Nos travers/Le célibat

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C.O. Beauchemin & Fils (p. 44-48).

LE CÉLIBAT

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On devrait peut-être excuser l’erreur des célibataires, considérant que, selon le mot de saint François de Sales, ils font à coup sûr des heureuses — celles qu’ils n’épousent pas… et cependant, le mal que ces oisifs du cœur se font à eux-mêmes et à la société est trop considérable pour qu’on les absolve de s’éloigner systématiquement de la ligne droite, c’est-à-dire du « saint état. »

Le mariage ne s’appelle ainsi que pour insinuer, de par la logique des antithèses, que le célibat est le contraire. Cette dénomination est un blâme implicite pour ceux qui ont adopté la voie détournée.

Puisque l’on a inventé la loi des cent acres, il est évident que notre jeune pays n’a pas encore les moyens de tolérer dans son sein, une classe d’individus absolument inutile — économiquement parlant.

Si nos législateurs sont conséquents, ils se souviendront, pour y conformer leurs édits à venir, que l’Évangile voue aux flammes certains arbres ne servant qu’à l’ornement.

Nous n’allons pas jusqu’à demander l’extermination en bloc d’un groupe intéressant et perfectible. Pour citer de nouveau la Bible, nous ne voulons pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse.

On pourrait à tout le moins, pour accélérer cette conversion, lui rendre en attendant la vie dure en le grevant, par exemple, d’une taxe onéreuse conformément à l’avis de Platon célibataire lui-même, mais timoré, ou en l’excluant de toute charge, de tout honneur public comme cela se pratiquait dans les âges reculés, au temps des civilisations idéales.

Commençons cependant par user de raisonnement.

La grande raison des révoltés de la loi naturelle, ou plutôt leur prétexte pour s’affranchir des liens du mariage, c’est leur liberté.

Ils la chérissent de toute la force de leur égoïsme, lui sacrifient gaîment leur avenir et ne s’avisent pas qu’ils adorent une chimère, qu’ils embrassent un mythe.

Quelques-uns mettent une sorte d’honnêteté à ne se vouloir pas lier parce qu’ils se méfient de leur constance et que la tranquille stabilité de l’état conjugal effarouche leur vieux papillon de cœur ; ils le voient par avance, s’ébattant éperduement dans un espace circonscrit, dans un ciel tout bleu, trop pur, trop serein… Le vertige leur en prend !

L’idée de rentrer toujours à la même heure dans la même maison, de trouver inévitablement l’invariable compagne que leur imagination énervée leur représente coiffée en bandeaux ; la perspective du baiser sur son chaste front, de l’éternelle tête-à-tête, des dîners paisibles, des promenades oisives, mesurées sur un petit pas calme sans autre but que la rentrée chez soi avec cette personne convenable accrochée au bras, tout, jusqu’à cet air de mari domestiqué, fait au joug ; l’impossibilité même de secouer ce joug ni de l’essayer seulement sans provoquer les fameuses scènes — épouvantail vaguement entrevu dans la vie des amis mariés — ; tout cela avec la pensée survenant en dernier lieu, comme pour combler la mesure, des enfants braillards qu’il faut bercer, promener, traîner en voyage, les affole littéralement et leur fait rejeter bien loin toute velléité de réforme.

Combien plus douce leur semble la tyrannie de leurs chères habitudes.

Sans appuyer sur leur éclectisme en fait de relations — au sujet desquelles d’ailleurs, quelque sévère que l’on puisse être, on ne dira jamais tout le mal qu’ils en pensent eux-mêmes — je voudrais bien savoir ce qu’ils trouvent de particulièrement exquis dans ce brouhaha d’une existence indisciplinée.

N’avoir aucun but, aucun intérêt supérieur, ne rien ambitionner que d’user violemment de la vie au lieu d’en user utilement : fumer, boire à satiété, courir à tous les plaisirs avec une ardeur que rien ne lasse, gaspiller son cœur et ses facultés en mille occasions indignes ; arriver à la quarantaine, fourbu, enfin désenchanté, aspirant au calme, jalousant ces benêts de maris qu’on aime et qu’on choie ; endurer solitairement sa goutte avec toutes les autres peines afflictives, suite d’une vie sans règle ; traîner peut-être quelques années sa carcasse hémiplégique et finir dans la compagnie d’une ménagère hargneuse les tristes restes d’une existence vide… Quel sort digne d’envie !

Pour avoir choisi la voie fleurie des plaisirs faciles, pour s’être écartés de celle des devoirs sérieux et des responsabilités, les vieux garçons n’échappent pas à l’inflexible loi des compensations. Car il est constant ; que le bonheur est le prix des efforts énergiques de la volonté.

Les succès et la paix absolue sont aux laborieux. Il est avéré qu’en ce monde, seule la semence du sacrifice donne la récolte des meilleures récompenses et des joies les plus pures.

Cette vérité est manifestement démontrée par la vie paisible qui couronne les rudes combats des chefs de famille pour conquérir péniblement, et pièce à pièce les éléments de ce bonheur stable.

Quelquefois, en vertu de je ne sais quel miséricordieux retour, les traînards du conjungo profitant d’un dernier rayon de jeunesse et reconnaissant tardivement leur erreur au moment de franchir la barrière de l’irrémédiable, se hâteront en un effort suprême de joindre l’armée régulière.

Il ne manque pas de blanches et pures épousées pour mettre avec une tendre émotion et une absolue confiance leur petite main tremblante dans leur patte velue.

Sont-ils dignes d’une telle faveur et surtout de cette divine joie des pères d’avoir suspendus au cou, accrochés aux bras ou à cheval sur leur pied, de frais chérubins dont la chair sent la crème et les roses ?

Ont-ils mérité d’avoir pour les chérir et les respecter fanatiquement, ces belles filles qu’on leur envie et qui peuplent de rayons la misère de leurs derniers jours ?

Qu’ils répondent. Dans la note attendrie, dans le pieux ravissement de leur reconnaissance je crois voir un indice certain de leur profonde et légitime humilité.

Ne semble-t-il pas qu’il serait juste que cette espèce d’époux fût réservée exclusivement aux femmes ayant déjà été mariées ? De cette façon personne ne serait dupé. Cette précaution est au surplus toute indiquée par le mot de saint Jérôme aux veuves trop consolables.

— « Prenez un mari plutôt que le diable. »

Mais l’exemple des camarades convertis a-t-il au moins pour effet d’amener les autres à résipiscence ?

Trop souvent, ce courage des résolutions fortes leur manque comme à tous ceux que l’habitude de l’âpre devoir n’a pas aguerris.

Qui nous délivrera donc de ce fléau des familles, de ce brandon de discorde pour les ménages unis, de ce serpent tentateur des maris bien intentionnés ?

C’est affaire aux législateurs de supprimer les dangers publics. Au cas où ils useraient envers celui-ci de la pire sévérité, je crois que personne ne s’élèverait pour les en blâmer, si ce n’est, peut-être, une intime minorité de gens pour lesquels les célibataires sont des oncles à héritages.

Périssent alors les collatéraux au bénéfice du plus grand nombre !

N. B. — Au galant célibataire qui dans sa réponse à mon plaidoyer contre sa confrérie, trouve de si mauvaises raisons pour expliquer son endurcissement, je demanderai de lire les réfutateurs de la doctrine Malthusienne. Ils lui démontreront qu’en se mariant en dépit de la maigreur de la dot, de l’avarice des pères riches, des menaces de l’avenir, on force la main à Dame Fortune. Une grande famille n’est pas un inconvénient : plus il y a de mains pour tirer sur la queue du diable, plus tôt elle cède.

« Dans un grenier qu’on est bien à vingt ans », répète-t-il après Béranger. Eh bien voilà. Il faut se marier à vingt ans. À la mode canadienne, quoi !

C’est le bel âge pour se moquer des papas rébarbatifs, C’est surtout le moyen d’économiser pour le bon motif et d’utiliser les forces, les ressources prodigieuses dont on dispose à cette époque de la vie.

J’en tiens donc toujours pour les mesures oppressives et coercitives. Pas les lyncher, par exemple. Ah non ! c’est trop radical et puis, ils poseraient aux Saints-Innocents… Voyez l’anomalie !