1815 et rétablir la paix sur cette base. Rien ne nous fera dévier de ces réclamations. » — Circulaire de Schleinitz aux agens prussiens (24 juin 1859) : « Dans le cours des ouvertures réciproques que se sont faites les deux gouvernemens, le nôtre a répété d’une manière catégorique que l’intention de la Prusse, était d’agir pour le maintien des possessions de l’Autriche en Italie et qu’on se conduirait en conséquence dès que ces possessions seraient sérieusement menacées. » — Même circulaire : « Nous ne pouvons nous dissimuler qu’en suivant la politique que nous indiquons, la Prusse ne puisse cependant se mettre dans le cas d’avoir la guerre avec la France. »
  11. Roon, Mémoires, t. I, p. 353.
  12. Note de Budberg, ambassadeur de Russie à Berlin, à Schleinitz, 3 mai 1859.
  13. Roon, Mémoires, t. I, p. 348.
  14. Toute l’Italie, la Lombardie comprise, confiante dans la puissance des deux armées libératrices, ménageait ses forces, ne croyant pas à la nécessité d’appuis vigoureux, comme si-elle craignait de les gaspiller. Tivaroni, L’Italia degli Italiani, t. II, p. 58.
  15. Sans relation avec le nôtre, si ce n’est de nom.
  16. Le peintre Yvon avait représenté cet épisode caractéristique dans son esquisse du tableau de la bataille. Cela mettait trop en relief le brave Larrey. De bons camarades obtinrent que l’épisode fût supprimé, sous prétexte que cela offusquait l’Empereur placé en avant. En me racontant ce fait, dans ce cabinet de la rue de Lille où rayonnait comme une flamme le portrait du Premier Consul dans son costume rouge, Larrey me montra l’esquisse du tableau de Gros : Bonaparte et les Pestiférés de Jaffa. Bonaparte y est représenté prenant dans ses bras un pestiféré. C’est en effet ce qui s’était passé. On estima que cette attitude n’était pas assez imposante, et, à la vérité de l’esquisse, on substitua la pose fausse et théâtrale du Bonaparte touchant solennellement de la main un des pestiférés. Ni l’histoire ni Bonaparte ne me semblent avoir gagné à cet arrangement, pas plus que Napoléon III à la suppression de l’épisode du cheval de Larrey.
  17. Della Rocca dans son Autobiographia place à trois heures et demie la dernière offensive des Piémontais en reconnaissant lui-même qu’elle n’eut lieu qu’après l’orage. Or, de l’aveu général, l’orage éclata entre cinq heures et cinq heures et demie.
  18. Compte rendu de l’état-major autrichien, continué par le récit de L’état-major prussien. Le compte rendu de l’état-major français indique aussi que le succès définitif des Piémontais est dû à la nécessité où se trouva Benedek victorieux de suivre la retraite générale ordonnée à quatre heures et en pleine exécution à partir de cinq heures.
  19. Les chiffres fies effectifs varient de quelques milliers dans les diverses relations. J’ai pris la moyenne.
  20. Le républicain Edmond Texier, dans un article du Siècle, dit : « On a été tout surpris à Paris qu’immédiatement après la. victoire de Solferino, on n’eût pas traversé le Mincio. Je me serais promené sur le boulevard, le 26 juin, au moment où est parvenue la nouvelle de la bataille, que j’aurais probablement été fort étonné, moi aussi, de l’apparente inaction de l’armée victorieuse ; mais, comme je vois comment les choses se passent ici, il m’est impossible de partager l’étonnement des stratèges de Tortoni. La difficulté de nourrir une armée de 150 000 hommes n’est pas mince. Les convois ne pouvant précéder l’armée dans un pays occupé par l’ennemi, il résulte que, si cette armée se fût lancée le 24 au soir à la poursuite des Autrichiens derrière le Mincio, elle serait restée sans vivres pendant quatre ou cinq jours. L’armée française aurait traversé le Mincio trois jours plus tôt, mais il est certain qu’elle serait littéralement morte de faim trois jours après. »