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Notes sur l’éducation publique/Chapitre XII

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Librairie Hachette (p. 198-216).

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l’éducation physique au xxe siècle

Entre gens qui se disputent une proie, la paix peut se rétablir de différentes façons : en premier lieu, si l’un des adversaires accepte sa défaite et se retire bénévolement ; en second lieu, s’ils se mettent d’accord et s’unissent pour jouir ensemble de ce qui fit l’objet de leur litige ; en troisième lieu, s’ils se le partagent, chacun renonçant à disputer à l’autre la part qui lui est attribuée.

C’est évidemment de cette troisième façon que se réglera la question de l’éducation physique au xxe siècle. On ne saurait l’éluder ; elle s’impose avec une force de plus en plus grande à l’attention de tous. La société s’aperçoit que là seulement résident certains remèdes, vainement cherchés ailleurs. Le corps humain, dans son ensemble — cerveau, muscles, sang, hérédité — occupe dans la civilisation moderne une place trop centrale, constitue un rouage trop important pour qu’on puisse se désintéresser désormais de sa constitution et de son fonctionnement.

Il n’en fut pas toujours ainsi. Jusqu’à présent, penseurs, soldats, ouvriers avaient plus ou moins vécu à part les uns des autres ; il y avait une tendance à favoriser le développement animal de l’individu, dans le sens du métier, du rang social, des dispositions naturelles. La tendance est aujourd’hui vers la culture totale. Ce n’est pas seulement la démocratie qui veut cela, c’est surtout la transformation du travail, le caractère industriel de l’époque, la toute-puissante déesse Activité qui règne déjà sans conteste. Pour la servir comme elle veut être servie, le penseur doit avoir de bons muscles et l’ouvrier, un cerveau bien lesté. Voilà pourquoi l’éducation physique dominera de plus en plus les préoccupations des peuples, et pourquoi son rôle va grandir inévitablement. Mais dans quel sens le mouvement se dessinera-t-il ? Trois écoles en revendiquent la direction ; nous venons d’examiner leurs titres respectifs, qui sont sérieux. Voudrait-on d’ailleurs éliminer l’une d’entre elles qu’on n’y parviendrait pas, tant les circonstances s’annoncent favorables à leur développement simultané. D’autre part, il paraît inutile de chercher à les faire fusionner, tant elles diffèrent d’esprit et de procédés.

Le sport est grandement aidé dans ses progrès par l’intense émulation qui résulte, à la fois, de la démocratie et de l’internationalisme. La chose est assez curieuse, car on reproche parfois au sport ses tendances aristocratiques et nationalistes. La vérité est que l’aristocratie sportive dépend des seules qualités de l’individu ; ce ne sont ni votre noblesse ni votre fortune qui vous rendront capable de gagner une course ou de triompher dans un concours. De là vient que la démocratie est propice au sport ; elle lui fournit une base très large et des ressources inépuisables pour le recrutement de ses adeptes. Et quant au nationalisme sportif, il est avivé, certes, par la multiplication des rencontres internationales. L’émulation qui naît d’un match de foot-ball entre Anglais et Français, d’une course à l’aviron entre Belges et Espagnols est évidemment d’un autre ordre et d’une autre nature que celle qui naît d’un simple match ou d’une simple course, entre équipes de même nationalité. Mais ce nationalisme ne saurait cesser d’être pacifique, car l’esprit chevaleresque, la courtoisie, la bonne humeur, la bonne camaraderie sont l’essence même de ces rencontres et la condition première de leur succès.

Donc, le fait que le sport a pris racine aujourd’hui parmi les démocraties latine, germanique, scandinave et anglo-saxonne suffirait à assurer son avenir : mais il y a plus. Les inventions modernes — celles de la bicyclette, du motocycle, du banc à coulisses pour les bateaux, les perfectionnements apportés dans la fabrication des armes, des appareils et engins de toutes sortes servant aux exercices physiques, tout cela contribue à rendre le sport plus attrayant, plus varié. En même temps, il confine à la vie pratique ; certains sports ont un caractère directement utilitaire et économisent le temps et l’argent de ceux qui s’y livrent. Enfin, la réclame provenant tant de la presse que de l’industrie sportives, agit comme une suggestion et cette action est puissante, parce qu’elle est quotidienne. En dernier lieu, il y a ce fait que le sport fournit des facilités de tous genres pour alterner le travail sédentaire et cérébral avec l’exercice : un « turnverein » ne peut se réunir qu’à date fixe et la réunion prend du temps, plusieurs heures au moins ; votre bicyclette, votre bateau, si vous avez une rivière à portée, votre salle d’armes, votre boxing bag, tous ces appareils ingénieux qui mettent le sport sous votre main, pour ainsi dire, donnent des satisfactions bien plus rapides, sinon plus complètes.

Si nous envisageons maintenant le point de vue militaire, nous voyons que les circonstances ne lui sont pas moins favorables qu’au point de vue sportif. Que les armées des puissances demeurent sur le pied actuel ou que le désarmement s’opère d’un commun accord, la préparation anticipée du jeune homme à son rôle éventuel de défenseur du territoire, n’en deviendra pas moins nécessaire. De bonnes milices ne sauraient exister sans cette préparation, et on sera bien forcé d’y recourir aussi pour les armées permanentes, de façon à réduire le temps de service, dont la durée présente constitue, pour les budgets, une charge accablante et paralyse, en même temps, l’essor de la vie nationale. Les services rendus par les volontaires américains, pendant la guerre contre l’Espagne, et les effets remarquables du tir des Boers ont, d’ailleurs, mis en relief l’utilité de l’entraînement préparatoire d’une manière si probante que la question se trouve désormais inscrite à l’ordre du jour de l’opinion et n’en sera plus effacée.

Ceux qui se placent au point de vue hygiénique ont aussi des droits à être entendus. Ils sont certains d’y réussir, car ils parlent au nom de la science et, de notre temps, ce seul fait empêcherait que leur voix ne fût couverte. La gymnastique scientifique a sans doute des prétentions exorbitantes ; elle se croit volontiers propre à répondre à toutes les exigences sociales, apte à entraîner des soldats vigoureux ou à satisfaire des adolescents bien portants autant qu’à exercer de jeunes enfants ou à guérir des malades. Elle devra en rabattre : néanmoins, trop de bienfaits sont, dès à présent, inscrits à son actif pour qu’un domaine étendu ne lui soit pas réservé dans le champ de l’éducation physique.

Ce domaine englobera, très évidemment, les enfants, les jeunes filles, les gens déjà avancés en âge, les malades et, d’une manière générale, les faibles. La gymnastique scientifique s’adapte à merveille aux besoins de ceux-là. Je ne lui donne pas le qualificatif de « suédoise », parce que je ne crois pas que, sous sa forme scandinave, elle se soit engagée dans une voie assez large pour pouvoir rallier dans l’avenir tous les travailleurs qui chercheront à la faire progresser ; la Suède n’en gardera pas moins l’honneur d’avoir été l’initiatrice. Le terme « scientifique » me paraît mieux approprié, parce qu’il indique bien que la préoccupation dominante est de marcher avec la science et de ne marcher qu’avec elle, fût-ce à pas lents. C’est cette préoccupation qui fait le mérite du système et la garantie de son succès. Or, la science est bien loin d’avoir dit son dernier mot sur cette grave question de l’aide que l’homme peut apporter à la nature, dans les lentes et incessantes transformations que subit le corps humain. Notamment, lorsqu’il s’agit de l’enfant, être malléable par excellence, l’exercice bien approprié et bien dosé produit des effets d’une remarquable puissance. L’effort viril, au contraire, lui est pernicieux. Rien de pire que de livrer prématurément à l’enfant des engins de sport. En dehors de ses jeux, pour lesquels il faut évidemment lui laisser quelque liberté de mouvement et d’imagination, on doit tendre à adoucir, à modérer le fonctionnement de la machine corporelle. C’est seulement ainsi que les organes se développeront normalement et régulièrement ; l’exercice en accélérera le développement, mais il ne peut l’accélérer efficacement et sans danger que s’il est strictement rationnel.

Par bonheur, ce caractère de modération n’ennuie pas l’enfant. Le rythme est une nouveauté pour lui : il s’en amuse. Évoluer avec ses camarades lui suffit : il ne discute pas les mouvements qu’on lui fait exécuter, parce qu’il ne les analyse pas ; il n’éprouve pas le besoin de leur découvrir un but, une utilité quelconques. Pour un autre motif, la jeune fille s’y complait également : il y a, au fond d’elle-même, une tendance héréditaire vers la grâce et l’harmonie qui lui fait goûter, instinctivement, des exercices aptes à produire ces qualités. Comment l’homme âgé, qui cherche à prolonger sa vigueur et le malade qui travaille à rétablir sa santé, ne s’éprendraient-ils pas d’un remède si aisé, si peu pénible, dont ils peuvent suivre eux-mêmes les résultats et, avec un peu de science et de réflexion, comprendre le principe et la méthode ? Le Kindergarten, l’École primaire, l’Institut médical, voilà où régnera et dominera, sans rivalité possible, la gymnastique scientifique. Le caractère d’institution d’intérêt public qui en résultera pour elle, la préservera des exagérations et des dévergondages empiriques, dont l’expérience américaine nous signale le danger, et qui ne manqueraient pas de se produire, si toute l’organisation en devait être abandonnée à l’initiative privée. Mais, dans ses écoles primaires et dans les Instituts, sur lesquels il s’attribuera un droit de surveillance, si même il ne les subventionne pas, l’État ne laissera s’introduire assurément qu’un enseignement sérieux, résultant d’études et de discussions approfondies.

Si la gymnastique scientifique prétendait étendre plus loin son empire et réclamait, comme ses sujets, les adolescents valides et robustes, il est certain qu’elle verrait se dresser contre elle, non seulement la fougue de cette jeunesse révoltée, mais aussi l’utilitarisme des parents. On a cité souvent l’expression du mépris antique s’appliquant à l’homme qui ne savait ni lire ni nager. Le monde moderne est en train de reprendre la formule et d’en amplifier le second terme, comme il a déjà amplifié le premier. Ce n’est plus assez de savoir lire : ce n’est plus assez de savoir nager.

Trouvez-vous sage de lancer votre fils dans la vie sans qu’il puisse manœuvrer un cheval, un bateau, une bicyclette, donner et parer des coups de poing, tenir une épée et s’en servir ? Moi, je ne le trouve pas et si vous ne partagez pas encore mon sentiment à cet égard, vous y viendrez, parce que les circonstances vous forceront d’y venir. La question d’argent n’a rien à voir ici. N’y a-t-il à apprendre l’équitation que les garçons qui peuvent avoir un cheval à eux ? Faut-il posséder un phaéton pour qu’on vous montre à conduire, un bateau pour savoir ramer, une bicyclette ou un motocycle pour en connaître le maniement ? La société s’amalgame de plus en plus. Où que soit posé désormais le berceau d’un enfant, il serait imprudent d’en tirer un horoscope. Quelle que soit la destinée probable d’un adolescent, il serait plus imprudent encore de l’élever en vue de cette destinée. Si vous voulez que votre fils soit préparé aux conditions de la vie moderne, vous devez le bien instruire et le rendre « débrouillard ». Pas d’autre recette. Il est vrai qu’une pédagogie savante en suggère de plus raffinées, que pas mal de penseurs escomptent la fin de ce qu’ils nomment un peu dédaigneusement « l’ère du commerce », que le socialisme enfin prétend se passer du concours des initiatives privées et les rendre à jamais inutiles : mais ce sont là des aspirations vagues ou des théories creuses ; la vérité, c’est que l’homme instruit et débrouillard sera encore le maitre ce soir, et encore demain. Or ne comptons pas plus, pour fabriquer un débrouillard, sur la gymnastique scientifique que sur les logarithmes.

Cet apprentissage viril, dont l’importance sera vite reconnue et l’habitude bientôt prise, aura une conséquence susceptible de réjouir Rousseau dans sa tombe. Grâce à lui, se trouvera organisé le travail manuel que, tant de fois, on a cherché à introduire dans les collèges et qui n’y a guère réussi parce qu’on n’avait pas su lui donner une forme pratique. L’invention de la bicyclette et, surtout, celle du motocycle ont, à cet égard, révolutionné le sport. Un bon cycliste doit savoir réparer lui-même nombre de petits accidents survenus à sa machine, en cours de route, et le plus souvent il le fait. Toutefois, il peut encore, neuf fois sur dix, se soustraire à cette obligation, soit que le « grand frère » se trouve à portée, soit que passe un véhicule complaisant qui le recueillera… il n’en va pas de même du chauffeur. Celui-là n’a pas le choix. Force lui est de nettoyer lui-même son trembleur, de changer sa bougie, de vérifier ses contacts ; de passer en revue tous les rouages de sa machine pour découvrir d’où vient la « panne ». Il doit faire tout cela sur place, séance tenante, sans crainte de se salir ou de se tacher, qu’il soit le grand-duc russe dont j’examinais le tricycle ce matin même ou l’apprenti mécanicien qui, hier, m’a amené le mien du garage… Voilà une très salutaire obligation qui ne tardera pas à influer sur tous les sports. Pourquoi un garçon ne sellerait-il pas le cheval qu’il va monter, n’attellerait-il pas celui qu’il va conduire ? Pourquoi ne remplacerait-il pas lui-même la lame brisée de son fleuret ? Et s’il a un bateau à lui, pourquoi ne lui laisserait-on pas le soin de le laver, de le revernir même à l’occasion ?… Du sport, ces habitudes glisseront tout doucement dans la vie quotidienne. En Amérique, elles s’y trouvent déjà installées et le «  help yourself » — débrouillez-vous ! — est en maintes circonstances, le dernier mot de la sagesse. Pas besoin d’un atelier en somme pour devenir adroit de ses mains ; la démocratie est un vaste atelier où il y a place pour tous. Sports, voyages, service militaire suffisent à réaliser la pensée de Rousseau. Ces mœurs futures, ne les redoutez pas ; elles aideront peut-être à résoudre le délicat problème des rapports entre maîtres et domestiques et c’est par elles, qu’un peu de simplicité rentrera dans notre vie quintessenciée.

L’âge du service militaire approche ; c’est le moment de familiariser l’adolescent avec le maniement des armes, le tir, la marche et la gymnastique militaire. Il est à remarquer que sa préparation individuelle est déjà fort avancée, si sa préparation collective est presque nulle. Il représente une unité robuste, agile, bien entraînée qu’il faut maintenant encadrer parmi d’autres unités semblables. C’est, je crois, le point de vue qui prévaudra. Lorsqu’il y a douze ans, se dessinait, en France, le mouvement de propagation des exercices physiques dans l’éducation, le distingué général Tramond, commandant l’école de Saint-Cyr, qui nous aidait de tout son pouvoir, ne cessait d’insister sur l’inconvénient d’un militarisme prématuré. « Faites-nous des hommes, disait-il toujours : nous en ferons, alors, des soldats vite et bien ; mais ne cherchez pas à faciliter notre tâche en l’anticipant ; vous ne sauriez qu’en compromettre le succès ». — La justesse de ces vues s’imposera à mesure que l’éducation physique progressera, et je ne doute pas qu’on ne se trouve finalement d’accord, dans tous les pays où régnera le service égal, pour rejeter à la fin de la période scolaire, la préparation directe au métier militaire.

L’organisation du tir en doit être, de toutes façons, l’instrument principal. Un bon tireur ne se forme pas en quelques semaines ni en quelques mois, et les stands sont difficiles et coûteux à créer ; l’intervention de l’État est indispensable. Les marches demanderont à être surveillées comme pouvant engendrer un surmenage très lent, dont les effets sont, par conséquent, difficiles à surprendre. Quant aux exercices gymnastiques, il n’est pas probable que les hygiénistes, malgré la furieuse campagne menée contre ces engins, arrivent à prescrire les cordes lisses, les trapèzes, les barres fixes et les planches à rétablissement. La gymnastique scientifique — il faudra bien que ses partisans se résignent à le constater — n’est pas en mesure de pourvoir à la formation du soldat, pas plus qu’elle n’est en mesure de satisfaire aux exigences de l’instinct sportif. On devrait s’en rendre compte jusqu’à Stockholm ; car non seulement le patinage, les skis, la natation, le yachting y secondent utilement l’œuvre de l’Institut de gymnastique, mais dans cet institut même, on pratique l’escrime, les planchers des salles d’exercices se transforment en jeux de tennis et, dans le préau, on se livre à la voltige sur un vrai cheval. Or, je ne sache pas que les mouvements auxquels donnent lieu l’escrime, le tennis et la voltige répondent au principe fondamental, sur lequel reposent le système de Ling et la gymnastique scientifique en général. Il y a là un aveu d’impuissance, bon à noter. Encore une fois, la gymnastique scientifique jouera un rôle considérable dans l’éducation physique ; mais ce rôle n’englobera ni le soldat, ni le sportif.

Nous avons vu ce que demanderait le soldat ; que fera-t-on pour le sportif ? Le sportif, ainsi que je l’ai déjà indiqué, désire avant tout qu’on ne l’entrave point ; il est individualiste, s’organise à sa guise et fait assez peu de cas des belles hiérarchies, des fonctions honorifiques et des ensembles bien ordonnés. Mais la principale caractéristique des groupements qu’il forme, c’est que le recrutement en est libre et volontaire. On néglige fréquemment d’en faire la remarque. Je me souviens de l’aimable proviseur d’un lycée français qui me remerciait d’avoir provoqué, parmi ses élèves, la formation d’une association athlétique pour la pratique du football et de la course à pied. Il appelait de ses vœux le jour où tous les élèves feraient partie de cette association, où tous joueraient au football et s’adonneraient à la course à pied. « Mais ce jour ne viendra jamais, lui disais-je, et, s’il devait venir, l’association n’y survivrait guère ; pour prospérer, il faut qu’elle demeure un groupe dans le lycée ; elle ne répondra à son but que sous cette forme et dans ces limites ». C’est que, dans le lycée comme dans le monde, il y a des sportifs, c’est-à-dire des instinctifs, des actifs d’une certaine catégorie dont on n’a pas le droit d’arrêter, de comprimer l’élan, au nom d’un principe d’égalité dangereusement poussé à l’absurde. Nous avons analysé les tendances de ceux-là et constaté d’autre part, que leur nombre tendait à augmenter, les circonstances présentes leur étant très favorables. Nous avons vu tout le bien matériel et moral qu’on peut tirer du sport ; mais nous savons qu’il tend irrémédiablement vers l’excès, que ce sont là son essence, sa marque indélébile. Prétendre modifier ce principe fondamental, c’est poursuivre une chimère ; jamais vous n’empêcherez le citius, altius, fortius, de s’échapper des lèvres d’un vrai sportif et des vrais sportifs, vous n’empêcherez pas davantage qu’il y en ait. Ce que vous pourrez faire, ce sera de tempérer individuellement le trop absolu de leurs aspirations. Les moyens ne manquent pas. Quand il s’agit de jeunes gens non encore échappés à la tutelle des maîtres et des parents, l’examen médical périodique sera une bonne précaution, à condition qu’il soit dirigé par des hommes au courant de la question et non point systématiquement hostiles au sport, comme le sont aujourd’hui la plupart des médecins. La diffusion de l’hygiène par l’enseignement agira dans le même sens. Mais ce qui importe encore davantage, c’est que les pouvoirs publics, les municipalités, les sociétés elles-mêmes évitent, en donnant des prix nombreux et de grande valeur, de surexciter, à côté de l’émulation sportive, un redoutable esprit de lucre. Si le mépris mystique de la « guenille charnelle » qui contribua si fort à abattre l’athlétisme aristocratique du moyen âge a cessé d’être dangereux, il n’en est pas de même de l’argent, par lequel fut avili l’athlétisme démocratique de l’ancienne Grèce : sa beauté morale sombra lorsque le professionnalisme l’eut envahi et la société moderne est trop inféodée à la richesse, pour que pareil destin ne soit pas à craindre pour les sports renaissants. Les gouvernements ont accru le péril en encourageant, au delà de toutes bornes raisonnables, les courses de chevaux et en laissant se développer ainsi le chancre du pari. Or les paris s’établissent sur des coureurs, des bicyclettes ou des bateaux aussi bien que sur des chevaux et de quel droit pourrait-on maintenant les supprimer ?… C’est aux sportifs à lutter les premiers, parce qu’ils sont les mieux placés pour la résistance ; c’est à eux de travailler à maintenir dans sa belle intégrité, cette chose très nécessaire, pour laquelle on a forgé un mot à la fois suggestif et précis : l’amateurisme.

Ainsi donc, la première jeunesse confiée aux soins de la gymnastique scientifique, de qui relèveraient également les organes délicats et les lentes convalescences — au cours de l’adolescence, un apprentissage plus ou moins complet des diverses formes d’exercices dont la civilisation moderne n’a pas seulement accru l’attrait, mais qu’elle a rendues utilitaires — au seuil de la virilité, une énergique période de préparation militaire — enfin, pour ceux chez qui se manifeste l’instinct sportif, une liberté aussi complète que possible, tempérée seulement par quelque surveillance médicale, la vulgarisation de l’hygiène et des exhortations à la modération : telles sont, à mon avis, les stipulations probables du traité de partage qui, en assignant à chacun sa part logique et légitime d’influence, mettra fin aux querelles intestines dont souffre l’éducation physique.