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Notes d’un condamné politique de 1838/29

La bibliothèque libre.
Librairie Saint-Joseph (p. 236-238).


XXIX

LE TOIT PATERNEL.


Lecteur de mes notes, mettez-vous à ma place ; imaginez que c’est vous qui vous tenez debout sur ce seuil, dans l’attente, et vous comprendrez ce qui devait se passer en moi.

Je n’attendis pas longtemps, je vous assure, et je n’eus pas la peine de répéter deux fois les mots : — « C’est moi ! » adressés à mes parents ; car ils se précipitaient vers la porte :

— C’est Xavier ! criait ma mère, c’est Xavier !

— C’est lui, répétait mon père, c’est lui !

— C’est lui, c’est Xavier ! redisait tout le monde dans la maison.

Mes tendres parents se jetèrent à mon cou, en disant : — Oui, oui, c’est notre cher enfant !

Le premier moment d’effusion passé, je me mis à genoux devant mon père et lui demandai sa bénédiction, qu’il m’accorda avec tendresse ; puis, tous, nous remerciâmes le Bon Dieu de mon heureux retour.

C’était le matin du 14 septembre 1846.

Ah ! je retrouvai bien, à mon retour au pays, les mœurs canadiennes, les douces et bonnes mœurs de nos aïeux. Aussi terminerai-je ces notes par un trait qui peint parfaitement la vie paroissiale de nos campagnes, laquelle offrait en ce moment pour moi un si frappant et si consolant contraste avec les habitudes des populations avec lesquelles je m’étais trouvé en contact depuis huit années ; trait qui réduit en action ce sentiment de bon voisinage, qui fait que ceux que la Providence a appelés à vivre près les uns des autres, sur le même coin de terre, se regardent comme les membres d’une même famille, selon ce que dit le vieil adage canadien : « Qu’est-ce qu’on a de plus cher après ses parents, si ce n’est son voisin. »

Je n’étais pas présent dans les maisons du voisinage ; mais je sais si bien ce qui s’y est passé que je suis certain de le raconter exactement.

Les vieux, qui, comme on sait, se lèvent souvent la nuit chez les cultivateurs pour fumer leur pipe à la porte du poële, les vieux, dans les maisons voisines de celle de mon père, en apercevant le mouvement des lumières chez nous, à cette heure, et sachant que j’étais attendu de moment en moment, s’étaient dit :

— Tiens, Xavier Prieur est de retour de l’exil ! Voilà donc des gens heureux !

Puis les vieux avaient réveillé les garçons donataires et les brus, en leur disant :

— Dites donc, il faut que Xavier soit arrivé, il n’y a pas beaucoup de temps, c’est un va-et-vient de chandelles chez les Prieur.

Et tout le monde s’était levé à plusieurs arpents à la ronde.

— Faut aller le voir, disaient les hommes, en laissant leur lit et en s’habillant.

— Ça pourrait peut-être les déranger, répliquaient avec hésitation les femmes.

— Par exemple, est-ce qu’on dérange des voisins et des amis, quand on va se réjouir avec eux sur le retour d’un enfant absent depuis tant d’années ? Allons donc.

On partit donc ; et on frappait aux fenêtres sur la route, en criant :

— Xavier Prieur est arrivé ! Est-ce que vous ne venez pas le voir, vous autres ? de crainte que les occupants ne fussent pas au fait de la nouvelle.

Une demi-heure après le moment où j’avais franchi le seuil paternel, un grand nombre de voisins étaient réunis chez mon père : peu d’instants après, arrivaient les bonnes voisines, timides et frileuses, la tête et les épaules enveloppées de leurs grands châles de laine.

Je serrai avec effusion la main à tout ce brave monde d’amis ; et, tous ensemble, nous tînmes conversation jusqu’à cinq heures du matin.

— C’est rien que le commencement de ce que vous avez à nous conter, me dirent alors nos voisins, mais le reste sera pour une autre fois ; car vous avez besoin de repos.

J’embrassai de nouveau mes parents ; et, en me retirant dans le cabinet où mon lit était préparé depuis plusieurs jours, je me dis avec un sentiment de bonheur indescriptible :

— Oui, me voilà tout de bon revenu d’Australie !

C’est bien ici mon Canada, ma paroisse natale ; j’y retrouve mes parents, les amis de mon enfance et de ma jeunesse. Ô Dieu plein de bonté, soyez béni !