Notre Ronsard/02

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Notre Ronsard
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 5 (p. 772-804).
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NOTRE RONSARD

II[1]
SON ŒUVRE ET SON TEMPS

La diversité des points de vue d’où l’on peut juger Ronsard atteste la richesse et la puissance de son génie. Ce qui nous intéresse le plus, c’est l’homme replacé au centre de son œuvre et de son temps. Là encore, les travaux de nos érudits nous seront d’un précieux secours, et particulièrement celui de M. Laumonier qui a renouvelé l’étude des sources et de l’originalité du poète, et dont l’idée générale vaut que, tout d’abord, on s’y arrête.


I

On l’a déjà vue se dessiner. Ronsard, qui, dans son audace juvénile et dans son aveuglement, avait contribué, plus que personne, à jeter un sombre discrédit sur notre Moyen Age, s’était bientôt repenti de son injustice. Tout en se glorifiant d’avoir importé en France l’art d’un Pindare ou d’un Anacréon, il était revenu au génie bourgeois et oratoire de l’ancienne France et avait repris, pour la continuer, la tradition de nos poètes du XIIIe siècle, transmise jusqu’à lui par Jean de Meung, Froissart, Villon, Charles d’Orléans, Lemaire de Belges, Clément Marot. Il l’avait retrouvée dans les poètes latins d’où elle était issue, dans les poètes italiens qui l’avaient détournée à leur profit, dans les poètes néo-latins qui s’étaient inspirés, avant lui, et des uns et des autres. Ronsard n’est pas le révolutionnaire que nous croyons ! Même au point de vue des rythmes, ses innovations ou plutôt le principe de ses innovations n’est qu’un retour, par-dessus le XIVe et le XVe siècle, à la technique des troubadours et des trouvères. Ce « Vulcain tombé des cieux » a forgé l’anneau d’or qui relie la poésie moderne à la poésie médiévale. La chaîne n’a jamais été rompue. « Les Odes ne sont pas le signal d’une révolution, mais le terme d’une évolution. » Savez-vous ce qu’est Ronsard ? Un Marot supérieur.

L’idée n’est pas absolument neuve ; et M. Laumonier est le premier à le reconnaître, puisque Sainte-Beuve, dans son Tableau de la Poésie française, avait déjà le souci de nous montrer « que la Pléiade continuait un mouvement antérieur. » Mais elle n’avait pas encore été poussée aussi loin, ni avec une telle abondance d’érudition. Disons-le tout de suite : la formule nous en paraît dangereuse, parce qu’elle tend, sinon à rapetisser Ronsard, du moins à sacrifier sa poésie grave à sa poésie légère, et à trop humilier ses grandes odes devant ses exquises chansons. Quand la partie purement lyrique de son œuvre en confirmerait la justesse, son œuvre entière, si imprégnée de lyrisme, la démentirait.

Que Ronsard n’ait pas brisé avec la tradition nationale autant qu’on l’a pensé et qu’il le pensait lui-même, lorsqu’il dénonçait « la monstrueuse erreur » des âges précédens, nous aurions désormais mauvaise grâce à ne pas en être convaincus. Mais il ne s’est pas borné « à « redorer le blason de notre vieille poésie. » Il en a changé lame. Quand nous allons reprendre notre bien chez les auteurs étrangers, — Ronsard dans Pétrarque, La Fontaine dans Boccace, — soyez sûrs que ce bien en lui-même nous attire beaucoup moins que les élémens nouveaux dont il s’est enrichi. D’autre part, rien n’empêche une littérature allégorique d’être populaire, le peuple ayant une tendance marquée à personnifier des abstractions ; mais une littérature mythologique ne saurait l’être. Ronsard a fait une révolution puisque, avec lui et après lui, la poésie française devient une poésie éminemment aristocratique. Si les révolutions littéraires ne sont que des achèvemens d’évolutions, il faut cependant pour les accomplir un homme qui possède quelque chose de plus et d’autre que tous ses devanciers. Ronsard, un Marot supérieur ? Certes, Marot a été un vrai poète ; il a rencontré çà et là, et plus souvent encore si l’on veut, le vers, l’image, le trait qui l’égalent aux grands poètes. Mais il ne représente qu’un des modes de l’esprit français et dans son rayon le plus intime. Ronsard, lui, est un de ceux qui portent témoignage pour toute une époque et pour toute une nation.

Ces réserves faites, la thèse de M. Laumonier est séduisante et féconde. Jusqu’ici on s’était plutôt attaché à nous prouver combien les Malherbe, les Boileau et les Voltaire, les Chénier avaient méconnu l’homme qui pouvait à juste titre s’écrier :


Vous êtes tous issus de ma muse et de moi.
Vous êtes mes ruisseaux, je suis votre fontaine.


La figure de Ronsard, ainsi présentée, n’était éclairée que d’un seul côté ; M. Laumonier a projeté une très vive lumière sur ce qui en était resté dans l’ombre. Il a distingué, trié, dénombré, classé, à travers les importations étrangères et gréco-latines, les legs de notre ancienne poésie. Il a réveillé le Moyen Age endormi sous les fastueuses dépouilles du Temple Delphique. Ce lyrisme florissant, il nous en a montré les germes et comme les premiers boutons éclos dans le sein des troubadours et des trouvères. C’est peut-être à son insu que Ronsard exploitait leur héritage, bien qu’il pût difficilement ignorer les Prose Toscane « où Bembo reconnaissait dans les troubadours les ancêtres directs de la poésie italienne. » Qu’importe ? On n’insistera jamais trop sur le caractère français de son œuvre.

Mais faut-il le chercher uniquement dans son goût des sentences morales, dans son penchant à l’allégorie et à la préciosité, dans son épicurisme élégiaque, sensuel et libertin, dans ses protestations en faveur de l’amour libre et dans ses variations infinies sur le Toutes pour tous et tous pour toutes du Roman de la Rose ? Ce goût, ce penchant, cet épicurisme, cette « humeur cyprienne, » nos poètes les partagent avec tant d’autres poètes qui ne sont point gaulois ! Comme il est malaisé de fixer les élémens constitutifs d’une race ! Dès que nous les isolons, ils s’affaissent et se vulgarisent. Ronsard est tout cela, et M. Laumonier le sait bien, il est mieux encore : une admirable intelligence française, mise au service d’une grande passion, dans un tempérament gaulois. Humaniste, il tirera des vieux trésors de l’humanisme ce qu’ils contiennent d’humanité et, pour son temps, d’actualité vivante. Le souffle du Moyen Age se confond dans son œuvre, comme dans son siècle, avec les effluves de la Renaissance. Mais le Moyen Age hésiterait souvent à l’avouer pour son fils. Et souvent les muses grecques et latines, les Neuf Sœurs


Qui trempèrent ses vers dans leurs graves douceurs,


sentiraient un étranger en ce fier nourrisson. Cet étranger, c’est nous.


II

Quand on étudie les Sources de Ronsard, on craint d’abord que l’originalité du poète ne se dissolve dans cette multitude de souvenirs et de réminiscences que ses moindres ouvrages portent en eux. Puis on s’émerveille qu’elle y ait presque toujours résisté. Pas une pièce, pas un vers où l’on ne relève « un vestige de rare et antique érudition. » Ronsard emprunte non seulement à tous les poètes grecs d’Homère à Lycophron, non seulement à tous les poètes latins, mais encore aux poètes italiens Pétrarque, Sannazar, Arioste, mais encore aux poètes néo-latins, Jean Second, Marulle, sans compter, bien entendu, Lemaire de Belges et Clément Marot, le Roman de la Rose. Il ne traduit pas littéralement. Les autres poètes de la Brigade ont beaucoup plus traduit que lui. Mais il imite, il paraphrase, il transpose. Il va cueillir chez son modèle jusqu’aux détails particuliers de sa propre histoire, de sorte qu’on peut se demander parfois s’ils sont vrais, ou s’il ne se les approprie que pour lui ressembler davantage. Nous affirme-t-il qu’il a su l’anglais et l’allemand :


L’Espagne docte et l’Italie apprise,
Celui qui boit le Rhin et la Tamise
Voudra m’apprendre ainsi que je l’appris ?...


M. Laumonier nous prévient que ces vers ne sont qu’une transposition d’Horace, qui avait écrit : « Le Coichidieu, le Dace, le Gelon lointain me connaîtront ; l’Hibère instruit et le peuple qui boit le Rhône apprendront mes vers. » Horace avait dit avant lui qu’Apollon et les Muses habitaient sur les rives du Loir. Avant lui, Horace avait chanté l’hymne de saint Gervaise et Protaise. « Les quatre strophes de l’Ode à Faune, le dieu païen, ont passé dans les quatre dernières strophes de ce chant chrétien. » Une seule ode, l’Ode à Mellin de Saint-Gelais, où il céda peut-être au désir « d’éblouir son rival » renferme des souvenirs d’Horace, de Virgile, d’Ovide, d’Homère, de Catulle, de Stace. Ses poésies amoureuses entrelaceront, à chaque instant, une métaphore de Pétrarque à une antithèse de Marulle, et une pensée de Properce à une mignardise de Jean Second. Si Ronsard prie le rossignol de lui servir de messager auprès de sa maîtresse, c’est qu’il avait probablement lu la canzione de Bembo : O rossignol qui dans ce vert feuillage !... II est vrai que Bembo avait lu les trouvères qui font du rossignol le poète par excellence du Printemps et de l’Amour. J’aime à croire que Bembo et Ronsard l’avaient entendu chanter ailleurs que dans les vers de leurs prédécesseurs ; et je suppose que Ronsard était de force à trouver, tout seul, ce motif d’inspiration. Mais ne chicanons point M. Laumonier sur ses innombrables rapprochemens. S’il y prend beaucoup de plaisir, il est encore plus heureux lorsqu’il découvre chez son poète un sentiment ou un développement dont personne, à sa connaissance, ne lui avait donné le premier mot. Du reste, Ronsard les autorise, car, loin de dissimuler ses imitations, il les proclame et s’en flatte comme d’un titre d’honneur. Le Roi semble-t-il désirer qu’il abandonne la lyre amoureuse pour emboucher la trompette épique, il s’écriera :


Mais que me sert d’avoir tant lu Tibulle,
Gallus, Ovide et Properce et Catulle,
Avoir tant lu Pétrarque et tant noté,
Si par un roi le pouvoir m’est ôté
De les ensuivre, et s’il faut que ma lyre,
Pendue au croc, ne m’ose plus rien dire ?


C’est à Cassandre qu’il adresse ces vers, à Cassandre, son « œil, » son « âme, » sa « vie. » N’y a-t-il pas une sorte d’ingénuité à confesser ainsi qu’on prend dans les livres tout ce qui vous sort du cœur ?

Cette ingénuité confine au pédantisme. On n’a plus rien à dire du pédantisme de Ronsard. S’il n’a point en français parlé grec et latin, comme l’en accuse Boileau, il a trop souvent parlé pour des Grecs et pour des Latins, ce qui revient au même[2]. Les études de MM. Laumonier et le commentaire de Muret, que nous a rendu l’édition de M. Vaganay, en ont multiplié les exemples. Muret, lui aussi, est un pédant, désireux d’étaler son savoir et toujours tenté de s’exagérer l’ignorance de ses lecteurs. Peut-être n’avaient-ils pas besoin qu’on leur rappelât que l’Enfant de Cythérée est l’Amour, et Phœbus le Soleil. Mais combien d’entre nous seraient capables de deviner que le Dulyche troupeau signifie l’armée d’Ulysse et qu’il faut entendre par les flambeaux du chef égyptien la chevelure de Bérénice[3] ? Ronsard ne s’est jamais complètement guéri de sa passion pour les périphrases et pour ce qu’il appelait, hélas ! les antonomasies, c’est-à-dire les façons « de ne pas nommer les choses par leur nom propre, » mais seulement par une de leurs qualités. Dieu sait où les antonomasies l’entraînèrent, lui qui pourtant savait user de l’expression familière et même du mot cru avec tant d’à propos et d’art ! Et que de rébus ! N’a-t-il pas l’air de se moquer de nous lorsqu’il écrit gravement :


Qui est celui qui n’a pas su
De Pélops l’ardente flamme,
Le traître Œnonas déçu,
Et les noces d’Hippodame ?


Il a fait pire. Ces allusions à la mythologie gréco-latine, qui ne sont que les péchés véniels d’un érudit, deviennent des fautes de goût terriblement froissantes lorsque le poète prétend assimiler l’objet de son admiration esthétique à celui de ses croyances religieuses et chanter « un vers chrétien » qui puisse contenter des oreilles païennes. C’est ainsi qu’il osera transformer la légende d’Hercule en symbole du Christ, sans que rien l’avertisse de la profanation qu’il commet à comparer l’adultère de Jupiter et l’incarnation du Verbe. La naissance d’Hercule ne fut-elle pas mystérieuse ? Les bêtes domptées par Hercule ne figurent-elles pas les crimes du monde ? Hercule n’est-il pas descendu aux Enfers ? On comprend le recul des gens du XVIIe siècle devant ces déplorables aberrations de l’humanisme, et l’indignation de Sorel dans ses Remarques sur le Berger extravagant : « J’aimerais mieux bannir tout à fait les fables des Païens que de les penser corriger en les appliquant ainsi à des mystères sacrés. » Il a raison. Tout est préférable, même les plaisanteries d’école, des plaisanteries à faire peur, que Ronsard se permettait, comme dans son Épitaphe d’Albert, joueur de luth du roi François Ier. Le Passant demande : « Quelle mort le tua ? » Le Prêtre lui explique en quatre vers d’une précision chirurgicale qu’il mourut de la pierre. Et le Passant de répondre :


Je suis tout ébahi que lui, qui fléchissait
Les pierres de son luth, ne se l’amollissait !


Ce débordement d’érudition, tout fumant d’orgueil, finirait par nous faire prendre en grippe la sacro-sainte antiquité, si les bienfaits de l’humanisme, chez un homme comme Ronsard, n’en compensaient les excès.

Le premier de ces bienfaits est de nous tenir en garde contre les mirages de notre sentiment individuel. Orgueilleux tant qu’on voudra, l’orgueil de l’humaniste ne lui vient pas de ce qu’il est « lui-même. » Il ne s’applaudit point de ne ressembler à personne. Il s’applique au contraire à ressembler le plus possible à ceux qui lui paraissent les plus beaux exemplaires de l’humanité. C’est leur reflet qu’il admire en lui ; c’est Homère ou Virgile qu’il couronne sur sa tête. Il y a de la modestie dans son arrogance. Il vit aux antipodes de ces superbes barbares qui s’imaginent que le monde commence avec eux.


Que les formes de toutes choses
Soient, comme dit Platon, encloses
En notre âme, et que le savoir
N’est sinon se ramentevoir,
Je ne le crois, bien que sa gloire
Me persuade de le croire,
Car, de jour et de nuit, depuis
Que studieux du grec je suis,
Homère devenu je fusse...


Ronsard est charmant dans ces aveux mélancoliques. Sa fierté d’avoir « haussé sa langue maternelle » et d’avoir « poussé son renom jusqu’aux cieux » ne lui fait oublier ni ce qu’il doit à ses modèles, ni la distance qui le sépare d’eux.

Mais l’humanisme a encore ceci d’excellent qu’il nous amène à sentir très vivement la solidarité morale des êtres humains à travers les âges. Qu’est-ce que l’univers pour des yeux vierges et pour un esprit sans passé ? Que sont les collines, les forêts, les fleuves, tous les aspects de la nature, si on les dépouille de ce que l’humanité y a, depuis des siècles, attaché de rêve ou d’amour, de souffrance ou de beauté ? Voici une petite fontaine sous des saules verts dont l’ombre est épaisse et drue aux pasteurs et aux bœufs. Le voyageur, qui ne sait rien, y goûte un moment de fraîcheur anonyme ; mais l’humaniste y retrouve les mêmes impressions qu’en des vers immortels a jadis exprimées un vieux poète latin. C’est le même cristal, le même gazouillement, la même douceur intime. Des empires ont croulé ; des siècles ont passé sur leurs ruines : un filet d’eau murmurante réveille les mêmes songes au cœur des hommes toujours les mêmes. Que tu te nommes Bellerie ou Fons Blandusiæ, petite fontaine,


Tu es la nymphe éternelle !


Ce serait folie de penser que la nature des Anciens était plus riche que la nôtre. Notre forêt de Gastine vaut leur forêt d’Erymanthe. Nous n’avons qu’à contempler le coin de terre, où nous vivons, à la lumière de leur génie, pour que tous les spectacles, dont ils ont su rendre le charme ou la noblesse, viennent flatter nos yeux. N’y avait-il qu’en Grèce ou en Italie que les belles génisses, qui du pied secouent l’arène, « haussaient le front et marchaient sans servage ? » Fallait-il naître au temps de Théocrite ou de Virgile pour entendre


Un pasteur qui au fond des vallées
Fait paître son troupeau par les pâtis herbeux,
Qui tient un larigot et flûte au cri des bœufs ?


Mais Virgile et Théocrite et Homère et Hésiode nous apprennent à regarder notre terre natale, car ils sont à la fois nos ancêtres et nos contemporains. Ils embellissent notre demeure ; ils idéalisent nos amours ; ils donnent à tous nos sentimens un prolongement merveilleux dans le passé. Ce que Ronsard célèbre et poursuit dans Cassandre, dans Hélène, dans Genèvre, et même dans Marie, cette petite fille d’auberge, rencontrée « aux jardins de Bourgueil, près d’un pin solitaire, » c’est l’impérissable beauté dont les hommes se transmettent le désir. Elles sont, elles aussi, la nymphe éternelle !


Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards,
Dessus le mur troyen, voyant passer Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine :
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards…


Quel élargissement de notre scène et quelle profondeur dans les perspectives ! M. Chamard, en étudiant Du Bellay, nous avoue que le souvenir d’Ulysse et de Jason lui gâtent un peu le sonnet : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Il y regrette ces marques d’humanisme. L’avouerai-je à mon tour ? Il me semble que les vers de Du Bellay en reçoivent un plus tendre éclat et sa tristesse un ennoblissement. Derrière ce pauvre Angevin qui soupire après la fumée de sa petite maison, il me plaît d’entrevoir, dans le recul des âges, telles que les poètes les ont peintes et telles que les ont vues toutes les générations, ces grandes figures nostalgiques penchées, à l’avant de leur nef, sur les flots éternels. Rien dans Ronsard n’échappe à ces prestiges si poétiques et d’une essence si humaine. Se hâte-t-il au rendez-vous nocturne de sa maîtresse ? Sa route est éclairée par tous les rêves des hommes qui ont divinisé l’amour et qui ont nommé ces astres dont la plupart


N’a place dans le ciel que pour avoir aimé.


Sa maîtresse l’a-t-elle trompé ? Il songe que les Catulle et les Properce, qui ne lui furent pas inférieurs, subirent la même contrariété du sort. Maigre consolation, penserez-vous ! Du moins le rappel de ces ombres infortunées l’empêche de nous entretenir de son infortune comme d’un accident unique dans l’ordre du monde. Son humanisme s’abaisse aux détails les plus familiers de la vie et les « emperle » d’un mot qui les illumine. Le poète va cueillir lui-même une de ces salades qui lui sont herbes plus friandes que les viandes royales ; puis il regagne son logis en lisant l’ingénieux Ovide :


Là retroussant jusqu’au coude nos bras,
Nous laverons nos herbes à main pleine
Au cours sacré d’une belle fontaine.


Ce n’est pas une simple imitation de l’antique. Ronsard ne prend aux Anciens que le mot de sacré qui relève sa sensation personnelle et qui la revêt d’une beauté mythique.

Enfin, l’humanisme est pour Ronsard une conquête, un acte de patriotisme. Racine et Boileau suivront son exemple quand ils franciseront la tragédie grecque et la satire latine. Remercions-le d’avoir naturalisé Horace et Anacréon, mais plus encore d’avoir essayé de doter notre pays d’une poésie pindarique. A-t-il complètement échoué dans cet effort que Banville qualifie de titanesque et d’insensé ? Se contentera-t-on de répéter avec Sainte-Beuve que « l’audace était belle ? » Après Gandar, M. Laumonier a révisé le procès. Il l’a fait avec une impartialité d’autant plus méritoire que sa thèse l’eût incliné à se montrer plus sévère. Ses conclusions sont assez favorables. Elles pourraient l’être davantage, étant donné surtout qu’il a reconnu que le poète français « s’était assimilé les beautés les plus saisissantes du poète thébain. » Évidemment Ronsard a dépassé la mesure. Ses maladresses sautent aux yeux. Il a cru naïvement « au délire pindarique, effet de l’inspiration, au désordre pindarique, effet de l’art. » Il est responsable de la conception erronée de Boileau et même de son Ode sur la Prise de Namur. La servilité ou, pour mieux dire, la puérilité de son imitation s’accuse dans l’espèce de décalque qu’il a tenté des combinaisons rythmiques d’un poète dont les Latins eux-mêmes ne sentaient plus les rythmes ! Nul ne contestera qu’il a abusé des allusions mythologiques ; et nous tomberons d’accord « qu’il aurait dû ne conserver que les images empruntées aux habitudes permanentes, aux visions éternelles de l’humanité, et y joindre celles que lui suggéraient les mœurs modernes. »

Mais ce Pindare qu’on lui oppose, quelle image nous formons-nous de lui ? Ses Odes triomphales m’ont laissé l’impression d’un soleil radieux, du soleil d’Olympie, de Delphes ou de Némée. Debout, un poète d’une inspiration très surveillée, un poète extrêmement érudit, que tous ne pouvaient comprendre, — car ils n’étaient pas tous des aigles, en Grèce ! — célèbre, aux sons de la musique, des héros obscurs dont il a, suivant son expression, embarqué l’éloge personnel sur le navire qui porte la gloire de leur race ou de leur patrie. Sa poésie ne me touche pas plus le cœur que ses héros ne devaient l’émouvoir. Mais j’y entrevois, dans une succession d’éclairs, les jeux du stade enveloppés d’une poussière vermeille, des combats retentissans, des reflets d’or, des fracas d’airain, des frissons de pourpre et de safran, de splendides appareillages et les mille fureurs et les mille sourires d’une nature où marchent les dieux et les déesses. Ses récits épiques, qui ne font qu’éployer leurs ailes, me rappellent parfois le mouvement de la Victoire de Samothrace dont le geste embrasse un vol immense. Eclatante et dure poésie, travaillée, comme la fameuse statue de Pallas Athêna, dans les riches métaux et les pierres précieuses ! Le temps y a mis des taches d’ombre, mais n’en a point obscurci les sentences morales, les réflexions sur la brièveté et la tristesse de la vie, où sans doute le poète prenait sa revanche des médiocres triomphateurs que sa profession de panégyriste exigeait qu’il chantât. Il a sauvé par son génie ce qu’un pareil lyrisme avait forcément d’artificiel.

Et maintenant, lisez les grandes odes de Ronsard. Seulement, puisqu’on ne peut plus les entendre chanter, lisez-les à haute voix. Il n’est pas toujours resté si loin de son modèle ! Il avait naturellement de Pindare l’esprit sentencieux et volontiers didactique, — héritage de nos anciens poètes, si l’on veut, — l’imagination somptueuse, l’amour de tout ce qui resplendit, le don des évocations rapides, le sens du symbole et le souffle épique. Aussi a-t-il imité, sans trop d’effort, ses vers brillans et mystérieux qui renferment comme le secret de la création, et par exemple cette strophe admirable sur les profondeurs de l’Océan :


Là sont divinement encloses,
Au fond de cent mille vaisseaux,
Les semences de toutes choses,
Filles éternelles des eaux !…


Il lui a facilement emprunté l’idée que les poètes sont les élus des dieux et les dispensateurs de l’immortalité. Il dira superbement à Guy de Chabot, seigneur de Jarnac :


Ta vertu serait trompée,
Et non plus que ton épée
Mit à vaincre l’ennemi,
Non plus vive serait elle
Si je n’avais coupé l’aile
Du long Silence endormi !


Aux poètes, aux poètes seuls la Nature se révèle. C’est sous l’aiguillon des Muses qu’ils pénètrent dans ses ténébreuses arcanes.


Eux, piqués de la douce rage
Dont ces Filles les tourmentaient,


D’un démoniaque courage
Les secrets des Dieux racontaient,
Si que, paissant par les campagnes
Les troupeaux dans les champs herbeux,
Les Démons et les Sœurs compagnes
La nuit s’apparaissaient à eux,
Et tous sur les eaux solitaires
Carolant en rond par les prés
Les promouvaient prêtres sacrés
De leurs saints orgieux mystères.


Vous reconnaissez là le thème qu’avec une nouvelle splendeur Hugo reprendra plus tard dans sa pièce des Mages, mais en y introduisant un esprit tout différent, et l’arrière-pensée que nous n’avons besoin d’autre pape que de Lui.

Enfin Ronsard est arrivé quelquefois à nous rendre le mouvement des odes de Pindare. La couronne qu’il façonna « d’une laborieuse main » pour le front de Michel de l’Hôpital a bien été « trois fois torse du pli thébain. » En dehors des Harmonies de Lamartine et des Contemplations de Hugo, nous n’avons rien de comparable à cette ode de huit cents vers dont les strophes, si diversement colorées, déferlent l’une après l’autre avec une magistrale ampleur. Il m’importe peu que ces strophes ne soient pas organiquement des strophes, selon la poétique de Banville, mais des juxtapositions de petites strophes : elles ont l’âme et l’élan qui suppléent à l’organisme technique. La naissance des Muses, leur désir de connaître leur père, leur voyage à travers l’Océan, leur arrivée devant Jupiter, tous ces tableaux, splendides ou charmans, forment une poésie merveilleusement décorative.

Mais, a-t-on dit, « transporter dans une ode française, à l’exemple de Pindare, de longs récits mythiques empruntés aux traditions de la Grèce antique, c’est moins imiter Pindare que le trahir : c’est lui dérober ses couleurs pour en composer une œuvre terne et fastidieuse[4]. » Terne me semble étrangement sévère ! Fastidieuse ? Aujourd’hui, peut-être. Ronsard eût mieux fait de s’inspirer des traditions religieuses ou légendaires de notre pays. Mais n’oublions pas à quel public il s’adressait. Le livre si curieux de M. Bourciez, Les Mœurs polies et la Littérature de Cour sous Henri II, nous prouve que le retour aux symboles païens, déterminé par la passion de l’Antiquité, n’avait rien de conventionnel pour les contemporains de Ronsard. Toutes ces nouveautés vivaient réellement et créaient une atmosphère mythologique. « Etrange et unique moment, écrit-il, que celui où les dieux antiques revinrent de l’exil, proscrits depuis douze cents ans. Ils furent jeunes encore, brillans de force et de beauté. Il y eut dans l’apothéose de Henri II plus qu’un caprice ou une fantaisie passagère. L’Olympe tout doucement descendit sur les bords de la Seine. Bientôt le Conseil des Immortels fut au complet et s’installa au Louvre dans les grandes salles fleurdelisées. »

Non seulement les divertissemens de la Cour ressuscitaient les demi-dieux et les Nymphes ; et Diane, le croissant au front, l’arc turquois à la main, y paraissait accompagnée des Vierges forestières ; non seulement le Primatice et Nicolo dell’ Abbate peignaient dans la salle des Cent Suisses le Festin de Bacchus et la scène des dieux sur le mont Ida ; mais la renaissance de l’Antiquité devenait populaire. Pour recevoir Henri II, en 1548, la ville de Lyon élevait des arcs de triomphe ornés de cariatides et couchait, devant une grande porte d’honneur, les figures du Rhône et de la Saône, couronnées de roseaux comme les dieux des fleuves et accoudées sur des urnes intarissables. Près du char de la Religion traîné par des licornes, Neptune se dressait armé de son trident, et Amphitrite souriait sur les épaules des Tritons. Voilà les scènes qu’il faut avoir sous les yeux quand on ouvre les odes mythologiques de Ronsard. Ces divinités qui, dans cinquante ans, ne seront plus que des machines de théâtre et des conventions à l’usage des poètes, exhalent, à ce moment du siècle, la fraîcheur de la terre d’où l’on vient de les exhumer. On respire sur elles l’odeur des forêts, des moissons, des fleurs et des flots. Une sève ardente semble courir en leurs veines de marbre. Que le poète se lève donc, car la poésie a sa place marquée dans tout ce qui donne du prix à la vie collective, et qu’il raconte ces dieux dont les belles attitudes se détachent si noblement au milieu des fleurs de lys ! Leur splendeur ajoute au rayonnement de la couronne de France.


Et bref, c’est presque un Dieu que le Roi des Français !


Il viendra un moment où nous nous lasserons de l’humanisme et où nous nous ferons une Muse de cette « Ignorance » que maudissait Ronsard. Nous aspirerons à nous affranchir de la tyrannie des Anciens, à rejeter les formes qu’ils nous ont imposées, à nous retrouver en face de la vie avec une imagination neuve. Nous reviendrons à la nature. Du moins nous croirons y revenir. Et nous serons tentés alors de ne plus voir que de savans artifices et une exaltation livresque dans cette poésie qui fut pour l’âme française un accroissement d’humanité et, durant un demi-siècle, l’expression de notre esprit national.


III

Ronsard a si profondément compris son siècle ! Brunetière admirait dans les sonnets à Cassandre des transpositions en vers de la Danaé ou de l’Enlèvement d’Europe d’un Paul Véronèse. En effet, il a rivalisé de couleurs avec les peintres de la Renaissance. En passant de leurs toiles à ses vers, les hommes de XVIe siècle ne faisaient que passer du tableau à la légende. Je rêve une édition de ses plus beaux poèmes qu’on illustrerait des reproductions de leurs chefs-d’œuvre. D’ailleurs, il aimait autant la peinture que la musique, et son ode intitulée : Les Peintures contenues dans un tableau est comme un premier essai de cette poésie « picturale » où excellera plus tard Théophile Gautier. La Léda du Gorrège qui, sous le baiser du Cygne, les lèvres décloses, retient amoureusement son souffle et laisse filtrer son regard entre ses cils baissés, n’est pas plus voluptueuse que celle dont Ronsard a chanté la Défloration. Mais, simple fille de volupté, elle n’a pas l’air princier de la Léda française qui reproche à Jupiter son audace


D’aller ainsi violant
Les filles de noble race.


La mythologie de Ronsard ne ressemble guère plus à la mythologie des Anciens que le Plutarque d’Amyot au Plutarque des Grecs. Pendant que je parcourais la Franciade, je m’imaginais suivre, sur les murs intérieurs d’un de nos vieux châteaux comme celui de la Poissonnière, le déroulement d’une ancienne tapisserie où l’artiste, en contrefaisant Homère et Virgile, avait peint les hommes de son temps. L’allure gaillarde et chevaleresque, qu’il prête aux héros et aux dieux, répond tout à fait au goût de l’époque.

Sous la double influence de l’Italie et de l’Espagne, du Roland Furieux et des Amadis, la chevalerie semblait sortir de sa tombe, mais en y laissant tout ce que le Christianisme lui avait donné de vie intime et profonde. Le Moyen Age, avant de mourir, assistait à la métamorphose de ses fées en nymphes et de ses sombres sorcières en héroïnes lumineuses et passionnées. Il voyait repasser devant ses yeux d’agonisant, belles d’une beauté tout extérieure, les vieilles formes galvanisées de l’esprit féodal. On remet en honneur le duel judiciaire. Les tournois refleurissent. Les cartels qu’on affiche dans la cour du château de Blois, « au pied du grand escalier où se tordent les salamandres[5], « imitent les défis romanesques que se portaient les chevaliers errans. Sous des noms de guerre tirés de l’Arioste, Mandricardo, Sacripante, Orlando, Astolfo, réapparaissent les émules de ces superbes Rolands

Pleins d’une âme amoureuse, Qui désireux de gloire aventureuse, Comme des Dieux s’acquirent des autels, Faisant partout des gestes immortels.

Ce mélange de mythologie et de chevalerie jette un éclat exceptionnel sur la cour des Valois. M. Laumonier a eu raison de protester contre la désinvolture avec laquelle Sainte-Beuve traitait les Cartels et les Mascarades de Ronsard de « divertissemens ennuyeux et sans intérêt. » Ils sont charmans au contraire ; car le poète, d’humeur chevaleresque et d’imagination païenne, a fixé dans ses vers cet instant de la civilisation française qui parut si beau que Mme de La Fayette en rappelait le souvenir en écrivant sa Princesse de Clèves. Reportez-vous au passage du Tournoi dont on n’a pas assez admiré la couleur discrète et la vérité historique : « On fit publier par tout le royaume qu’en la ville de Paris, le pas était ouvert au quinzième jour par Sa Majesté très chrétienne et par les princes Alphonse d’Est, duc de Ferrare, François de Lorraine, duc de Guise, et Jacques de Savoie, duc de Nemours, pour être tenu contre tous venans : à commencer le premier combat à cheval en lice, en double pièce, quatre coups de lance et un pour les dames... Tous les princes et seigneurs ne furent plus occupés que du soin d’ordonner ce qui leur était nécessaire pour paraître avec éclat et pour mêler dans leurs chiffres ou dans leurs devises quelque chose de galant qui eût rapport aux personnes qu’ils aimaient. » Ces seigneurs et ces princes savaient par cœur les vers si bien sonnans que Ronsard leur avait composés :


Trois guerriers inconnus de nation étrange
Ont laissé leur pays, désireux de louange,
Pour venir éprouver avecque le harnois
La force et la vertu des chevaliers françois,
Afin qu’en acquérant honneur par leurs prouesses
Soient dignes d’être aimés de leurs belles maîtresses.
Chacun courra trois coups en masque...


Sortons des fêtes et des cérémonies de la Cour : c’est toute la vie du XVIe siècle dont la poésie de Ronsard nous offre l’image ou nous apporte l’écho. Elle retentit du choc des armes et flamboie du harnais des soudards « et des clairs morions crêtes de longs panaches. » La prise de Metz, les piques qui s’élancent aux sons des tambourins, nos soldats qui dans leurs casques boiront l’eau du Rhin comme si c’était l’eau de la Loire ou l’eau de la Garonne, le dénombrement des forces du royaume « Messeigneurs de Vendôme et Messeigneurs de Guise, » l’outrecuidance des Espagnols châtiée, l’arrogance des Anglais contrainte, la France enfin ne connaissant qu’un seul Roi : tel est le fond glorieux des Hymnes, des Poèmes et même des Églogues de Ronsard.

Puis, voici la Paix douce aux Muses et aux Arts, et toutes les Provinces du Royaume qui se lèvent chargées des présens de leur terre : l’Auvergne riche en troupeaux ; la Champagne et la Beauce riches en blé ; la Provence,


Où l’abondance pleine
De sillon en sillon fertile se conduit,
Portant sa riche corne enceinte de beau fruit.


Le peuple a dansé autour des feux de joie dressés dans les carrefours ; et les seigneurs féodaux, qui font leur apprentissage de courtisans, mais qui n’en restent pas moins passionnés pour les rudes exercices, et que le Roi lui-même entraîne, retournent à leur jeu de paume, à leurs courses de bagues, à leurs chasses violentes. Je me les représente le soir à la Cour ou dans leur manoir ouvrant le dernier livre du poète. Comme il sait leur parler de ces beaux chevaux dont ils ont l’héroïque admiration, et comme ce fils des Muses est savant dans l’art de la vénerie[6] ! Il s’entend à tous les genres de chasse ; il connaît toutes les espèces de chiens, ces bons chiens qu’on nomme « de noms aigus et courts, » les dogues qui étranglent les ours, les vautrets qui acculent le sanglier. Personne n’a peint d’un trait plus vif l’aimable chasse au chien couchant :


En quatre coups de nez il évente une plaine.


Les femmes, elles aussi, se penchent curieusement sur ces vers qui leur renvoient leur image élégante de chasseresses avec « le cuir damasquiné de leurs rouges bottines, » et « leurs cottes agraffées plus haut que les genoux, » ou qui leur racontent leurs propres inquiétudes, quand la nuit, seules et nues dans leurs couches, elles se pâment de peur que leur jeune mari ne pourchasse quelque Nymphe à travers les bois.

D’ailleurs, les nuits sont pleines d’enchantemens ! Un soir que Ronsard se rendait chez sa maîtresse et « joignait une grande croix dedans un carrefour, » il a entendu les aboiemens de la Chasse Infernale et il a vu une effroyable troupe de piqueurs qui couraient une Ombre. Son Hymne intitulé Les Démons, nous le montre curieux de toutes les superstitions qui hantaient les âmes de son temps. Il a éprouvé lui-même un peu des craintes merveilleuses que donnent aux cœurs humains ces esprits si habiles à se muer en serpens, en boucs, en orfraies ou en corbeaux. Il croit aux apparitions des morts et à l’influence des astres. Les oracles de Nostradamus, qui « a prédit la plus grande part de notre destinée, » l’émeuvent comme un problème que notre sagesse est impuissante à résoudre. Mais sa belle intelligence, que n’a point altérée « l’air infecté du terroir saxonique, » ne s’aliène point à s’aventurer dans cette magie fumeuse. Il peut évoquer les Ombres : elle garde le fil net et brillant de l’épée d’Ulysse.

Que de visions pittoresques, dramatiques ou charmantes, se lèvent, quand nous feuilletons Ronsard ! Vision des guerres civiles et religieuses, où se dresse « un Christ empistolé tout noirci de fumée ; » — croquis à l’eau-forte de ces poussifs Allemands qui, enfermés dans leur poêle, interprètent les Saintes Écritures « entre les gobelets, les vins et les injures ; » — portrait du prédicant de Bèze au grand front chenu, à la barbe fourchue, et dont les mains renversées « promettent le ciel aux troupes amassées ; » — silhouette lugubre des pendus de Montfaucon : « Ainsi l’avez voulu, Etoiles ! » D’autre part, des peintures dont le temps n’a pas fané la fraîcheur éblouissante : le Sacrifice pour rire du Bouc de Bacchus à la représentation de la Cléopâtre de Jodelle ; le « folatrissime Voyage d’Hercueil, » ces fastes lyriques d’une jeunesse insolemment olympienne et éperdument gauloise. Puis, d’exquis petits tableaux où il semble que Ronsard ait dérobé le secret de ses pinceaux à son ami Clouet, de petits tableaux où revivent, baignées de la lumière des beaux mois, le bouquet au sein, les mains chargées de bagues, la robe chancrée à la poitrine, les dames de Blois,


Ou d’Orléans, ou de Tours, ou d’Amboise,


et surtout, dans les jardins de Fontainebleau, l’adorable Marie Stuart, en habit de deuil, sous


Un long crêpe subtil et délié,
Pli contre pli retors et replié…
Triste passiez dans les longues allées
Du grand jardin de ce royal château
Qui prend son nom de la beauté d’une eau.


Ces vers inoubliables nous donnent la sensation d’un ciel mélancolique et d’un grand parc solitaire où tremble une eau limpide comme une larme. Et plus tard, quand l’île farouche se sera refermée sur sa proie délicate, quelle toile vaudrait ces deux vers, les plus fascinans que la fille des Stuarts ait jamais inspirés :


Les perles, les rubis sont enfans des rivages,
Et toujours les odeurs sont aux terres sauvages…


Mais il ne faut, pas perdre de vue que cette société avait appris à lire la poésie dans le Roman de la Rose et qu’elle était nourrie des allégories du Moyen Âge. Ronsard lui chantera des airs qu’elle connaît avec une grâce qui n’appartient qu’à lui. Nous rentrons dans le Verger de Bel Accueil.


Depuis cinq ans dedans ce beau verger
Je vais ballant avecque Faux Danger,


Sous la chanson d’Allégez-moi Madame.
Le tambourin se nomme Fol Plaisir ;
La flûte, Erreur ; le rebec, Vain Désir ;
Et les cinq pas, la Perte de mon Ame !


De ce Verger nous n’avons qu’un seul pas à faire, et nous touchons au monument gothique et précieux qu’il a érigé sur la tombe de Marguerite de Navarre[7]. Lui qui disait alors que l’imitation de nos anciens poètes lui était odieuse, il ne l’en a pas moins décoré des images rigides qui leur étaient chères : l’Orgueil, la Convoitise, la Charité, le Péché, la Repentance, et il en a même découpé le fronton dans la lumière mystique où s’élancent les flèches des églises. « Là où tu es, s’écrie-t-il, ô Princesse, tu vois le jour naître et faillir,


Tu sais le nom des étoiles...
Là sous tes pieds les Saisons
Éternellement cheminent...


Il ne s’est pas attardé à ces inspirations qui étaient déjà celles d’un autre âge, bien qu’il ait toujours aimé l’allégorie, et au point de personnifier la Sueur ! Héritage du passé, là encore. Mais, contraint dans les allégories chrétiennes et morales, il n’est vraiment à l’aise que dans celles qui animent les phénomènes du monde extérieur et dont il peuple « le palais magnifique où habite Nature. » Il les plonge si vigoureusement au milieu de la réalité qu’elles vivent, comme les statues ont l’air de vivre sous les végétations qui les recouvrent. Ce sont bien des statues en effet qu’il plante sur le sol de la France, à la porte de nos villes, au milieu des moissons, et jusque dans la cour de nos fermes. L’Automne vient au château de l’Eté.


<poem>Dedans la basse-cour elle vit maint râteau, Mainte fourche, maint vau, mainte grosse javelle, Mainte gerbe, toison de la moisson nouvelle... Les uns battaient le grain dessus la terre dure, Les autres au grenier le portaient par mesure, Et, sous les tourbillons, les bourriers qui volaient Pour le jouet du vent parmi l’air s’en allaient.

Le Moyen Age n’a point connu cette poésie drue, ni ce sentiment de la glèbe plantureuse, qui s’associe chez Ronsard au sentiment, non moins nouveau, que la terre nous aime.

Ses ombrages, ses fontaines, ses vallées solitaires, ses tapis de fleurs se font les complices ou les témoins attendris de nos amours. Tout ce qui vit nous exhorte à jouir passionnément de la vie. Le poète est pareil à ce Démon de la Volupté qui, dans Chateaubriand, traverse les bois de l’Arcadie une torche odorante à la main. Sur son passage, la colombe gémit, le rossignol soupire, le cerf brame. « Les Esprits séducteurs entr’ouvrent les chênes amollis et montrent çà et là leurs têtes de nymphes. » Ronsard a magnifiquement exprimé la sensualité de son époque, cette sensualité que la renaissance du Paganisme, en divinisant la Nature, avait lavée de ses tares originelles et comme réhabilitée. Elle se manifestait dans les mœurs par une sorte d’impudeur. Henri Estienne intitulait un des chapitres de son Apologie pour Hérodote : De combien la paillardise est plus grande aujourd’hui qu’elle n’a été. Le mot, qui convient à tant de nos productions du Moyen Age et qui s’applique encore justement à quelques-unes des Folastries de Ronsard, ne caractérise plus, sauf pour un polémiste huguenot, cette ardeur voluptueuse que l’adoration de la beauté plastique rend, sinon plus pure, du moins plus intense et plus grave. Ronsard demeure le poète insurpassé de l’amour sensuel où l’esprit décore, prolonge et renouvelle indéfiniment la fête des sens. Quelle différence avec Pétrarque, même quand il croit pétrarquiser ! L’un essaie de « christianiser » les Latins érotiques ; l’autre ajouterait encore à leur paganisme. M. Laumonier a marqué cette opposition en rapprochant les passages où les deux poètes nous peignent leur maîtresse. Laure, assise au bord de l’eau, s’appuie contre un arbre, toute vêtue, humble et pudique. Cassandre, qui s’est baignée dans la source, se couche sur la rive et y repose nue comme une naïade. Nous étonnerons-nous de la hardiesse dont le poète nous la dévoile et promène nos regards sur les beautés de son corps ? Mais consultez le livre de M. Bourciez : n’était-ce pas ainsi qu’en usaient les sculpteurs et les peintres avec les dames de la Cour qui leur servaient si complaisamment de modèles ? Diane n’admirait-elle pas elle-même sa nudité dans les tableaux de Primatice ou dans les bas-reliefs de Jean Goujon ? Et Catherine de Médicis, malgré la sévérité de ses mœurs, était aussi nue qu’elle sur le plat de Léonard Limosin. Ni Cassandre Salviati ne pouvait se scandaliser de la liberté que prenait son poète, ni la reine d’Ecosse s’offenser quand il s’écriait :


Avoir joui d’une telle beauté
Sein contre sein valait la royauté !


Cependant M. Laumonier a raison de dire qu’il a été plus loin que tous ses prédécesseurs dans le dévêtement du corps féminin et dans la description du plaisir amoureux. Excès pour excès, reste à savoir si la franchise de Ronsard n’est pas préférable au platonisme hybride où les pétrarquisans et plus tard les Romantiques ont trop souvent mêlé l’amour mystique de Dieu et l’amour charnel des créatures, et si, par exemple, les audaces fougueuses du poète de Cassandre et de Marie sont plus choquantes que la confusion des sentimens d’un autre très grand poète qui ira chercher sur le Crucifix la tiédeur du baiser de sa maîtresse. Oh ! je sais parfaitement tout ce qu’on peut alléguer, et qu’à une certaine hauteur les aspirations du cœur humain se purifient et s’identifient. Et je sais qu’on se défend mal des douloureuses séductions d’une telle poésie ! Mais enfin le dieu Pan, né d’une Pénélope infidèle, est un dieu qui favorise les amours libres, et le Dieu des chrétiens en est un autre ! Fût-on grand poète, on ne les sert sur les mêmes autels qu’à la faveur d’une étrange équivoque. Pourtant, dira-t-on, Pétrarque ?... L’exemple de Pétrarque ne doit point nous abuser.


Il était éveillé d’un trop gentil esprit
Pour être sot trente ans, abusant sa jeunesse
Et sa Muse au giron d’une vieille maîtresse :
Ou bien il jouissait de sa Laurette, ou bien
Il était un grand fat d’aimer sans avoir rien.


Le dilemme n’est point rigoureux. Nous savons qu’il ne jouit point de sa Laurette, et nous savons aussi qu’il n’était pas un fat. Alors ? Alors, il me paraît moins sincère ; et j’aime mieux notre Ronsard, ô gué, j’aime mieux notre Ronsard ! Ses aubades lascives parfumées de rose, étincelantes de rosée ; son lyrisme amoureux, enveloppant comme le lierre et comme la vigne, et violent parfois comme le thyrse aigu aux mains des Bacchantes ; ses oarystis olympiennes et les mignardises qui en sont les menues caresses, toute cette volupté qui sent le plaisir, ne nous causent jamais le moindre malaise. Sa poésie, dont la grâce a l’insolence de la jeunesse ou la fierté du génie, est toujours franche, loyale, et ne remue aucun sentiment trouble dans les cœurs.

On ne saurait pourtant se dissimuler ce qu’elle a d’incomplet, ou, pour mieux dire, ce qu’elle nous découvre, sous sa magnificence, de ce « perdurable » esprit gaulois si porté au mépris ou au dédain des femmes. Certes, Ronsard ne semble pas les mépriser ! Mais son analyse de leurs charmes physiques dissout leur personnalité. Il refait avec un art incomparable les « blasons » dont la poésie italienne et française lui offrait des exemples quelquefois bien grossiers. Je ne vois en Cassandre et en Marie, ainsi blasonnées, que les objets de sa contemplation et de son désir. Leur amour est pareil à un collier dénoué dont le poète tourne et retourne chaque perle entre ses doigts. S’il adore en elles la tendre incarnation des formes parfaites que les Grecs ont déifiées, ce sentiment esthétique tout nouveau s’accommode assez bien d’une conception de l’amour où la femme, tantôt divinisée par le paganisme des sens, tantôt rabaissée au simple rôle d’un instrument de plaisir, n’est jamais considérée comme l’égale de l’homme, ni seulement chérie dans son humanité.

Ronsard n’accorde qu’un crédit très limité à l’intelligence féminine. S’il veut que sa maîtresse soit experte en musique et en vers, cela ne signifie pas grand’chose : les Anciens en demandaient autant à leurs courtisanes ! Du reste, l’ignorance de sa Marion ne semble pas l’avoir diminuée à ses yeux. Pour lui, la femme est « fragile, » c’est-à-dire qu’elle a l’entendement fragile. En dehors de l’amour, les problèmes philosophiques ou les questions religieuses ne doivent pas la distraire du soin « de ménager et garder la maison. » Et même en amour elle ne donne pas toujours les preuves d’une judiciaire très sûre.


Si quelque fille est, douce, honnête, bonne et belle,
J’ai beau être courtois, jeune, accort et fidèle,
Elle sera toujours d’un sot énamourée !


Cette fille rentre sans doute dans la catégorie des sottes qui « aiment mieux un mari qu’être faites déesses. » Ronsard comprend mal un goût si vulgaire, mais il se console aisément de leurs rigueurs.


Quand une jeune fille est au commencement
Cruelle, dure, fière, à son premier amant,
Hé bien, il faut attendre !...
Mais quand elle devient, sans se changer un jour,
Plus dure et plus rebelle et plus rude en amour,
Il s’en faut éloigner, sans se rompre la tête
Et vouloir adoucir une si sotte bête...


Qui parle ? Est-ce Villon, Marot, Mellin de Saint-Gelais ? Cette philosophie de Ronsard sera aussi celle de l’Hylas de l’Astrée, et celle du vieux Malherbe. Et pensez-vous que de semblables vers détonneraient dans une pièce de Molière ?

De toutes les femmes que Ronsard a chantées, une seule m’apparaît avec son âme : Hélène de Surgères. Nous la reverrons toujours au chevet du lit où l’on vient de saigner son poète ; elle regarde le sang et dit en riant : « Que votre sang est noir ! » Elle est coquette et danse pour lui de beaux ballets d’amour qui se rompent et se reforment comme le cours du fleuve de Méandre. Elle est hautaine et ne daigne pas lui faire l’aumône d’un peu de jalousie. Cependant, un soir, près d’une fenêtre d’où ses yeux découvrent les hauteurs de Montmartre, elle soupire à haute voix après la vie solitaire et même après la paix du cloître. Mais a-t-elle réellement prononcé les mots que lui prête Ronsard ? A-t-elle dit :


Je voudrais bien y être
A l’heure où mon esprit de mes sens sera maître ?...


N’a-t-il pas introduit dans le souhait mélancolique de cette belle fille d’honneur, dont l’âme se retire des splendeurs de la Cour, cet aveu peu vraisemblable, peu délicat, d’une faiblesse intime qui lui permettait d’espérer qu’avant le renoncement final elle cueillerait avec lui les roses de la vie ? Il a vieilli, mais pareil au bois sec qui brûle en toute saison. Ni les tristesses de l’âge, ni les larmes qu’il verse n’obscurcissent son idée épicurienne de l’amour.

Cet épicurisme très italien et très gaulois devient plus gaulois lorsqu’il y joint le goût rabelaisien des franches lippées, et « qu’il s’attable, les coudes sur la nappe grasse, pour voir à la lueur des torches baller les belles filles[8]. » Il devient plus gaulois encore lorsque, à ses yeux d’amoureux et de buveur, tout à coup, derrière tes buissons de roses et les douces vignes odorantes, surgit et passe la Danse Macabre ; car c’est bien sous cette forme si familière au Moyen Age, que la mort a tour à tour opprimé et surexcité son imagination. Il a vu le laboureur, son soc à la main, suivre les armes impériales et les grands foudres de guerre vainement armés de leurs lances et de leurs estocs. Il s’est vu lui-même dans l’affreux cortège :


Il n’a plus esprit ni raison,
Emboîture ni liaison,
Artère, pouls ni veine tendre.
Cheveu en tête ne lui tient
Et, qui plus est, ne lui souvient
D’avoir jadis aimé Cassandre !


C’est dans ce lieu commun qu’il rajeunissait après Horace et après tant d’autres poètes, qu’on sent le mieux l’amalgame des images antiques et de celles du Moyen Age. Les morts que l’Infernal Passager attend aux bords du fleuve épais et lourd ressemblent aux hideux squelettes de Villon. Quelle horreur que de ne plus exister ! La vieillesse n’est rien encore. On peut, assis au coin du feu « comme une idole enfumée, » assister sans trop d’amertume au renouvellement insolent de la nature et se dire qu’on préfère à l’immortelle insensibilité des rochers et des bois le souvenir des cruelles douceurs qui nous ont fait vieillir, ô Cassandre ! Mais penser qu’une heure viendra où nous perdrons jusqu’à la mémoire de notre amour ! Penser qu’un instant suffira pour nous rejeter hors du temps et qu’à peine morts nous serons aussi morts que celui qui mourut au jour du déluge ! Ronsard, qui a puissamment aimé la vie, essaie d’écarter la vision de son cadavre. Du paganisme il revient à la religion chrétienne. Dans son Hymne De la Mort, il se gourmande de craindre l’épouvantable Charon.


Ha pour Dieu te souvienne
Que ton âme n’est pas païenne, mais chrétienne !


Le Christ fait de la mort « un beau passage, » et notre âme est « citoyenne à jamais de la ville éthérée. »


Je te salue, heureuse et profitable Mort !


Beaux vers que ne font point pâlir les vers sublimes de Lamartine : Je te salue, ô mort, libérateur céleste !... Mais l’ont-ils délivré de sa hantise ? N’a-t-il pas, et souvent encore, répété cette ode à Cassandre d’une mélancolie désespérée qui jaillit dans la nuit claire et retombe en pluie de baisers :


La lune est coutumière
Renaître tous les mois,
Mais quand notre lumière
Sera morte une fois,
Longtemps sans réveiller
Nous faudra sommeiller.
Tandis que vivons ores,
Un baiser donne-moi ;
Donne-m’en mille encores !...


Ainsi, toute une époque, dont les contradictions morales et les plus acerbes conflits exaspéraient la fureur de vivre[9], s’entendait, si j’ose dire, respirer et palpiter dans cette poésie tour à tour patriotique, pittoresque, symbolique, bachique et sensuelle. Elle enchantait l’esprit ; elle intéressait tous les sens ; elle entretenait l’enthousiasme, et, du sein de nos misères, elle proclamait sa foi dans la beauté de la vie.


IV

Bien que Ronsard ait dit qu’il ne faut qu’un peu de fumée pour noircir toute la maison, sa pensée persistante de la mort, — d’ailleurs tempérée çà et là par l’idée de son immortalité, — n’empêche pas son œuvre de respirer la joie. Je ne connais que deux œuvres du XVIe siècle, et peut-être de notre littérature, qui me produisent l’effet d’avoir été enfantées dans l’allégresse : celle de Rabelais et la sienne. On s’imagine aisément, au soir des austères journées d’éludés, ce médecin, grand artiste, dénué d’ailleurs du sentiment de la beauté, reprenant son manuscrit de Pantagruel et jouissant, jusqu’à l’ivresse, de ses imaginations et de son prodigieux génie verbal. Il s’écoute écrire en riant ; il façonne, polit, cadence en riant l’innombrable rythme de ses phrases. De même Ronsard. Le labeur et les insomnies l’ont décharné et blêmi.


J’ai le front renfrogné et ma peau maltraitée
Retire à la couleur d’une âme achérontée.


Mais ne nous fions point aux apparences. N’allons pas, comme Michelet, faire de lui « un maniaque enragé de travail, un homme cloué là et se rongeant les ongles, le nez sur ses livres latins, arrachant des griffes et des dents des lambeaux de l’Antiquité. » Quelle absurdité ! Il bouillonne de jeunesse ; et sa bibliothèque, il la sait par cœur comme Virgile savait ses Grecs et ses Latins, Ennius et Homère. Montaigne disait : « Je suis de ceux qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » C’est l’idée même de Ronsard. Sauf pendant les jours tragiques où il ne pouvait plus « jouir de la franchise de son esprit » et où il a dû combattre pour son Roi et pour son Dieu, la poésie est à ses yeux non pas la vie elle-même, mais l’honneur et le rire de la vie ; non pas toute l’âme, mais ce qu’il y a dans l’âme d’éternellement jeune et dans la jeunesse d’éternellement beau ; non pas toute la sagesse, mais ce qu’on peut mettre de sagesse dans nos divertissemens et dans nos folies. Les vers où il répondait aux Prédicantereaux de Genève sont très significatifs :


Je suis fol, Prédicant, quand j’ai la plume en main,
Mais quand je n’écris plus, j’ai le cerveau bien sain.
Je prends tant seulement les Muses pour ébats,
En riant je compose, en riant je veux lire,
Et voilà tout le fruit que je reçois d’écrire.
Ceux qui font autrement, ils ne savent choisir
Les vers qui ne sont nés sinon pour le plaisir.


J’admets que, dans son désir de se justifier des accusations d’immoralité, il essaie de tourner en fantaisies sans conséquences ses inspirations les plus païennes. C’est pourtant bien de cette façon que, même en sa période de pindarisme, il a conçu et adoré la poésie. Et remarquez qu’au fond cette conception se rapproche beaucoup plus de celle des Malherbe, des Boileau, des La Fontaine, que de celle des Romantiques. La fonction du poète ne consiste qu’à embellir l’existence et à récréer l’esprit des hommes. Le poète ne lit pas dans les étoiles la route du vaisseau : il consacre seulement la gloire des bons pilotes et des bons capitaines, et ses inventions heureuses trompent les passagers sur les tristesses du voyage.

Ronsard fut un grand artisan de joie et de beauté. Pas d’œuvre où l’effort se sente moins, où le génie s’abandonne plus librement au démon qui le pousse. Sa veine a quelque chose de torrentiel, mais qui la rend singulièrement inégale. Il a beau dire, et non sans raison, que les poètes gaillards ont un art caché qui ne semble pas un art aux versificateurs : son art est parfois si bien caché que les meilleurs yeux du monde ne sauraient le découvrir. Tel poème du Bocage royal, le Songe, par exemple, nous donne l’impression très nette qu’il est parti sur une idée très vague et qu’il ignore où le mènera son troupeau bondissant d’alexandrins. Il crée perpétuellement de nouveaux rythmes. Mais obéit-il toujours au besoin de son inspiration ? Ne cède-t-il pas à sa facilité ? N’est-ce pas chez lui une sorte de gageure ? On jurerait qu’il ne veut laisser à ceux qui le suivront l’honneur d’aucune invention rythmique. Ses contresens, comme celui qu’il commet en chantant l’éloge de Mgr Charles Duc d’Orléans dans les strophes les plus dansantes, seraient de nature à nous surprendre, si nous oubliions que nous avons affaire à un poète dont la pensée ne se met pas toujours d’accord avec les mesures où l’entraînent « les Nymphes et les gentilles Fées. » Le premier des poètes français, il a compris les ressources infinies du vers alexandrin ; mais il l’a souvent alourdi par ses rejets de tout un hémistiche, — rejets plus acceptables dans le vers de dix pieds, — et, lorsque sa préface de la Franciade l’a maladroitement accusé de prosaïsme, il n’a pas vu que le prosaïsme en venait de cette négligence inharmonique. À quoi bon insister sur les obscurités de sa composition, sur la monotonie verbeuse et la prolixité de ses développemens ?

L’ouvrier dans Ronsard est inférieur au poète. M. Laumonier a tenté de nous prouver que l’ouvrier, qui « vingt fois sur le métier remettait son ouvrage, » s’était rendu sans cesse plus maître de son art. Sa démonstration a fort heureusement réfuté les critiques qui attribuaient les corrections de Ronsard « à la caducité précoce de son esprit » et « à des pratiques de dévotion outrée ! » Mais, sur le fond du débat, il ne nous a pas convaincus. Et comment l’eût-il fait, si nous avons la faiblesse de regretter presque toutes les suppressions que Ronsard s’est imposées et de préférer en général, sauf quand il débarrasse son texte d’énigmes mythologiques, son premier jet à ses variantes successives ? Il se corrige souvent à la façon des improvisateurs, qui se corrigent beaucoup moins qu’ils ne refont, et qui, au lieu de condenser ou de préciser leur pensée, lui en substituent une autre, si bien que leurs multiples changemens sont signe d’incertitude et d’abondance plutôt que de maîtrise.

Ses défauts, qui s’expliquent par le temps où il a vécu, sont encore plus la rançon de sa fantaisie. Ronsard ne résiste pas aux appels de cette folle merveilleuse. Voyez-le dans sa Réponse aux injures et aux calomnies des Ministreaux de Genève. Il se propose de les repousser simplement, éloquemment ; mais, quand il arrive au reproche qu’on lui fait d’être prêtre et de courir après la mitre, l’idée d’un Ronsard mitre, « les doigts escarbouclés, le menton bien rasé, » le saisit au point qu’il oublie son indignation et même un peu la cause qu’il défend, pour se caricaturer joyeusement et, avec lui, le personnage des évêques. Certes oui, s’écrie-t-il, je voudrais avoir tout le chef et le dos empêché


Dessous la pesanteur d’une bonne évêché !
Lors j’aurais la couronne à bon droit sur la tête,
Qu’un rasoir polirait le jour d’une grand’fète,
Ouverte, grande, blanche et large jusqu’au front
En forme d’un croissant qui tout se courbe en rond...


Ainsi, à chaque instant, sa fantaisie l’emporte. Son paganisme rit dans l’idylle et dans l’églogue comme le Masque du Faune où s’égayait la jeunesse de Michel-Ange. Les moindres « actualités » lui sont matière de poésie : « un bal à Blois, un séjour à Couture, un voyage à Bourgueil, une aventure à Paris, une fête à la Cour, une promenade, une insomnie. » Et quel poète que celui qui peut, avec la même allégresse, peindre une fresque allégorique, sculpter un bas-relief antique, ciseler dans l’or pur un bijou pour sa maîtresse, et, tour à tour peintre, sculpteur, orateur et musicien, donner à ses Discours la gravité de la haute éloquence et à ses odelettes ‘passionnées le divin coup d’archet qui traverse les âges ! Nous trouvons déjà réalisé en lui, au moins par fragmens, ce que nous admirerons plus tard dans nos plus grands poètes. Son œuvre est pleine d’avenir. Je la comparerais volontiers à des Champs Elysées où nous voyons passer et repasser, sous une lumière diffuse, les ombres charmantes et précieuses, les fantômes sceptiques et railleurs de notre ancienne poésie, et où, derrière un bocage mystérieux, le poète nous fait entendre presque toutes les voix de notre poésie future.

Avant Corneille, il a frappé le vers cornélien :


Sire, ce n’est pas tout que d’être roi de France...


André Chénier ne rencontrera pas de traits plus homériques que celui de son Polyphème,


Qui courait à pied sec sur l’écume des flots.
La vapeur seulement de la vague liquide
Rendait un peu le bas de ses talons humide...


ou encore celui des femmes,


Qui font par le métier promener leurs navettes,
Où se teignent les doigts aux couleurs des ouvrages.


Hugo n’aura pas de vers plus vastes que ceux-ci :


Et les chiens aboyans de Scylla monstrueuse,
Qui d’un large gosier hume toute la mer,


ni de vers plus mystérieusement cosmogoniques que cette invocation aux Etoiles :


Je vous salue, enfans de la première nuit !


Comme à Hugo, il lui arrivera de terminer brusquement une longue pièce par un tableau qui ne la résume pas, mais qui arrête l’esprit du lecteur sur une forme parfaite ou sur une splendide déchirure de l’horizon. Tantôt, dans ses odes bachiques et dans ses Folastries, il s’avance en badinant jusqu’aux frontières du Burlesque, que franchiront les Théophile et les Saint-Amant. Son chien est venu japper à la porte de la chambre où il s’était enfermé avec sa maîtresse ; et la maudite bête a donné l’éveil à tout le village.


Si tu ne m’eusses été tel,
Je t’eusse fait chien immortel...
Compagnon du chien d’Orion...
Car certes ton corps n’est pas laid ;
Et ta peau plus blanche que lait
De mille frisons houppelue,
Et ta basse oreille velue,
Ton nez camard et tes gros yeux
Méritaient bien de luire aux cieux !


Dans une de ses dernières pièces, il se répand en imprécations, contre le mariage de celle qu’il poursuivait, avec une verve, une âpreté pittoresque, une fureur héroï-comique que les jeux étourdissans du Romantisme n’ont point dépassée.


Que la nuit leur soit longue et le lit plus poignant
Que s’ils étaient couchés au milieu des orties !


Tantôt, ce sont des récits qui semblent détachés d’une épopée et qui marchent à grands pas, vigoureux et resplendissans ; et quelquefois aussi, écartez-en les draperies mythologiques : un conte gaulois vous rira dans les yeux, un conte de La Fontaine aussi malicieux, mais plus coloré. Hercule et Iole ont échangé leurs vêtemens : malheur à l’imprudent Satyre qui, la nuit, s’y trompera ! Le soir est descendu :


Là sur mainte herbe et mainte feuille tendre
Les deux amans repos allèrent prendre.
Leurs serviteurs, qui le somme soufflaient
Par les naseaux, sur les tisons ronflaient,
D’un lourd menton refrappant leur poitrine,
Autour du feu qui lentement décline.


Je m’étonnerai toujours que La Fontaine, d’un esprit si libre, si affranchi de préventions, et si bon lecteur, n’ait pas été plus tendre à l’égard de Ronsard, le seul poète qui ait fait du La Fontaine avant lui ! Ils avaient tous deux plus d’un trait commun, outre leur goût marqué pour les belles chambrières : la bonhomie dans l’expression, une grande sincérité, l’amour de la nature rustique, l’art de nous communiquer en quelques mots très simples la sensation physique d’un paysage, d’une atmosphère, d’une fleur ou d’une saison. Je ne conçois pas La Fontaine passant d’un œil distrait sur des vers comme ceux-ci :


J’aime fort les jardins qui sentent le sauvage...
Lorsque le ciel à la terre sourit,
Lorsque tout arbre en jeunesse fleurit,
Quand tout sent bon...


Ronsard a tant aimé la nature ! Il a tant vécu au milieu d’elle et au milieu des paysans qu’il a si bien fait parler ! Ses Eglogues, c’est Apollon revenu de chez les pasteurs, la lyre enguirlandée des fleurs du pré à Bouju. Une savoureuse étude de M. Gabillot sur ses dernières années nous le montrait dans son prieuré de Saint-Cosme, cultivant son jardin, fier de connaître les beaux secrets du jardinage. Il remplit scrupuleusement ses fonctions de prieur ; et ses fermiers des Roches s’acquittent non moins scrupuleusement de leurs redevances. Ils lui apportent à la fête des Rois « trois fouasses de fleurs de froment paitries au beurre et huit chappons bons, gras, vifs et recevables. » La maison prieurale était ornée d’une galerie rustique en saillie. « Du haut de ce balcon, la vue du prieur s’étendait sur un des plus beaux paysages de France, au moins un des plus doux et des plus reposans. Toute cette campagne des environs de Tours ressemble à un parc où la main de l’homme aurait au hasard jeté des prairies, de riches cultures, des groupes d’arbres pittoresques. C’est aussi le pays des roses... » Les parfums de sa terre natale montaient vers lui, les plus nobles de cette France que nul n’a chantée comme lui, à qui, dans un jour de tristesse, il reprochait d’être


Marâtre à ses enfans et mère aux étrangers,


mais que nul n’a mieux aimée que lui.

Ajoutons : que nul en son temps n’a fait admirer davantage. M. Laumonier a raison de souhaiter qu’on écrive un livre sur l’influence de Ronsard en Europe, et il aurait encore plus raison de l’écrire lui-même. Elle fut considérable ; et ce caractère expansif de son génie le rend encore plus français, s’il est vrai qu’aucun pays n’ait produit plus que le nôtre des hommes dont la voix porte loin.. Les Italiens nous disaient : « Vous avez chez vous plus grand que Pétrarque. » Ils ne croyaient pas si bien dire ! Les poètes allemands remplissaient leurs ouvrages des louanges de Ronsard. On étudiait ses œuvres avec passion précisément à l’Université de Heidelberg où Malherbe acheva ses études. Le chef de l’école silésienne, Martin Opitz, qui essayait d’acclimater en Allemagne les formes de la poésie antique, s’inspirait largement de son exemple. Quand il vint à Paris en 1630, il ne comprit rien au revirement de l’opinion française : « Ronsard, s’écrie-t-il, n’est plus appelé un poète ; Du Bellay est traité à l’égal d’un mendiant. »

Mais ce fut en Angleterre que Ronsard exerça un magnifique prestige. Et justement, hier encore, M. Sidney Lee, dans un livre que je voudrais voir traduit, The French Renaissance in England, reconnaissait la grandeur de la dette que la Poésie anglaise du temps d’Elisabeth avait contractée envers la Pléiade, et particulièrement envers Ronsard. Ce fut la France qui, par sa faculté d’assimiler et de rendre national ce qu’elle tire de l’étranger, transmit à l’Angleterre, avec ses propres inventions et ses propres idées, la connaissance de la Grèce, de Rome et de l’Italie moderne. Ce fut dans la poésie française, c’est-à-dire dans Ronsard, que les Anglais étudièrent, sinon tous la poésie des Grecs, des Latins, des Italiens, tous du moins la science d’en adapter les beautés à leur civilisation. « Notre inspiration étrangère, dit-il, est plus souvent d’origine française que d’origine classique et italienne. » Un seul ouvrage de Ronsard, les Discours sur les Misères de ce Temps, avait été traduit en 1568. Mais toute son œuvre était si connue que, cinq ans après sa mort, en 1590, un pamphlet satirique de Tarlton représentait les poètes, ses imitateurs, rassemblés au Purgatoire pour entendre « le vieux Ronsard » chanter sa Cassandre. On imite son patriotisme ; on essaie de pindariser comme lui. Les thèmes d’Anacréon et de Théocrite, Lily les reprendra, mais de la main de Ronsard. Le rire de Vénus devant son fils qu’une abeille a piqué n’est, dans Spenser, qu’un écho du poème de Ronsard. Shakspeare enfin, Shakspeare surtout, ne se contentera pas d’emprunter à Ronsard des mots qui prouvent combien il le pratiqua, comme celui d’antres, si fréquent dans la poésie ronsardienne, ou comme celui de scrimers qui n’est autre qu’escrimeurs inventé par Ronsard. Il ne se bornera pas à imiter après lui l’Adonis d’Ovide et à développer après lui des motifs d’Anacréon. Les personnages des Joyeuses Commères et des Peines d’amour verront avec les yeux du poète français les fleurs « qui peignent délicieusement la campagne » et décriront comme lui


... le bel émail qui varie
L’honneur gemmé d’une prairie...


L’aubade de Ronsard, Mignonne, levez-vous, vous êtes paresseuse, sonnera joyeusement sur le théâtre anglais : « Ecoute, écoute, l’alouette chante à la porte du ciel... Avec tout ce qui est charmant, ma douce maîtresse, lève-toi ! lève-toi ! lève-toi ! » Lorsque Roméo veut jurer « par la lune charmante qui pose une pointe d’argent sur la cime des arbres, » Juliette l’interrompt : « Oh ! s’écrie-t-elle, ne jure pas par la lune, par la lune inconstante... ou, si tu veux jurer, jure par ta gracieuse personne, divinité de mon cœur... » Mais, vingt ans plus tôt, Ronsard disait à Hélène :


Je ne veux comparer tes beautés à la lune,
La lune est inconstante et ton vouloir n’est qu’un...
Tu ès toute ton Dieu, ton astre et ta fortune !


Il y a dans le drame d’Antoine et Cléopâtre un passage où Shakspeare s’élève au-dessus de lui-même. Antoine, trompé par la fausse nouvelle que Cléopâtre est morte, s’écrie dans un emportement sublime : « Je viens, ma reine ! Attends-moi ! Là où les Ombres reposent sur des fleurs, nous irons la main dans la main, et nous attirerons les regards de toutes les âmes par la grâce de notre démarche ! Énée et sa Didon se verront déserter, et toute la foule des mânes se portera vers nous. » Vous ne trouverez aucune trace de ce délire extatique dans le récit de Plutarque. Mais c’était du même ton, du même mouvement passionné, et presque les mêmes paroles sur les lèvres, que Ronsard avait, pour ainsi dire, emporté son Hélène jusqu’au séjour des Ombres :


Là, morts de trop aimer, sous les branches myrtines,
Nous verrons tous les jours
Les anciens Héros auprès des Héroïnes
Ne parler que d’amours.


La troupe sainte autrefois amoureuse accourra vers eux, et personne ne refusera de quitter sa place aux nouveaux venus, personne,


Ni celles qui s’en vont toutes tristes ensemble,
Artémise et Didon...

Arrêtons-nous. J’ai choisi seulement quelques exemples parmi tous ceux que cite l’auteur anglais. Il n’en faut pas davantage pour nous faire mesurer des yeux la portée française d’une œuvre dont nous devons être fiers. Rien n’est plus agréable que de surprendre ainsi, dans un des beaux éclats de la poésie shakspearienne, l’inspiration directe, authentique, du lyrisme français, et, dans le gosier de ce puissant barbare, la note pathétique d’une chanson de notre Ronsard.


ANDRE BELLESSORT.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.
  2. M. Laumonier est d’ailleurs convaincu qu’en attaquant le « faste des grands mots pédantesques » de Ronsard, Boileau visait non pas son vocabulaire, mais son abus de la mythologie.
  3. Voir la préface de M. Vianey à l’édition des Amours (Champion, éditeur).
  4. Alfred Croiset, La Poésie de Pindare.
  5. Bourriez, ouvrage cité.
  6. M. Mellerio constate qu’après les mots empruntés aux patois provinciaux, les termes de vénerie et de fauconnerie jouent un rôle très important dans le vocabulaire de Ronsard. Voir son Lexique de Ronsard. (Plon éditeur.)
  7. Ce n’est certes pas une des meilleures pièces de Ronsard ; et le « gothique » en est gâté par un bizarre mélange de souvenirs mythologiques. Mais elle a de beaux endroits et elle fut très admirée.
  8. Bourciez, ouvrage cité.
  9. C’est cette fureur de vivre qu’un grand romancier, dont nous déplorons la perte, Maurice Maindron a si bien rendue dans ses récits historiques du XVIe siècle. Le souvenir de ces récits s’impose plus d’une fois quand on lit Ronsard.