Napoléon et la conquête du monde/II/39

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H.-L. Delloye (p. 455-460).

CHAPITRE XXXIX.

LES SCIENCES.



Dans les années qui virent naître et suivirent la monarchie universelle, les sciences, les lettres, les arts, jusqu’à la nature elle-même, produisirent de grandes découvertes, les plus magnifiques résultats ; j’ai nommé la nature, car on eût dit qu’elle venait spontanément s’offrir et apporter ses merveilles.

La vapeur, dans les applications les plus diverses, créa des forces surnaturelles et centupla les forces déjà connues.

C’étaient des voitures qui volaient avec la rapidité de la foudre sur les routes en fer, et parcouraient entre deux couchers du soleil les extrémités de l’empire ; c’étaient des vaisseaux à dix, seize et vingt roues animées par de nombreuses machines à vapeur, traversant en moins d’une semaine les plaines de l’Océan pour porter à l’Amérique les ordres du monarque.

C’étaient des machines nouvelles, vivantes de cette vapeur, soulevant les colosses et les rochers, creusant la terre, arrêtant ou lançant les ondes, aplanissant les montagnes, et, combinées avec des poudres, commandant même à l’atmosphère dont elles chassaient les nues et dissipaient les tempêtes par de prodigieuses détonations.

Les ballons aérostatiques, agrandis et multipliés, donnèrent de véritables ailes aux hommes qui surent les diriger. Ce dernier résultat si cherché était dû à la réunion des forces magnétiques avec l’électricité.

Le verre, si résistant et si friable, s’amollit sous les doigts de la chimie, il se plia comme une cire assouplie ; on put l’appliquer ainsi aux usages de la vie, et bien plus, aux usages de la mort. Une momification aussi simple que complète put garantir les corps des grands citoyens, et une couche transparente de verre les enveloppait et les conservait à jamais.

La médecine trouva des merveilles : un homme dont la mort avait été certaine fut rappelé à la vie ; la cécité put être guérie ; la surdité retrouva dans des oreilles factices et de métal l’énergie de l’audition la plus subtile ; et faisant plus que de les guérir, des moyens nouveaux vinrent donner aux sens des forces et des développements jusque-là inconnus. Des verres donnèrent à la vue le discernement microscopique et la portée des télescopes ; des gaz apportèrent à l’odorat des ressources nouvelles pour jouir des odeurs avec des sensations inconnues. L’audition put être augmentée dans une haute portée ; le goût, lui-même, acquit une délicatesse plus grande, et la science, en augmentant ainsi les plaisirs de l’homme, l’approchait un peu plus du bonheur.

Des vaccines furent découvertes pour la plupart des maladies, et la médecine avancée, avec ce mot prévenir, sut mieux que guérir.

Une merveilleuse inutilité, long-temps crue impossible, la quadrature du cercle, fut découverte dans des circonstances singulières.

Dans un collège un professeur facétieux proposa ce problême à ses élèves.

Les sages répondirent qu’il était insoluble, les habiles en approchèrent, un enfant le trouva.

Le maître encouragea les premiers, et comme il avait lu que le problême était impossible à résoudre, il punit le sot qui l’avait trouvé ; et cela avec d’autant plus de vigueur qu’il ne pouvait parvenir à lui démontrer l’absurdité de sa découverte.

L’enfant, fier de ce qu’il avait fait, frappait du pied la terre, et s’écriait sans doute : « E pur si muove », ou quelque chose de pareil.

Le maître le mit au cachot.

Mais l’académie des sciences, ayant su ces choses, demanda communication de l’œuvre de l’enfant ; il se trouva que c’était simplement la découverte réelle et vraie de la quadrature du cercle, qu’on croyait impossible.

Et l’enfant fut nommé associé de l’académie.

L’eau de mer fut rendue potable ; une décharge d’électricité, combinée avec quelques autres forces physiques, la dégagea de ses sels et de son amertume, et ce contre-sens affreux de l’homme expirant de soif au milieu de l’Océan fut corrigé.

On creusa la terre dans ses profondeurs ; des gouffres découverts près de Tombouctou et dépourvus d’eau permirent de descendre jusqu’à cinq lieues au-dessous de sa surface : on trouva le feu.

L’astronomie fit quelques progrès ; mais l’homme savait déjà d’elle tout ce qui est utile, et la découverte de la planète de Vulcain et des quatorze satellites d’Uranus apprit un nom et deux faits nouveaux, sans rendre service à l’humanité.

L’empereur donna une impulsion particulière aux progrès d’une science qu’il affectionnait, à la géographie, la plus importante des sciences peut-être, puisqu’elle les contient toutes, qu’elle décrit à la fois la nature et l’homme, et que sa mission est de raconter l’histoire de la prodigieuse et incessante victoire de l’homme sur la nature.

Cependant cette belle science était négligée et presque méconnue ; aucun auteur, aucun ouvrage, aucun monument, ne lui avait jusqu’alors rendu un suffisant témoignage. Les cartes étaient médiocres, les livres incomplets, et les géographes trouvaient à peine un rang dans les assemblées savantes.

Mais, Napoléon ayant parlé pour elle, à sa voix, les hommes parurent, les ouvrages excellents furent publiés ; des Busching et des Danville décrivirent la terre dans ses moindres détails, et élevèrent en même temps la géographie philosophique à la place qui lui est due. Les conquêtes servaient admirablement ces travaux, car, si Alexandre a été nommé le premier géographe de l’antiquité, on pouvait à meilleur titre le dire de Napoléon pour les temps modernes.

Le Grand atlas impérial fut terminé en 1831. Il contient, en 18 volumes du format grand-aigle, la description universelle de la terre, sur une échelle uniforme, avec une multitude de plans de villes et de cartes particulières dont les détails sont plus développés.

Les sciences intellectuelles marchaient à pas de géant. La langue des chiffres, rêvée par Leibnitz, fut trouvée et appliquée. La pensée eut son algèbre ; elle put être exprimée et formulée, comprise par tous, indépendamment des sons et des mots qui la reproduisent si imparfaitement.

Enfin, la pensée elle-même put s’agrandir sous certaines forces, et s’élever jusqu’au génie. On trouva l’art de l’exciter ou de la calmer dans les esprits. Tantôt puissante, tantôt sommeillante, la volonté en disposait, et sut faire de ce tyran un esclave docile.