Nous tous/Clovis Hugues

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 99-101).


XL

CLOVIS HUGUES


Les députés ont de ces fugues !…
Ils sont une meute aux abois.
Donc, ils ont chassé Clovis Hugues,
Comme un sanglier dans les bois.

Tels des vieux, tombés en enfance.
En lui criant : Vade retro !
Ils le chassent, avec défense
De porter le nom de Pietro.

La Chambre ingénue et profonde
Arrache de son sein Clovis,
Pour assurer la paix du monde.
Para bellum, si pacem vis.


Enfants, mangez des prunes d’ente ! —
Loin des vertigineux lambris
Clovis a dû fuir. Comme Dante,
Il est exilé… dans Paris !

Hier encore il était membre.
Il ne l’est plus. Destins railleurs !
Il n’entre jamais dans la Chambre,
Hélas ! Ni moi non plus, d’ailleurs.

Misérable porteur de lyre,
Il n’entendra pas, longs ou courts,
Ainsi que des chiens en délire
Aboyer les vagues discours.

Oisif après ces catastrophes,
Et portant le suprême affront,
Il caresse les belles strophes
Ayant des rimes sur le front.

Passant inutile, poète,
Échanson des généreux vins,
Il entend frémir dans sa tête
Les ailes des rythmes divins ;


Il s’unit au peuple, à la foule,
Plein de pitié, baigné de jour,
Bercé par cette grande houle
D’où sort un long sanglot d’amour ;

Il mêle à sa voix forte et pure
Les soupirs, les cris douloureux,
L’hymne effaré de la nature
Et la plainte des malheureux ;

Âme que tout espoir enchante
De sa tragique passion,
Il s’extasie, il rêve, il chante… —
Il n’a plus de profession.


11 janvier 1884.