Nicolas Nickleby (traduction La Bédollière)/34

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Nicolas Nickleby. Édition abrégée
Traduction par Émile de La Bédollière.
Eugène Ardant et Cie (p. 207-214).

CHAPITRE XXXIV.


Il y a des hommes dont le seul but est de s’enrichir, n’importe comment, qui apprécient parfaitement la bassesse des moyens qu’ils emploient chaque jour, et affectent cependant le ton de la probité, et gémissent de la dépravation des hommes. Les plus vils scélérats qui marchent, ou plutôt qui rampent en ce monde par les voies les plus sales et les plus étroites, jugent gravement les événements du jour, et tiennent avec le ciel un compte en règle, dont la balance est constamment en leur faveur.

Ralph Nickleby n’était pas un homme de cette trempe. Sévère, opiniâtre, cuirassé, impénétrable, Ralph ne cherchait dans la vie et au-delà qu’à assouvir deux passions : la première et la plus violente, c’était l’avarice ; et la seconde, c’était la haine. Feignant de se considérer comme le type de l’homme, il ne se donnait point la peine de dissimuler son véritable caractère, et choyait sans scrupule tous les mauvais desseins qui germaient en son cœur ; le seul précepte de l’Écriture auquel il fît attention était celui-ci : Connais-toi toi-même. Il se connaissait bien ; et aimant à s’imaginer que tous les mortels étaient jetés dans le même moule, il les détestait tous. Les plus fiers d’entre nous ont trop d’amour-propre pour se haïr ; mais, comme nous jugeons involontairement les autres par nous-mêmes, ceux qui raillent habituellement la nature humaine et affectent de la mépriser sont en général les plus vils et les plus méchants.

Mais occupons-nous de Ralph, qui regardait Newman Noggs d’un œil sévère, pendant que ce digne personnage ôtait ses gants sans doigts, les étalait avec soin sur la paume de sa main gauche, les polissait avec soin, et les roulait d’un air distrait et comme entièrement absorbé par cette intéressante occupation.

— Il a quitté Londres ! dit Ralph lentement. Vous vous trompez. — Pas du tout ; il est parti. — Est-ce qu’il est tombé en enfance ? — Je ne sais ; mais il est parti.

La répétition de ce mot parti semblait procurera Newman Noggs un plaisir proportionné à la peine qu’il causait à Ralph. Il s’y arrêta aussi longtemps qu’il pouvait le faire décemment ; et, après avoir cessé, se le répéta à lui-même comme si c’eût été encore une satisfaction.

— Et où a-t-il été ? dit Ralph. — En France ; le docteur le lui a ordonné, craignant une attaque d’érysipèle, et il est parti. — Et lord Frédéric ? — Il est parti aussi. — Et sir Mulberry emporte avec lui les coups qu’il a reçus ! il renonce à la peine du talion, il ne demande pas la moindre réparation ! — Il est trop malade ! — Trop malade ! mais je voudrais me venger, fussé-je au lit de mort. L’approche même de ma fin serait un nouveau motif d’agir sans délai… mais il est trop malade, le pauvre Mulberry !

En prononçant ces mots avec autant de mépris que d’emportement, Ralph fit signe à Newman de sortir, se jeta dans un fauteuil, et battit la terre du pied.

— Ce garçon est ensorcelé, dit Ralph en grinçant des dents. Tout conspire en sa faveur ! Qu’on parle donc des bienfaits de la fortune ! qu’est-ce que l’argent comparativement à un pareil bonheur ?

Il mit avec impatience ses mains dans ses poches ; mais, nonobstant la précédente réflexion, il y trouva de quoi se consoler, car sa figure s’éclaircit un peu, et, si ses sourcils demeurèrent froncés, ce fut l’effet du calcul, et non du désappointement.

— Ce Hawk reviendra cependant, murmura-t-il, et si je connais l’homme, sa rage n’aura rien perdu de sa violence. Obligé de vivre dans la retraite, de mener une existence monotone et contraire à ses habitudes, de s’abstenir de vin, de jeu, de tout ce qu’il aime, il n’oubliera point celui auquel il doit cette renonciation forcée aux plaisirs du monde.

Il sourit, appuya son menton sur sa main, rêva un moment, sourit encore, se leva et sonna.

— Ce M. Squeers est-il venu ? dit-il. — Il était ici hier au soir. Je l’y ai laissé en partant. — Je le sais, imbécile ! dit Ralph avec colère. Est-il venu depuis ? s’est-il présenté ici ce matin ? — Non, cria Newman sur une gamme très-élevée. — S’il vient pendant mon absence, faites-le attendre. Il sera sans doute ici vers les neuf heures du soir, et s’il y a un autre homme avec lui, ce qui arrivera… peut-être, faites-le attendre aussi. — Je les ferai attendre tous les deux ? — Oui ; aidez-moi à mettre mon pardessus, et ne répétez pas mes paroles comme un perroquet. — Je voudrais bien être un perroquet, dit Newman. — Que ne l’êtes-vous ! repartit Ralph en passant son pardessus, il y a longtemps que je vous aurais tordu le cou.

Newman ne répondit point à ce compliment ; mais en arrangeant le collet du pardessus, il regarda Ralph et parut fortement tenté de lui tirer les oreilles. Toutefois, ses yeux ayant rencontré ceux de Ralph, il modéra l’ardeur de ses doigts errants. Ralph lui lança un coup d’œil, lui recommanda de la vigilance, et sortit.

En relation avec des gens de toutes les classes, il fit des visites chez les riches comme chez les pauvres. Toutes avaient le même objet, l’argent. Sa figure était un talisman qui le faisait respecter des portiers et des domestiques de ses plus fastueux clients ; on s’empressait de l’admettre, lui qui allait à pied, tandis qu’on refusait la porte à des gens en équipage. Avec les grands, il était d’une douceur moelleuse et d’une civilité rampante : ses pas étaient si légers qu’ils produisaient, à peine un son sur les épais tapis ; sa voix était si faible, que celui auquel il s’adressait l’entendait seul. Mais chez les pauvres, Ralph était un autre homme ; il entrait hardiment en faisant craquer ses bottes, il demandait avec éclat et avec rudesse le montant des créances arriérées. Ses menaces étaient brutales et violentes. Ralph changeait, encore de caractère avec une autre classe de pratiques. C’étaient des avoués de réputation plus qu’équivoque, qui lui procuraient de nouvelles affaires, ou lui facilitaient de nouveaux bénéfices sur les anciennes. Avec eux, Ralph était jovial et familier ; il plaisantait sur les événements du jour, et notamment sûr les banqueroutes et les embarras pécuniaires dont son industrie profitait. Bref, il eût été difficile de reconnaître le même homme sous ces différents aspects, sans un portefeuille de cuir qu’il tirait de sa poche à chaque visite, et la répétition constante des mêmes plaintes diversifiées seulement par l’expression.

— Le monde me croit riche, disait-il sans cesse, et je le serais peut-être si tous mes fonds étaient réalisés. Mais une fois que l’argent est dehors, il n’y a pas moyen de le faire rentrer, et l’on a grand’peine à vivre, même au jour le jour.

Vers le soir, Ralph, après avoir pris un léger repas dans un restaurant, se mit en devoir de retourner chez lui. Les plis de son front, et son indifférence pour ce qui l’environnait, témoignaient des profonds desseins auxquels il songeait. Son abstraction était si complète, qu’en dépit de la vivacité ordinaire de son coup d’œil, il n’observa pas qu’il était suivi par une espèce de mendiant, qui tantôt se glissait sans bruit derrière lui, tantôt le précédait de quelques pas, ou se plaçait à son côté. Cet homme regardait Ralph d’un œil si perçant et avec tant d’attention, qu’il avait plutôt l’air d’une des figures étranges d’un rêve saisissant que d’un observateur ordinaire.

Le ciel s’était assombri, et le commencement d’un violent orage força Ralph à s’abriter sous un des arbres du parc de Saint-James. Il s’était appuyé contre le tronc, les bras croisés, et encore absorbé dans ses pensées, quand, levant les yeux par hasard, il rencontra tout à coup ceux de l’inconnu. Il y avait en ce moment sur la figure de l’usurier une expression dont l’étranger parut se souvenir ; car elle le décida à s’approcher et à appeler Ralph par son nom.

Un instant étonné, Ralph recula, et toisa l’individu de la tête aux pieds. C’était un homme à peu près du même âge que lui, maigre, flétri et courbé ; sa figure hâlée, sinistre, était encore rendue plus ingrate par un teint basané, des joues creuses et des sourcils épais, dont la couleur noire contrastait avec la blancheur de ses cheveux. Ses vêtements tombaient en lambeaux, et tout son extérieur indiquait une dégradation profonde. Ce fut tout ce que Ralph remarqua au premier abord ; mais peu à peu il distingua des traits qui lui étaient familiers, et il les reconnut pour ceux d’un homme avec lequel il avait été longtemps en relation, et qu’il avait oublié et perdu de vue depuis non moins longtemps.

L’homme s’aperçut que la reconnaissance était mutuelle, et fit signe à Ralph de reprendre place sous l’arbre et d’éviter la pluie, à laquelle, dans sa première surprise, il s’était involontairement exposé.

— Vous ne me reconnaîtriez guère à ma voix, monsieur Nickleby ? dit le mendiant d’un ton faible. — C’est vrai, reprit Ralph ; cependant je me la rappelle. — Je ne suis plus guère semblable à moi-même ; depuis huit ans je suis bien changé.

— Mais, oui, assez, dit Ralph avec insouciance et en détournant la face. — Si j’avais douté de votre identité, monsieur Nickleby, cet accueil et ces manières m’auraient promptement convaincu. — Vous attendiez-vous à une autre réception ? — Non. — Vous aviez raison ; pourquoi donc exprimer une surprise que vous n’éprouvez pas ?

L’homme parut lutter un moment contre l’envie de répondre à Ralph par des reproches. — Monsieur Nickleby, reprit-il, voulez-vous entendre quelques mots que j’ai à dire ? — Je suis obligé d’attendre que la pluie soit passée. Si vous parlez, Monsieur, je ne me boucherai pas les oreilles ; mais vos discours pourront n’être pas moins inutiles. — J’étais autrefois votre confident.

Ralph sourit involontairement.

— Du moins vous m’accordiez autant de confiance que vous en ayez jamais témoigné à qui que ce soit. — Ah ! c’est tout autre chose, reprit Ralph en croisant les bras. — Ne jouons pas sur les mots, monsieur Nickleby, au nom de l’humanité. — De quoi ? — De l’humanité, répéta l’homme avec énergie. J’ai faim, je suis dans la misère. Vous devez remarquer en moi, après une si longue absence, un changement dont je m’aperçois moi-même, moi qui l’ai senti venir lentement et par degrés. Si vous n’en êtes pas ému, apprenez que je manque de pain. Cette considération est-elle capable de vous toucher ? — Si c’est la forme habituelle dans laquelle vous mendiez, dit Ralph, vous avez bien étudié votre rôle ; mais, si vous voulez écouter les conseils d’un homme qui connaît un peu le monde, je vous recommanderai de prendre un ton moins élevé, ou vous courez la chance de périr d’inanition.

À ces mots, Ralph serra son poing droit avec sa main gauche, inclina la tête, appuya son menton contre sa poitrine, et contempla son interlocuteur avec un visage sombre et renfrogné. Tout indiquait en lui l’homme que rien ne peut émouvoir ni attendrir.

— Je ne suis à Londres que depuis hier, dit le vieillard jetant les yeux sur ses habits de voyage souillés de boue et sur sa chaussure usée. — Vous auriez mieux fait de n’y jamais venir, je crois. — Voilà deux jours que je vous cherche partout où j’avais des chances de vous trouver, et je commençais à désespérer de vous rencontrer.

Il paraissait attendre une réponse ; mais Ralph garda le silence.

— Je suis misérable et repoussé de tous ; j’ai près de soixante ans, et je suis sans asile et sans secours. — J’ai soixante ans aussi, répondit Ralph, et je ne suis ni sans secours ni sans asile. Travaillez, ne faites pas de discours dramatiques sur le pain qui vous manque, mais gagnez-le. — Comment ? où ? indiquez-m’en les moyens, donnez-les-moi ! — Je vous les ai donnés jadis, répliqua Ralph avec calme ; il est presque inutile de me demander si j’ai envie de recommencer. — Il y a vingt ans, vous vous le rappelez, dit le vieillard d’une voix étouffée, je vous réclamai une part dans les bénéfices d’une affaire que je vous avais procurée ; et, comme j’insistais, vous me fîtes arrêter pour un ancien prêt de dix livres, au taux de cinquante pour cent environ. — J’ai quelque idée du fait, dit Ralph avec insouciance ; eh bien ! après ? — Cette affaire ne nous brouilla pas, je me soumis, car j’étais sous les verrous, et comme vous n’étiez pas encore parvenu où vous en êtes, vous fûtes charmé de reprendre un commis qui n’était pas excessivement scrupuleux, et connaissait votre industrie. — Je cédai par bonté d’âme à vos supplications. Peut-être avais-je besoin de vous… je ne m’en souviens pas, je serais tenté de le croire ; car autrement vous m’auriez en vain sollicité ; vous étiez utile, peu honnête, peu délicat, mais utile enfin. — Oui, bien utile ! avant cet événement, vous m’aviez humilié et maltraité durant quelques années ; mais je vous avais servi fidèlement, malgré votre conduite brutale à mon égard. Est-ce vrai ?

Ralph ne répondit point.

— Est-ce vrai ? répéta l’homme. — Vous aviez fait votre besogne, vous aviez reçu vos gages ; nous étions quittes. — Oui, mais depuis nous avons cessé de l’être. — Nous ne l’étions même pas alors ; car vous me deviez de l’argent, et vous êtes encore mon débiteur.

— Ce n’est pas tout, dit le vieillard, ce n’est pas tout, écoutez-moi. Je gardais contre vous un profond ressentiment, et en partie pour me venger, en partie pour en tirer quelque jour de l’argent, je m’emparai d’un secret qui vous concerne. Ce secret, vous donneriez la moitié de votre fortune pour le connaître, et moi seul peux vous l’apprendre. Je vous quittai longtemps après ; je fus traduit en justice pour une bagatelle qui était du ressort des tribunaux, mais qui n’était rien comparativement aux friponneries que se permettent les prêteurs d’argent sans dépasser les limites de la légalité. Je fus condamné à sept années de déportation, et me voici de retour. Maintenant, monsieur Nickleby, quel secours voulez-vous m’accorder ? combien achetez-vous mon secret, pour m’expliquer clairement ? Mes prétentions ne sont pas monstrueuses, mais il faut que je vive, que je mange. L’argent est de votre côté, la faim et la soif du mien ; notre marché est facile à conclure.

L’humilité se mêlait étrangement dans ces paroles du vieillard avec le sentiment de sa puissance. Les regards de Ralph demeurèrent impassibles, et il ne remua que les lèvres pour demander :

— Est-ce là tout ? — Ce sera tout si vous le voulez ; cela dépend de vous. — Eh bien donc ! écoutez-moi, Monsieur… Comment dois-je vous appeler ? — Je n’ai pas changé de nom. — Écoutez-moi donc, monsieur Brooker, et n’attendez pas de moi d’autre réponse que celle que je vais vous faire. Je vous connais depuis longtemps pour un fripon déterminé, mais vous n’avez jamais eu d’énergie. Les fatigues d’un rude travail, les fers que vous avez portés, une nourriture moins substantielle que celle que vous aviez au temps où je vous maltraitais, ont affaibli vos facultés intellectuelles ; autrement vous ne viendriez pas me conter une pareille histoire. Vous êtes maître d’un secret qui me concerne, gardez-le ou publiez-le, à votre choix. — À quoi bon ? interrompit Brooker ; je n’y gagnerai rien. — Vous y gagnerez autant qu’à me l’apporter, je vous le promets. Parlons franchement ; mes affaires sont en règle : je connais le monde, et le monde me connaît. Ce que vous avez vu ou entendu, quand vous étiez à mon service, le monde en est instruit et l’amplifie déjà. Vos prétendues révélations ne le surprendraient point, à moins qu’elles ne fussent en ma faveur, et dans ce cas il vous accuserait de mensonge ; cependant, les affaires ne me manquent point, et les clients ne sont point difficiles, au contraire. Tous les jours, je suis menacé ou insulté par quelqu’un ; mais je vais toujours mon train, et n’en suis pas plus pauvre. — Je n’insulte ni ne menace, reprit Brooker. Je puis vous faire connaître ce que vous avez perdu par mon fait, ce que moi seul suis à même de vous rendre, ce que vous ne retrouverez jamais, si je meurs sans vous le rendre. — Je vous dis que mes affaires sont en règle, et mon argent soigneusement serré. Je surveille de près les personnes avec lesquelles je trafique, et je vous ai surveillé de plus près que tous les autres ; et si vous m’avez pris quelque chose, je vous autorise à le garder. — Ceux de votre sang vous sont-ils chers ? dit Brooker en accentuant ses paroles ; s’ils le sont… — Ils ne le sont pas ! s’écria Ralph exaspéré de cette persévérance, et chez lequel cette dernière question avait réveillé l’idée de Nicolas. Si vous vous étiez présenté à moi comme un mendiant ordinaire, j’aurais pu vous jeter quelques sous en mémoire de votre qualité d’habile fripon ; mais puisque vous essayez de me rendre la dupe de vos intentions, je ne vous donnerai pas un liard ; et, rappelez-vous, échappé des galères, que si nous nous rencontrons encore, si vous osez vous permettre de me demander l’aumône, ne fût-ce que du geste, vous renouerez connaissance avec la prison, et vous réfléchirez à votre secret dans les intervalles de repos que vous laissera le système pénitentiaire. Voilà ma réponse ; méditez-la.

Après avoir lancé un coup d’œil de dédain à l’objet de sa colère, Ralph s’éloigna sans presser le pas, sans retourner la tête, sans témoigner la moindre curiosité de savoir ce que deviendrait son compagnon. Celui-ci ne répondit pas un mot, suivit des yeux Ralph Nickleby jusqu’à ce qu’il l’eut perdu de vue, ramena ses vêtements sur sa poitrine, comme pour chasser le froid que lui causaient la faim et la pluie, et alla implorer la pitié des passants.

Ralph sortit du parc, et voyant à sa montre que l’heure était avancée, il se rendit chez lui en toute hâte.

— Sont-ils ici ?

Newman fit un signe affirmatif.

— Depuis une demi-heure. — Ils sont deux, dont un très-gras ? — Oui, dans votre chambre. — Bien ; allez-moi chercher un fiacre. — Un fiacre ! quoi vous… eh ? balbutia Newman.

Il avait lieu de s’étonner d’un ordre aussi extraordinaire ; car il n’avait jamais vu Ralph en fiacre. Cependant il exécuta la commission.

M. Squeers, Ralph, et le troisième personnage, que Newman Noggs n’avait jamais vu, entrèrent dans la voiture. Newman s’arrêta à la porte pour les voir partir, sans s’inquiéter de leur destination ; mais il entendit par hasard Ralph donner au cocher l’adresse de l’endroit où il devait les mener.

Plein d’étonnement, Newman s’élança dans son bureau avec la rapidité de l’éclair, saisit son chapeau, et courut après le fiacre, dans l’intention de monter derrière. Mais la voiture avait trop d’avance pour qu’il lui fût possible de la rattraper, et il fut obligé de s’arrêter pour reprendre haleine.

— Au fait, se dit-il, à quoi bon courir ? il me verrait. Pourquoi va-t-il là ? Si je l’avais su hier seulement ! Il se trame quelque méchanceté, j’en suis sûr.

Il fut interrompu dans ces réflexions par un homme à cheveux gris, d’un extérieur singulier, mais peu prévenant. Cet homme lui demanda l’aumône, le suivit, et lui fit un tableau pathétique de sa misère. Newman, qui n’avait pas grand’chose à donner, finit par chercher dans son chapeau les sous qu’il y enserrait habituellement dans un coin de son mouchoir de poche.

Pendant qu’il en dénouait le nœud avec ses dents, son attention fut attirée par quelques mots que l’homme prononça. Ces mots, quels qu’ils fussent, en amenèrent d’autres, et enfin le mendiant et Newman marchèrent côte à côte, l’un parlant avec chaleur, l’autre écoutant avec surprise.