Nouveaux contes berbères (Basset)/108

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Ernest Leroux, éditeur (Collection de contes et de chansons populaires, XXIIIp. 119-124).

108

Le langage des bêtes (197).
(Ouargla).

Au temps jadis, il y avait un homme qui possédait beaucoup de biens. Un jour, il alla dans une boucherie ; vint un lévrier qui mangeait des os. Le boucher lui donna un coup qui le fit crier. À cette vue, le cœur de l’homme fut saisi de compassion, il acheta au boucher la moitié d’un morceau de viande et le jeta au lévrier. Celui-ci le prit et s’en alla. C’était le fils d’un roi de dessous la terre.

La fortune changea contre cet homme, il perdit tous ses biens et se mit à laver pour les gens. Un jour, il était allé laver quelque chose ; il l’étendit sur le sable blanc pour sécher. Une gerboise apparut avec un anneau à l’oreille. L’homme courut après, la tua, cacha l’anneau, alluma du feu, la fit cuire et la mangea. Une femme sortit de terre, le saisit et lui demanda : « N’as-tu pas vu mon fils qui a une boucle d’oreille ? — Je n’ai pas vu de garçon, répondit-il, mais une gerboise qui avait un anneau à l’oreille. — C’est mon fils. » Elle l’entraîna sous terre et lui dit : « Tu as mangé mon fils, tu m’as séparée de lui ; moi je te séparerai de tes enfants, tu travailleras à la place du mien. »

Celui qui s’était changé en lévrier vit cet homme ce jour là et lui dit : « C’est toi qui as acheté de la viande pour un lévrier et la lui as jetée. — C’est moi. — Je suis ce lévrier ; qui t’a amené ici ? — Une femme », répondit l’homme, et il lui raconta toute son aventure. « Va te plaindre au roi, reprit l’autre ; je suis son fils, j’irai lui dire : cet homme m’a fait du bien. Quand il te dira : Va au trésor et prends autant d’argent que tu pourras, réponds-lui : Je n’en veux pas, je désire que tu me craches la bénédiction dans la bouche. S’il te demande : Qui t’a dit cela ? réponds : Personne. »

L’homme alla trouver le roi et se plaignit de la femme ; le roi la fit appeler et lui dit : « Pourquoi as-tu amené celui-ci en captivité ? — Il a mangé mon fils. — Pourquoi ton fils s’était-il métamorphosé en gerboise ? Quand les hommes en voient une, ils la prennent et la mangent. » Puis s’adressant à l’homme : « Rends-lui la boucle d’oreille. » Il la lui donna. « Va, continua le roi, ramène cet homme à l’endroit d’où tu l’as amené. » Le fils du roi dit alors à son père : « Cet homme m’a fait du bien, il faut l’en récompenser. » Le roi lui dit : « Va au trésor, prends autant d’argent que tu pourras. — Je ne veux pas d’argent, répondit-il, je veux que tu me craches dans la bouche la bénédiction. — Qui t’a dit cela ? — Personne. — Tu ne pourras le supporter. — Je le pourrai. — Quand je t’aurai craché dans la bouche, tu comprendras le langage des bêtes et des oiseaux, tu sauras ce qu’ils disent quand ils parlent, mais si tu le révèles aux gens, tu mourras. — Je ne le révélerai pas. » Le roi lui cracha dans la bouche et le renvoya en disant à la femme : « Va, ramène-le à l’endroit où tu l’as trouvé. « Elle partit et le ramena à cette place.

Il monta sur son ânesse et revint à sa maison. Il attacha sa monture et rapporta le linge aux gens. Puis il remonta sur sa bête pour aller chercher de la terre. Il était en train de creuser quand il entendit un corbeau dire en l’air : « Creuse en dessous, tu chanteras quand Dieu t’enrichira. » Il comprit ce qu’il disait, creusa en dessous et trouva un trésor. Il en remplit un panier, par dessus il mit un peu de terre et revint chez lui, puis il retourna plusieurs fois. À l’une d’elles, son ânesse rencontra un mulet qui lui dit : « Tu travailles encore. » Elle répondit : « Mon maître a trouvé des richesses et il les emporte. » Le mulet reprit : « Quand tu arriveras au milieu des gens, débats-toi, tu jetteras le panier à terre ; on le verra, tout se découvrira et ton maître te laissera en repos. » L’homme avait entendu leur conversation. Il remplit le panier de terre seulement. Quand on arriva au milieu des gens, l’ânesse rua et jeta la charge à terre ; son maître la battit jusqu’à ce qu’elle fut rassasiée de coups. Il se remit à emporter le trésor et devint un marchand considérable.

Il avait dans sa maison des poulets et une chienne. Un jour il entra dans son grenier, une poule l’y suivit et mangea des grains. Un coq lui dit : « Apporte-m’en un peu. » Elle lui répliqua : « Mange toi-même. » Leur maître se mit à rire. Sa femme lui demanda : « Qu’est-ce qui te fait rire ? — Rien. — Tu ris après moi. — Pas du tout. — Il faut que tu me dises de quoi tu ris. — Si je te le dis, je mourrai. — Tu me le diras et tu mourras. — À la nuit. » Il fit sortir des grains et dit à sa femme : « Fais des aumônes. » Il invita des gens, les fit manger et quand ils sortirent il apporta de la nourriture à la chienne, mais elle la refusa. Le chien du voisin vint, comme il faisait tous les jours, manger avec la chienne. Ce jour-là, il trouva la nourriture intacte. « Viens manger, dit-il. — Non, répondit-elle. — Pourquoi ? » Elle lui raconta : « Mon maître, en entendant parler les poules, s’est mis à rire ; sa femme lui a demandé : Pourquoi ris-tu ? Si je te le dis, je mourrai. Dis-le moi et meurs. Voilà pourquoi, ajouta la chienne, il a fait des aumônes, car quand il révélera son secret, il mourra et je ne trouverai personne qui agisse comme lui. » Le chien reprit : « Puisqu’il comprend notre langage, qu’il prenne un bâton et qu’il lui en donne jusqu’à ce qu’elle en ait assez, en la frappant, il lui dira : C’est pour cela que j’ai ri ! C’est pour cela que j’ai ri ! C’est pour cela que j’ai ri ! jusqu’à ce qu’elle lui dise : Ne me révèle rien. »

L’homme écoutait la conversation des chiens ; il alla prendre un bâton. Quand sa femme et lui allèrent dormir, elle lui dit : « Raconte-le moi. » Alors il tira le bâton et la frappa en lui disant : « C’est pour cela que j’ai ri ! » Jusqu’à ce qu’elle se mit à crier : « Ne me le dis pas ! Ne me le dis pas ! Ne me le dis pas ! » Il la laissa. Quand les chiens entendirent cela, ils se réjouirent, coururent sur la terrasse de la maison, jouèrent et mangèrent leur nourriture ; À partir de ce jour là, la femme ne dit plus à son mari : « Raconte-le moi. » Ils vécurent tranquilles (198).

Ce que j’ai négligé, que Dieu me le pardonne.