Notice historique sur le Testament de la Reine Marie-Antoinette d’Autriche

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Gueffier ; Audot ; Plancher ; Pierre Picquet (p. 7-16).

NOTICE HISTORIQUE
sur
LE TESTAMENT DE LA REINE
MARIE-ANTOINETTE D’AUTRICHE,

NÉE LE 2 NOVEMBRE 1755, MORTE LE 16 OCTOBRE 1793.




Nous avons expliqué, en parlant du Testament de Louis XVI, comment il avait été connu presqu’aussitôt la mort de ce prince. Ce qu’il convient de remarquer ici, c’est que toutes les circonstances qui le firent connaître, et qui obligèrent de le publier alors, trouvèrent leur source dans un reste de respect et de liberté que l’on n’avait pas osé refuser au chef de la nation en le faisant périr.

Il n’en est pas de même du Testament de la Reine. Tout-à-fait ignoré pendant bien des années, il n’a été connu, à son origine, que de quelques-uns des hommes qui osèrent soutenir la vue de cette auguste Princesse sur le banc des criminels. Mais si l’on ne craint pas de reporter ses regards sur ces temps d’horreur, on conviendra que, quoiqu’il n’ait pas été connu alors, on ne devrait rien en induire contre son authenticité, quand des noms hideux ne l’attesteraient pas[1]. Neuf mois seulement s’étaient écoulés depuis la mort du Roi, lorsque la Reine l’écrivit ; mais déjà les temps étaient bien changés : on était bien plus avancés dans le chemin de la barbarie ; on avait bien plus d’expérience dans le crime : les divinités de 93 avaient tout-à-fait établi leur puissance. Aussi, par respect pour l’égalité, le plus vil des hommes pouvait impunément faire souffrir à la Souveraine de la nation les traitemens les plus affreux, l’accabler d’injures grossières et d’insultes ignobles, afin de l’abaisser jusqu’à lui. Par hommage à la liberté, on pouvait la retenir dans une étroite prison, sans vêtemens, presque sans alimens, entourée incessamment de soldats, dont on punissait les égards, ou dont on récompensait la brutalité. C’est au milieu de cet état de choses que la Reine de France subit ce qu’on était convenu alors d’appeler un jugement. Quelques jours suffirent pour le terminer, parce que le résultat en était préparé d’avance ; mais ce qui est le comble de la scélératesse, c’est que, pendant le peu de temps qu’il dura, on la privait d’alimens, afin que sa faiblesse fût prise par le peuple pour du découragement et de la lâcheté. On lui refusait toute espèce de nourriture depuis neuf heures du matin jusque fort avant dans la nuit que se terminaient les séances. Le croirait-on ? sa grande âme n’a pu être accablée de tant de maux ; elle conserva tout le calme de l’innocence, toute la dignité du vrai courage. Ses réponses furent toujours précises ; sa présence d’esprit déconcertait ses juges ; mais jamais ses ennemis n’y trouvèrent que de l’indulgence, et pas un de ses serviteurs fidèles n’en fut compromis. C’est dans la nuit qui suivit le 15 octobre que le jugement se termina. Un jury, composé à l’unisson des juges, donna à l’unanimité des conclusions qui entraînaient la peine de mort ; et (dit M. Montjoye) « l’infortunée Marie-Antoinette, en entendant cet arrêt que des hommes injustes et féroces prononçaient contre elle, ne donna aucun signe d’effroi. Il ne parut sur son visage aucune marque d’émotion : elle était calme, et on lisait dans ses yeux qu’elle pardonnait encore à ses lâches et impitoyables persécuteurs ce dernier outrage. »

Il était plus de quatre heures du matin, et la Reine était accablée de fatigue et de froid lorsqu’elle rentra dans sa prison pour la dernière fois. C’est alors qu’elle écrivit cette lettre que nous avons le bonheur de posséder.

Mais c’est ici qu’il se présente pour nous plusieurs difficultés. Comment s’est-elle procuré de quoi écrire ? En quel temps écrivit-elle, puisque, suivant M. Montjoye, elle s’endormit en rentrant du tribunal, et ne fut réveillée qu’à six heures par le prêtre Girard ? Nous avons cherché à nous procurer des renseignemens sur ces deux points, et nous croyons en avoir trouvé qui ne laissent rien à désirer. L’on va voir que si M. Montjoye avait été aussi scrupuleux que nous dans ses recherches, il aurait évité de faire l’erreur grave qui nous a le plus embarrassés.

Le concierge Richard avait été renvoyé de la conciergerie, victime de son dévouement pour la Reine. Il fut remplacé par un nommé Bault, qui conserva tous les égards que l’on pouvait hazarder dans cette circonstance, mais qui ne pouvait approcher sa prisonnière, qu’accompagné de deux gendarmes ; il était la seule personne de la conciergerie qui l’approchât. Or, le 16 octobre, aussitôt que la Reine fut rentrée du tribunal, et il était quatre heures et demie du matin, elle demanda Bault, afin d’obtenir ce qui lui était nécessaire pour écrire. Il lui apporta bientôt ce qu’elle désirait, et il la laissa seule.

Voilà donc la Reine de France occupée à écrire à madame Élisabeth une lettre que celle-ci ne devait point connaître. La voilà donc seule avec Dieu, se reposant en quelque sorte des fatigues du malheur, parce qu’elle voyait un terme à ses infortunes. La voilà libre enfin ; elle ne craint plus ses bourreaux, elle laisse parler son cœur, et nous allons connaître toutes ses pensées à sa dernière heure.

Aussitôt que la Reine eut fini d’écrire, Bault fut rappelé. Elle le chargea d’une lettre… Mais il n’avait pu rentrer sans les deux gendarmes, et il fallut remettre au comité révolutionnaire ce qu’une main bien chère devait conserver. Hélas ! dit Bault à son épouse[2] en rentrant chez lui, ta pauvre Reine a écrit, elle m’a donné sa lettre, mais je n’ai pu la remettre à son adresse ; il a fallu la porter à Fouquier. Voilà des faits peu connus, mais dont nous sommes certains et qui prouvent jusqu’à l’évidence l’authenticité du Testament de la Reine. Comment en effet ne pas reconnaître ce Testament dans la lettre remise à Bault et portée à Fouquier ? Voyons ce qu’elle devint ensuite.

On pense bien que les membres du tribunal révolutionnaire n’étaient pas des personnages assez élevés pour qu’il leur fût permis de garder une pièce de cette importance. Aussi ne firent-ils que la signer, et elle fut remise à Robespierre, parce qu’il était le digne souverain d’alors. Mais il ne garda pas long-temps ce trésor de douleur : neuf mois après la mort de la Reine, son tour vint d’expier ses forfaits, et c’est en cherchant dans les papiers du dictateur pour y trouver des preuves de ses prétentions à la puissance souveraine, que les vainqueurs du 9 thermidor firent trouver le Testament de cette princesse. Le constitutionnel Courtois fut chargé de la recherche et par une infidélité digne de ces temps et de ces hommes, et dont nous profitons aujourd’hui, il crut devoir se l’approprier. Il le garda avec tout le soin qu’il méritait, et peut-être avec tout l’intérêt du repentir, pendant près de vingt-deux ans[3].

Enfin il était réservé à la loi du 12 janvier 1816, en assurant notre repos pour l’avenir, de nous procurer aussi l’avantage de posséder une lettre précieuse, dernière œuvre d’une grande Reine, et qui atteste autant sa candeur et son innocence que son amour pour les Français, et sa tendresse pour sa famille.

Le 22 février, on s’occupait à la chambre des députés de la loi sur les élections. MM. les Ministres des affaires étrangères et de la police générale avaient été introduits pendant que M. Serres était à la tribune ; après le discours de ce membre, M. le Ministre de la police générale demande à être entendu ; il monte à la tribune, et du ton qui annonçait l’émotion profonde qu’il allait communiquer, d’une voix sensiblement altérée, il s’est exprimé à-peu-près en ces termes :

« Messieurs, le Roi nous a chargés de vous faire une communication qui doit toucher vivement vos cœurs… » Un profond silence s’établit : la chambre semble pressentir l’objet de la communication : un sentiment d’émotion est empreint sur toutes les physionomies… « La mort du juste n’est jamais perdue pour la postérité : elle donne toujours de graves et salutaires leçons ; la Providence avait permis qu’il restât une trace écrite des dernières pensées, des derniers vœux que formait un monarque dont le nom est à jamais consacré dans le souvenir des hommes ; elle avait permis qu’il existât un Testament de Louis XVI.

« Mais cette consolation ne nous avait point été accordée pour la Reine. Parmi les touchans souvenirs que laissait la plus auguste et la plus infortunée des mères, des épouses et des reines, la fille de Marie Thérèse, cette princesse digne du fils de Saint Louis, digne de partager sa couronne, et son martyre, Dieu seul avait entendu la voix de la Reine mourante : son auguste fille n’avait pas recueilli l’expression de ses derniers vœux. Vingt-trois ans se sont écoulés depuis que cet écrit a été tracé à l’heure dernière de la plus aimée, comme de la plus malheureuse des souveraines. Enfin la Providence a permis qu’il pût être présenté à l’auguste fille de nos Rois, et porter quelqu’adoucissement à ses douleurs, alors même qu’il les renouvelle. Cette lettre est reconnaissable par l’empreinte de l’écriture de la Reine, dont les caractères ne sont nulle part tracés d’une main plus ferme et plus sûre, comme pour montrer le calme de son âme en cet affreux moment. Elle n’est pas signée ; mais l’authenticité en est garantie par un témoignage qui inspire l’horreur… Le Testament de la victime est signé par ses bourreaux. »

« Ce Testament respire la tendresse d’une mère, d’une sœur et d’une amie, la dignité d’une reine, la fermeté d’un sage : il est digne d’être entendu à côté de ce testament auguste et saint qui mérita d’être lu dans la chaire de vérité, après la parole de Dieu. »

M. le comte de Caze donne ici lecture de la lettre de la Reine de France, Marie-Antoinette, à sa sœur madame Élisabeth.

Après cette lecture, le Ministre est long-temps sans pouvoir poursuivre ; l’émotion de l’assemblée et la sienne ne le lui permettent pas ; des pleurs sont dans tous les yeux : ce n’est qu’après un long silence que le Ministre peut reprendre la parole.

« Messieurs, dit M. le comte de Caze, le Roi, en nous chargeant de cette auguste communication, a bien voulu nous autoriser à vous dire, qu’en faisant tomber son choix sur nous, c’était autant le député que le ministre qu’il avait voulu honorer. S. M. a désiré aussi que vous vissiez dans cette communication une preuve du besoin qu’elle éprouve de confondre tous ses sentimens dans ceux de son peuple, et de vous faire partager les consolations qu’elle reçoit comme elle partage nos espérances et nos maux.

« Je dépose sur le bureau une copie certifiée du testament de la Reine Marie-Antoinette : S. M. m’a chargé de vous annoncer qu’elle avait ordonné qu’il en fût fait un fac simile dont une expédition sera délivrée à chacun des membres de la chambre. »

À ces mots l’assemblée entière se lève aux cris de Vive le Roi !

M. Lainé. « Messieurs, quelle touchante diversion {{{2}}} à nos discussions politiques, la communication qui vient de faire tressaillir vos cœurs, et que nous avons bien raison de vouloir mettre un frein à ces passions qui renversent les États, et ont fait tomber sur la France les calamités dont la lecture de cette royale lettre rappelle le souvenir ! Une trop vive émotion ne me permet pas de donner cours à cette idée. Cependant l’expression des derniers sentimens de notre Reine nous élève à des pensées plus hautes encore que la politique ; elle élève nos âmes vers la religion, et nous rappelle que la religion seule pourrait être le plus puissant moyen de gouvernement. Quelle sécurité pour les peuples quand elle remplit le cœur des Rois ! Quelle paix, quel bonheur pour les souverains, si elle pénètre dans l’âme du peuple comme dans les âmes royales ! Mais je m’apercois que j’anticipe sur l’expression de vos sentimens : il faut être moins ému et avoir plus de temps pour les exprimer dignement. Je propose, messieurs, qu’il soit fait une humble adresse au Roi, laquelle, s’il le permet, lui sera portée par une députation de 25 membres. Si l’élan de vos cœurs avait besoin d’un exemple, je vous dirais, et je viens d’en être instruit, que la chambre des pairs a voté une adresse au Roi qui doit lui être présentée par une grande députation. »

Un cri général s’élève : aux voix ! aux voix !… Bientôt l’assemblée entière est debout.

La proposition de M. Lainé est accueillie par un suffrage unanime et aux cris de Vive le Roi !

La députation choisie a été présentée le soir même au Roi, et M. Lainé portant la parole, a dit :

« Sire, après la profonde douleur que nous a causée la communication que V. M. a daigné faire à la chambre, notre première pensée est d’admirer la Providence qui a permis au temps de nous révéler les derniers sentimens de notre princesse. Pourquoi faut-il que la tombe seule soit inexorable et retienne à jamais l’auguste victime que nous pleurons ! Mais elle n’est pas pour nous morte toute entière. Son âme religieuse et royale s’est répandue dans cette lettre qui semble ajouter quelque chose au testament qui vous a légué des vertus plus qu’héroïques, parce qu’elles sont chrétiennes.

« Nous vous remercions, Sire, du don que votre bonté a fait à chacun de nous, de la lettre dont l’art reproduit les traits originaux, mais où notre âme découvre bien mieux l’image du cœur de Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre ; nous la transmettrons cette lettre en héritage à nos enfans ; elle leur apprendra qu’il est des vertus supérieures aux égaremens des siècles, et que la religion, qui inspire ces vertus, est, dans le cœur des Rois, le gage le plus sûr du bonheur du peuple. »

Le Roi a répondu : « Je suis sensible aux sentimens que m’exprime la chambre des députés à l’occasion de la communication que je lui ai faite. Aucun événement ne m’a plus profondément touché que cette découverte. J’en rends graces à la Providence qui a voulu révéler les vertus de celle dont je fus le sujet, le frère et j’ose dire l’ami. Je suis sûr que chacun de vous conservera avec soin le présent que je lui fais, et le transmettra à nos neveux, et comme nous, ils rendront justice à celle à qui elle fut si peu rendue de son vivant. » En prononçant ces derniers mots, la voix de Sa Majesté était sensiblement altérée.

La commission a demandé à S. M., par l’organe de son président, la permission, conformément aux lois, de se présenter chez Madame. Cette princesse l’a admise, quoiqu’il fût déjà fort tard. M. Lainé a dit :

« Madame,

« Le Roi vient de nous permettre d’exprimer à votre altesse royale les sentimens qu’a fait naître la lettre de votre auguste mère. Ces nobles caractères ont réveillé en nous la vive douleur que le temps a fait taire sans l’affaiblir. Mais cette douleur se tempère à la vue de votre altesse royale ; nous nous disons que Marie-Antoinette revit en Marie-Thérèse ; ce sont les mêmes vertus, c’est le même courage, et en voyant briller en vous, Madame, les sentimens religieux de deux princesses, les cœurs apaisés se rouvrent à l’espérance et aux consolations. »

Madame a répondu :

« Je suis vivement touchée de votre démarche. Les souvenirs que me rappelle la lettre miraculeusement conservée et écrite par une main si chère, me causent une émotion trop grande pour répondre comme je le voudrais a votre empressement. »

Tels sont les renseignemens que nous avons pu rassembler à la hâte sur l’histoire des deux pièces précieuses dont nous offrons une imitation au public. Le temps en fera peut-être découvrir quelques autres, mais il faut nous contenter de ceux-ci pour le présent : nous sommes si près des événemens, qu’il serait peut-être trop révoltant de tout savoir ! Bénissons plutôt mille fois la Providence qui nous a conservé ces leçons de toutes les vertus écrites sur les autels du crime, et sous les yeux mêmes des méchans. Relisons sans cesse ces Testamens précieux, si dignes de toute notre vénération, et nous y puiserons chaque jour plus d’horreur pour les temps dont nous sortons, plus d’espérances pour l’avenir, et plus d’amour pour nos souverains légitimes.

  1. Les signatures des membres du tribunal révolutionnaire se trouvent à la fin de l’original. L’horreur qu’elles inspirent aurait diminué, s’il avait été possible, notre vénération pour la Lettre de l’infortunée Marie-Antoinette : c’est pourquoi l’on n’a pas dû les laisser figurer sur le fac simile ; mais nous pensons que, placées ici en regard de cette note, elles pourront satisfaire la curiosité des lecteurs, tout en prouvant l’authenticité de la pièce dont nous traçons l’histoire.
  2. La veuve Bault, qui nous a fourni tous ces détails, ne pouvait approcher de la Reine ; mais Bault, connaissant toute sa vénération pour cette princesse infortunée, ne lui en parlait jamais en particulier qu’en la désignant par ces mots : Ta pauvre Reine !
  3. Depuis que ce passage est écrit, il a paru, sur l’objet qui nous occupe, un récit fidèle et complet, qui, s’il remplissait son titre, devrait détailler ce que nous ne faisons qu’indiquer ici. Nous avons dû nous étonner de ne trouver, à la place des faits positifs que nous rapportons, que des hypothèses sur une prétendue violence qui a empêché la Reine de signer son testament.

    Nous aurions pu donner des détails sur un billet adressé à Madame Royale par Marie-Antoinette, sur un gant du Dauphin et sur une boucle de cheveux de la Reine, tous objets trouvés chez Courtois avec le testament. Nous aurions pu aussi indiquer comment le même Courtois offrait, par une lettre adressée à un conseiller-d’état, et dont beaucoup de députés ont eu connaissance, de mettre ces précieux gages aux pieds du Roi, en s’excusant très-maladroitement de ne l’avoir pas fait plus tôt ; lettre et offre qui n’ont point eu d’effet, puisque, dans le même moment, tout était déjà saisi et mis au pouvoir de Sa Majesté, grâces aux soins et à l’extrême vigilance de M. le comte de Caze, ministre de la police générale, qui a su, pour ainsi dire, deviner un dépôt si intéressant.

    Mais nous n’avons voulu faire qu’une notice fidèle, et non un récit complet.