Napoléon et la conquête du monde/II/24

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H.-L. Delloye (p. 386-389).

CHAPITRE XXIV.

DEUX ROIS.



La nouvelle de la conquête de l’Afrique n’arriva en France que plus d’une année après le retour de l’empereur.

Depuis ce retour Napoléon avait repris l’immense gouvernement de l’Europe, auquel il venait de joindre encore ceux de l’Asie et de l’Océanie. Des ministères nouveaux, des fonctions et des administrations nouvelles, avaient été créés ; ces institutions, toutefois, n’avaient pas ce caractère décisif et fondamental que Napoléon avait l’habitude d’imprimer à tous ses actes ; on croyait y trouver quelque chose de provisoire et de passager qui n’était pas dans sa manière. Ceux qui faisaient ces remarques ne jugeaient pas cependant l’empereur, ils attendaient au contraire, certains qu’ils étaient que tout avait sa cause et sa raison dans sa profonde volonté.

Pendant la conquête de l’Asie, Napoléon avait placé le prince de Talleyrand à la tête du gouvernement civil et politique de l’Europe, et le maréchal duc de Dalmatie avait été chargé du gouvernement militaire.

En revenant en Europe et en ressaisissant le pouvoir, l’empereur avait été si plein de satisfaction à la vue de cette Europe florissante et heureuse que le prince de Bénévent lui rendait après cinq années d’absence ; il avait été également si satisfait des relations continuelles que le duc de Dalmatie avait, avec tant d’habileté, établies avec l’armée victorieuse d’Asie, toujours aidée dans ses marches et ses conquêtes par les prévisions et les envois du maréchal, qu’il résolut de leur manifester hautement le contentement qu’il avait ressenti de leurs services.

Vers cette époque, au mois de septembre 1826, le duc de Parme, prince Cambacérès, archichancelier de France, mourut, laissant vacante une des plus grandes dignités de l’empire. Cette position si élevée devint le but de toutes les ambitions ; les personnages les plus illustres, les plus hauts fonctionnaires de l’état et de l’Europe, la recherchaient avec la plus vive ardeur. On assure même que le roi de Sardaigne, en sollicitant cette dignité de l’empereur, avait offert de résigner en échange sa majesté royale.

Le Moniteur du 2 octobre 1826 leva tous les doutes ; il contenait le décret suivant :

« Napoléon, empereur des Français, souverain d’Europe, souverain d’Asie, souverain des îles de l’Océanie ;

« Voulant témoigner au prince de Bénévent et au maréchal duc de Dalmatie la haute satisfaction que nous avons ressentie de leurs éminents services pendant notre expédition d’Asie ;

« Nous décrétons ce qui suit :

« Art. Ier. Le prince de Bénévent est nommé roi ;

« Il prendra rang parmi les rois de l’Europe, et participera aux délibérations du conseil des rois.

« Art. 2. Le maréchal duc de Dalmatie est nommé roi ;

« Il prendra rang parmi les rois de l’Europe, et participera aux délibérations du conseil des rois.

« Art. 3. M. Dupin aîné, avocat, membre du corps législatif, est nommé archichancelier de l’empire, en remplacement du prince duc de Parme, décédé.

« Donné au palais impérial de Fontainebleau, ce 1er  octobre 1826.

« Napoléon.
Par l’empereur,
« Le duc de Bassano. »

Ainsi, Napoléon augmentait le nombre des rois en affaiblissant leur caractère ; ils ne formaient plus véritablement que le premier des quatre corps de l’état, qu’on pouvait désormais ranger dans cet ordre :

Les rois ;
Le conseil d’état ;
Le sénat ;
Le corps législatif.

La nomination de M. Dupin étonna beaucoup la cour, mais ne surprit pas la nation.