Normandie, Poitou et Canada français/04

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IV

LÉGENDE DU CHEF
DE SAINT JEAN-BAPTISTE


Châtelaillon, aujourd’hui petite ville, mais très prospère station balnéaire de la Charente-Inférieure, fut capitale de l’Aunis et place-forte très puissante avant la fondation de La Rochelle. Quelques historiens qualifient même de principauté ce gouvernement féodal minuscule.

Son premier seigneur dont l’histoire fasse mention fut Isambert. Dans un précis historique sur Châtelaillon, un chroniqueur, H. d’Aussy, a écrit ce qui suit[1] :

« Un fait bien remarquable dans l’histoire de Saintonge vint mettre en évidence la prépondérance de ce seigneur sur tous les châtelains de la contrée : le bruit se répandit que la tête de St-Jean-Baptiste qu’on prétendait avoir été apportée précédemment au monastère d’Angery, fondé en 837 par Pépin, duc d’Aquitaine, venait d’être retrouvée par Alduin, abbé du monastère, en 1018 (MM. Merville et Massiou placent cet événement en 1010). Voici la relation de Maichin sur ce fait auquel on attachait la plus haute importance au XIe siècle : « On raconte que Guillaume IV, dit Fierabras, comte de Poitou et de Guyenne, passa les Alpes pour faire ses oraisons à Rome, environ la feste de Pâques de cette année 1018 : que pendant son absence Alduyn abbé de Saint-Jean-d’Angély, trouva une teste humaine dans une closture de pierre taillée en forme de pyramide ; que c’était le Chef de St Jean-Baptiste, suivant l’opinion de ce bon abbé, et que le comte Guillaume ayant appris cette nouvelle, à son retour de Rome, en fut merveilleusement joyeux. »

« Je n’entreprendrai de soutenir ici une controverse sur un sujet aussi délicat ; je dois me borner à affirmer qu’aucun doute ne s’éleva alors sur la réalité de cette précieuse relique, et Robert, roi de France, la reine Constance, le roi de Navarre, le duc de Normandie, le comte de Champagne, et une foule de seigneurs et de chevaliers de France, d’Espagne, d’Italie, de Lorraine et de Germanie s’empressèrent de se rendre à l’abbaye d’Angery présenter leurs hommages et faire leurs offrandes au chef de St Jean-Baptiste.

« Le bourg d’Angery reçut une extension considérable par suite du séjour de tant d’illustres visiteurs et des escortes qui les accompagnaient. Parmi les noms des seigneurs mentionnés dans les anciennes chroniques, on trouve celui d’Isambert, seigneur de Châtelaillon et on ajoute que ce personnage de distinction avait un nombreux cortège de barons, lorsqu’il vint honorer la sainte relique. »

D’après l’historien Joseph Guérinière[2], consulté sur la découverte de cette tête humaine, « sur laquelle le temps n’avait point encore porté ses empreintes ». Alduin, abbé du lieu, répondit qu’elle était celle de St-Jean, le précurseur de Jésus. Il fait connaître que le roi Robert, venu avec sa femme déposer le tribut de son respect, fit don au monastère d’un vase précieux tout enrichi d’or et que, « lorsqu’il s’en retourna en France, il fut reçu avec grand honneur dans la cité de Poitiers par le duc Wilhem ».

Commentant l’événement qui, déclare-t-il, eût un retentissement considérable dans toute la chrétienté, un autre historien, François de Vaux de Foletier[3] prétend que la tête aurait été retrouvée dans les ruines de l’ancienne église, détruite par les Normands, où elle était conservée dans une boîte de pierre en forme de pyramide. Le comte-duc Guillaume l’aurait fait placer dans un reliquaire d’argent massif pour qu’elle fût exposée à la vénération des fidèles qui se pressèrent en immenses pèlerinages. L’historien ajoute que, quelques sceptiques ayant mis en doute « l’identité du chef du Précurseur, une commission d’évêques, réunie à la demande du duc Guillaume émet l’avis qu’il est authentique. Aussi, les dons affluent (on admire celui du roi Robert, une conque d’or pur de trente livres). »

Il ne semble pas que soient nombreux les Canadiens ayant connaissance de cette légende du Chef de Saint Jean-Baptiste, laquelle valut une telle notoriété au XIe siècle à ce coin de la Saintonge qui est pour un si grand nombre d’entre eux terre ancestrale.

Selon le Guide Joanne[4], St Jean-d’Angély s’est formée autour d’une abbaye de Bénédictins, dans la vaste forêt d’Angély, ou Angery, dont l’abbaye et la ville prirent le nom. Bâtie sur les bords de la rivière la Boutonne, ayant une population de moins de 8,000 âmes (en 1920), cette petite ville est une sous-préfecture du département de la Charente-Inférieure ou Maritime.

Quant à l’abbaye fameuse autour de laquelle s’éleva la ville, elle a une longue histoire à raconter, histoire captivante et mouvementée.

Enfin, pour ce qui est de la tête du patron des Canadiens-français, décapité, vers l’an 31 de notre ère, à la demande d’Hérodiade, femme d’Hérode Antipas, et à laquelle cette tête fut présentée sur un plateau, l’honneur de la posséder fut revendiqué par plusieurs villes et par plusieurs pays, d’après les Acta Sanctorum, l’ouvrage célèbre des Bollandistes.


  1. Précis historique sur Châtelaillon, par H. d’Aussy, membre correspondant de plusieurs Académies et sociétés savantes.
  2. Joseph Guérinière, Histoire générale du Poitou.
  3. François de Vaux de Foletier, archiviste de la Charente Inférieure, Histoire d’Aunis et de Saintonge.
  4. Guide Joanne, Bords de la Loire et Sud-Ouest.