Notice historique sur le Testament de Louis XVI

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Gueffier ; Audot ; Plancher ; Pierre Picquet (p. 1-6).
Notice historique sur le Testament de Louis XVI

NOTICE HISTORIQUE
sur
LE TESTAMENT DE LOUIS XVI,


NÉ LE 23 AOÛT 1754, MORT LE 21 JANVIER 1793.




Depuis long-temps la Providence a permis que les dernières pensées du meilleur des Rois fussent offertes à son peuple. Depuis long-temps on a reconnu, empreintes dans le Testament de Louis XVI, cette grandeur d’âme, cette sagesse profonde, cette résignation inaltérable, cette bonté infinie que toutes les puissances du crime n’ont pu vaincre, que des juges cruels n’ont pu comprendre, mais qu’ils ont voulu punir. Depuis long-temps enfin les vrais Français conservent dans leur mémoire tous les traits touchans de ce monument de vertu, devenu vénérable par l’amour de tout un peuple pour ses Souverains légitimes. Mais à présent ce n’est pas assez d’y voir à découvert l’âme d’un excellent prince, on veut encore connaître par quels traits sa main nous l’a peinte, et l’on est dans l’impatience de posséder l’original de ce précieux Testament, relique sacrée d’un Roi — martyr, présentée, sous les auspices de son frère, dans un fac simile, ou dans une imitation parfaite.

Mais par quels miracles est-il parvenu jusqu’à nous, quand l’impiété a détruit tant de choses bien moins dignes de sa colère ? Comment les barbares qui arrachaient la vie à leur maître n’ont-ils pas fait disparaître aussi le pardon qu’il leur accordait ? C’est ce que nous nous proposons de faire connaître ici en peu de mots.

Dans les jours qui précédèrent la fête de Noël, le projet était formé dans la convention de conduire le Roi aux Feuillans pour le juger sans désemparer, et cette résolution étant bien connue, il se décida à écrire ses dernières pensées. « Ce fut le jour de Noël, dit Cléry, que Sa Majesté écrivit son testament ; il fut remis au conseil du Temple : il était écrit entièrement de la main du Roi, avec des ratures[1]. » Mais le déplacement du Roi n’eut pas lieu, et il garda son testament, puisque, le 20 janvier, aussitôt qu’il se trouva seul avec M. Edgeworth de Firmont, le digne confesseur de son choix, il tira de sa poche ce même testament cacheté, dont il rompit le sceau, en lui disant : Voici un écrit que je suis bien aise de vous communiquer. « Tous ceux qui ont lu cette pièce intéressante et si digne d’un Roi chrétien, ajoute M. de Firmont, jugeront aisément de l’impression profonde qu’elle dut faire sur moi. Mais ce qui les étonnera sans doute, c’est que ce prince eut la force de la lire lui-même, et de la lire jusqu’à deux fois. Sa voix était ferme, et il ne paraissait d’altération sur son visage que lorsqu’il rencontrait des noms qui lui étaient chers. Alors toute sa tendresse se réveillait, il était obligé de s’arrêter un moment, et ses larmes coulaient malgré lui ; mais, lorsqu’il n’était question que de lui-même et de ses malheurs, il n’en paraissait pas plus ému que ne le sont communément les autres hommes lorsqu’ils entendent le récit des maux d’autrui. »

Le 21 janvier, au moment de quitter le Temple pour la dernière fois, le Roi, s’adressant à ceux qui l’entouraient, leur dit : Y a-t-il parmi vous quelque membre de la Commune ? Je le charge d’y déposer cet écrit. Sur leur réponse, il l’offrit d’abord à un municipal, qui le refusa avec dureté, et ensuite à un autre, nommé Gobeau, en lui ajoutant, dit Cléry : « Remettez ce papier, je vous prie, à la Reine…, à ma femme : vous pourrez en prendre lecture ; il y a des dispositions que je désire que la Commune connaisse. »

Il paraît que ce testament fut remis assez promptement à la Commune, puisque l’on trouve, sur le registre de ses séances, qu’il fut annoncé le 21 janvier dès onze heures du matin. En effet, on lit dans le procès-verbal de la séance de ce jour : « À onze heures du matin, un membre fait part qu’il arrive du Temple, et que les membres de la commission l’ont chargé de prévenir le conseil qu’ils avaient un paquet important à communiquer, et qu’ils invitaient à ne pas lever la séance avant qu’ils l’eussent envoyé. »

En conséquence de cet avis une décision est prise aussitôt, et elle est consignée sur le registre en ces termes :

« Le conseil-général arrête qu’il sera envoyé à l’instant une ordonnance à la commission du Temple, pour la prier d’envoyer au conseil la pièce qu’elle a fait annoncer. »

L’on peut voir par ce qui suit que le Testament fut envoyé aussitôt. C’est encore un relevé du registre pour la séance du 21.

« Le conseil-général entend lecture du Testament de Louis XVI. Il ordonne que le dépôt en sera fait entre les mains du secrétaire-greffier, qui sera tenu d’en faire passer l’original au conseil exécutif, et d’en consigner une copie collationnée au procès-verbal.

« La séance est levée à une heure et demie. »

Enfin voici l’extrait du procès-verbal de la séance du 22.

« Le secrétaire-greffier de la municipalité, en vertu d’un arrêté du conseil-général de la Commune, a adressé au conseil exécutif provisoire le Testament olographe du Roi. Le conseil exécutif a annoncé ce dépôt au président de la Convention. »

C’est probablement à la publicité que donna à cette pièce l’annonce qui en fut faite au président de la Convention, que l’on en dut la connaissance ; car autrement on ne pourrait expliquer comment elle fut insérée tout entière dans le Moniteur du 28 janvier, sept jours après la mort du Roi. En effet, si l’on pense aux sentimens exprimés dans ce Testament, et à l’effet qu’il dut produire sur la partie saine de la nation, on devra s’étonner de l’imprudence des meneurs qui le publiaient ; mais si l’on se représente ces jours où l’on venait de commettre le grand crime, on verra ces mêmes meneurs, épouvantés de leur propre forfait, se méfier les uns des autres, se préparer des embûches, et l’on concevra quel danger il y avait pour quelques-uns à cacher aux autres une pareille pièce. Ainsi elle ne fut donc publiée que parce qu’on craignait bien plus la trahison des complices que le blâme général. Mais, en la publiant, ces hommes pervers crurent devoir la faire accompagner d’un commentaire à leur manière, parce que, dans leur affreuse logique, ils voulaient y faire trouver la preuve que l’ex-Roi de France était mort dans l’impénitence finale de la haine contre la liberté et l’égalité, etc.

Quoi qu’il en soit, les registres publics ne présentent plus rien qui y soit relatif, jusqu’au 4 avril de la même année, et c’est au conseil exécutif que l’on trouve, sous cette date, l’arrêté suivant :

« Le conseil exécutif provisoire, considérant que ses archives ne sont pas assez sûres pour conserver des pièces qui sont d’un intérêt genéral pour la nation, a ordonné l’envoi du Testament du Roi aux archives nationales. »

Enfin, la lettre d’envoi du conseil exécutif n’est datée que du 12 juin, et le récépissé délivré par l’archiviste est du 15 juin 1793. Ce n’est donc que depuis lors que l’original, écrit de la main du Roi, dont nous offrons le fac simile, se trouve aux archives.

On verra, en lisant ce qui est relatif au Testament de la Reine, que S. M. Louis XVIII a ordonné qu’il en soit délivré un fac simile aux Membres des Chambres, et, dans sa bienveillance, il a voulu ajouter encore à cette faveur en faisant exécuter celui de son infortuné frère. C’est à cette tendre sollicitude de notre bon Roi pour tout ce qui peut faire le bonheur de ses sujets, que chacun de nous devra l’avantage de pouvoir transmettre à ses descendans une représentation fidèle de ces deux pièces originales.

  1. Quelques personnes pensent que S. M. l’Empereur de Russie possède un testament écrit de la main de Louis XVI : ce fait nous paraît douteux ; mais l’exemplaire qui existe aux archives, et dont nous esquissons l’histoire, est bien celui dont parle Cléry. Il porte bien la date du jour qu’il le lui a vu écrire, et on le reconnaîtrait aux ratures qui y existent, quand il ne serait pas paraphé par le conseil-général de la Commune.

    Pour satisfaire les personnes qui ne pourraient pas lire sur le fac simile ce que couvre la grande rature de la troisième page, nous l’indiquons ici.

    MOTS RATURÉS :

    S’ils avaient le malheur de perdre leur mère.