Nos travers/M. Jules Simon et la femme

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C.O. Beauchemin & Fils (p. 206-208).

M. JULES SIMON ET LA FEMME MODERNE

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Un siècle a les femmes qu’il mérite. On a assez souvent ressassé ce paradoxe qui donne à la force ou à l’influence des événements une part de responsabilité trop grande.

Les femmes — elles l’ont plus d’une fois prouvé dans l’histoire — ne sont pas autant les jouets des circonstances que cet axiome veut le faire croire.

Elles ont, au contraire, assez de force morale pour réagir contre elles, pour les dominer si la nécessité s’en fait sentir, et devenir ainsi la cause d’un ordre de choses au lieu d’en être l’effet.

Qu’on médise donc de la femme si l’on veut — elle tolère d’assez bonne grâce ce petit schisme inoffensif chez ses adorateurs — mais qu’on ne lui enlève pas son libre arbitre, pour la représenter comme un instrument inconscient, une sorte de fléau servant à punir les siècles qui ne sont pas sages.

Si M. Jules Simon croit à l’infaillibilité de cet apophtegme impie il doit tenir en médiocre estime le xixe siècle dont la femme ne répond pas à son idéal.

Nous comparant à nos grand’mères, il dit :

« Nos aïeules, poussaient la prudence jusqu’à la pruderie, et nos contemporaines poussent la bravoure jusqu’à la témérité…

« Elles exerçaient alors par leur sévérité une influence qu’elles ont un peu perdue par leurs concessions, et c’est, peut-être nous, plus qu’elles-mêmes, qui avons à le déplorer. »

Cette alarme n’est pas vaine. Rien de bon ne saurait résulter, même et surtout, pour ceux qui croient en bénéficier, de la facilité de mœurs des temps modernes.

L’inquiétude qui se fait jour dans les paroles du moraliste et jette une lumière nouvelle sur les conséquences d’un commerce peu austère mais charmant est un avertissement pour quiconque n’en considérait que les avantages.

« Après le bonheur de croire le bonheur d’admirer est le plus grand, » ajoute-t-il.

Or, quand la femme descend du piédestal où l’a mise l’admiration et le respect masculins, quand elle déserte le temple vénéré que lui ont élevé ses dévots pour se mêler à la foule, elle crée la confusion des rôles, efface toute distinction et détruit elle-même son empire.

Elle ruine le bonheur d’admirer dans le cœur de l’homme, qui lui en garde une rancune inconsciente. Tout naturellement porté qu’il est vers l’idole déchue il ne lui pardonne pas de s’être dérobée à la piété de ses hommages, au culte qu’il lui avait voué et dont quelques rites résistent encore, à l’envahissement du scepticisme.

Par suite de ce malaise la prudence masculine se réveille et il se trouve un homme pour conclure ainsi ses graves remarques sur le revers des privilèges du siècle :

« Je dis aux femmes comme aux généraux : Défendez les avant-postes. D’abord, c’est plus sûr et ensuite c’est plus joli. »

Et encore : « C’est très beau d’être sûre de soi. On en sera encore plus sûre si l’on fait comme si on ne l’était pas… « C’est ce qu’entendaient nos chères aïeules quand elles disaient. — Ne jouez pas avec le feu ! »

J’ose me permettre d’ajouter ce que le savant philosophe aurait peut-être dit s’il y avait pensé ou ce qu’il a pu penser sans le dire :

Il n’y a qu’une sentinelle capable de surveiller les avant-postes, d’avertir à temps du danger, de l’approche de l’ennemi : c’est la religion.

Cette prudente régulatrice des mœurs prévoit seule par quelles secrètes issues peuvent se faufiler les mauvaises inspirations et, seule, sait étouffer le mal dans son germe.

De fait, une bonne chrétienne intelligente réaliserait à coup sûr l’idéal que se fait de la femme accomplie, M. Jules Simon.