Notre-Dame-d’Amour/XI

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Flammarion (p. 113-120).


XI

Dompteur


— Et alors ? fit Martégas, narquois.

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? dit Rosseline toute pâle.

— Un client pour ton cabaret, voilà ce que je suis, la belle.

— Et tu te mets dans la tête qu’après ton injure et le mal que tu m’as fait, je te recevrai chez moi ?

— Il le faudra bien, ma fille. Ton métier veut ça et il paraît que tu l’as choisi. A me recevoir mal tu perdrais la clientèle de tous ceux de Camargue et de beaucoup du Rhône. Voyons, qu’aurais-tu dit, si j’avais frappé fort ?… Pourquoi insultais-tu la petite, une enfant que pour ainsi dire j’ai vue naître ?… Tu l’appelais voleuse, si j’ai bien entendu. Que t’a-t-elle volé ?

— Ça ne te regarde pas. Passe ton chemin. Es-tu toi aussi de ses galants, à cette fille ?

— Plût à Dieu ! car à la vérité, j’espère bien le devenir. Elle est plus gentille que toi, à mon goût du moins.

Rosseline, de nouveau, était blessée au point le plus sensible. Elle ne pouvait souffrir que même un indifférent lui préférât une femme, une fille quelconque. Elle fut jalouse subitement du goût que cet inconnu montrait pour Zanette, et ne sachant comment le punir, elle lui cracha ce mot :

— Lâche ! dit-elle, lâche !

— Veux-tu, dit-il en riant, que je recommence ?

Qu’il eût ou non l’intention de frapper encore, il leva sa cravache qui était un nerf de bœuf. Alors, le ressentiment la saisit ; un mélange de colère et d’épouvante se fit en elle ; la rage, la jalousie, l’envie, l’impuissance déterminèrent l’exaspération folle. Elle arracha de sa coiffe une épingle à grosse tête ronde, et piqua furieusement la jambe du cavalier.

D’un bond il fut à terre et, laissant son cheval libre en pleine rue, il prit la fille par un bras.

— Au secours ! cria-t-elle.

Il lui ferma la bouche, et la portant à moitié il la poussa contre la porte du cabaret dont les vitres éclatèrent et qui s’ouvrit toute grande.

— Ah ! gueuse ! ah ! coquine ! ah ! tu veux en tâter, cavale ?

Il la tenait par le bras, et d’une saccade brusque il la renversa sur le carreau. Puis, penché sur elle, un genou en terre, il la souffleta. Elle se couvrit le visage avec ses mains. Les coups tombèrent alors drus et pressés sur ses cheveux qui se dénouèrent ; la coiffe fut lancée au loin…. Elle se taisait, farouche, les dents serrées, avec seulement une saccade de respiration plus forte à chaque coup. Les coups sonnaient sourdement. Tout de suite, elle comprit très bien que ce redoutable jouteur mesurait sa force, ne voulait pas la tuer… il l’épargnait…. Cette réserve lui parut une sorte de suffisante tendresse mêlée à la brutalité ; cette retenue lui semblait caressante ; elle en jouissait….

— En as-tu assez, réponds ? Recommenceras-tu, dis ? réponds ; mais réponds donc, réponds, je te dis !

Elle était étendue à terre de tout son long.

Il la prit par ses longs cheveux dénoués et marchant sur les genoux, il la secoua, la traîna sur le carreau ; mais elle, continuant à comprendre que s’il eût voulu il l’eût brisée, sentait toujours comme une caresse sous les coups, — et elle ne répondit pas, ne désirant peut-être pas être lâchée par ce poing terrible, qui l’épargnait.

Il la laissa enfin.

— Lève-toi, dit-il. Donne-moi à boire.

Elle se leva, le visage tout démonté, les lèvres molles, l’œil humide et brillant, ses cheveux épais, lourds, traînant jusqu’à terre.

Il la trouva belle à ce moment.

Elle le trouvait beau, l’hercule aux épaules carrées.

— Coquin de sort ! Quel homme ! songeait-elle, en le toisant des pieds à la tête.

— Écoute, dit-il, il faut me promettre une chose. Alors, nous serons bons amis. Laisse tranquille la petite.

Elle ne répondit pas ; il se rapprocha, et le visage contre le sien :

— Tu entends bien ? Tu laisseras tranquille la petite ?… il faut promettre.

En réponse, l’envieuse pinça le bras du gardian et tordit la chair entre ses doigts. Il ne comprenait pas que, déjà, elle était jalouse de lui.

— Ah ! tu en veux encore ?

Il l’avait ressaisie, renversée, assise sur un tabouret et il tenait à deux mains sa tête qu’il fit sonner plusieurs fois contre le bois d’une table.

— Promets ! promettras-tu ? Que t’a-t-elle fait, cette petite ?

Rosseline se décida à parler.

— J’étais la maîtresse de Pastorel, un que pour sûr tu dois connaître… il me quitte pour l’épouser. Je ne veux pas ! je ne veux pas qu’il l’épouse !

— Ça n’est pas une raison pour l’insulter, elle. C’est une innocente, dit Martégas.

Rosseline vivement répliqua en serrant les dents :

— Tu l’aimes donc aussi, toi, cette fille ? Non, je ne promets pas. Je la hais !

Alors tout à coup il l’embrassa…. Elle le mordit.

— Écoute, siffla-t-elle…. Prends-la et tu m’auras… comprends-tu ?

Elle ne voulait pas que Zanette devînt la femme de Pastorel. Pour qu’il ne l’eût pas, elle la livrait à celui-ci….

L’horrible marché plut au bandit.

— Ça va ! dit-il en riant. Deux au lieu d’une ! Je pars tout de suite. Un coup d’aïgarden et mon cheval !

Peut-être se fût-il attardé auprès de Rosseline, s’il n’avait pas songé que jamais plus il ne retrouverait occasion meilleure de poursuivre Zanette. Et puis, par la porte du cabaret grande ouverte, des enfants, même un homme, depuis un instant, regardaient.

Elle lui servit à boire, en le couvant des yeux.

— Mon cheval, à présent !

Lui, n’y faisait pas attention.

Un passant, voyant ce cheval libre, l’avait attaché à l’anneau. Martégas se mit en selle.

— A bientôt, ma fille. Nous nous reverrons bientôt.

Ils se souriaient.

Debout sur le seuil de son cabaret, la belle Arlèse regarda s’éloigner le gardian Martégas et, toute chaude encore de la lutte, elle songeait, en renouant ses cheveux :

— Ah ! si ce Pastorel m’avait traitée ainsi, comme je l’aurais aimé, lui !

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