Nous tous/Bibliographie

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 66-69).


XXIX

BIBLIOGRAPHIE


Longeant les murs seigneuriaux
Des hôtels dont Paris s’honore,
Les lourds, les sombres chariots
Défoncent le pavé sonore.

Ils encombrent la rue. Où fuir ?
Ô triste revers des ribotes !
Voici leurs longs tuyaux de cuir
Et leurs hommes à grandes bottes.

Le vent glacé dans nos cheveux
Met des caresses dérisoires.
On voit briller de rouges feux
Parmi des tas de choses noires.


Les chariots exorbitants,
Sans attendre que Paris dorme,
Ainsi que des Léviathans
L’offensent de leur masse énorme.

Qu’emportent-ils ? N’écrivons là
Aucun mot que le goût rature.
Tiens ! c’est bien malin ! c’est de la… —
Non, c’est de la littérature !

Oui, ce qui naguère engraissait
La Terre où naîtra, de fleurs ivre,
Le délicieux Avril, c’est
Ce qu’on nomme à présent : un livre.

Les lourds chariots, pleins de bruit,
Roulent, hideux, sous la rafale,
Épouvantant l’ombre et la nuit,
Et de leurs sombres flancs s’exhale… —

Ô corolles faisant le guet
Au bord du ruisseau qui murmure !
Aubépine rose et muguet !
Buissons verts où rougit la mûre !


Ô pâquerettes du chemin,
Où foisonnent des gouttelettes !
Ô lys, chèvrefeuille et jasmin !
Âmes des tendres violettes !

C’est vainement que Sumatra
Devant nos rimes s’extasie :
Hélas ! l’avenir nous mettra
Le nez dans notre — poésie.

Car tous braves comme Créquy
Et vainqueurs du dégoût morose,
Nous nommons bravement ce qui
N’est pas la rose : pas la rose.

Ô déesse en qui tout est pur,
Chaste Nature aux sacrés voiles,
À la chevelure d’azur,
Dont le front est criblé d’étoiles ;

Nous te regardons sous tes reins
Sans pudeur réactionnaire ;
Nous explorons les souterrains
Aveugles du dictionnaire ;


Et par ces temps d’humidité
Où le brouillard nous environne,
On raille ta timidité,
Pâle euphémisme de Cambronne !


28 décembre 1883.