Naufrage du lieutenant Krusenstern dans les glaces de la mer de Kara/02

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Seconde livraison
Traduction par H. de la Planche.
Le Tour du mondeVolume 8 (p. 209-218).
Seconde livraison



NAUFRAGE DU LIEUTENANT KRUSENSTERN

DANS LES GLACES DE LA MER DE KARA[1].


(VOYAGE D’EXPLORATION AUX CÔTES SEPTENTRIONALES DE LA SIBÉRIE.)
1852. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I (Suite.)

Conseil. — On décide qu’on abandonnera la goëlette.

Le 2, la brise tomba : profondeur de vingt brasses ; à deux heures du matin la glace commença à sentir le fond. La goëlette comprimée violemment s’inclina de trente degrés sur bâbord, son avant s’éleva de cinq pieds. Elle craquait horriblement ; on annonça deux pieds d’eau dans la cale arrière.

L’ordre fut donné de quitter le navire et d’aller sous la tente ; mais la glace cessa de se mouvoir, la voie d’eau n’augmenta point, et, comme on était mieux à bord que sous la tente, tout le monde se rembarqua quelques instants après. Le mouvement d’ailleurs étant arrêté, il y avait maintenant pour quelques heures de tranquillité.

Au jour, on vit avec étonnement que la grande glace à laquelle le navire était amarré depuis son entrée dans la banquise était fendue de part en part. C’était pourtant une des plus fortes ; si dans un choc elle se brisait ainsi, que serait-ce dans les tempêtes de l’hiver ? Le lieutenant Krusenstern, qui avait un moment pensé à hiverner dans la banquise, au cas où la goëlette viendrait à périr, modifia ses idées ; il reconnut que la seule espérance de salut était de chercher à gagner la côte, et, dès lors, il se prépara peu à peu à ce chanceux voyage.

Dans la journée, il fit beau ; on put faire des observations qui démontrèrent que la terre n’était pas à plus de dix-huit ou vingt milles ; le thermomètre marquait + 1° du thermomètre de Réaumur.

Le 3, on commença à dégréer le navire et à vider la cale ; à huit heures du matin, la glace se mit en mouvement ; la membrure gémissait tristement, plusieurs barreaux furent rompus, le pont se courba tout à fait. On débarqua tous les instruments ; le reste des provisions, les effets de l’équipage, tout fut arrimé sous la tente ou dans les embarcations. À quatre heures, le mouvement s’arrêta ; la goëlette était entièrement sur le côté, son avant à sec et l’arrière dans l’eau jusqu’au tableau.

Le 4, on continua à vider le navire.

Le 5, la température se refroidit brusquement : le thermomètre marqua moins cinq degrés Réaumur. Il y eut dans la nuit une magnifique aurore boréale. La goëlette ne bougeait plus, la ligne de sonde restait perpendiculaire et marquait toujours la même profondeur. Le commandant envoya deux hommes en reconnaissance pour tâcher d’apercevoir la côte… Ils firent environ vingt verstes à l’est et ne virent rien ; à l’endroit d’où ils revinrent sur leurs pas, la profondeur était de dix-sept brasses : aucune clairière ne les avait arrêtés, la glace semblait partout très-serrée. Le résultat de cette reconnaissance fortifia Krusenstern dans son projet de chercher à gagner la terre.

La goëlette fut complétement dégréée ; avec ses voiles, on éleva une vaste tente, qui fut consolidée par des étais attachés sur les ancres que l’on plaça en divers endroits, et entourée par le câble-chaîne, afin d’empêcher le vent de se glisser sous la toile.

On avait apporté une chaloupe de la Petchora, pouvant aller sur la glace et sur l’eau ; cette chaloupe fut installée et doublée en cuivre pour la mieux consolider. Dans la nuit, les mares d’eau gelèrent de plus d’un demi-pouce d’épaisseur. La saison avançait, la position de la goëlette était désespérée ; depuis près d’une semaine, elle restait à la même place. Il fallut songer au salut de l’équipage. Un conseil fut provoqué, auquel prirent part le commandant, le lieutenant M. Maticen, le second master, le maître d’équipage et trois matelots désignés à cet effet par leurs camarades. On y développa les considérations suivantes ; on n’avait plus que pour quatre mois de combustibles ; si la goëlette restait à flot, dans quatre mois, époque la plus froide de l’année, on serait obligé de la brûler ou de mourir de froid. De plus, la glace sur laquelle on avait songé à hiverner s’était brisée en une nuit de tempête : pouvait-on espérer qu’elle résisterait aux coups de vent de l’automne et de l’hiver ? Ce n’était pas probable !

À la suite de ce conseil, Krusenstern prit la résolution d’abandonner son navire et d’essayer avec son équipage d’atteindre la côte qui se trouvait à l’est.

En conséquence, la chaloupe fut chargée ; on y mit deux cent cinquante kilogrammes de biscuit, quelques jambons, une dizaine de litres de rhum, une caisse renfermant les instruments, les livres et les cartes nécessaires pour la route, quatre grandes couvertures de peau de mouton. Chaque homme s’étant fait un sac en toile à voile, y mit une chemise et trente-cinq livres de biscuit, plaça au-dessus une grande pelisse samoyède, appelée malitza, et prit à la main une pique pour sonder la glace et s’aider à franchir les crevasses. Tout le monde se vêtit de ses meilleurs effets, et, autant que possible, emporta une paire de bottes de rechange.

Jusqu’ici, nous n’avons donné qu’un extrait, aussi exact que possible, du rapport de M. Krusenstern, afin d’éviter au lecteur des détails techniques et des répétitions qu’il eût peut-être trouvées monotones ; mais au moment où le courageux officier, avec sa petite troupe, va s’engager dans son douloureux voyage, nous lui rendons la parole pour en décrire les terribles péripéties et la délivrance inespérée qui couronna ses énergiques efforts.


II

RÉCIT DU LIEUTENANT KRUSENSTERN.

L’équipage abandonne la goëlette l’Iermack dans les glaces. — En route on abandonne aussi la chaloupe et les traîneaux. — Prière. — Le forgeron Sitnikov. — Accident. — Clairières. — Navigation sur des morceaux de glace. — Vue de la terre. — Morses. — La faim. — Espoir trompé. — Les tombeaux. — Un renard. — Vol. — Le matelot Ponowa. — On atteint la terre. — Tente des Karachins. — Hospitalité de Setch-Sirdetto. — Le fleuve Obi. — Le chef Egor. — Obdorsk. — Tempête de neige. — Retour à Kouia.

Le 8 septembre, il faisait une faible brise du sud ; les hommes se disposèrent au départ, cousant leurs sacs et préparant les sangles pour traîner la chaloupe. Je renfermai les instruments et mis à l’abri les provisions sèches, partie dans la dunette, partie sous la tente. Je ne laissai rien dans la cale. Le rhum blanc, le sucre, le thé, et deux grands barils d’eau-de-vie, avec beaucoup d’autres provisions, furent placés dans le carré. J’avais l’intention de me mettre en route de bonne heure le lendemain ; c’est pourquoi j’envoyai l’équipage se coucher plutôt qu’à l’ordinaire ; je donnai l’ordre au coq de préparer à déjeuner pour quatre heures du matin.

Le 9, le thermomètre marquait 4° Réaumur, le vent ayant passé dans la nuit par le nord-ouest du nord-nord-est. Je fis éveiller l’équipage à quatre heures, après un bon déjeuner où le cambusier n’avait pas épargné les vivres ; chaque homme s’habilla de ses plus chauds vêtements, et à six heures et demie tout le monde fut prêt à se mettre en route. Je laissai sur la table de ma chambre, comme document, une courte description de notre position, l’époque à laquelle j’abandonnai mon navire, par quelles latitudes et longitudes, avec combien d’hommes, leurs noms et le but que nous nous proposions.

À sept heures du matin, le 9 septembre, après avoir imploré la protection de Dieu, je me mis en route à la tête de mon équipage, laissant la goëlette par 69° 57’ de latitude nord et 66° 2’de longitude est de Greenwich, me dirigeant vers la côte orientale de la mer de Kara. Je marchais le premier, portant le compas. Après moi, sous la direction de M. Maticen, mon second, seize hommes traînaient la chaloupe ; ensuite venaient le docteur et le maître commis avec un petit traîneau chargé de bois et de provisions ; enfin deux jeunes volontaires conduisaient un autre traîneau auquel ils avaient attelé les chiens de M. Maticen. Au bout de deux heures, il devint évident que nous ne pouvions continuer de cette façon ; nous avions constamment à traverser des crevasses ou à gravir des escarpements : plusieurs hommes étaient tombés dans l’eau, les traîneaux se brisaient, la chaloupe était à moitié démolie à dix heures du matin : je résolus d’abandonner traîneaux et chaloupe.

L’équipage du Iermack réfugié sur un glaçon.

Chacun mit dans son sac du biscuit pour vingt jours. Je donnai en outre à porter aux plus forts le journal du bord, une longue-vue, un anéroïde, la carte des lieux où nous nous trouvions, et un plomb de sonde avec sa ligne, en outre une petite théière et une livre de thé. Pour nous protéger contre les ours blancs et pouvoir au besoin de notre subsistance, je distribuai quatre carabines, un fusil à deux coups, trois revolvers, deux pistolets, de la poudre, des balles et du plomb. Je fus obligé d’abandonner les deux chronomètres qui m’avaient été envoyés de Saint-Pétersbourg. C’eût été un lourd fardeau pour ceux que j’en eusse chargés, et je prévoyais qu’ils tomberaient à l’eau, ou seraient brisés dans les chutes inévitables sur la route que nous suivions ; d’un autre côté, j’espérais pouvoir revenir avec des traîneaux pour les sauver ainsi que les autres instruments, si nous avions eu le bonheur d’atterrir près d’un lieu habité. Avant de quitter la chaloupe, nous mangeâmes copieusement pour la dernière fois, et je permis à chacun des hommes de boire un verre de rhum blanc.

À dix heures un quart, après avoir de nouveau prié Dieu, nous nous remîmes en route. On n’apercevait déjà plus que la mâture de la goëlette.

Le temps était assez clair, le thermomètre marquait 5° Réaumur. Malgré qu’il fût très-pénible d’escalader les escarpements et de franchir les crevasses, nous avancions assez rapidement vers l’est. Je marchais en avant le compas à la main ; cherchant de l’œil la route la plus facile, et sondant avec ma pique les obstacles cachés. Au bout d’une heure l’équipage était dispersé sur une étendue de plus de deux verstes ; les derniers se traînaient avec peine ; je m’arrêtai pour un moment au pied d’une montagne de glace. Quand les derniers traînards furent arrivés au lieu de la halte, ils racontèrent que le forgeron, nommé Sitnikov, s’était arrêté en route, et qu’il n’avait pu suivre parce qu’il était ivre. Il y avait déjà longtemps qu’on l’avait perdu de vue. Je fis sur-le-champ appel à des hommes de bonne volonté pour sauver leur camarade ; mais le silence général me prouva que chacun pensait beaucoup plus à conserver ses forces, pour les fatigues qu’on allait endurer, qu’au salut du malheureux. Alors jetant mon sac de côté, j’ordonnai au maître d’équipage, Pankratov, d’en faire autant, et armés de piques et de carabines, nous partîmes à la recherche de l’absent. Après avoir parcouru environ trois verstes, nous trouvâmes Sitnikov qui dormait. Je l’éveillai et lui dis de me suivre, mais il était complétement démoralisé. Au moment de quitter la chaloupe, il avait bu en cachette trois verres de rhum et s’était enivré. Pour tâcher de lui faire reprendre ses sens, je le secouai violemment, mais il ne put se lever. Il pleurait, et me dit : « Votre Honneur, laissez-moi ; il est écrit que je dois mourir en ce lieu. » Je vis qu’il fallait qu’il dormît encore ; pour le dégriser plus tôt, je lui enlevai sa malitza, que je jetai loin de là, et le laissai avec sa seule chemise, lui faisant promettre d’essayer de nous rejoindre dès qu’il se réveillerait ; je le quittai bien persuadé que je l’avais vu pour la dernière fois. Aussitôt que j’eus rejoint l’équipage, je repris mon sac et nous partîmes. Les hommes marchaient en silence ; il était visible que la perte de leur camarade les affectait vivement. De temps à autre, l’un d’entre eux s’approchait de moi et disait : « Votre Honneur, dites la vérité : Sitnikov est mort à présent ? »

Le forgeron Sitnikov refuse de marcher.

Le vent devint plus vif, et la neige commença à tomber.

Vers deux heures je fus arrêté brusquement par un nouvel incident ; le matelot Resanov, qui se trouvait près de moi, jeta son sac et s’élança au secours du nommé Gregori Vichniakov, qui, tombé dans une mare d’eau douce, allait se noyer s’il n’eût été rattrapé. Quand nous arrivâmes au lieu de la halte, le malheureux tremblait tellement qu’il ne put enlever ses vêtements mouillés. Nous fûmes obligés de l’habiller avec nos propres effets, et ce ne fut que le soir seulement qu’il parvint à se réchauffer. L’anéroïde, tombé à l’eau avec lui, fut perdu.

L’équipage, peu habitué à marcher, trouvait la route très-rude avec un poids pareil sur les épaules. Quelques-uns eurent des vomissements ; mais l’unique moyen de salut était de gagner la terre au plus vite, et chacun serrant les dents marchait en silence. Vers le soir nous rencontrâmes une crevasse d’eau libre que nous longeâmes longtemps sans trouver un lieu favorable pour la traverser : à la fin, la nuit arrivant, nous campâmes au pied d’une montagne de glace.

Vue d’une chaîne de montagnes de glace.

Le baron Budberg, l’un des volontaires que j’avais chargé du thermomètre, tomba dans une crevasse, et l’instrument fut brisé dans sa chute. Quand nous quittâmes nos sacs, nous ressentîmes tous une vive douleur dans les épaules ; quelques-uns ne pouvaient plus remuer les bras. Tour à tour chacun fit la faction pendant une demi heure ; des carabines chargées étaient prêtes en cas d’attaque des ours blancs. Nous dormions bien dans nos malitza ; seulement la chaleur du corps fit fondre la glace ; et nous nous réveillâmes dans des mares d’eau.

Traversée d’un chenal d’eau libre sur un fragment de glace.

Le matin du 10, au moment où nous mangions le morceau de biscuit qui nous servait de déjeuner, nous eûmes une grande joie : Sitnikov, le forgeron, nous rejoignait ; il avait marché toute la nuit en suivant nos traces, ce qui dans l’obscurité n’avait pas dû être toujours facile. C’est un exemple frappant de ce que peut accomplir le sentiment de conservation qui est en nous.

À six heures et demie nous nous mîmes en route. Il fallait d’abord traverser la crevasse qui nous avait arrêtés la veille ; nous trouvâmes un endroit plus resserré où, à l’aide d’un petit glaçon et de la ligne de sonde, nous pûmes installer un va-et-vient ; le passage dura environ une heure ; le glaçon portait deux hommes à la fois. Nous reprîmes aussitôt après notre course à l’est, bien persuadés que nous n’avions plus d’autre clairière à traverser.

À midi, nous rencontrâmes des traces fraîches d’ours blancs se dirigeant vers une haute montagne de glace, de laquelle nous ne passâmes pas à plus d’une demi-verste ; mais personne n’était en humeur de chasser. La fatigue devint insupportable ; beaucoup commencèrent à laisser sur la route tout ce qu’ils ne jugèrent pas indispensable : leurs cabans, des chemises de laine ; plusieurs même jetèrent du biscuit. À chaque halte nous laissions des témoignages de notre séjour : des chemises des bottes ; il y en avait même qui se débarrassaient de leurs petites pipes, se figurant, après chaque sacrifice, qu’ils marchaient bien plus aisément. Le maître d’hôtel, Lurionov, jeta presque tout son biscuit, tant il était déjà harassé de fatigue ; quant à moi, je marchais encore facilement, et la seule chose que je laissai en route fut ma chevelure, devenue trop longue ; elle gelait et m’empêchait de voir devant moi en me tombant sur les yeux. Plus nous avancions et plus nous rencontrions d’espaces libres. Quand la clairière était assez étroite, nous la traversions avec un va-et-vient, comme j’ai raconté plus haut. Quand elle était trop large, nous choisissions une glace détachée assez épaisse pour nous porter tous, et nous la poussions vers le bord opposé de toutes nos forces ; alors ramant avec nos piques et les crosses de nos fusils, mettant au vent nos pelisses étendues, nous traversions lentement, puis nous reprenions notre route. Vers le soir M. Maticen eut un violent mal d’estomac et des vomissements.

Les mêmes symptômes se montrèrent chez le docteur Licheo ; tout le monde se traînait avec la plus grande difficulté. À sept heures trois quarts, je trouvai un lieu favorable pour passer la nuit. Écrasés de fatigue, nous nous jetâmes tous étendus sur la glace, et nous restâmes pendant quelque temps dans cette position, sans dire un mot.

La profondeur décroissait très-lentement ; le 10, au soir, elle était de quatorze brasses. Quelqu’un prétendit avoir aperçu la côte ; mais l’obscurité tombait et l’on ne distingua rien avec la longue-vue. Chacun s’enveloppa dans sa malitza, où il dormit mieux qu’aucune belle sur un lit d’édredon ; les fonctionnaires se relevèrent toutes les demi-heures. Ce jour-là, nous avions marché treize heures un quart, nous reposant de temps en temps dix minutes pour respirer.

Nous fûmes sur pied au point du jour ; le 11, comme la veille, nous nous étions recueillis dans l’eau. J’escaladai aussitôt la montagne de glace au pied de laquelle nous avions campé ; je vis la terre dans l’est-nord-est. La vue de la côte électrisa l’équipage, et l’espoir de se sauver, qui commençait à l’abandonner la veille, revint plus ardent. Quant à moi, j’avais vu l’eau de tous côtés et je ne savais pas comment nous pourrions la traverser sans embarcation.

Avec quelle rapidité les hommes mirent leurs sacs sur le dos ! quels airs triomphants ! comme ils allaient en avant, ne me donnant même pas le temps de prendre mon poste !

« Votre Honneur, maintenant qu’on voit la côte nous pouvons marcher, nous ne sommes plus fatigués. »

Mais, hélas ! au bout d’une heure nous rencontrâmes l’eau, et quand nous l’eûmes traversée, nous vîmes devant nous une grande étendue de glace brisée qui paraissait infranchissable : en même temps, on distinguait très-bien le sable rouge des falaises de la côte. Que faire ? Je m’élançai en avant, rompant ici, sautant là, passant de glaçon en glaçon à l’aide de ma pique ; l’équipage me suivait. Dieu eut pitié de nous. Au bout d’une heure et demie, nous atteignîmes de nouveau la glace ferme. M. Budberg fut le plus éprouvé dans cette traversée ; n’ayant pas le pied marin, il glissa plusieurs fois, et se fût noyé s’il n’eût été rattrapé par les hommes. Nous fîmes ce jour-là tout ce qu’il nous fut possible pour atteindre la côte ; mais nous rencontrions l’eau à chaque instant, et parfois les clairières avaient plus de cent cinquante brasses de largeur. Nous les franchissions tantôt avec la ligne de sonde ; tantôt serrés tous ensemble sur une glace nous étendions au vent nos malitza déployées et nous allions à la volonté de Dieu.

Après le dîner, vers quatre heures, nous nous trouvions au milieu d’une large clairière, quand subitement, à quelques pas de notre île flottante, six morses parurent sur l’eau se dirigeant droit sur nous. Je lançai un coup de pique, mais sans succès, au plus voisin ; les autres s’arrêtèrent, examinant le résultat de l’attaque de leur camarade. Celui-ci, plantant ses défenses dans la glace, commença à escalader notre îlot déjà surchargé. Notre position était critique si deux ou trois nous eussent assaillis à la fois, notre glaçon eût certainement chaviré ou coulé ; je pris une carabine et réussis à loger une balle dans l’œil du monstre ; le morse lâcha prise et tomba à l’eau, les autres disparurent.

Un morse cherchant à escalader l’îlot de glace qui porte l’équipage.

Nous avançâmes sur l’eau, où, sur la glace jusqu’à huit heures du soir, l’obscurité nous força de nous arrêter, et nous campâmes sur une grosse glace qui était échouée, mais tournait sur elle-même ; la sonde donna onze brasses. La côte était à sept ou huit verstes. Nous commençâmes ressentir les douleurs de la faim ; nous n’osions manger que très-peu ; les événements de la journée nous avaient prouvé que nous pouvions encore longtemps rester sur la glace ; le froid nous réveillait à chaque instant ; nos forces diminuaient rapidement. M. Maticen, n’ayant rien mangé depuis deux jours, et souffrant d’une violente douleur d’estomac, parlait de sa mort prochaine durant toute la journée du 11 ; il avait vomi sur la route et il avait fallu son énergique volonté pour traîner son corps malade jusqu’à la troisième étape.

Le 12 septembre, au jour, je grimpai sur le sommet de notre glace ; la mer était libre autour d’elle ; dans la nuit le vent avait passé à l’est et soufflait assez fort. À huit heures, une brume épaisse nous enveloppa. L’équipage perdait toute espérance et tomba dans une démoralisation complète. Nous étions silencieusement assis sur nos sacs à onze heures, au changement de marée ; les glaces revinrent ; l’une d’elles passa près de nous ; nous y abordâmes successivement à l’aide de la ligne de sonde et d’un petit glaçon. Tchernousov et moi, restés les derniers, faillîmes être séparés pour toujours de nos compagnons. Le transbordement avait duré longtemps et la glace allait toujours, quand le glaçon revint pour la dernière fois ; la ligne de sonde était trop courte ; j’y nouai mes bretelles, mes jarretières, ma ceinture ; de l’autre côté, les hommes y ajoutèrent ce qu’ils purent et le glaçon était presque rendu jusqu’à nous ; il restait encore cinq pieds quand il fallut lâcher ; nous les franchîmes avec une pique. Je dois dire que c’est surtout à l’adresse et à la force du matelot Resanov que nous dûmes notre salut en cette occasion.

L’espérance reparut ; nous marchâmes joyeusement vers la côte qui se rapprochait à vue d’œil, mais bientôt une clairière nous arrêta pendant que nous cherchions les moyens de la traverser ; le vent fraîchit, et malgré le courant la distance qui nous séparait de la côte augmenta. Du haut d’une glace élevée, je pus voir avec la longue-vue que l’eau qui nous arrêtait était la dernière, et qu’au delà s’étendait jusqu’à la côte une masse de glace solide. La distance de terre était d’environ quatre verstes. Combien nous étions près de la délivrance !… La sonde nous prouva que nous allions au large, tous nos efforts pour traverser furent vains. Alors désespérés, nous nous enveloppâmes dans nos malitza et attendîmes le sort que nous n’avions pu conjurer ; le vent d’est augmentait ; la glace sur laquelle nous étions était plate et n’offrait aucun abri : elle avait cent cinquante brasses de largeur et cinq à six d’épaisseur. En peu de temps la côte disparut, et nous perdîmes tout le chemin que nous avions fait si péniblement. Par une cause inconnue, les glaces qui nous environnaient allaient plus vite que la nôtre. Quelques instants après, nous ne vîmes plus rien, et la lame vint bientôt secouer notre îlot. Il gelait fort ; nous avions grand-peine à nous réchauffer. Vers le soir le vent souffla en tempête. Nos malitza nous empêchèrent de périr de froid ; nous étions groupés plusieurs ensemble, les têtes renfoncées sous nos pelisses et les pieds abrités sous la malitza du voisin. À onze heures, un morceau de notre glace se rompit, et nous sauvâmes avec peine quatre de nos hommes couchés dessus. M. de Budberg était de ce nombre ; la lame devint très-forte et arriva jusqu’à nous ; nous ne pouvions nous en garantir.

Le 13 septembre, à sept heures du matin, notre glace se brisa en deux avec un fracas semblable au bruit du canon ; la mer balayait le morceau sur lequel nous étions restés. M. Maticen, dont la santé déclinait toujours, me transmit ses dernières volontés et me chargea d’adieux pour ses parents. J’essayais de relever le courage de mes hommes par des récits de naufrages où les matelots s’étaient sauvés dans des positions aussi désespérées que la nôtre ; mais mes efforts furent infructueux.

Le temps s’adoucit, la température était à peu près de un degré.

À six heures du matin, une neige épaisse avait commencé à tomber ; elle se changea en pluie vers neuf heures. Nous étions trempés jusqu’aux os et nous avions grand-peine à nous réchauffer : une heure de gelée comme la veille aurait mis fin à toutes nos souffrances.

À midi, le vent et la mer tombèrent complétement ; une légère brise du sud-sud-ouest s’éleva et nous pûmes espérer que notre glaçon résisterait. Le temps devint superbe, même chaud ; nous nous mîmes à faire sécher nos vêtements ; la brise fraîchit, et nos cœurs s’ouvrirent encore une fois à l’espérance en voyant que nous étions portés avec rapidité vers la côte. Nous l’aperçûmes promptement ; nous vîmes aussi revenir du large les masses de glaces au milieu desquelles nous nous trouvions quelques jours auparavant ; elles s’avançaient plus vite que la nôtre et nous eurent bientôt entourés.

Le coucher du soleil fut magnifique ; à huit heures, un immense champ de glace arriva droit sur nous ; nous nous préparâmes à y passer au moment où il heurterait notre glaçon. Nous accomplîmes heureusement ce mouvement, et un quart d’heure plus tard nous avions trouvé un excellent gîte. Dans ce court trajet, M. Budberg et le commis Larionov se perdirent dans l’obscurité ; nous eûmes quelque peine à les retrouver. La profondeur diminuait sensiblement ; à neuf heures elle était de douze brasses : toutes nos espérances se ranimèrent.

La nuit du 14 septembre fut extrêmement froide ; nous avions heureusement réussi dans la journée à sécher nos vêtements. Le temps s’annonçait magnifique ; la côte était voisine ; on trouva dix brasses de profondeur ; le vent soufflait droit du sud et la ligne de sonde indiqua que nous étions portés vers l’est-nord-est. M. Maticen se trouva un peu mieux ; le beau temps dura tout le jour et la température s’éleva. Notre îlot dérivait lentement vers la côte ; mais nous ne pouvions pas encore tenter de passer sur l’immense champ de glace qui semblait aller jusqu’au rivage. Vers le soir, le vent fraîchit, passa au sud-est, et nous fûmes entraînés au nord-ouest. L’espérance rentrait à peine dans nos cœurs qu’elle était déçue ! Le désespoir s’empara de nous. Plusieurs n’avaient déjà plus de biscuit. Les hommes se mirent à bâtir de petites huttes qu’ils appelaient leur tombeau.

Le 15 septembre, de trois à neuf heures du matin, il tomba une pluie violente mêlée de neige fondue ; nous fûmes encore horriblement mouillés. La côte disparut. Vers dix heures, le temps s’éclaircit ; nous fîmes sécher un peu nos effets. Un renard passa sur une glace, à cinquante pas de nous ; je lui envoyai une balle qui ne l’atteignit pas. Nos chiens étaient devenus si maigres qu’ils n’avaient que la peau et les os ; mon épagneul ne marchait plus en travers du vent sans une dérive considérable.

Le même jour, le maître d’hôtel Paul Larionov se rendit coupable de vol ; il déroba du biscuit et fut pris en flagrant délit. Je lui pardonnai pour cette fois. À la grande joie de tout le monde, M. Maticen se trouva beaucoup mieux, et se déclara prêt à se mettre en route.

Dimanche 16 septembre, les vents de l’ouest-sud-ouest ; du haut des glaces les plus élevées on ne voyait aucune clairière dans la direction de la côte. Quoique ni les uns ni les autres nous ne crussions plus guère à la possibilité de l’atteindre, après les déceptions que nous avions éprouvées, nous nous mîmes cependant en route à six heures du matin. La pluie tombait à torrents. Pendant les deux premières heures, le chemin fut extrêmement dangereux au milieu des débris qui fuyaient sous nos pieds ; enfin, à huit heures, nous arrivâmes à la glace ferme et l’on aperçut la terre à quinze ou dix-huit verstes : l’espoir revint. Sans perdre un instant, nous marchâmes très-vite jusqu’à onze heures et demie ; nous fîmes alors une halte ; la côte ne paraissait pas à plus de huit ou neuf verstes, mais la moitié de l’équipage était si épuisée, que je fus forcé d’accorder une demi-heure de repos.

M. Budberg ne pouvait plus ouvrir la bouche et tombait même en chemin plat.

Pour nous donner des forces, on mangea double ration de biscuit. Quelques hommes s’étaient blessé les jambes en tombant et se traînaient avec peine. Jusqu’à cinq heures, nous marchâmes sans détourner la tête, ne rencontrant aucune clairière. Vers deux heures, je fus moi-même très-fatigué ; j’avais peine à mettre un pied devant l’autre : la poitrine et les épaules me faisaient un mal affreux ; mais cette faiblesse ne dura pas : à six heures je marchais aussi vite et aussi légèrement qu’auparavant. La dernière verste fut extrêmement rude ; la côte ne se donna pas à nous sans une terrible lutte, et je ne sais si nous l’eussions jamais atteinte sans le matelot Ponova. Il allait en avant dans les derniers temps, et j’admirais son intrépidité et l’entrain avec lequel il surmontait tous les obstacles ; les autres regardaient la terre et la glace avec une égale indifférence et suivaient machinalement ; ils n’avaient qu’une pensée : s’asseoir et se reposer.

Pour arriver jusqu’à terre, il y avait à traverser une étendue d’eau semée de grosses glaces échouées çà et là sur les bancs ; nous allâmes de l’une à l’autre sur de petits glaçons.

À sept heures, nous n’étions plus qu’a cinquante brasses du rivage, mais nous ne trouvions plus de moyens pour traverser. L’obscurité était venue. Rester ruisselants d’eau comme nous l’étions, c’était la mort ; il fallait plutôt tout risquer. J’ordonnai donc à mes hommes de gagner la terre, comme ils le pourraient, allant autant que possible deux ou trois ensemble pour retirer de l’eau celui qui viendrait à y tomber. Nous nous séparâmes. Notre devise en ce moment fut « chacun pour soi, Dieu pour tous. »

Le maître d’équipage Pankrator et deux matelots gagnèrent les premiers la terre, et leur hourra éclatant retentit dans la nuit, répété par les échos des montagnes. À huit heures, nous étions réunis sur la côte, mouillés, affamés, sans rien pour faire du feu, mais déjà réchauffés par la certitude que nous n’avions plus à craindre d’être emportés au large. Nous couchâmes serrés les uns contre les autres sur une petite hauteur, la plaine étant couverte de neige. Un fort vent d’ouest et le froid ne nous permirent pas de clore l’œil, malgré la fatigue. Au jour, quand nous nous levâmes, les pierres qui nous avaient portés n’étaient pas plus glacées que nos corps. Aussitôt qu’il fit un peu clair, chacun se mit à chercher du bois ; on parvint à ramasser quelques buissons rabougris qui prirent feu avec difficulté, et je fis du café dans la théière : le café brûlant, quoique sans sucre, nous ranima un peu.

Le jour était venu. M. Maticen prit la longue-vue et examina l’horizon ; tout à coup il tressaillit et s’écria : « Des tentes en vue ! »

Je saisis la lunette, et vis en effet à quatre ou cinq verstes de notre campement les sommets de deux tentes. À l’instant même, j’envoyai quatre hommes et le maître Pankrator, armés de carabines, de piques et de revolvers, avec ordre d’entrer en communication avec ces gens par tous les moyens possibles. Heureusement, nos envoyés purent se dissimuler dans la vallée la plus grande partie du chemin, si bien qu’ils ne furent aperçus des tentes qu’au moment où ils escaladèrent la hauteur. Dès que les Karachins les virent approcher, ils coururent de tous côtés pour réunir leurs rennes et fuir avec eux ; mais on ne leur en donna pas le temps. Pankrator et les siens se mirent à courir malgré leur faiblesse et purent les rejoindre à temps. Par signe, il leur ordonna d’atteler trois traîneaux et d’aller à la mer à notre rencontre, ce qui fut exécuté immédiatement avec beaucoup de bonne volonté. Ces traîneaux nous rencontrèrent à mi-chemin, et je puis vous avouer que jamais je n’ai fait sur un véhicule de ce genre course qui me fût plus agréable.

L’équipage découvre un campement de Karachins.

Ce fut une chance très-heureuse pour nous d’avoir atterri comme nous l’avions fait. Quoiqu’il y eût quelques autres tentes sur cette côte, comme nous l’apprîmes plus tard, elles étaient peu nombreuses et plus avancées dans l’intérieur ; nous aurions eu peut-être encore dix ou quinze jours de marche avant de trouver une habitation, car j’avais l’intention de suivre le bord de la mer, et dans cet intervalle il est probable que plus de la moitié de mes hommes eussent péri.

Pour tous, il était grand temps, sinon de trouver un abri, du moins d’avoir une nourriture plus substantielle. Un des Karachins fut dépêché à la recherche d’un interprète, qui arriva quatre heures plus tard. Par lui, j’appris que notre hôte était un très-riche habitant de ces contrées, et que, ce qui était plus important pour nous, c’était un homme très-loyal et très-bon ; son nom était Setch-Sirdetto ; il possédait trois femmes, sept mille rennes et six tentes. Il se montra tout disposé à nous conduire à la ville la plus voisine, c’est-à-dire à Obdorsk, qui était, d’après lui, à mille verstes du lieu où nous nous trouvions, et à l’instant même il commença à préparer les traîneaux et les provisions qui nous étaient nécessaires pour ce long voyage. Dès notre arrivée, les Karachins nous prodiguèrent leurs mets les plus délicats, tels que chair de rennes, crue ou bouillie, langues et cervelles de rennes, du poisson cru, de la graisse d’oie fondue, etc. Ils avaient aussi un peu de thé et de sucre. Après avoir terminé notre festin de Lucullus, nous nous couchâmes dans la tente, bien chauffée, sur de moelleuses peaux de renne, et tous nos maux furent oubliés ; il nous sembla que nous étions dans le paradis.

Nous nous mîmes en route seulement le 19 septembre, et nous continuâmes, sans nous arrêter, à nous diriger au sud ; chaque jour nous appareillions à six heures du matin et nous dressions la tente le soir à sept ou huit heures.

Enfin le 1er octobre, à la chute du jour, nous arrivâmes au bord du fleuve Obi ; mais, a notre grand désappointement, il n’était pas encore gelé et charriait d’énormes glaçons : le traverser était impossible. Nous le côtoyâmes jusqu’à une bourgade ostiak, appelée les Iourtes de Jonderski, ou nous fûmes très-cordialement reçus par le chef Egor, de la famille de Salender. Pendant mon séjour dans sa iourte, il ne songea qu’à me régaler. Bon gré, malgré, six fois par jour il me fallut boire du thé, et au moins six tasses à chaque fois. Le lendemain de notre arrivée, il s’imagina de me faire avaler un mélange d’eau-de-vie et de jus de tabac ; stupéfait de voir un aussi grand chef refuser un breuvage aussi distingué, il se grisa avec les anciens du village et les Karachins qui nous avaient conduits et tomba dans une grande chaudière pleine d’eau, enfouie au milieu de la iourte, où il eût péri sans notre secours.

Je fis connaissance chez lui du prince des Ostiaks.

Le 5 octobre, nous traversâmes l’Obi et nous arrivâmes à Obdorsk, accompagnés d’une multitude d’Ostiaks de la suite du prince et du chef Egor, qui nous avaient suivis.

Je séjournai douze jours à Obdorsk. Le prince m’avait offert de nous conduire à travers l’Oural jusqu’au poste de Ziranski ; il vint nous prendre le 17 octobre. Le voyage à travers l’Oural fut extrêmement difficile ; sur le sommet de la chaîne, nous fûmes assaillis par une tempête de neige qui manqua de nous engloutir ; pendant sept heures je désespérai de notre salut. Heureusement le vent diminua, et nous pûmes descendre vers la plaine.

Le 2 novembre, j’arrivai avec tout mon équipage à Yma. Après quarante-huit heures de halte, nous partîmes, en passant par Tset-Tsilma, pour Kouia, à l’embouchure de la Petchora. Je fis faire en ce lieu tout ce qui était nécessaire pour l’hivernage de mes hommes que je laissai sous les ordres du lieutenant, M. Maticen, auquel j’adjoignis le baron Budberg ; puis je me dirigeai en traîneau vers Archangel.

L’Iermack abandonné dans les glaces.

En terminant ce rapport de notre infructueux voyage, je crois devoir ajouter que la pensée que j’avais eue de retourner vers l’Iermack en traîneau, pour sauver les instruments, se trouva impossible à réaliser. La seule chose que j’aie pu faire a été de déclarer aux Karachins que, s’il venait à terre des objets de la goëlette, ils pourraient se regarder comme légitimes possesseurs de l’eau-de-vie, de la poudre, du plomb, des effets, et de tous les débris du navire ; mais que s’ils recueillaient un coffre renfermant des objets dont ils ne comprendraient pas l’usage, ils devraient l’envoyer au chef d’Obdorsk, ce coffre étant la propriété du tzar. Ils m’ont promis de se conformer à mon désir. Les Karachins sont des hommes loyaux et bons, je ne doute pas qu’ils ne tiennent parole. Pendant la durée de mon voyage, j’ai recueilli beaucoup de renseignements sur les mœurs et les coutumes de ces populations, bien moins corrompues que les Samoyèdes, du gouvernement d’Archangel, parce qu’elles n’ont pas encore de rapports avec nos marchands, qui apportent chez ces peuplades la civilisation européenne sous la forme de l’eau-de-vie. Vraisemblablement, avant de longues années, la richesse des Karachins, c’est-à-dire leurs troupeaux de rennes, aura passé dans les mains des Russes, comme les troupeaux des indigènes du district de Mézène sont déjà dans celles des gens d’Yma.

Traduit par H. de la Planche.



  1. Suite et fin. — Voy. page 203.