Napoléon et la conquête du monde/I/06

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H.-L. Delloye (p. 25-28).

CHAPITRE VI.

PONIATOWSKI.



Napoléon savait quelle force il se donnait dans le nord de l’Europe en rétablissant le royaume de Pologne. C’était en lui qu’espérait cette nation chevaleresque, qui, depuis cinquante années, cherchait à réunir les membres dispersés de la patrie. Leur espoir se changea en adoration quand ils virent renaître leur Pologne aussi complète, aussi forte qu’avant les conquêtes et les démembrements.

Si quelque chose pouvait encore exalter leur reconnaissance, c’était le nom du roi que Napoléon leur avait choisi.

Poniatowski, sans trône, sans états, sans sceptre, était encore le roi des Polonais, c’était le neveu de Stanislas-Auguste, leur dernier souverain, et ce grand nom de Poniatowski avait pour eux un charme que la gloire du jeune héros qui le portait si bien augmentait encore.

Le prince Poniatowski n’avait pas quitté l’armée française durant cette guerre. Il était avec l’empereur à Saint-Pétersbourg, lorsque les principaux membres des plus illustres familles de Pologne y arrivèrent, sur l’ordre qu’ils en avaient reçu d’avance. Le 20 octobre, Napoléon les convoqua dans le palais du sénat ; il parut lui-même au milieu de ces palatins, accompagné du jeune prince, et au milieu de l’attente et d’un profond silence, il dit :

« Polonais,

« La Pologne est relevée, elle reparaît puissante parmi les autres états de l’Europe.

« Depuis long-temps je méditais le moment de sa résurrection.

« Polonais ! votre dévoûment à ma personne et votre admirable courage m’avaient inspiré de la reconnaissance… Je paie aujourd’hui ma dette… Vous avez une patrie… et voilà votre roi !… »

En ce moment, Napoléon baissa la main jusque sur la tête de Poniatowski debout et au-dessous de lui ; c’est ainsi qu’il le désigna, et ce geste, ainsi que ses paroles, furent accueillis par des cris d’enthousiasme et d’admiration.

Il ajouta :


« Votre constitution était vieille et en désaccord avec l’ordre établi en Europe. Je me suis occupé de la réviser, en père qui vous regardera toujours comme ses autres enfants.

« Que ce jour soit à jamais une fête parmi vous, car c’est de lui que date la restauration de la Pologne ! »


Ces dernières paroles furent reçues avec moins de faveur ; une sorte de stupeur silencieuse contrastait chez les uns avec l’enthousiasme des autres. C’est qu’en effet, ces derniers mots apprenaient à la Pologne que ses vieux privilèges étaient anéantis, et que désormais elle n’était plus que la feudataire de la France ; mais enfin elle existait, et leur joie fut grande.

Napoléon avait remarqué cette impression mélangée qu’avait laissée son discours, mais sans paraître y prendre part, il fit signe au prince Poniatowski de s’approcher.

Celui-ci ayant monté quelques marches, s’agenouilla devant l’empereur et déposa dans ses mains l’épée de général français. L’empereur la reçut, le releva, lui remit une couronne d’or, et tous deux s’embrassèrent. Puis, ayant traversé une galerie, ils reparurent ensemble à un balcon du palais où les rejoignit l’empereur Alexandre, qui, jusque-là, s’était abstenu de paraître à l’investiture d’un royaume qu’il perdait.

Ainsi fut rétablie la Pologne.