Napoléon et la conquête du monde/I/04

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H.-L. Delloye (p. 15-19).

CHAPITRE IV.

BATAILLE DE NOVOGOROD.



L’ordre avait été donné à toutes les divisions de l’armée française, disséminées dans les différentes provinces russes, de se porter sur la route de Moscou à Saint-Pétersbourg. Quarante mille Prussiens et Autrichiens rejoignirent l’empereur à Voloklamsk. Plus loin, les divisions de Grouchy et de Latour-Maubourg se réunirent au corps du roi de Naples, dont elles faisaient partie, et après elles, arrivèrent les troupes du royaume d’Italie et de la confédération germanique.

Ce fut sur la route de Saint-Pétersbourg qu’eurent lieu, le 23 le combat de Klin, le 26 celui de Twer, où les Russes perdirent cinq mille hommes. Le lendemain une autre division de l’armée française, commandée par le général Montbrun, les battit encore à Staritza. Dans cette dernière affaire, le général Montbrun fut frappé à mort et remplacé aussitôt dans son commandement par le général Caulaincourt.

Cependant la grande armée, toujours victorieuse et forte de deux cent cinquante mille hommes, se portait vers Pétersbourg avec une grande célérité. De son côté, l’empereur Alexandre avait rappelé à lui toutes les forces de l’empire. Le prince royal de Suède, Bernadotte, son allié, l’avait rejoint avec trente mille Suédois. Il avait reçu en outre des ports de la Baltique un renfort de vingt-cinq mille Anglais. Il concentra ces forces formidables dans Novogorod et les environs, fit fortifier cette ville et attendit, avec une armée au moins égale en nombre à l’armée française, l’empereur Napoléon qui s’avançait de victoires en victoires sur cette route magnifique des deux capitales russes.

Le 7 octobre, vers midi, par un soleil sans nuage, les deux grandes armées ennemies s’aperçurent et se déployèrent en face l’une de l’autre ; mais les mouvements de ces forces immenses ayant duré long-temps, la nuit vint, et Dieu remit au lendemain sa décision des destinées de l’Europe.

Le lendemain, 8 octobre, arriva, et la grande bataille eut lieu. Quelle bataille ! et quelle victoire ! L’Europe, le monde les connaissent, et il serait inutile d’en donner d’autres détails que ceux que l’empereur dicta lui-même dans le bulletin rapide que nous allons transcrire ici.

BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE.
« Novogorod, ce 9 octobre 1812.

« La journée du 8 octobre sera glorieuse parmi toutes les journées de gloire.

« La grande armée a rempli l’attente de l’empereur, la bataille de Novogorod l’illustre à jamais.

« Trois cent mille Russes, Suédois et Anglais avaient pris position sous les murs de la ville et dans la plaine qui la précède, vers la route de Twer.

« L’armée française, forte de deux cent cinquante mille hommes, occupait tout entière la gauche de la route et les trois collines qui dominent Novogorod.

« La bataille a commencé à neuf heures, à quatre heures du soir tout était terminé.

« Soixante mille hommes de l’armée ennemie sont morts, plus de soixante-dix mille ont été faits prisonniers, le reste s’est noyé dans le lac, ou s’est dissipé devant nous.

« Sur les deux heures, le maréchal Kellermann, à la tête de sa division, a été atteint d’un boulet de canon dans le bas-ventre et est mort sur le champ de bataille.

« L’empereur Alexandre et le maréchal Bernadotte, placés sur une des hauteurs, à droite de la route, ont été tournés par le corps du général Compans, et ont été faits prisonniers.

« Des vingt-cinq mille Anglais, deux mille à peine ont pu échapper à la mort.

« La grande armée a perdu environ six mille hommes, et a eu huit mille blessés.

« L’empereur s’est porté en avant sur Saint-Pétersbourg, emmenant à sa suite le czar et l’ex-prince royal de Suède.

« L’armée ennemie a perdu le général en chef anglais, trois feld-maréchaux et vingt-deux officiers généraux.

« Nous avons à regretter, avec le maréchal Kellermann, le brave général Friant et plusieurs autres généraux.

« Les généraux Grouchy et Rapp ont été blessés.

« Soldats ! votre bravoure et votre conduite ont été admirables, je vous en remercie.

« Napoléon. »



Tel fut ce bulletin, expression fidèle et encore confuse des miracles de cette journée ; il y avait long-temps que l’histoire n’avait offert un pareil désastre, et cette catastrophe de deux souverains tombant au pouvoir du vainqueur.

L’empereur, sans daigner les voir, continua rapidement sa marche avec l’armée vers Saint-Pétersbourg ; c’était là qu’il voulait traiter avec ses ennemis.