Nouveaux contes berbères (Basset)/103

La bibliothèque libre.
Ernest Leroux, éditeur (Collection de contes et de chansons populaires, XXIIIp. 96-102).

103

Les huit frères, leur sœur et l’ogre (187).
(Ouargla).

Au temps jadis, un homme épousa une femme : ils eurent sept fils et une fille. Un jour celle-ci vit les autres jeunes filles qui allaient couper des broussailles dans la campagne. Elle dit à sa mère ; « Je vais aller avec elles. — Va, lui répondit la mère. » Quand elles furent arrivées, elles se mirent à couper des broussailles : cette jeune fille trouva un taquet, elle le prit et le mit dans son sein. Les autres partirent, quant à elle, elle demeura en arrière, ne pouvant marcher à cause du taquet qui était lourd. Elle jeta tout le bois qu’elle avait ramassé et ne garda que le taquet, croyant que c’en était un ; mais c’était un ogre qui s’était métamorphosé. Elle marcha un peu ; puis, comme elle n’en pouvait plus, elle voulut le jeter ; mais il refusa de tomber de son sein. « Donne-moi ta parole que tu reviendras me trouver à cet endroit, lui dit-il. » Elle lui fit cette promesse et il tomba à terre.

Elle partit en courant. Arrivée chez elle, elle s’occupa de ses affaires et ne retourna plus chez l’ogre. Celui-ci revint, suivit sa trace et arriva chez ses parents. Il s’arrêta sur le seuil et dit : « Que Dieu fasse miséricorde à vos parents, donnez-moi un peu de feu. » La mère dit à sa fille : « Lève-toi, donne-lui du feu. » Celle-ci eut peur ; son nom était Mamza, elle dit à son frère : « Lève-toi, mon frère, donne-le lui. » L’ogre reprit : « À quoi bon ton frère ? Mamza, apporte-moi du feu. » Elle s’adressa à son père : « Lève-toi, donne-le lui. » L’ogre continua : « Ton père ne veut pas ; Mamza, apporte-moi du feu. » Elle eut recours à sa mère : « Lève-toi, donne-le lui. » L’ogre reprit : « Ta mère ne veut pas ; Mamza, apporte-moi du feu. » Son père et sa mère lui dirent alors : « Lève-toi, puisque c’est toi qu’il veut ; coupe une grande branche, tu la lui présenteras de loin. » Ils ne savaient pas que c’était un ogre. Elle alluma du feu et le lui présenta, mais il lui dit : « Approche-toi près de ma main. » Elle s’approcha, il la saisit et s’enfuit avec elle.

Le père dit à l’un de ses fils : « Lève-toi, cherche après ta sœur. » Il partit et suivit ses traces. Quand il arriva à la maison de l’ogre, il l’y trouva. « Qui t’a amené ? dit-elle ; l’ogre te mangera. — Je suis venu vers toi, lui répondit-il. — Je te cacherai. » Elle le cacha. Quand l’ogre revint, il dit à cette jeune fille : « Je flaire l’odeur humaine. — Il n’y a personne ici que moi, répondit-elle ; si tu veux me dévorer, dévore-moi. — Je ne te mangerai pas, ni personne de ta famille ; fais-le sortir, je ne le mangerai pas. » Elle fit sortir son frère, l’ogre lui donna à manger et à boire, puis il lui dit : « Viens te promener, tu verras mes jardins. » Ils s’en allèrent. En sortant, l’ogre revint à la maison et dit à la jeune fille : « Si tu vois se lever le vent blanc, mets du koh’eul et teins-toi les lèvres ; tu te réjouiras, ce sera le signe que ton frère est mort ; si tu vois se lever le vent rouge, couvre ta tête de poussière et pousse des lamentations, ce sera signe que je serai mort. » L’ogre partit avec le jeune homme. Quand ils furent arrivés dans la plaine, il lui dit : « Viens luttons. » Ils luttèrent, l’ogre fut vainqueur et le dévora. Le vent blanc se leva, la jeune fille pleura beaucoup et dit : « Mon frère est mort. » Elle essuya ses larmes, mit du koh’eul, se teignit les lèvres et attendit, craignant que l’ogre ne lui dît : Pourquoi n’as-tu pas fait ce que je t’avais dit ? Quand il revint, il trouva qu’elle avait obéi.

Quant aux parents de la jeune fille, comme leur fils tardait, ils dirent à un autre : « Va rejoindre ton frère et cherche après ta sœur. » Il partit, suivit ses traces et arriva à la maison de l’ogre. Sa sœur lui demanda : « Qui t’a amené ici ? L’ogre te mangera comme ton frère. » Il répondit : « C’est le décret de Dieu. — Je vais te cacher. » Elle le cacha. Quand l’ogre revint, il parla comme la première fois, elle fit sortir son frère et il lui arriva comme à l’autre. Un troisième vint et eut le même sort, de même que tous les sept frères. L’ogre épousa la jeune fille et elle resta avec lui. Pour les parents, il se dirent : « L’ogre a dévoré nos enfants. »

Un jour leur mère demanda à Dieu : « Seigneur, donne-moi un fils, fût-il comme un caméléon. » Dieu lui accorda un garçon tout petit, gros comme une tête d’âne. On l’appela Madjitâtâ. Un jour sa mère sortit dans la rue, cherchant quelqu’un qui allât lui puiser de l’eau. « J’irai, lui dit son fils. » Il partit. Quand il arriva à la fontaine, il trouva une vieille femme qui puisait de l’eau. « Attends que j’en aie pris d’abord, lui dit Madjitâtâ. » Il se battit avec elle, la vieille lui dit : « Va donc en faire autant à l’ogre qui a dévoré tes sept frères et ta sœur » (188).

Quand il eut bu de l’eau, il revint à la maison. En arrivant, il dit à sa mère : « La fièvre m’a saisi, lève-toi et fais-moi un peu de soupe. » Elle lui en prépara. Il ajouta : « Prends ce morceau de graisse avec ta main et tu me le mettras dans la bouche. » Elle le fit, mais il lui saisit la main et la serra dans le potage. « Tu me brûles, dit-elle. — Raconte-moi l’histoire de mes frères et de ma sœur. — Je te la raconterai. » Il lâcha sa main, et elle lui conta l’aventure depuis le commencement jusqu’à la fin. « Prépare-moi des provisions, dit-il, je vais aller trouver l’ogre qui a dévoré mes frères, il me mangera ou je le tuerai. » Il alla chez un forgeron et lui dit ; « Fais-moi une massue en fer. » Il la lui fit (189).

Madjitâtâ alla chez l’ogre. En arrivant, il frappa à la porte. Sa sœur lui dit : « Qui es-tu ? — Je suis ton frère. — Je n’en ai plus. — Je suis pourtant ton frère », et il lui raconta tout ce qui s’était passé. « Qui t’a conduit ici ? demanda-t-elle, l’ogre te mangera comme il a mangé tes sept frères. » Elle le cacha. Quand l’ogre revint, il lui dit : « Cela sent l’odeur humaine. — Il n’y a personne ici. » Madjitâtâ cria : « Je suis ici, et il sortit. » L’ogre le salua et lui présenta de la nourriture. « Je n’en veux pas, dit-il. — Lève-toi, reprit l’ogre, et allons voir mes vergers. » Il fit à sa femme les mêmes recommandations que précédemment, puis ils sortirent. Quand ils furent arrivés dans la campagne, l’ogre lui dit : « Luttons. » Ils luttèrent. Madjitâtâ leva sa massue et lui en asséna un coup sur la tête. L’autre tomba et dit : « Donne-moi un autre coup. — Non, jusqu’à ce que tu m’aies rendu mes sept frères comme ils étaient. — Coupe mon petit doigt de pied. » Il le coupa. Les sept frères en sortirent. « Un autre coup », dit l’ogre, et il mourut (190).

Le vent rouge se leva ; la sœur se réjouit et poussa des cris de joie. Madjitâtâ vint avec les sept frères, ils emportèrent toutes les richesses de l’ogre, ils revinrent avec leur sœur dans leur maison. Leurs parents se réjouirent, le roi de leur contrée se réjouit aussi de ce qu’avait fait Madjitâtâ, qu’il nomma son vizir, rien ne se faisait que par lui (191).

Que Dieu me pardonne ce que j’ai oublié !