Napoléon et la conquête du monde/II/23

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H.-L. Delloye (p. 379-385).

CHAPITRE XXIII.

AFRIQUE.



Je ne m’appesantirai pas, comme je l’ai dit, sur les détails d’une conquête où les idées furent les seules armes, où un nom et une croix suffirent pour tout soumettre.

Au milieu des faits les plus bizarres, des renseignements les plus curieux, des circonstances les plus pleines d’intérêt, je choisirai quelques détails comme je le croirai à propos. Libre par dessus tout dans ma marche historique, je cueille ce qui me plaît, je prends ce qui convient le mieux à ma pensée.

La géographie eut d’importantes découvertes à enregistrer ; on détermina la jonction des deux chaînes de montagnes de Kong et de la Lune ; il fut reconnu qu’elles ne forment qu’une seule grande chaîne, véritable colonne vertébrale de l’Afrique, commençant à l’ouest près du Sénégal, traversant le continent qu’elle partage ainsi en deux plateaux inégaux d’étendue et de niveau, et allant se perdre sans discontinuité vers le détroit de Babel-Mandel. Ces divisions naturelles admises, on nomma l’une d’elles l’Afrique du nord, l’autre l’Afrique du sud.

Les trois grands fleuves de l’Afrique furent reconnus depuis leur source jusqu’à leur embouchure.

1o Le Nil, qui prend sa source dans le Donga, descend des montagnes de la Lune et se jette dans la Méditerranée.

2o Le Niger, qui voit sa source naître sur le versant septentrional des montagnes de Kong, dans la Sénégambie, remonte vers le nord, se divise en deux branches, dont l’une court au nord-ouest se grossir et se perdre, sous le nom de Sénégal, dans l’Océan au-dessus du cap Vert, tandis que le grand Niger, continuant son immense cours vers le nord-est, marche vers l’orient sous le nom de Quorra et Djoliba, traverse plusieurs lacs, notamment les lacs Dibbie et Soudan, et, après avoir baigné les murs de Tombouctou, retourne tout-à-coup vers le sud, franchit la chaîne des montagnes de Kong, qui, dans ce point, s’abaissent et lui ouvrent un passage, traverse majestueusement la Guinée, et vient jeter ses eaux immenses au cap Formose dans une multitude de branches et de fleuves formant en cet endroit un delta d’une étendue extraordinaire.

3o Enfin, le Zaire ou Congo et le Zambeze ne forment d’abord qu’un seul fleuve qui prend sa source au centre des versants méridionaux des montagnes de Kong et de la Lune, descend pendant trois cents lieues vers le sud, se divise à Houllah et étend ses deux grands bras en deux fleuves non moins considérables que le Niger, dont l’un vient jeter ses ondes dans l’Océan sur les côtes de Guinée en prenant le nom de Congo, tandis que l’autre, se dirigeant vers l’est, va sous le nom de Zambeze se verser dans le canal de Mozambique.

Ce sont les trois grands fleuves de l’Afrique désormais connus et sans mystères dans leur source, leur cours et leur fin.

On soupçonnait l’existence d’une mer intérieure dans ce continent, et déjà quelques voyageurs européens avaient reconnu les rivages du lac Tchad, mais ils n’avaient vu là qu’un lac considérable. Les observations nouvelles lui assignèrent une telle étendue, qu’elle dépassait de beaucoup celle de la mer Noire, et cette masse intérieure d’eaux reçut le nom de mer Tchad.

Mais ce qui excita au plus haut degré l’admiration et la surprise, ce fut la connaissance de cette ville mystérieuse de Tombut ou Tombouctou, dont les uns récitaient tant de merveilles, tandis que d’autres en avaient à plaisir diminué la grandeur et affaibli l’importance. Tombouctou, occupée par l’armée française, sous le commandement du roi de Silésie, fut enfin connue et comptée parmi les plus grandes villes du globe. Sa population s’élevait à plus de cinq cent mille âmes ; plusieurs quartiers sont bien bâtis et l’on y remarque quelques édifices d’une architecture bizarre et colossale. Son beau port sur le Niger est le plus fréquenté de l’Afrique. Elle est le centre du commerce de ce continent ; des canaux nombreux qui circulent dans la ville augmentent encore l’importance de ce port, et dans les magasins et les marchés qui bordent ces canaux intérieurs les soldats européens voyaient avec autant de surprise que de joie toutes les marchandises de leurs villes d’Europe.

Une scène des plus touchantes émut l’armée entière, lorsque les autorités de Tombouctou amenèrent en triomphe au roi Louis Napoléon deux prisonniers blancs détenus dans cette ville. On reconnut avec joie dans eux deux voyageurs célèbres qui avaient désespéré de revoir jamais leurs compatriotes et leur patrie ; c’étaient le chirurgien Dickson, ami de Clapperton, et le major Laing, dont on avait annoncé la mort en Europe.

Le bruit se répandit aussi que Mungo-Park vivait encore à Boussa, dans le royaume de Bergou ; le roi de Silésie envoya au plus tôt vers cette ville un détachement pour recueillir des renseignements sur ce malheureux voyageur. On arriva bien à temps, car Mungo-Park vivait encore, mais sa tête était affaiblie, ses facultés intellectuelles l’abandonnaient comme ses facultés physiques ; une vieillesse douloureuse, que les chagrins et les souffrances avaient avancée, le retenait sur un lit d’agonie. Cependant la vue des blancs et le son des langues européennes lui firent éprouver une sensation convulsive de joie ; mais cette secousse même fut trop violente. Il reprit l’usage complet de ses sens pendant quelques instants, montra quelques manuscrits et quelques restes de ses collections qu’il avait pu arracher à ses ennemis, et il expira le même jour où ses yeux avaient revu ses compatriotes.

Ces manuscrits furent d’un grand secours dans la reconnaissance du pays situé entre Tombouctou et Boussa.

L’intérieur de l’Afrique révéla les faits les plus nouveaux et les plus curieux en histoire naturelle. Pline avait eu raison de le dire : Africa semper aliquid novi offert. À chaque pas la nature déployait toutes les magnificences inconnues de ses règnes, des plantes bizarres, des minéraux dont on ne soupçonnait pas l’existence, des animaux d’espèces et de familles toutes nouvelles.

Et l’industrie qui suit la conquête mettait à profit ces merveilles.

Enfin, l’histoire, elle-même, fut pour ainsi dire retrouvée en Afrique ; des peuplades ignorées du monde, qu’elles ignoraient pareillement, en gardaient les trésors : les oasis semées dans le désert avaient conservé, comme des Herculanum intellectuelles, les vieilles traditions des temps passés. Peut-être reparlerons-nous plus tard de l’oasis de Boulma, trouvée dans le Donga, mais on ne peut oublier la découverte de l’oasis de Theot, dans les déserts de la Lybie, où fut retrouvée une colonie de prêtres égyptiens dont l’origine remontait aux premiers Pharaons, et qui, pour échapper à la persécution et à la mort, avaient traversé le désert et avaient enfin abordé à cette île de verdure, au milieu des flots de sable. Réfugiée là, oubliée depuis plus de trois mille ans, cette colonie sacrée avait vécu, conservant les traditions de la langue, de la religion et de l’histoire égyptiennes ; étrangers au mouvement du monde extérieur qui n’existait pas pour eux, ils avaient conservé pure et sans l’augmenter leur civilisation d’autrefois : ils rendirent avec fidélité le dépôt du passé ; ils livrèrent le vieux secret des hiéroglyphes et des autres langues égyptiennes, et les voiles mystérieux tombèrent avec cette découverte.