Nouveaux Voyages en zigzag/Voyage à Gênes/24

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VINGT-QUATRIÈME JOURNÉE.


Ce matin, pluie encore. Du reste, l’eau qui est tombée pendant la nuit a enflé les torrents au point que sans la voiture il nous serait impossible pour l’heure de continuer notre voyage dans ce pays sans ponts. À chaque fois donc, on la charge devant, derrière, sur l’impériale ; le reste enfourche les chevaux et partage avec eux les grands coups de fouet au moyen desquels on les décide à gagner au travers des bouillons la rive opposée.

À Sisteron, l’hôte, à qui nous avons été annoncés par le commis tailleur, vient au-devant de nous. C’est un vieillard gai, vif, bon enfant et farceur au non plus : « Accourez, accourez, braves gens, nous crie-t-il de tout loin, c’est ici le déluge qui commence, et vous allez rester huit jours dans mon arche, où il y a une paire de chaque espèce de bon gibier !… » Nous entrons, la table est servie, le déjeuner tout prêt ; c’est l’hôte qui nous sert. « Entendez-vous comme elle tombe ! Bravo, je vous tiens ! Commençons par ce lièvre ; tâtez-moi ces perdrix, et vive le déluge ! nous allons rire et nocer… » Mais après une puissante averse, le soleil reparaît : « Allons, s’écrie-t-il, je suis enfoncé. C’est égal, prenez mon nom, et recommandez-vous de moi, vous serez bien reçus partout. »

Mais que vois-je là-bas sur la route, et serions-nous en Palestine tout de bon ?… Un grand dromadaire et cinq ânons ! L’on marche, l’on approche ; c’est une ménagerie ambulante. Le dromadaire porte des singes habillés, les ânons sont chargés de bêtes en caisse, et tout cela se rend à Sisteron pour y embellir la foire du lendemain. Nous nous faisons donner au beau milieu du grand chemin une représentation complète. « Vous voyez, messieurs, le superbe porc-épic de M. Bouffon, géographe célèbre… Cet animal terrible triomphe de la force par la ruse… Quand il voit son ennemi, sous prétexte de le caresser, il le transplante,» etc., etc.

Sans autre aventure, nous arrivons très-tard à la Sauce, où tout le monde dort dans le village et dans l’hôtel. À force de vacarme pourtant, nous finissons par trouver à qui parler, et vers minuit, après de laborieux apprêts, nous pouvons enfin aller dormir à notre tour.