Napoléon et la conquête du monde/I/33

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H.-L. Delloye (p. 143-145).

CHAPITRE XXXIII.

JOSÉPHINE.



Napoléon se ressouvint alors de cette Joséphine que les peuples appelaient la bonne Joséphine, même depuis sa disgrâce, car le peuple n’est pas un courtisan qui mesure ses hommages à la fortune, mais qui en garde souvent pour le malheur. On l’avait toujours appelée le bon génie de Napoléon. Depuis l’année 1809, époque à laquelle la fausse politique de l’empereur la lui avait fait repousser, elle languissait, toujours triste et souffrante, dans ses beaux palais de la Malmaison et de Navarre, et suivait encore de ses yeux en pleurs la vie et la gloire du grand homme qu’elle avait tant aimé.

La mort de Marie-Louise dut être, pour l’âme si créole de l’impératrice Joséphine, une source féconde d’émotions brûlantes, et peut-être alors rêva-t-elle un retour sur le trône dont elle était descendue naguère. Cet espoir ne fut pas trompé.

Huit jours s’étaient à peine écoulés depuis la mort de Marie-Louise, que le roi d’Italie vint voir sa mère, et lui annonça l’arrivée de l’empereur à la Malmaison.

On ne sait ce qui se passa dans la longue entrevue de Napoléon et de Joséphine. Elle dura depuis dix heures du matin jusqu’au soir. Des larmes, des cris furent entendus : des larmes et des cris de joie peut-être ! mais personne n’a jamais pu pénétrer le secret de cette réconciliation impériale. Quoi qu’il en soit, l’empereur, en dînant avec l’impératrice Joséphine, déclara devant les officiers de la maison qu’il y avait encore une impératrice régnante.

Paris, la France et l’Europe connurent bientôt ce grand événement. Inattendu comme il l’était, il produisit des effets divers. Chaque famille royale espérait en secret de voir une de ses filles monter et s’asseoir sur le trône des trônes. Ce nouveau mariage confondit bien des espoirs.

Le pape Clément XV bénit, à Notre-Dame, cette union nouvelle, et l’impératrice Joséphine fut une seconde fois couronnée.

Mais c’est la France surtout qui tressaillit de joie à cette nouvelle. Il y avait pour cette bonne Joséphine un enthousiasme instinctif et un amour dont on ne se rendait pas compte ; sa disgrâce en était cause autant que sa bonté, car rien n’inspire tant d’intérêt et d’affection que le malheur des âmes belles et tendres ; et puis elle avait pour elle une voix nombreuse, retentissante, c’était celle des pauvres, qui se réjouirent de voir remonter si haut cette source intarissable de grâces et de bienfaits.

L’empereur, en réorganisant la maison de l’impératrice, lui donna, pour l’accompagner, une reine d’honneur ; ce fut la reine de Wurtemberg.

Des princes de sang royal devinrent ses gentilshommes et ses écuyers ; et déjà ils étaient si loin de leur royauté d’autrefois, qu’ils sollicitèrent ces faveurs, et l’empereur ne les leur épargna pas. Il aimait à les placer ainsi à des rangs inférieurs, d’où ils ne pouvaient plus voir que de loin la majesté impériale, et où ils apprenaient encore mieux combien il y avait de distance entre le souverain et les rois de l’Europe.