Notes et impressions d’une parisienne/Avant-propos

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AVANT-PROPOS




Un contemporain, M. Louis Dimier, a écrit : « Le journaliste, on ne le lit qu’une fois, et sa parole, quoique écrite, n’en est pas moins éphémère que celle de l’orateur. »

C’est peu consolant pour ceux qui, tous les jours, jettent au public, parfois indifférent, des centaines de feuillets sur les événements qui se déroulent, sur les hommes qui passent, sur les mille et un actes de cette comédie parisienne qui se joue du matin au soir. L’auteur de ces quelques « Notes et Souvenirs » ne saurait avoir la prétention d’échapper à la règle commune et sauver de l’oubli ces lignes rapides où elle a noté au passage quelques-unes des émotions éprouvées au fil des jours.

Un peu par hasard, beaucoup par goût, l’auteur fut journaliste à un moment où il y avait quelque singularité à s’exercer dans un métier accaparé jusqu’ici par les hommes seuls. Mme Marguerite Durand avait fondé la Fronde, le premier journal quotidien de femmes, où toute la rédaction, l’administration et la composition étaient uniquement assurées par des femmes. La tentative était hardie ; elle n’était point banale, et on peut dire aujourd’hui que, dirigée avec un véritable talent d’organisatrice, elle réussit assez pour montrer qu’avec un peu de persévérance le succès aurait prolongé une œuvre qui dura près de dix ans.

Pendant cette période, délaissant le roman, qui est l’Histoire inventée, l’auteur ne passa pas une journée sans écrire un article sur un des incidents, grands et petits, de la vie de Paris ; elle assista à bien des drames, à bien des mouvements de la rue, à des fêtes brillantes, à des scènes navrantes, à des joies de la foule, à de nombreuses douleurs privées, et elle a rendu compte de toutes ces émotions diverses, notant au passage les mille aspects de Paris, changeants et divers.

Quand la Fronde eut disparu, la femme-journaliste chercha à conserver une place modeste mais à laquelle elle tenait, au Figaro d’abord, puis au Gil-Blas, de MM. Ollendorff et Périvier, et à l’Indépendance belge enfin, où elle est demeurée depuis, fière d’une hospitalité dans un des grands journaux internationaux qui portent la langue et les idées françaises aux quatre coins du monde.

Femme-journaliste !… cela étonne peut-être, et pour beaucoup cela détonne. Pourquoi ?… Une profession qui a été illustrée par Mmes de Girardin, Clémence Royer et Séverine, par Mme Mathilde Serao en Italie, Mme Pardo-Bazoan en Espagne et Mme Crawfort en Angleterre, pour ne citer que celles-là, peut tenter une plus modeste qui croit sincèrement qu’on peut imposer le respect que toute femme a le droit de revendiquer tout en écrivant au jour le jour, en restant une mère de famille et en se souvenant que Mme de Sévigné conseillait de ne négliger aucun des soins de la maison, depuis le ravaudage des chausses jusqu’à la confection des mets appréciés par le mari, et la célèbre épistolière donnait l’exemple. Une exception ?… Ma foi non, elles sont nombreuses, bien plus qu’on ne le croit, celles qui, sans tapage, sans bruit, accomplissent ainsi leur besogne quotidienne, ne délaissant aucun de leurs devoirs du foyer. Ce n’est pas toujours facile, j’en conviens ; le principal, c’est que cela soit possible. À une époque où nous avons des femmes qui se distinguent dans le commerce, qui sont des prix de Rome, avocates, médecins, pourquoi n’y aurait-il pas des femmes journalistes ? Nous sommes plusieurs, dans les syndicats de presse[1]. En province, il en est qui sont les meilleures et les plus utiles collaboratrices de leur mari.

Tout cela est bien, mais pourquoi avoir voulu fixer quelques-uns de ces feuillets que l’actualité a vus naître et que le vent de l’oubli doit emporter ?… Est-ce par orgueil ? Certes non, mais il a paru à quelques-uns que ces impressions hâtives d’une femme en face des événements qui ne sont plus pouvaient encore intéresser ceux qui veulent comparer les jugements des uns et des autres, et l’auteur s’est laissé convaincre — trop facilement peut-être.

M.-L. N.
Paris, le 2 juillet 1914.
  1. L’auteur a eu la satisfaction, dont elle est flattée, d’avoir été accueillie dans tous les grands syndicats de presse : 1° Journalistes parisiens ; 2° Association professionnelle des Journalistes républicains ; 3° Syndicat des Secrétaires de rédaction ; 4° Syndicat de la Presse républicaine départementale ; 5° Syndicat général de la Presse française.