Napoléon et la conquête du monde/I/12

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H.-L. Delloye (p. 55-59).

CHAPITRE XII.

DÉCRET DE LONDRES.



« Napoléon, empereur des Français, roi d’Italie, protecteur de la confédération du Rhin, et médiateur de la confédération suisse, etc., etc.,

« Avons décrété ce qui suit :

« Art. Ier. Les mers sont libres, les divers états de l’Europe reprennent les colonies qu’ils possédaient avant 1789.

« Art. 2. L’Angleterre est réunie à l’empire français.

« Art. 3. La maison de Brunswick a cessé de régner sur l’Angleterre.

« Art. 4. Le roi Georges III prendra le titre de roi feudataire des royaumes unis d’Écosse et d’Irlande, à la charge de payer annuellement à la France un tribut de 5,000,000 de fr., et un contingent de guerre en troupes et argent qui sera fixé ultérieurement.

« Art. 5. Le parlement anglais est supprimé.

« Art. 6. L’Angleterre n’a d’autre constitution que celle de l’empire français, dont elle fait partie.

« Art. 7. L’Angleterre est divisée en vingt-deux départements. »

Les nombreux articles qui suivent dans ce décret contiennent l’organisation judiciaire, administrative et militaire de cette nouvelle province.

Quarante pairs des plus illustres maisons étaient appelés au sénat français, et cent députés anglais furent nommés à la chambre élective ; car c’était l’esprit de ce décret comme la volonté et la politique de Napoléon de fondre les deux nations, afin qu’il n’y eût plus qu’un seul état, la France, dans laquelle venait s’absorber l’Angleterre.

L’archichancelier Cambacérès fut nommé vice-roi de l’Angleterre, et chargé de créer la nouvelle organisation judiciaire et administrative.

Le maréchal duc de Dalmatie vint prendre le commandement des forces et établir le système militaire.

Les Anglais furent conservés dans leurs charges et leurs fonctions, autant que ces dispositions nouvelles le permirent.

Les débris de l’armée anglaise, recueillis et traités sans beaucoup d’exigence et de rigueur, furent, après avoir traversé l’Océan, transportés en Hollande, en France et en Italie, pour être distribués et fondus avec mesure dans les troupes françaises. Ainsi placée sous le commandement d’officiers français, cette armée devenait sans importance et sans danger, en même temps qu’elle augmentait d’une manière utile les forces militaires de l’empereur.

Pendant trois ans il n’y eut que des garnisons françaises dans les vingt-deux nouveaux départements.

Le commerce respira, les mers étaient redevenues libres. L’Angleterre se releva de son accablement, son intérêt l’accoutuma à être française, et sa fierté s’assouplit sous la douceur et l’habileté de la nouvelle domination.

Le roi Georges III, sans troupes et sans moyens de résister, accepta ce fragment de royauté qu’on lui jetait en dédommagement de son empire, et alla tranquillement établir sa cour à Glasgow.

C’est qu’en effet la force morale de l’Angleterre n’existait plus. Au moment où l’on avait abordé cette terre inabordable, le charme s’était rompu ; elle devenait une nation ordinaire, et elle devait être vaincue.

Toutes ses colonies furent réunies à l’empire français, excepté la Dominique et les îles Lucayes, dans la mer des Antilles, l’Amérique anglaise du nord, et l’île de Ceylan, dans l’Inde, qui furent assurées au roi d’Écosse et d’Irlande.

Ainsi devinrent parties intégrantes et colonies de l’empire français, l’Inde, la Nouvelle-Hollande, les îles d’Afrique, le cap de Bonne-Espérance, Malte, Gibraltar, la Jamaïque, les Antilles, Terre-Neuve et les autres possessions coloniales anglaises.

Les îles de Jersey et de Guernesey devinrent une sous-préfecture dépendant du département de la Manche, le chef-lieu de cet arrondissement étant fixé à Guernesey. Les nouvelles lois françaises remplacèrent dans ces îles les anciennes coutumes et lois normandes qu’elles avaient conservées jusque-là.

La compagnie des Indes fut dissoute, et le commerce de l’Asie rendu libre.

La dette de l’Angleterre resta à sa charge et séparée de celle de la France.

Un archevêque primat fut établi à Londres ; il eut la suprématie spirituelle de l’église anglicane. Les revenus immenses du clergé furent attribués comme fonds d’amortissement au paiement de la dette publique, et les membres de ce clergé furent, comme ceux du clergé français, payés avec des traitements fixes sur les fonds généraux de l’état.

Londres devint aussi le séjour d’une cour de cassation, d’une école polytechnique et d’une école de magistrature.

Les universités d’Oxford et de Cambridge devinrent des académies. L’université anglaise fut établie à Londres.

Les lois françaises furent traduites, et devinrent obligatoires à commencer du Ier janvier 1815.

Et peu d’années s’étaient écoulées, que l’Angleterre, vaincue et dissoute, se retrouva reconstituée comme province de l’empire, et se sentit française.