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Notice biographique sur M. le docteur Aussant

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Société archéologique du département d’Ille-et-Vilaine

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR

M. LE DOCTEUR AUSSANT

Ancien Président de la Société.


Écrire la vie de M. Aussant, c’est retracer le mouvement intellectuel à Rennes pendant toute l’existence de cet homme dévoué aux progrès des sciences et des arts, et dont les jours furent consacrés à l’étude et au travail.

M. Jules-Marie-François Aussant naquit à Rennes, le 14 février 1805. Son père, médecin distingué lui-même et doyen du corps médical à Rennes, le destina vers la même carrière ; et lorsqu’après de bonnes études à la Faculté de Paris le jeune étudiant passa, le 7 janvier 1828, sa thèse sur les affections de l’âme considérées dans leurs rapports avec l’hygiène et la thérapeutique, l’on vit de suite, par le choix du sujet et la manière élevée dont il était traité, dans quel esprit le nouveau docteur allait aborder l’exercice de sa profession. Il vint se fixer dans sa ville natale qu’il aimait, et presqu’aussitôt les honneurs vinrent trouver sa capacité précoce. L’École secondaire de Médecine et de Pharmacie venait à peine d’être organisée, qu’en 1831 il fut nommé professeur de chimie appliquée, chaire à laquelle en joignit plus tard la toxicologie, et il fut appelé à faire partie de l’intendance sanitaire du département. En 1834, il fut médecin des épidémies, puis il devint médecin du Lycée, puis membre du Conseil d’hygiène et de salubrité. Dans ces différentes fonctions, il apporta toujours un zèle à toute épreuve, auquel se joignait le désintéressement de son état, prodiguant ses soins à tous, et plus encore aux pauvres.

Mais ce n’est pas au point de vue purement scientifique et médical que la Société Archéologique doit avoir à apprécier celui qui fut un de ses membres. Nos études particulières, qui se rapportent à l’art ancien et à toutes ses manifestations, qui embrassent l’histoire de l’homme dans l’exercice de toutes ses forces morales, artistiques et littéraires, doivent rechercher dans M. Aussant ce qu’il eut de commun avec nous.

C’est par l’association que les efforts isolés peuvent prendre corps et produire un effet utile ; ce n’est toutefois que par une suite d’essais qu’on peut arriver au résultat organisé, En 1833, les hommes d’étude se groupèrent tout d’abord à Rennes dans un centre commun qui, sous le nom de Société des Sciences et des Arts, embrassait le champ, peut-être trop vaste, des connaissances humaines. Elle publiait un Compte rendu de ses travaux, et M. Aussant, qui en était le secrétaire, y déposa l’intéressant résumé des travaux de la Société pendant l’année 1835[1]. Elle prit ensuite pour organe de ses publications la Nouvelle Revue de Bretagne, et notre jeune savant, ne se bornant plus à rendre compte des productions des autres, vint l’enrichir des siennes. Dès les deux premières livraisons, en 1838[2], on voit de lui un Mémoire lu à la Société, sous le titre modeste d’Étude sur les météorites, et où l’archéologie, l’histoire, ainsi que la chimie et la minéralogie, montrent que toutes les sciences se tiennent. C’est dans cet ordre d’idées qu’est conçu un travail plus considérable qu’il lut à la Société des Sciences et des Arts, intitulé : Étude sur les origines de la chimie. Des arts métallurgiques chez les anciens, qui y fut également publié en 1838 et 1839 dans une suite de livraisons du même recueil[3]. Les prodigieuses recherches qu’il renferme y indiquent encore que chez lui le chimiste et l’archéologue étaient inséparables.

Par un pieux devoir, la Société des Sciences et des Arts consacrait une notice biographique aux membres qu’elle avait perdus, et c’est comme doublement son confrère que M. le docteur Aussant fut alors chargé de prononcer, un discours aux funérailles de M. le docteur Bertin et d’écrire sa vie, morceaux achevés que la Nouvelle Revue de Bretagne eut encore le triste privilège de publier en 1840[4]. Plus de trente ans après, la Société Archéologique avait à son tour à rendre à M. le docteur Aussant le même et dernier honneur.

Pour que l’association puisse rendre tous les services qu’on est endroit d’en attendre, il faut que le lien projette au loin ses nœuds. C’est ce qu’avait compris M. de Caumont, l’illustre vulgarisateur de la science archéologique, lorsqu’il fonda les Congrès scientifiques de France, la Société française d’archéologie pour la conservation des monuments historiques, et l’Institut des Provinces de France. Les 4 et 5 juin 1840, M. de Caumont vint tenir à Rennes une des assises de la Société Française. Le corps de ce Congrès était naturellement formé par la Société des Sciences et des Arts. M. Aussant, qui en était devenu vice-président, lut un résumé des travaux de la Société, rappelant tous les souvenirs de la vieille Armorique, rapport qu’il laissait volontairement incomplet, oubliant ses travaux personnels pour ne songer qu’à ceux de ses confrères dont il faisait l’éloge [5]. La Société Française l’admit dans son sein ; et il fit ensuite partie de l’Institut des Provinces. C’était la récompense de ses travaux postérieurs, mais on se souvenait des premiers.

L’action de la Société des Sciences et des Arts de Bennes était purement locale. Chaque Société savante de la Bretagne n’avait dans sa ville qu’une influence scientifique restreinte à son foyer. Il fallait l’étendre pour qu’elle portât ses fruits, et à l’isolement du travail substituer une organisation nouvelle, où l’assistance réciproque viendrait augmenter sa force en la réunissant en faisceau. A l’exemple de l’Association Normande, l’Association Bretonne fut alors fondée, avec le concours de M. de Caumont, et elle devait atteindre ce but. Dans chaque département, une Société Archéologique vint se relier à la classe d’archéologie de l’Association générale, et c’est ainsi qu’en 1844 prit sa naissance la Société Archéologique du département d’Ille-et-Vilaine, qui n’avait été auparavant, à vrai dire, qu’une simple section de la Société des Sciences et des Arts. La Société mère se fondit dans la Société nouvelle, en ce qui touche sa spécialité, et c’est de cette manière qu’entra M. Aussant dans notre sein, dont il ne devait plus être séparé que par la mort. Dans le premier Congrès archéologique de l’Association Bretonne tenu à Rennes à cette époque, M. le docteur Toulmouche, rapporteur, signalait déjà la collection de son confrère M. Aussant comme riche en numismatique et en objets d’art romains ou gallo-romains, trouvés pour la plupart dans l’emplacement que les antiquaires assignent à l’antique cité des Rhedones [6]. C’est cette collection qui lui permit, au mois d’octobre 1846, d’adresser au Congrès de la classe d’archéologie de l’Association Bretonne tenu à Saint-Brieuc une lettre intéressante, où la numismatique bretonne était l’objet de curieuses recherches, à partir des pièces romaines trouvées dans la Vilaine lors de sa canalisation, la suivant dans ses monétaires à l’époque mérovingienne, et dans les deniers de ses premiers ducs à l’époque carlovingienne[7].

M. Aussant avait trouvé sa voie, et il la suivit depuis lors avec cette ténacité que les étrangers remarquent quelquefois dans la race bretonne, mais qui est le moyen assuré d’exécution du projet, la seule garantie d’atteindre le résultat poursuivi. Ce qu’il voulait, c’est que tout objet d’art dû au talent d’un artiste breton ne sortit point de la patrie, que tout ce qui était relatif à la Bretagne restât dans le pays, que chaque tableau, chaque sculpture, œuvre de n’importe quel artiste étranger, une fois acquis à la Bretagne, ne s’en séparât plus. L’histoire, l’archéologie et les beaux-arts s’y trouvaient également intéressés, et ce goût de l’amateur, guidé par une appréciation intelligente, le mit bientôt à même de réunir, avec ses seuls moyens personnels, une galerie de tableaux, une collection d’antiquités et de curiosités, et une suite importante de minéraux et de coquilles vivantes ou fossiles.

Quelques années s’étaient à peine écoulées, et ses collections avaient acquis un tel, développement, son expérience rapide s’était montrée sous un tel jour, que lorsque la XVIe session du Congrès scientifique de France vint se tenir à Rennes au mois de septembre 1849, personne mieux que lui ne fut jugé digne de présider tant la Commission d’exposition que la section des beaux-arts du Congrès scientifique. Il prononça le discours d’ouverture du Congrès, où il sut s’élever aux plus hautes considérations sur l’art, ses nobles tendances et les inspirations supérieures qui doivent guider l’artiste vers la perfection infinie [8]. Il ne se contenta point ensuite de diriger avec sûreté les débats de la section qu’il présidait ; il y intervint lui-même pour retracer l’esthétique de l’art a ces époques primitives où l’école de Giotto et les vieux maîtres italiens, Fra Angelico de Ficsole et Fra Bartolomeo, posaient les principes de la peinture religieuse, que Le Sueur, en France, et Cornelins, en Allemagne, ont à l’époque moderne développés à des degrés divers [9]. Lorsqu’en séance générale, au nom du jury des récompenses, il distribue les médailles aux exposants, il leur rappela dans le plus digne langage quelles devaient être les aspirations du véritable artiste rapportant tout à Dieu, et s’élevant par les merveilles de la création jusqu’au divin Créateur lui-même, cultivant le beau pour arriver au bien, préférant les jouissances éthérées de l’âme à l’appétit des besoins matériels, et se détachant du présent pour ne songer qu’à l’avenir [10]. Le Congrès scientifique n’eût point étudié complètement l’art en Bretagne s’il n’eût visité les collections de M. Aussant. M. Léon de la Sicotière fut chargé, pour en conserver le souvenir, d’en rédiger un rapport lu à l’assemblée générale [11]. En lisant la description de cette galerie de tableaux où l’école d’Italie et d’Espagne, l’école allemande, l’école des Flandres et de Hollande, et l’école française sont représentées partant et de séquelles toiles, où les dessins des maîtres, les gravures, les antiquités, les médailles, les émaux, les porcelaines, tous les genres, toutes les formes : tous les siècles et tous les pays viennent s’étaler pour la culture du goût, la satisfaction de l’esprit et le plaisir des yeux, l’on se demande comment en si peu dé temps un simple particulier, loin des ressources de la capitale, avait pu, autour de lui, parvenir à rassembler tant de trésors et de richesses artistiques.

La Société Archéologique profitait sans cesse de cette mine inépuisable, et ses séances en prenaient un nouvel attrait. Si quelque acquisition récente venait augmenter ce fonds, elle en avait la primeur ; si l’ordre du jour devait amener la discussion sur quelque fait à constater, la pièce se produisait à point nommé ; si quelque fouille, quelque investigation heureuse amenait au jour quelque objet rare ou curieux, acquis aussitôt, il était aussitôt exhibe, et des commentaires précieux venaient instruire en même temps qu’intéresser. C’était presque, toujours la Bretagne, et plus particulièrement la ville de Rennes, qui en faisaient les frais ; mais tous les arts, quelque fussent leur âge et leur provenance, n’en étaient pas exclus et savaient bien y trouver leur place.

Ce serait faire le dépouillement complet des Bulletins de la Société que de vouloir énumérer en entier toutes les communications de M. Aussant. En les présentant par ordre, à la tête de l’art antique il faudra mettre avec lui l’art égyptien des Pharaons [12]. Puis viendront les antiquités celtiques, étude de prédilection des savants de la vieille Armorique : l’âge de pierre avec ses haches polies trouvées tout autour de nous, à Saint-Grégoire, à Chelun, à Langon [13] ; l’âge de bronze quille suivit, avec ses matars, ses haches, ses coins de forme-diverse, ses épées à la poignée si remarquablement petite, ses bracelets pour la toilette, ses rouelles crénelées dont Pesage n’est point encore certain [14], et ses monnaies emblématiques [15], tout ; cela répandu sur le sol breton, enfoui par les évènements, reparaissant par le hasard, décrit par sa science. Puis s’offriront par lui les antiquités gallo-romaines, produit de l’art italien enseigné par la conquête à la civilisation imposée, fruit du paganisme remplaçant le druidisme éteint, remplacé à son tour par la religion chrétienne. La glyptique, cette gravure délicate sur pierre dure, y sera représentée par des camées et des intailles découvertes à Corseul, ancienne capitale des Curiosolites [16]. Le bronze, qui se prête aussi bien aux conceptions les plus élevées de l’art qu’aux usages domestiques les plus vulgaires, viendra de Rennes, de Dol, de Carhaix, de Jublains, des cités, des temples, des camps de l’Armorique et de la Neustrie. On verra paraître dans ses mains des statuettes de Mercure et de Pollux, l’ascia consacrée, des lampes, des clefs, des bracelets, des anneaux, des chaînes et chaînettes, des boucles, des agrafes et des fibules, des épées, des outils, des balances, jusqu’à d’humbles marmites avec leurs écumoires, mais toujours relevées par la forme qui partout y apporte sa distinction, montrant que le génie romain savait faire accepter son autorité non moins par l’influence des lettres et des arts que par la force de ses armes [17]. La numismatique, de tous les

points où les Romains airaient assis leurs établissements, apportera ses témoignages monétaires pour fournir ses indications d’histoire et de géographie, faire voir à son apogée et à son déclin l’art de la gravure en relief. Rennes et ses environs, Aleth, Corseul, déposeront leur tribut, qu’ils paieront en cuivre, en argent, en or. L’antique cité des Rhedones ne saurait manquer à cet appel. La canalisation de la Vilaine mettra à nu l’ancien lit de la rivière, jonché de milliers de pièces, depuis la république romaine jusqu’à la chute de l’empire, et sur l’ancien emplacement de la cité apparaîtra à chaque mouvement de terrain l’effigie du César sur la monnaie impériale [18]. Le fer ne fournira pas moins que les métaux précieux son contingent antique à ses exhibitions, et les hipposandales, ainsi que les fers de chevaux, lui serviront à de curieuses recherches sur leur attribution réelle [19]. Enfin, la céramique gallo-romaine viendra vous exhiber ses statuettes de Vénus Anadyomène, de Latone louant sur son sein ses enfants jumeaux Apollon et Diane ; ses lampes et ses ustensiles

domestiques, ses urnes funéraires, ses lacrymatoires, ses terres cuites, ses argiles rouges décorées de reliefs, ses matériaux de construction, briques et tuiles à rebords, sortis du sol de Rennes, de Casson, de Corseul, partout où le potier savait modeler la pâte pour en tirer un galbe toujours artistique [20]. Puis enfin le musée Campana, don de la libéralité du gouvernement, rangera dans nos collections municipales ses vases grecs, étrusques, romains, enrichis de peintures, triomphe de l’art archaïque[21].

Les objets du moyen-âge, de la renaissance et de l’époque moderne ne se presseront-ils pas également en l’utile devant la Société d’Archéologie sous les mains de M. Aussant ? La numismatique des rois de France et de leurs grands vassaux, des barons et des seigneurs, ne fera point défaufiles tiers de sol de l’époque mérovingienne, les deniers carlovingiens, et cette multitude de pièces de cuivre, d’argent et d’or que la troisième race ne cessait demeure, variant le titre et le poids au gré de ses besoins financiers, paraîtront tour-à-tour. Enfin, le monnayage de la Bretagne, depuis les premiers ducs jusqu’à la bonne duchesse Aune, dernier rejeton de la nationalité bretonne, viendra, avec un intérêt tout spécial, se placer sous vos yeux. Les jetons et les médailles destinés, à perpétuer le souvenir des évènements ne seront pas oubliés, surtout s’ils concernent la Bretagne. La sphragistique bretonne présentera ses sceaux[22] de seigneurs, (d’abbayes, de cours. judiciaires ; ses timbres, ses cachets [23]. L’orfèvrerie, avec ses statuettes de saints, ses croix pour les églises, ses anneaux, ses bagues, ses agrafes, ses bijoux gravés, ciselés, repoussés, prendra le rang distingué qui lui appartient [24]. Le cuivre, le laiton, le bronze, soit au naturel, soit étamés, argentés ou dorés, concourront avec les métaux précieux pour les vases sacrés, les croix processionnelles, les statues vénérées et les objets usuels où l’art viendra rehausser la matière ; puis la dinanderie exercera sur ses plats aux merveilleux reliefs [25]. Les armes, instruments d’attaque et de mort, mais aussi de défense et de salut, brilleront sous vos yeux ; ornés de tout le luxe féodal ; les poignards et les dagues, les épées, les lances et les haches, avec les cottes de mailles, les armures, les casques et les cuirasses, représenteront le moyen âge, tandis

que l’arquebuse à rouet, le poitrinal et le mousquet figureront la renaissance[26]. La ferronnerie et la serrurerie, la fonte de fer, de plomb, d’étain, quoique de plus modeste apparence, n’en sont pas moins le résultat des arts et métiers les plus utiles, et l’on ne verra pas sans fruit les serrures et les cadenas, les clefs ouvragées, les fers de chevaux, les croix à jour, les écussons et leurs supports, tout ce que montrera l’habile investigateur du passé[27].

Mais les beaux-arts proprement dits ne fixeront-ils pas les regards d’une manière plus particulière encore ? L’ivoire s’étalera en fines ciselures sur les petits volets des diptyques et des triptyques, il deviendra des statuettes, la mode en fera des rapes a tabac ou des tabatières[28]. Le marbre, l’albâtre, n’attireront-ils pas vos yeux, et lorsqu’il s’agira du grand sculpteur breton Michel Colombe, nos oreilles ne seront-elles pas attentives[29] ? La pierre qui, dans nos églises, devenait statue, chapiteau, se creusait en bénitier, s’arrondissait en colonne ; ne sera-belle pas digne d’être étudiée avec les architectes qui élevaient nos monuments religieux[30]. Le bois, plus propre aux travaux d’intérieur, débité, détaillé avec la délicatesse d’un artiste jaloux de la beauté de son œuvre, enrichi par la dorure, ne se placera-t-il pas devant nous, sous la figure de ce magnifique retable provenant de l’ancienne cathédrale de Rennes, longtemps abandonné sans soin, sauvé par notre archevêque, conservé par la pieuse sollicitude de l’archéologue, signalé comme devant être restauré à tout prix par M. Aussant, qui en recherchait les pièces disséminées, les rachetait pour les y reporter et en réunir l’ensemble dispersé, le faisait exposer au musée en attendant qu’il revint orner la cathédrale nouvelle ? N’est-ce pas le même esprit de patriotique conservation qui lui faisait acquérir, à Carhaix, la statue de notre dernière duchesse, taillée sous les traits de saint-Anne sa patrone[sic] ? Sans doute que ces grandes occasions ne se renouvelaient pas sans cesse au gré de ses désirs et des vôtres ; mais si le xve et le xvie siècle formaient avec amour dans le bois, des groupes, des statues du Christ, de la Vierge et de saint Joseph ; si des panneaux de bas ou de haut relief retraçaient à la piété les scènes de la vie du Sauveur, l’adoration des Mages, le portement de la croix, le crucifiement, entourés dans les courbes ogivales du style flamboyant ; quand ces sculptures, où le talent se mettait au service de la religion, tombaient entre ses mains, ne vous en applaudissiez-vous pas, et pour lui et pour nous ; pour l’art, dont, les débris se trouvaient arrachés à l’a destruction, pour la religion dont l’art venait ainsi rendre le plus beau et le plus noble des témoignages [31]. Dans cette série, l’émaillerie ne viendra-t-elle pas encore d’autorité prendre sa place, et les vieux émaux champ-levés ou incrustés, ainsi que les émaux des peintres, les chasses, les custodes et les pyxides, ne commanderont-ils pas l’attention ; et lorsque le nom de Jean Laudin sera par lui prononcé, ne vous inclinerez-vous pas ? Limoges ne viendra pas seul, et l’on pourra comparer avec les émaux byzantins, les cuivres émaillés de la Russie, souvenir éloigné d’une origine commune[32].

Au milieu de toutes ces richesses, la peinture ne viendra-t-elle point prendre son rang ? M. Aussant était trop amateur pour la négliger, trop connaisseur pour ne point l’apprécier, et elle fut toujours l’objet de sa prédilection particulière. Mais, sans exclure la peinture moderne, il se portait de préférence vers les vieux maîtres, il aimait à explorer les origines ignorées, et dans ses recherches esthétiques il se reportait vers la peinture religieuse, aux formes graves et austères, telle que la concevait le moyen âge. Aussi les diptyques et les triptyques, les vieux panneaux à fond doré, ces conceptions hiératiques transmises par la tradition de Constantinople à l’Italie, et de l’Italie à l’Empire germanique, constituaient ses préférences ; et lorsqu’à ses exhibitions les noms de Guido de Sienne, de Simon Memmi, du Giottino, venaient s’attacher a la veille école italienne ; les noms de Hans Hemeling, Van Eyck, Lucas de Leyden, Albert Durer à l’école d’Allemagne et des Pays-Bas ; que l’école espagnole venait y paraître à son tour, puis nos Vierges noires, objet d’une vénération remontant aux Croisades, n’avions-nous pas à nous incliner devant ces grands noms, rehaussés de ces grands souvenirs ? Cette opinion, il cherchait à la faire prévaloir ; et lorsque l’église de Saint-Laurent fut décorée de peintures murales qui lui rappelaient ce vieux style, les appréciant haut dans son rapport, il faisait décerner par la Société une médaille d’argent à l’artiste qui avait osé les entreprendre, ouvrant ainsi la voie à ses imitateurs. Toutefois, sa galerie ne s’était pas formée avec des préoccupations exclusives ; elle contenait tout ce que les artistes des xvie, xviie et xviiie siècles avaient laissé de disponible pour ses mains et moyens. Devenu un véritable expert, il discutait soigneusement les attributions, et il étendait en dehors de ce qu’il possédait le cercle de ses discussions. Est-ce à Jean Cousin qu’on doit attribuer le table des Noces de Cana du Musée de Rennes ? Les peintures de la grande salle du Palais-de-Justice sont-elles d’Érard ? Ces questions et bien d’autres étaient débattues dans vos séances, et s’il les agitait, c’est qu’elles se reportaient à des tableaux que possédait la ville de Rennes. Son pays était à tous les points de vue toujours son objectif. S’il exhibait un portrait de femme du xve siècle ; il faisait remarquer qu’elle était en costume breton ; un portrait donné pour celui de Mme de Sévigné, l’aimable hôte des Rochers de Vitré, il recherchait l’authenticité des divers portraits de cette femme célèbre ; un curieux tableau allégorique, il retrace la création du papier timbré en 1675, satyre suivie d’une révolte comprimée par la plus cruelle répression ; s’il offre un pastel, ce sont les traits de Maupertuis, de Saint-Malo ; cette toile de David, c’est le portrait de Hoche, le pacificateur de Bretagne et de Vendée ; ce cadre de Boilly, c’est le charmant Elleviou, que Paris prit à Rennes pour en faire les délices de la scène. Voici plusieurs peintures bien médiocres ; mais elles représentaient d’après nature la vieille ville de Rennes avant ses transformations modernes ; c’est le seul souvenir qui en doit rester désormais[33]. Dans ses recherches sur les vieux dessins, il était guidé par la même idée, de tout reporter à sa ville natale, ainsi qu’à la Bretagne. Ce qu’il exhibe, ce sont de vieille-s vues dessinées à Rennes, à Fougères, à Dinan, à Nantes, à Brest, retraçant leur ancien état, leurs vieux monuments avant leur démolition ou leur malencontreuse restauration ; ce sont des lavis, des miniatures intéressant les familles, les corporations[34]. Il en est de même pour les gravures : ce sont les portraits des évêques, des gouverneurs, des présidents au Parlement, des savants et des hommes de lettres auxquels la Bretagne a donné le jour ; ce sont les évènements remarquables qui s’y sont passés, les batailles, les fêtes, les funérailles ; ce sont les planches des artistes bretons auxquelles leur burin a donné la vie, remarquable collection à l’accroissement de laquelle il donnait tous ses soins, ne négligeant rien, employant tout pour qu’elle fût complète[35]. Il s’étendait jusqu’aux tapisseries et aux tissus, qui ne sont en effet, sous le rapport de l’art, que des tableaux ouvrés. Les tentures en cuir peint repoussé ou gauffré, représentant des chasses, des oiseaux et des fleurs ; les tapisseries de haute lice ou au petit point, retraçant des sujets de l’Ancien ou du Nouveau-Testament ; les ornements d’église ; un siège semé de fleurs-de-lis et d’hermines, seul reste du mobilier du Parlement de Bretagne

échappé au vandalisme, venaient successivement s’offrir [36]. Les vitraux d’église, c’est aussi de la peinture, et la plus belle, car elle est inaltérable, et si ce n’était la fragilité de l’excipient, elle traverserait les siècles. Que de débris n’en a-t-il pas voulu sauver, et par ses considérations sur l’usage des vitraux dans les églises, combien n’a-t-il pas contribué à en renouveler l’emploi [37] ? La céramique, cette branche de l’industrie du fourneau, objet de tant d’études, n’avait pas moins été étudiée par lui, et ses découvertes en cetté partie ont eu un tel succès pour le pays, qu’on se trouvera forcé tout-à-l’heure d’y revenir d’une manière plus spéciale. Enfin, pour justifier qu’il n’y avait aucun point de l’archéologie sur lequel il n’eut porté ses efforts, la diplomatique et la paléographie avaient fait de lui comme un archiviste émérite. Les vieilles chartes, les vieux manuscrits, parchemins effacés par le temps, les évangéliaires, les heures brillamment enluminées de vives miniatures, les titres, les aveux, les autographes, il les exhumait de la poussière, les déchiffrait et les remettait en lumière. Dans les anciennes reliures, dans les vieux cartonnages par lui défaits et dédoublés, il trouvait des fragments inédits de droit romain ou de droit coutumier [38]. Enfin, la bibliographie, qui résume toutes les connaissances, lui était non moins familière que le reste, et lorsqu’il arrivait, montrant ses vieux incunables, ses curiosités de l’imprimerie et de la librairie bretonnes, il était facile de voir que rien ne lui était étranger [39].

On dit souvent que nul n’est prophète dans son pays, mot qui n’est du moins pas exact pour nous, car la ville de Rennes sut bien reconnaître son mérite. Les arts avaient besoin d’être représentés dans les Conseils de la cité ; en 1852, il est élu conseiller municipal, et malgré les fluctuations de la politique il est constamment réélu. Les administrations municipales avaient jusqu’à ce moment laissé dépérir dans je ne sais quel local obscur et humide les toiles provenant soit des confiscations de la Révolution, soit des dons du gouvernement ; les plus heureuses étaient dispersées dans les églises, les établissements publics et ailleurs ; les collections archéologiques du président de Robien étaient jetées à l’abandon, dans un grenier. M. Aussant s’en émut, et bientôt s’éleva le Palais-Universitaire, où les Musées, les Facultés de droit, des sciences et des lettres, et l’École de médecine, devaient trouver sous le même toit un splendide abri. Lorsque ce palais, achevé en 1855, fut prêt à recevoir ses nouveaux hôtes, une délibération du Conseil Municipal fut prise, et par un arrêté du maire en date du 1er septembre, dont les motifs honorent autant l’administration qui l’a rendu que celui qui en a été l’objet, M. Aussant fut nommé directeur honoraire des Musées de la ville. En 1857, la Société d’Archéologie l’élut pour son vice-président, et en 1858 et en 1859 il fut deux fois de suite élevé a la présidence. Enfin, au mois de juin 1860, l’installation et le classement des Musées étant terminés, les livrets et catalogues rédigés, le Conseil Municipal, par la plus justement flatteuse des délibérations, un décerne, en récompense des services rendus à la ville, une médaille d’or, hommage mérité, ratifié par l’opinion de tous, et que sa seule modestie pouvait regarder comme trop suffisante.

Bien des personnes sont portées à tort à regarder l’amour des arts comme ne pouvant s’allier avec les conditions ordinaires de la vie, mauvais aux travaux professionnels, bon tout au plus à une distraction de luxe. Ce ne peut être vrai que vis-à-vis d’un être assez faible pour se laisser absorber tout entier par une passion exclusive ; mais l’homme aux facultés complètes ne se fait pas ainsi dominer, il sait allier aux nobles délassements de l’esprit des plus exigeants devoirs, cultiver les uns sans manquer aux autres, se reposant de ceux-ci par ceux-là, toujours prêt à répondre à l’appel de la science aimable comme à Paupel de la profession austère. Tel était M. Aussant, praticien des plus distingués, l’un des premiers dans l’exercice de son état, comme dans le professorat. Aussi lorsqu’en 1861 il fut nommé directeur de l’École de Médecine, le corps médical, comme les étudiants, applaudirent-ils à ce choix qui mettait à la tête de l’École l’homme de science en même temps que l’homme d’ordre et de vertu, à qui il appartenait mieux qu’à qui que ce soit de diriger la jeunesse. Et il le prouvait bien chaque année dans ses discours annuels à l’ouverture des Facultés, rendant compte des travaux des professeurs et des élèves, donnant à son prédécesseur défunt le tribut d’éloges qu’il mérita lui-même lorsque la mort devait venir plus tard l’enlever à son tour [40].

Au mois de juin 1863, un concours régional industriel et agricole, embrassant toute la Bretagne, avait été fixé à Rennes, capitale de la province. Il fallait rehausser l’exposition des produits de l’industrie et de l’agriculture par une exposition artistique, où les collections particulières viendraient exhiber au public les tableaux de maîtres anciens et les objets d’archéologie renfermée dans le mystère du domicile, réalisant l’alliance de l’art et de l’industrie, élevant celle-ci par celui là, vitrifiant l’un par l’autre, et par la mise en communication de la foule avec ces trésors de l’art, développant en elle le goût de ces belles choses qu’elle aurait ignorées toujours. Ce fut sous le patronage de la Société Archéologique que cette idée fit son chemin et reçut sa réalisation. Une Commission fut nommée par l’autorité. Qui mieux que M. Aussant pouvait être appelé à la présider ? Il le fut, et le plus éclatant succès vint couronner ses efforts. Le compte rendu qu’il en rédigea a été inséré dans vos Mémoires [41] et justifie combien en fut grand le résultat. L’auteur, se livrant d’abord à ces considérations esthétiques qui lui étaient familières, démontre l’influence de l’art sur la vie intellectuelle, son action sur l’âme au moyen de la contemplation du beau, et la pure jouissance qui en découle par la satisfaction des sentiments les plus élevés. Puis groupant par écoles cette galerie improvisée qui devait si tôt disparaître, ne laissant après elle que sa description, il parle d’abord de la partie archéologique de la peinture, en commençant par les tableaux gothiques inspirés par l’art chrétien du moyen âge ; puis il entre dans les écoles modernes, passe successivement en revue l’école italienne, l’école espagnole, l’école allemande, anglaise, les écoles de Flandre et de Hollande, terminant par l’école française, faisant ressortir les caractères propres à chacune, mettant chaque tableau dans son jour, le décrivant brièvement, n’oubliant rien, appréciant tout, modèle de critique, d’attribution judicieuse, de bon goût et de jugement sûr. La réussite de cette exposition, gage de l’avenir, a porté ses fruits. Dans une circonstance analogue, elle s’est renouvelée au mois de septembre dernier, sous le patronage de l’autorité municipale et de la Société Archéologique. Le succès a été le même et plus grand encore. Pourquoi faut-il que le fondateur n’ait pu jouir du spectacle de la prospérité croissante de l’œuvre qu’il avait entreprise !

Ce n’est pas seulement pour constater l’art tel que le passé l’a fait qu’avait été conçue par M. Aussant l’idée des expositions artistiques. C’était aussi dans sa pensée un instrument de découvertes à faire, et il sut en tirer un merveilleux usage. A cette époque, l’intérêt pour l’industrie céramique se manifestait de toutes parts, et l’on cherchait à la faire revivre en recherchant les vieux débris de nos faïences nationales. La Normandie, le Nivernais, la Provence retrouvaient leurs titres ; la Bretagne restait muette. Interrogée, il la fit sortir de son silence. Déjà quelques pièces avaient : fait soupçonner ce qu’elle avait été : l’exposition de 1863 l’indiqua. Une pièce signée de Bourgouin 1764, représentant la statue de Louis XV, placée au centre de la façade de l’Hôtel-de-Ville de Rennes ; une remarquable pièce de faïence décorée, sous laquelle on lisait : fait à Rennes Rüe hüe 1769, montrait que cette industrie y avait existé et ce qu’elle avait dû être. Il faut que tout à fait on le sache. Son esprit s’excite ; une Commission est organisée sous sa présidence, une exposition spéciale est indiquée pourrie 25 novembre 1864. Un programme habilement rédigé par lui est lancé de toutes parts. De toutes parts, on y répond. Les faïences bretonnes affluent. Les curieux arrivent de Paris, de tous côtés, se joindre aux provinciaux pour ce spectacle nouveau : le vieux Rennes était trouvé et prenait sa place à côté du vieux Rouen, du vieux Nevers, de Strasbourg et de Marseille. Le violet manganèse s’installait à côté de leurs vives couleurs. Nantes, Quimper, Quimperlé, Saint-Main, produisaient leurs ateliers. Les revues, les journaux faisaient trêve à la politique pour s’occuper de l’exposition des faïences de Rennes, pour la décrire, la faire connaître ; et mettant en lumière la vieille faïence de Rennes, en reportaient l’honneur à celui qui Parait fait découvrir [42]. Le but était rempli ; le stock du vieux Rennes était connu, on pouvait, apprécier son origine et sa disparition, sa hauteur et sa décadence. Mais il est indispensable que cet ensemble, qui va se trouver dispersé, ne se disloque point ainsi. A ses collections il veut joindre celle de la céramique bretonne ; il la recueille, et le fruit de ses efforts ne sera point perdu. A vos séances il venait exhiber ses achats, chaque pièce trouvée, exposition ultérieure se renouvelant sans cesse [43].

Son activité ne pouvait s’arrêter, et une circonstance vint lui donner encore un nouvel aliment. Familiarisé qu’il était avec toutes les fouilles qui avaient mis à nu les vestiges de la cité, il connaissait son Rennes ancien comme si, vieux citoyen romain ou bourgeois du xive siècle, il eût, immortel, traversé les âges. Chaque coup de pioche avait été pour lui sujet à explorations et à découvertes [44]. Aussi lorsque l’édilité rennaise voulut faire démolir la porte Saint-Michel, il comprit de suite le profit que la topographie et l’archéologie pourraient en tirer. Une Commission fut nommée à cet client, et, comme d’usage, présidée par lui. A la séance de la Société du 14 mai 1867, il présenta préliminairement un remarquable rapport, dans lequel, décrivant les successives enceintes de la ville, ses accroissements, ses constructions et reconstructions, il : touchait du doigt les édifices détruits comme s’ils existaient encore, indiquant où devaient être leurs ruines, et ce qu’on pouvait espérer y trouver [45]. Et son intuition avait deviné juste. Ce qu’il avait prévu se réalisa dans l’hiver de 1868, et dans les démolitions de la porte Saint-Michel ou put discerner les matériaux de la muraille romaine avec laquelle on Parait bâtie, matériaux de temples détruits, de cippes et d’autels renversés, parmi lesquels le musée de la ville s’enrichît de deux belles inscriptions romaines [46], qui de suite ont fait l’objet d’une suivante étude de notre confrère M. Mowat [47]. Le hasard, dit-on, sert souvent à souhait ; mais il n’est point aussi complaisant qu’on le suppose, il n’obéit qu’à ceux qui le forcent à les servir, et savent l’y contraindre : la science est leur talisman.

Tant de travaux ne pouvaient tarder plus longtemps à recevoir la plus haute récompense. Il fut nommé chevalier de l’Ordre de la Légion-d’Honneur, et nulle distinction ne fut plus méritée.

La Société Archéologique l’appela de nouveau à la présider en 1868 et 1869. C’était un président émérite qui reprenait le service actif, joignant l’expérience à l’autorité. Les temps étaient plus heureux, et la Société aimait à se produire en séance publique, entrant avec tous en communication de ses travaux. Elle était dignement représentée dans ces solennités. Dans l’une de ces séances, il parla des antiquités préhistoriques déterminant l’âge de la pierre taillée, de la pierre poli, l’âge du bronze, du fer, recherchant les origines asiatiques de la race gauloise, retraçant ses migrations vers l’Occident, appuyant ses distinctions de spécimens d’armes et d’instruments déposés sur le bureau, intéressant vivement le public et nous-même par ses démonstrations tangibles [48]. Dans une autre séance publique, il fixa l’attention de l’auditoire en jetant un coup d’œil sur la situation et le caractère de l’art en France au xvie siècle, faisant remarquer l’affinité qu’il avait d’abord avec l’Allemagne plutôt qu’avec l’Italie, signalant l’influence absorbante exercée ensuite par l’art italien ; puis, par le même procédé instructif, il produisait à l’appui de ses idées les objets (Pari ; qui servaient à ses développements [49].

Cependant une maladie qui ne pardonne pas, et l’habile médecin se connaissait bien lui-même, s’était emparée de sa personne ; il renonce aux fonctions publiques, est nommé en 1868 directeur honoraire de l’École de Médecine, ne conservant pour m’attacher a la vie que de derniers travaux à accomplir. Une dernière et importante découverte lui restait encore à faire, et il ne voulait pas y manquer. M. Benjamin Fillon, dans son bel ouvrage l’Art de terre chez les Poitevins, publié en 1864, avait, par des rapprochements ingénieux et des titres jusqu’à lui inconnus, découvert l’explication du mystère qui s’attachait aux fameuses faïences de Henri II, et fait connaître qu’elles étaient dues à Hélène de Hangest, veuve du grand-maître de France, Arthur de Boisy ; seigneur d’Oyron [50]. L’art céramique, dont l’illustre famille des Gouffier avait doté le Poitou, ne devait-il pas aussi, sous quelqu’autre grande influence, se retrouver à la même époque en Bretagne, et pourquoi pas à Rennes même. Déjà quelques pièces bretonnes, et où se faisait voir le désir d’imiter Bernard Palissy, l’avaient mis sur la trace [51] ; et voici qu’aux portes de la vrille, dans une de ses propriétés, près de Châtillon, il découvre, cachés sous d’épaisses couches de badigeon, deux médaillons encastrés : c’étaient deux terres cuites représentant les profils de Henri II et de Catherine de Médicis. Sur le faîtage d’une maison du village de Saint-Laurent, s’élève un vieil épi ; il l’examine, il portait avec l’écusson de France et de Navarre, l’effigie de Marie de Médicis, et pour marque, l’estampille DE FONTENAY [52]. C’était toute une révélation. Et se reportant à haut et puissant seigneur Jean d’Acigné ; sire de Fontenay, chevalier des ordres du Roi et président des États de Bretagne, il : découvrait le protecteur, dont le fief, passant ensuite par alliance entre les mains du maréchal de Cossé-Brissac, gouverneur de Bretagne, avait sinon rivalisé a pour les productions artistiques avec Oyron, du moins montré par toute une série de poteries importantes que la Bretagne, avec ses grands seigneurs, ne marchait pas en arrière du reste de la France dans le grand mouvement artistique qui caractérisait la renaissance au xvie siècle. La Société en fut instruite la première ; et dans une séance publique au moisi d’avril 1870, il fit lire, car il ne le pouvait plus lui-même, un morceau où les auditeurs étaient mis a même d’apprécier que sous le rapport des beaux-arts et de la céramique la Bretagne ne le cédait à nulle autre province [53].

Un Mémoire de M. Aussant, retraçant sa découverte et l’accompagnant de curieux détails, ouvre le volume des Mémoires de la Société, publication posthume dont l’enrichit encore après sa mort celui qui, de son vivant, n’avait cessé de concourir à sa prospérité : c’est sa notice nécrologique qui le termine.

Pendant tout le cours de sa direction, M. Aussant n’avait cessé d’administrer les Musées de Bennes, non-seulement avec le désintéressement de la gratuité, mais encore payant largement en libéralités à l’établissement l’honneur qu’il croyait recevoir d’être à sa tête. Que de tableaux sortis de sa galerie sont venus enrichir celle de la ville ; que de dessins de maîtres sont venus en remplir les cartons pour s’exhiber ensuite. Toujours guidé par l’amour du pays, il avait formé une curieuse collection de gravures où l’iconographie et la topographie de la Bretagne recevaient leur illustration du burin. Il la donne pour qu’elle soit destinée a former une galerie nouvelle où les artistes bretons pourront trouver des modèles certains et authentiques. Il. se pressait d’autant plus qu’il voyait que ses instants étaient comptés. Une collection de minéralogie et de conchyliologie est nécessaire pour compléter les séries de son musée ; il la donne généreusement ; heureux que ce qui fit l’objet des recherches de toute sa vie soit encore, après sa mort, le sujet des études de tout un public.


M. Aussant mourut à Rennes le 18 juin 1872. La Mairie, l’École de Médecine et la Société, qu’il avait présidée avec tant de distinction, ne manquèrent point, en lui rendant les derniers devoirs, de lui payer le tribun de leurs regrets [54], hommage suprême sur la tombe de celui qui emportait avec lui le témoignage d’une carrière si bien remplie par les devoirs de son état, la culture élevée des sciences et des arts, et la constante pratique de moules les vertus qui font l’homme et le citoyen, le vrai savant et le véritable chrétien, honneur de la Bretagne et du pays tout entier.

ANDRÉ.

    des 10 février et 10 novembre 1858, p. 158 et 168 ; des 12 janvier et 9 mars 1859, t. I, p. 9 ; des 12 mai et 12 novembre 1863, t. VII, p. 7 et 12 ; du 10 mars 1867, p. 911.

  1. P. 18 à 33.
  2. Nouv. Rev. de Bret., t. Ier, 1re livraison, p. 36 ; 2e livraison, p.88.
  3. T. 1er livraison, p. 338 ; 9e livraison, p. 441 ; t. II, 2e livraison, p. 116. Ce travail complété lu à la Société Archéologique dans les séances des 14 avril et 12 mai 1852 : Procès-verbaux, 1re livr., p. 72 et 74 ; et il y revint encore séances des 9 et 24 février 1859, t. I, p. 7.
  4. Nouv. Rev. de Bret., t. II, 5e livr., p. 294 et 313.
  5. Nouv. Rev. de Bret., t. II, 12e livr., p. 761.
  6. Ass. Bret., classe d’archéologie, 1re livr., p. 25.
  7. Ass. Bret., classe d’arch., 3e livr., p. 49.
  8. Congrès de Rennes, t. I, p. 81.
  9. Id., t. II, p. 249.
  10. Id., t. II, p. 375.
  11. Id., t. II, p. 396.
  12. P.-V. de-la Soc. d’Arch. ; séance du 11 février 1857, p. 137.
  13. P.-V., séances du 10 avril 1850, p. 46 ; du 3 avril 1865, t. VII, p. 43 ; du 13 novembre 1866, p. 66 ; des 14 mai et 9 juin 1867, p. 78 et 102 ; du 23 décembre 1868, p. 108.
  14. P.-V., séances du 29 juillet 1846, p. 14 ; des 13 mars, 10 avril, 13 novembre 1850, p 44, 46, 52 ; des 14 janvier, 10 mars, 12 mai 1852, p. 68, 72, 73 ; du 12 novembre 1856, p. 134 ; des 11 février et 11 novembre 1857, p. 137, 147 ; du 13 juillet 1359, l. I, p. 20 ; du 12 mai 1863, t. VII, p. 7 ; des 11 avril et 13 juin 1865, p. 43 et 47 ; des 12 juin et 10 juillet 1866, p. 63 et 65 ; du 23 décembre 1368, p. 108.
  15. P.-V., séances des 12 juin et 13 novembre 1850, p. 49 et 52 ; du 1851, p. 59 ; du 11 novembre 1857, p. 147.
  16. P.-V., séances du 11 novembre 1836, p. 16 ; des 12 mai et 8 décembre 12 mars 1857, p. 24 et 28.
  17. P.-V. du 11 novembre 1846, p. 16 ; du 12 mai 1847, p. 24 ; du 28 mars 1849, p. 32 ; du 10 juillet 1850, p. 50 ; du 14 avril 1852, p. 72 ; des 9 mars et 14 décembre 1853, p. 84 et 92 ; du 11 février 1857, p. 137 ;
  18. P.-V. des 19 juillet et 11 novembre 1846, p. 14 et 16 ; du 12 mai 1847, p. 24 ; des 14 avril et 9 mai 1849, p. 33 et 35 ; des 12 juin et 13 novembre 1850, p. 49 et 52 ; du 12 mars 1851, p. 59 ; des 14 janvier et 10 novembre 1852, p.69 et 79 ; des 11 mai, 13 juillet et 14 décembre 1853, p. 79, 86, 90 ; du 8 mars 1854, p. 96 ; des 12 mars et 9 juillet 1850, p. 125, 132 ; des 13 mai, 11 novembre et 9 décembre 1857 ; p, 142, 147, 148 ; des 10 février, 10 mars, 14 avril, 9 juin, 14 juillet 1858, p. 158, 160, 161, 164, 165 ; des 9 février, 24 mars, 13 avril, 13 juillet, 14 décembre 1859, t. I, p. 4, 10, 14, 20, 23 ; du 28 mars 1860, p. 32 ; des 13 février et 10 juillet 1862, t. III, p. 5 et 13 ; du 10 janvier 1865, p. 39 ; des 12 juin et 13 novembre 1866, p. 63 et 67 ; des 10 mars et 12 mai 1867, p. 93 et 98.
  19. P.-V., séance du 10 février 1856, 1. vu, p. 55.
  20. P.-V., séances du 10 juillet 1845, p. 9 ; du 26 mars 1849, p. 32 ; du 14 mai 1851, p. 62 ; du 12 mai 1852, p. 73 ; du 12 janvier 1853, p. 81 ; du 12 mars 1856, p. 124 ; des 11 février, 13 mai, 11 novembre 1857, p. 137, 163, 141 ; du 9 juin 1858, p. 164 ; du 13 février 1862, t. III, p. 5 ; du 14 juillet 1863, t. VII. p. 11 ; des 14 mai et 9 juin 1867, p. 79 et 102.
  21. P.-V., séance du 9 avril 1863, t. VII, p. 7.
  22. P.-V., du 1er avril 1846, p. 10, des 13 janvier et 10 février 1847, p. 18 et 20 ; du 13 novembre 1350, p. 53 ; des 12 mars et 14 mai 1851, p. 59, 61 ; des 14 janvier et 28 juillet 1852, p. 68, 78 ; du 8 juin 1853, p. 90 ; des 8 mars et 14 juin 1854, p. 96, 99 ; des 11 juin et 9 juillet 1856, p. 130, 132 ; des 13 mai, 10 juin, 8 juillet et 11 novembre 1857, p. 142, 145 ; des 9 juin, 14 juillet et 8 décembre 1858 ; p. 164, 165, 168 ; des 24 février, 9 et 24 mars, 11 mai 1859, t. I, p. 8, 9, 11, 18 ; des 14 mars et 11 juillet 1860, p. 23, 38, 39 ; du 10 juillet 1892, t. III, p. 13 ; du 8 décembre 1863, t. VII, p. 13, 14 ; du 9 juin 1867, p. 102 ; du 11 mai 1869, p. 127.
  23. P.-V. des 12 janvier et 9 février 1848, p. 29, 30 ; du 13 juin 1849, p. 35 ; du 12 février 1851, p. 56 ; des 9 juin et 29 juillet 1852, p. 78, 81 ; du 12 janvier 1853, p. 81 ; du 8 murs 1854, p. 97 ; du 9 avril 1856, p. 127 : du 13 janvier 1858, p, 158 ; du 12 janvier 1859, t. I, p. 1 ; des 14 mars et 11 juillet 1860, p. 26, 39 ; du 13 février 1861, t. II, p. 7.
  24. P.-V. des 10 mars et 14 novembre 1847, p. 22, 28 ; du 14 mai 1851, p. 62 ; du 9 février 1853, p. 82 ; du 11 juin 1856, p. 130 ; du 9 mars 1859, t. I, p. 9.
  25. P.-V. du 11 novembre 1846, p. 15 ; du 11 février 1349, p. 31 ; du 10 avril 1850, p. 46 ; du 12 mars 1851, p. 58 ; du 10 novembre 1852. p. 79 ; des 13 mai et 10 juin 1857, p. 142, 145 ; du 14 mars 1860, t. I, p. 27 ; du 13 mars 1861, t. II, p. 10 ; du 13 mars 1866, t. VII, p. 56 ; du 12 janvier 1869, p. 110.
  26. P.-V. du 13 février 1850, p. 42 ; du 10 murs 1852, p. 71 ; des 12 janvier, 11 mai, 13 juillet, 14 décembre 1853, p. 86, 90, 92 ; du 13 mai 1857, p. 142 ; du 10 mars 1867, t. VII, p. 94.
  27. P.-V. du 13 novembre 1850, p. 52 ; du 9 juin 1852, p. 74 ; des 13 février, 12 mars ; 9 avril 1856, p. 123, 124, 127 ; du 10 juin 1857, p. 145 ; du 10 juillet 1866, t. VII, p. 64 ; des 10 mars et 9 juin 1867, p. 102 ; du 8 décembre 1868, p. 107.
  28. P.-V. du 29 juillet 1846, p. 14 ; au 11 juin 1851, p. 65 ; des 10 mars et 8 décembre 1852, p. 70, 80 ; du 11 juin 1856, p. 130.
  29. P.-V. du 29 juillet 1846, p. 14 ; des 10 novembre et 8 décembre 1852, p. 79, 80.
  30. P.-V. des 12 mai et 9 juin 1867, t. VII, p. 99, 102.
  31. P.-V. du 12 février 1851, p. 58 ; des 10 novembre, 8 décembre 1852, p. 79, 80 ; des 9 février et 9 mars 1853, p. 82, 83 ; du 12 décembre 1855, p. 117 ; du 12 novembre 1856, 134 ; des 14 janvier, 11 mars et 9 décembre 1857, p. 136, 138, 159 ; du 12 décembre 1862, t. II, p. 20 ; des 13 mars et 8 mai 1866, t. VII, p. 56, 60 ; du 17 mars 1869, p. 115.
  32. P.-V. du 19 janvier 1858, p. 158 ; du 8 mai. 1861, t. II, p. 14 ; du 8 décembre 1868, t. VII, p. 107.
  33. P.-V. des 9 mai et 12 décembre 1849, p. 35, 39 ; des 3 janvier, 13 mars, 10 avril, 8 mai 1850, p. 41, 43, 45, 47 ; des 9 mai, 11 juin, 12 novembre 1851, p. 61, 65, 67 ; des 9 juin, 14 et 28 juillet, 10 novembre 1852, p. 74, 77, 78, 79 ; du 9 mars 1853, p. 83 ; des 12 mars et 13 mai 1856, p. 124, 128 ; du 11 novembre 1857, p. 147 ; des 13 janvier, 10 février, 9 juin, 14 juillet 1853, p.153, 159, 164, 167 ; des 19 mai et 13 juillet 1859, t. I, p. 18, 20 ; du 11 janvier 1860, p. 24 ; des 13 mars, 13 août 1351, t. II, p. 10, 24 ; du 14 avril 1867, t. VII, p. 96.
  34. P.-V. du 13 mars 1850, p. 43 ; du 12 février 1851, p. 57 ; des 10 mars et 12 mai 1852, p. 71, 73 ; du 14 décembre 1853, p. 92 ; du 13 mai 1856, p. 129 ; du 8 juillet 1857, p. 145 ; du 8 juin 1859, t. I, p. 20 ; du 13 février 1861, t. II, p. 7 ; du 12 mai 1863, t. VII, p. 8.
  35. P.-V. du 12 février 1851, p. 57 ; des 12 janvier et 14 décembre 1853, p. 92 ; du 13 mai 1856, ] ; 129 ; des 10 février, 10 mars, 9 juin 1858, p. 159, 160, 164 ; du 8 juin 1859, t. I, p. 20 ; des 14 et 28 mars 1860, p. 27, 32 ; du 12 mai 1863, t. VII, p. 7 ; du 8 mars 1864, p. 19 ; du 13 juin 1865, p. 47.
  36. P.-V. du 13 février 1850, p. 42 ; des 10 mars et 12 mai 1852, p. 71, 73 ; du 10 juillet 1866, t. VII, p. 64.
  37. P.-V. des 8 janvier et 12 mars 1851, p. 55, 58 ; du 10 juin 1857, p. 144.
  38. P.-V. du 5 juin 1846, p. 12 ; des 10 juillet et 14 décembre 1950, p. 52 et 54 ; des 8 janvier, 14 mai, 11 juin et 9 juillet 1851, p. 56, 61, 62, 65, 66 ; des 9 avril et 9 juillet 1856, p. 127, 132 ; des 11 mars et 11 avril 1857, p. 138, 140 ; du 9 juin 1863, t. VII, p. 10.
  39. P.-V. des 12 février et 11 juin 1851, p. 57, 65 ; du 9 juillet 1856, p. 132 ; du 11 avril 1860, t. I, p. 34 ; du 12 juin 1866, p. 63 ; du 12 février 1867, t. VII, p. 73.
  40. Rentrée solennelle des Facultés et des Écoles préparatoires, années 1861 et suiv.
  41. Soc. Arch., t. III, p. 23.
  42. Ph. Burty, la Presse ; Alfred Darcel, Journal de Rouen du 6 décembre 1864 ; Louis Esnault, le Grand Journal d u 1er janvier 1865 ; le Correspondant du même mois, article reproduit dans le Journal de Rennes du 30 janvier 1865 ; Albert Jacquemard, Gazette des Beaux-Arts de février 1867, et Merveilles de la Céramique, tome III, 1869, page 131.
  43. P.-V. du 13 mars 1352, p. 71 ; du 9 février 1853, p. 32 ; du 14 juin 1354, p. 99 ; des 12 mai, 9 juin, 14 juillet 1863, t. VII, p. 8, 11 ; des 8 novembre et 13 décembre 1864, p. 36 et 38 ; des 12 janvier, 17 mars, 13 avril, 13 juillet 1869, p. 110, 115, 116, 119.
  44. P.-V. du 11 novembre 1846, p.15 ; des 12 mai, 14 novembre, 8 décembre 1841, p. 23, 28, 29 ; du 12 avril 1854, p. 98 ; du 11 juin 1856, p. 131 ; du 11 novembre 1857, p. 147 ; du 24 mars 1859, t. I, p. 10, des 10 juillet et 13 août 1861, t. II, p. 18, 23.
  45. P.-V. des 10 mars et 14 mai 1867, t. VII, p. 79, 93. Rapport inséré au Journal de Rennes du 2 octobre 1867.
  46. T. VI, p. 133. Revue Archéologique, t. XVII, p. 246.
  47. T. VII, p. 291.
  48. Séance du 23 décembre 1868, p. 108.
  49. Séance du 17 mars 1869, p. 115.
  50. B. Fillon, l’Art de terre, p. 58 ; Albert Jacquemart, Merv. de la Cér., t. II, p. 311.
  51. P.-V. des 11 février et 10 mars 1861, t. VII, p. 91 et 92 ; Albert Jacquemart, Merv. de la Cér., t. II, 1868, p. 101, 272, 276.
  52. P.-V. des 9 février, 9 et 17 mars ; 8 juin 1869, t. VII, p. 111, 112, 115, 118.
  53. Journal de Rennes du 8 avril 1810.
  54. Journal de Rennes, les 20 et 21 juin 1872.