Notice historique sur L’Abord-à-Plouffe/Progrès civil

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Typographie L’Action populaire (p. 25-30).

CHAPITRE IV



PROGRÈS CIVIL


Incorporation. — 1er Maire. — 1ers Échevins. — Inventaire. — La culture maraîchère. —


Nous l’avons dit : l’Abord-à-Plouffe jusqu’en 1916 n’était pas une municipalité distincte. Elle faisait partie de St-Martin et était administrée par elle. Une maladministration de son domaine ou une certaine négligence à lui fournir les améliorations qu’elle exigeait mit dans le cerveau de quelques citoyens l’idée de lui obtenir son autonomie. La première tentative en ce sens fut faite le 23 mai 1878 par M. Eusèbe Lorrain, boulanger, le père de notre Maire actuel, mais le Conseil de Comté n’accorda pas la requête. Le plan avait été cadastré par M. I. O. Malsburg de Montréal. Démarches sur démarches furent entreprises par la suite. Le parti des anciens opposés à la mesure d’émancipation et à bon droit, lutta courageusement et obtint la victoire deux autres fois. Dans cette lutte il y eut de fortes chicanes mais jamais de rancune. Chacun cherchait à faire triompher ses intérêts et à cela personne n’a à redire. Toujours est-il qu’un fameux voyage eut lieu à Québec. Devant le Comité des Bills privés de fortes influences se jouèrent. Rien ne fit : le parti des non-incorporants triompha. Les vaincus ne se découragèrent pas. Le 20 oct. 1915 après une séance fameuse ils obtenaient à Ste-Rose l’incorporation. Le nouveau village comprendrait tout le territoire de l’arrondissement scolaire. Le 26 Novembre de la même année le Gouverneur de Québec Sir P. E. LeBlanc ratifia cette décision.

Mais il fallait un Maire et des échevins. Les élections ne se font pas sans activité et discussion. Il y eut bien davantage ! Quel sera donc le premier magistrat ? Quels en seront les premiers conseillers ? Sous la présidence de M. Henri Chapleau secrétaire du Comté Laval, MM. Wilfrid Lorrain, Joseph Plouffe, Alphonse Taillefer, Martin Plouffe, Arthur Hotte, Romain Clermont et Alexandre Francœur furent élus par le vote des électeurs les 17 et 18 décembre. À la première assemblée du nouveau conseil qui se fit avec grande solennité M. Martin Plouffe fut nommé Maire. M. Plouffe fut donc le premier à plus d’un titre. M. Martin Plouffe est le fils de Martin Plouffe et de Candide Taillefer. M. Eusèbe Lorrain fut nommé temporairement secrétaire-trésorier et le 3 janvier 1916 M. Adolphe Francœur lui succéda dans cette fonction. M. Plouffe après une année de sage et économique administration démissionna. Le peuple cette fois, et non plus le conseil, se donna un nouveau Maire dans la personne de M. Wilfrid Lorrain J. P. qui fut élu contre M. Michel Laviolette le 11 janvier 1917. De nouvelles et graves questions surgirent. Les chemins demandaient des réparations : on les fit faire. Des règlements équitables pour la perception de la taxe des chemins s’imposaient : il fallut s’en occuper pour


MGR G. GAUTHIER, évêque auxiliaire de Montréal et recteur de l’Université de Montréal.

donner aux contribuables la juste part dont ils étaient redevables.

La question des rues sur le Parc Cartierville-Nord fut tranchée et les travaux furent entrepris. La question des trottoirs « à venir » fut aussi débattue.

Bref ! le parti des économistes et des anciens qui a le droit de se protéger contre un progrès trop dispendieux lutta ferme. La victoire lui souria plusieurs fois. À l’heure présente ce parti est en minorité mais ne veille pas moins. Il attend avec confiance la bataille des futures élections. Que nous réserve l’avenir ? Dieu seul le sait.

L’Abord-à-Plouffe est un village actif. À part la culture maraîchère dont nous parlerons à l’instant il y a tout un monde de travailleurs et de commerçants. On y remarque un médecin, un manufacturier, cinq marchands dont deux font le commerce général, un agent de la célèbre machine Ford, deux forgerons, un voiturier, deux bouchers, un commerçant de grains et foin, deux restaurateurs, une maison de pension pour héberger les voyageurs, deux entrepreneurs généraux, plusieurs ouvriers charpentiers ou peintres, trois fabricants d’outils, un grand nombre de tailleurs de pierre et de mouleurs. La Banque Provinciale y a établie une succursale dont M. Horace Brouillette est le gérant. Mais ce qui frappe le plus en visitant l’Abord-à-Plouffe ce sont les beaux jardins qu’on y admire. La culture maraîchère prend des proportions gigantesques. La demande est tellement grande et le marché si fructueux que le grand nombre de nos gens se donnent à la culture des légumes. L’hiver ceux-ci vont en ville chercher les engrais voulus et dès le mois de Mars et même Février ils préparent les grandes boîtes qui feront pousser le plan. Puis en Mai ou Juin c’est la transplantation sur de longues distances. Il y a des maraîchers qui font ainsi 200, 300, 400 couches chaudes. Tous les légumes rapportent beaucoup et on peut dire que cette culture est vraiment pour nos cultivateurs « la poule aux œufs d’or » en même temps que l’école du travail et de la vertu. Un jeune homme propriétaire de 20 arpents de terre me disait en décembre dernier : j’ai fait cette année $13500.00. Un autre, un vieillard admirable le bon M. Janvier Plouffe que la mort vient de nous enlever subitement à l’âge pourtant avancé de 80 ans. « Monsieur, me disait-il, j’ai amassé quelques sous, oui, avec mes fraises (1 arpent à peu près) je crois avoir rentré $1500 ou $1600 cette année. »

C’est presque de la fantaisie mais nous constatons ce fait tous les jours que nos jardiniers autrefois très pauvres s’enrichissent à la course. Espérons que ce sera pour le bonheur des familles.

En terminant ce chapitre nous formulons le vœu que nos braves cultivateurs s’attachent encore davantage à la culture du sol ! Quelques jeunes gens, intelligents, bien doués et suffisamment pourvus, prennent trop souvent la route de la grande ville ! Pourquoi s’en vont-ils, loin de la terre paternelle, loin de leur milieu, dans des bureaux étroits et devant des comptoirs où le bon air est rare, quand ils pourraient vivre si heureux à l’ombre du logis des ancêtres ? N’insistons pas : le fait est déjà trop pénible.