Napoléon et la conquête du monde/II/38

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H.-L. Delloye (p. 449-454).

CHAPITRE XXXVIII.

CONCILE ŒCUMÉNIQUE.



Il n’était pas douteux que l’empereur ne pensât à signaler son avénement à la monarchie universelle par une solennité aussi merveilleuse que la circonstance qu’elle devait manifester : il voulut un sacre nouveau ; mais comme il exigeait, pour que rien ne manquât à cette pompe, l’assistance de tous les rois de la terre, il retarda l’époque de ce sacre de près d’une année, et la fixa au 20 mars 1828.

Le reste de l’année 1827 s’écoula dans cette satisfaction de paix et de gloire.

Paris, enflammé par la présence de son maître et fier d’être la capitale du monde et la reine des cités, fêta cet hiver par des plaisirs et le luxe, par des joies et des folies enivrantes.

Mais tout-à-coup, au milieu du retentissement des fêtes, la nouvelle d’un concile universel vint occuper tous les esprits.

Un concile œcuménique s’ouvrit le 6 décembre 1827, dans l’église Notre-Dame, et fut présidé par Clément XV ; les patriarches de l’Orient, onze cents évêques et archevêques catholiques y siégèrent. On y appela également, par ordre de l’empereur, les chefs principaux de toutes les sectes et de tous les protestantismes chrétiens.

On avait dit que le monarque universel prendrait part à ces délibérations. Mais Napoléon ne parut pas dans le concile, il s’éloigna même avec affectation de Paris, pendant sa tenue ; et, certain d’avance, ajoute-t-on, du résultat de cette réunion, il parcourut le midi de la France où venait de s’achever le canal des deux mers, qui réunit et confond les eaux de l’Océan et de la Méditerranée.

Les séances du concile furent tenues secrètes, et ce mystère augmentait le respect des peuples. Chaque matin, la foule s’agenouillait avec vénération sur la place du Parvis, que traversait à pied, pour se rendre à la cathédrale, le pape à la tête de son armée de prélats.

Les décisions du concile révélèrent plus tard ce qui y fut agité.

Un grand fait, un seul, l’objet véritable de cette réunion, était l’unité de l’église chrétienne, absorbant et fondant dans elle toutes ces déviations, ces divergences, ces défections qui désolaient la chrétienté presque depuis sa naissance. Les temps étaient arrivés sans doute pour cette grande paix du christianisme, car, d’un unanime accord, toutes les communions dissidentes vinrent prosterner aux pieds du chef du catholicisme leurs fronts, leurs soumissions et leurs doctrines.

Ce fut le 16 décembre que cette union fut proclamée ; le pape Clément XV tomba à genoux sur le pavé de l’église, et, levant les mains au ciel, il s’écria au milieu de l’exaltation religieuse de ces prêtres : « Oh ! mon Dieu ! grâces vous soient rendues, car aujourd’hui a été accomplie votre parole sainte, et il n’y a plus sur la terre qu’une seule voix pour vous bénir et vous adorer. »

Ce but sublime étant atteint, ces pères de l’Église allèrent plus loin ; et, dans leur lumineuse intelligence, comprenant l’avenir de la religion, basée désormais sur ces fondements uniques et indestructibles, ils demandèrent une réforme de quelques points du culte.

La langue française fut désormais la langue de Dieu, comme elle l’était du monde. Il n’y eut rien alors de sacrilége dans ce décret. Si l’essence du catholicisme est l’unité et l’universalité ; si, au milieu de cette confusion de langues et de ces états hachés, comme dit M. de Maistre, la nécessité d’une langue religieuse universelle avait été reconnue, afin que, dans le même instant, les mêmes paroles élevassent sur tous les points du globe les mêmes prières et exprimassent les mêmes respirations des âmes, ainsi que les appelle un philosophe ; aujourd’hui que l’empire et le langage français étaient universels, cette langue devait être acceptée comme un fait accompli, comme l’expression du culte des hommes pour Dieu.

D’autres modifications assez nombreuses furent apportées aux cérémonies sans atteindre le dogme.

Les décisions du concile furent promulguées à la fin de cette année, et quelques-unes déjà mises à exécution dans le commencement de l’année 1828.

Enfin, deux singularités religieuses furent jugées et condamnées par ce concile, à qui tout pouvoir était donné sur les idées religieuses de la terre.

La première est relative à M. le baron de Jantenne, littérateur connu par un livre très-estimé, la Mythologie des Grecs : cet écrit avait fait nommer l’auteur préfet d’Athènes, mais cette faveur même causa la perte de M. de Jantenne ; sa tête exaltée, toute remplie du monde mythologique des Grecs, ne put résister à cette position nouvelle. Au milieu de cette terre grecque, de ces lieux habités et protégés par les dieux de ses études des hallucinations singulières le saisirent, il devint fou, et se posa le prophète de Jupiter et de ses dieux. Homme de bonne foi et de folie, il allait prêchant aux peuples la religion renouvelée de Jupiter, de Mars et de Mercure ; il redressait les autels, relevait les statues ; il offrit dans le Parthénon restauré des sacrifices à Minerve. Il eut quelques exaltés pour disciples, fut destitué et enfermé au château des Sept-Tours, où il mourut peu de temps après ; avec lui moururent les germes inféconds qu’il avait semés, et le Parthénon redevint une ruine.

L’autre schisme était tout chrétien ; il avait gagné les âmes les plus tendres et les plus élevées parmi les catholiques, celles des poètes et des femmes, qui, modifiant d’eux-mêmes les offices de l’église, avaient substitué aux vieux chants du rite catholique les chants délicieux des poèmes de M. de Lamartine. Comme le poète l’avait dit : ils priaient avec ses paroles, ils adoraient avec ses chants, et cette secte, si pure dans son erreur, si innocente dans sa faute, s’étendait déjà lorsque la condamnation du concile vint la frapper et la trouva docile et repentante.

Ainsi, tout fut fini ; l’idolâtrie et le mahométisme avaient disparu, les protestantismes étaient soumis, les schismes s’étaient ralliés, et la religion chrétienne, une et réformée, régna sans partage sur l’univers et dans tous les cœurs.

Napoléon apprit ce résultat à Marseille, et il s’en réjouit comme de la plus grande conquête.