Nouvelles de Batacchi (édition Liseux)/Donna Chiara

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DONNA CHIARA


À MON FRÈRE


Comme un joyeux et aimable sujet n’a pas plus de raison de vous déplaire que vos auteurs de l’antiquité, mettez dans votre poche cette Nouvelle frappée à un nouveau coin : c’est un petit cadeau que je vous fais ; et chantez victoire. En récompense, conservez-moi votre affection. Adieu.



DONNA CHIARA


˜˜˜˜˜˜˜˜


Femmes, tant que dans les membres j’ai eu de la vigueur,
Et que ma bourse a été bien garnie d’argent,
Désireux de donner, et de cueillir les fruits d’amour,
Loin de vous je ne suis pas resté un seul instant ;
Le soleil en disparaissant me laissait près de vous,
Avec vous il me revoyait le jour suivant.

L’annaliste préposé aux archives de Gnide
A rempli bien des pages de mes exploits ;
Certainement il ne m’a pas mis au nombre
Des amoureux faibles et impuissants ;
Il n’a pas pu me peindre avec plus de raison
Comme un vil parasite à la table d’amour.

Mais l’inconstante déesse qui donne et qui ôte
Selon sa fantaisie, me laisse au beau milieu du chemin ;
J’ai vu cinquante fois tomber
Les feuilles, et mes cheveux blanchissent peu à peu ;
Ah ! il faut se retirer honorablement
Avant d’être forcé de fuir, honteux et déshonoré.


De robustes embrassements et de cadeaux
Je ne puis plus me montrer prodigue ;
Mais, reconnaissant de vos faveurs, et nourrissant toujours
Les mêmes pensées, je vous consacre
Mon froid repos, et me veux immortaliser
En composant pour vous des vers légers et des poèmes.

J’ai lu dans les Nouvelles de Masuccio
Comment une accorte et rusée nonnain
Abreuva de honte et de tourments un monsignor
En refusant de lever pour lui sa jupe ;
Et comment elle couvrit ensuite d’infamie son abbesse
En se tirant elle-même de danger.

Et comme ce qu’on raconte en vers
Mêlés de joyeux propos, se grave aisément
Dans l’esprit de ceux qui écoutent
Et leur reste d’ordinaire toujours présent,
Je veux conter ce bon tour, au grand honneur
De votre sexe, que protège l’amour.

Un antipape inique et scélérat
Occupait la chaire de Saint Pierre ;
Il avait gagné le bâton pastoral et la tiare
Par les procédés magiques de l’imposteur Simon ;
Je veux taire son nom pour le moment :
On l’a, par dérision, appelé Tentennino.

Dans un dur et douloureux exil languissait
Le pape légitime qui, humblement,
Vers le ciel levant sa paupière humide,
Demandait la paix au Dieu tout-puissant,
Non pour lui, mais pour la barque sacrée
Que menaçait une horrible tempête.


Le ciel, qui à la fin de la semaine
Ne règle pas ses comptes et qui choisit son moment,
Contre cet impie dans les arcanes de sa pensée
Préparait une terrible vengeance ;
Déjà pour lui et pour ses compagnons
Belzébuth aiguisait ses griffes acérées.

Ceux-ci, sous le masque d’une fausse dévotion,
Affichaient une vertu pure et sincère ;
C’était comme des sépulcres blanchis,
Beaux au dehors, en dedans plein de saletés ;
Ils avaient un visage d’agneau, et dans le fond
De leur impénétrable poitrine un cœur de loup.

Parmi ceux qui à l’infidèle pasteur,
Entré par le toit dans la bergerie,
Étaient les plus fidèles et méprisaient le plus
Le saint successeur du bon fils de Jonas,
Le plus audacieux dans ses écrits et dans ses actes
Fut Monsignor Ildebrando Mangiagatti.

Le Seigneur avait retiré sa main de la tête
De cet homme et de celle de son clergé schismatique ;
Sa lèvre adorait le Christ, son cœur adorait Priape ;
Pas un couvent d’hommes ni de femmes
N’était exempt de scandale et de vice ;
Tout allait au pis et roulait à l’abîme.

Sous le gouvernement bizarre et fantasque
De ce suppôt d’hérésie,
Dans le couvent de Santa Maggiorana,
Où tant de vertu jadis florissait,
Arriva la ridicule aventure
Que ma muse vous retrace et vous dépeint.


Dix nonnes demeuraient dans ce monastère,
Toutes jeunes et d’une beauté accomplie,
Qui, le cœur plein d’amoureuse ardeur,
Bien souvent dans leurs cellules
Se donnaient plus joyeuse occupation
Que le rosaire et les pieuses méditations.

Ne voulant pas, dans les jeûnes et les abstinences,
Perdre leur chaude et juvénile vigueur,
Pour satisfaire aussi à certains besoins
Et calmer de fortes démangeaisons
Qui compromettaient leur santé,
Elles s’étaient pourvues de vigoureux amants.

Et quand Phœbus, ôtant au ciel la lumière,
Rendait tous les objets d’une même couleur,
Elles avaient coutume de se coucher avec eux
Dans des lits de plume bien battus,
Où, occupées d’agréables travaux, elles donnaient
Au sommeil la moindre partie de la nuit.

À la tête du couvent était donna Ildegonda,
Vieille méchante, soupçonneuse et fine,
Qui, après avoir sournoisement traîné dans le monde
Une vie impure, au moment où elle vit que sa chevelure
Se couvrait de givre et qu’elle ne trouvait pas de mari,
Prit le parti de se faire religieuse.

Toujours défiante et soupçonneuse,
Elle se mettait nuit et jour la tête à l’envers ;
Avant de se coucher, autour de tous les lits,
Larve importune, elle faisait sa ronde,
Et alors elle voyait ce que la taupe stupide
Voit, enfoncée en terre dans son sale trou.


Elle faisait la taupe la nuit ; mais elle voyait
Dans le jour les sœurs sourire entre elles,
Bâiller aux sermons que leur faisait
Le confesseur, s’endormir dans le chœur,
Se faire belles, et ne pas quitter bien vite
Leur miroir et leur profane toilette.

Mais en vain cherchait-elle mille moyens
De changer ses soupçons en certitudes :
Les sœurs converses, dès longtemps habituées à se taire,
Ne dévoilaient rien, et elle fatiguait
De ses questions le servant et le jardinier ;
Quant à les faire parler, elle l’essayait en vain.

L’avare vieille crut s’en faire des amis
Et les amener à suivre son parti
En leur donnant deux biscuits pleins de vers,
Une tranche de gâteau sec et moisi,
Et une bouteille de mauvais vin, qui juste
Trois mois auparavant avait aigri.

Mais ils recevaient bien d’autres dons,
Bien d’autres largesses des amants par eux introduits ;
Ils ne se laissaient pas payer de paroles,
Il leur fallait de beaux deniers comptants ;
Et ils n’auraient pas changé leurs emplois
Contre deux prébendes des mieux pourvues.

L’abbesse, à la fin décidée
À remédier au mal qu’elle supposait
(Car, n’ayant pas été innocente,
Elle ne croyait pas à l’innocence chez les autres),
Résolut de tenir ses nonnains plus sévèrement
Et écrivit à Monsignor ce billet :


« Monsignor Illustrissime, et cætera,
» Je ne me rappelle plus dans quel auteur j’ai lu
» Que le monde va de mal en pis en vieillissant.
» N’importe qui l’a dit a fort bien parlé ;
» Je vois et je sens la vérité de ces paroles
» En exerçant l’autorité dans mon couvent.

» Les sœurs sont un tas de péronnelles,
» Et elles sont devenues maintenant si effrontées
» Que, sans se soucier de nos règles,
» Elles font l’amour à la porte et aux grilles
» Où les fait appeler le premier venu,
» Prêtre, moine, ou simple damoiseau.

» Je vois qu’ils se prennent par la main
» Furtivement, sans faire semblant de rien ;
» Ils font des chuchoteries bien bas, bien bas…
» Mais, pendant ce temps, j’attrape toujours quelque fluxion ;
» Je n’ai pas le tympan trop sensible
» Et je ne puis comprendre ce qui se dit.

» Il faudrait vous dire encore la grande consommation
» Qui se fait de rosolio, de pâtes et de caquets ;
» Un boucaut de sucre s’est envolé en fumée…
» Quel ennui ! Il coûte si cher maintenant !
» Outre le badinage d’amour,
» Leurs galants font encore les escrocs.

» Donc, pour porter remède à un tel désordre,
» Il me semble qu’il est nécessaire
» Que Votre Seigneurie promulgue un ordre
» Et qu’elle nous l’envoie par son caudataire ;
» Mais un ordre sévère et bien formel,
» Qui à ces galopins interdise l’entrée du couvent.


» Ordonnez qu’il soit défendu d’entrer ici
» Au sexe masculin tout entier,
» Et qu’on n’ait égard ni considération
» Pour le frère, le beau-frère ou le cousin…
» Car vous savez que sous prétexte de parenté,
» On voit percer je ne sais quoi qui sent la culotte.

» Un très beau proverbe vient ici
» À propos, et me semble bien placé :
» Qui ne veut tenir auberge enlève l’enseigne.
» Je prie Monsignor de cacher toujours
» À tout le monde les paroles que m’inspire mon zèle,
» Et je me dis comme auparavant sa… Donna Ildegonda. »

Monsignor, qui avait l’habitude d’enseigner aux autres,
Surtout en salissant du papier,
Cette vertu que, si jamais il la posséda, il avait,
Après le schisme inique, bannie de son âme,
Au moyen d’une lettre pastorale imprimée tout exprès,
Ferma pour ainsi dire l’entrée du couvent.

Il y joignit une terrible ordonnance
Qu’il rendit en réponse à la lettre reçue ;
Il voulut que dorénavant dans le parloir
Aucun homme ne fût reçu,
Menaçant d’excommunication et de châtiment
Quiconque n’obéirait à son commandement.

Monsignor Mangiagatti était un gaillard
À qui la moutarde montait vite au nez,
Et, quand une fois il avait dit une chose,
Il n’y avait pas moyen de le faire changer ;
Aussi les nonnains inconsolables
S’abstinrent-elles d’aller à la porte et aux grilles.


Par crainte d’être découvertes,
Renonçant à leurs joyeux ébats nocturnes,
Dans leurs cellules veuves et désertes,
Elles passèrent les nuits ; mais il y en eut deux
Qui méprisèrent et vilipendèrent
L’ordonnance et celui qui l’avait rendue.
L’une d’elles fut la fine Donna Chiara,

Qui n’avait pas encore accompli son cinquième lustre,
Et qui, à l’égal de la Déesse chère à Mars,
Était pleine de grâce et de gentillesse ;
L’autre était la belle Donna Irene,
Non moins belle et fine que Donna Chiara.

Elles étaient entrées toutes jeunes au couvent,
Avaient prononcé leurs vœux le même jour.
Ayant mêmes goûts, elles avaient grandi en s’aimant
Et ne pouvaient vivre l’une sans l’autre :
Toutes deux, au mépris de l’évêque,
Continuèrent à rendre leurs amants heureux.

L’ordre rigoureux et cruel
Affligea douloureusement leur cœur ;
De propos malsonnants contre Monsignor
Elles remplirent tout le couvent,
Et prirent en haine l’abbesse
Qui, croyaient-elles, avaient provoqué ces mesures.

Elles commencèrent par fuir sa présence,
Puis se montrèrent nettement ses ennemies ;
Avec peu de respect et moins de prudence encore,
Quand elles la rencontraient, elles lui faisaient la nique ;
Elles se moquaient d’elle en plein consistoire,
Et ne lui répondaient même pas au chœur.


Le mauvais exemple petit à petit entraîna
Leurs timides compagnes à la désobéissance ;
Il n’y avait plus nonnain qui se souciât de l’abbesse,
Le vice et la licence triomphaient.
Lorsque celle-ci ne voulut plus supporter
Un si long ennui, elle eut recours au remède habituel.

Au prélat terrible et emporté
Elle écrivit un petit billet de bonne encre ;
Il blasphéma les éléments, le ciel et le monde.
Cet enragé, et aussitôt résolut
D’aller personnellement décharger
Sa colère sur les pétulantes sœurs.

Il fit répondre à l’abbesse
Qu’il irait au couvent à cet effet ;
Et elle, se rengorgeant, fit tout exprès
Réunir le chapître général ;
Là, en grand costume et le bâton pastoral à la main,
Elle annonça la triste et fatale nouvelle.

Ainsi qu’une troupe de méchants gamins
Qui mettent l’école sens dessus dessous
Quand, à propos d’affaires graves et urgentes,
Le maître s’échappe un instant,
Et, tout pâles, se repentent de leur tapage,
Si, à son retour, ils l’entendent rire de travers ;

Ainsi demeurèrent les sœurs : on entendit
Un long frémissement, et tout bas un « Dieu nous protège ! »
Toutes se mirent à trembler, saisies d’effroi,
Leurs cheveux blonds et frisés se hérissèrent ;
Mais de leur amère confusion
Donna Irene et Donna Chiara ne firent que rire.


Midi était prêt de sonner,
Et les sœurs étaient réunies à la porte,
Quand de deux chaises dans les environs,
Avec une extrême lenteur traînées,
On entendit le bruit, et l’arrivée de l’évêque
Fut annoncée par ses serviteurs et son parasol.

Ildebrando mit pied à terre et, l’air furieux,
Entra dans le parloir avec ses prêtres ;
Lors, il se mit à parler ainsi d’un ton grossier :
« Me voici ; je suis pour vous la foudre vengeresse,
» Tremblez… oui… vous devez trembler, la faute
» Est… est… est certaine… » Et il resta bouche béante.

Au milieu du demi-cercle formé par les sœurs,
Comme une pierre précieuse enchâssée dans un riche anneau
Donna Chiara brillait ; le Dieu d’amour
Par ce beau visage lançait ses traits ;
Alors, chose extraordinaire, l’évêque et elle
Ouvrirent la bouche et froncèrent les sourcils.

Sœur Chiara vit un homme, plutôt un géant,
D’une taille monstrueuse et effrayante,
Dont un œil regardait au Levant et l’autre à l’Occident,
Avec une chevelure sur laquelle il avait neigé ;
Il avait un nez aplati de macaque,
Tout saupoudré de grains de tabac.

Les dents de sa mâchoire supérieure sortaient
Rares, tortues, sales et cariées ;
Une bave fétide qui lui inondait la poitrine
Tombait incessamment de ses lèvres pendantes ;
Il avait les joues pâles, le menton pointu,
Et sa barbe ressemblait à un charbon éteint


Tel qu’un aveugle de naissance, auquel serait donné
Par un prodige la faculté de voir,
Et qui dans le ciel azuré et resplendissant d’étoiles
Contemplerait la gracieuse déesse amoureuse
D’Endymion, tel aux yeux d’Ildebrando
Apparut le beau visage de Donna Chiara.

Il voulut continuer la réprimande
Qu’il avait si brutalement commencée,
Mais il ne sait où prendre ses expressions,
Et tout troublé regarde Donna Chiara ;
Ainsi en arrive-t-il au chat-huant
Qui rentre trop tard dans son trou et voit le soleil.

Alors la malicieuse Donna Irene
Qui auprès de son amie était venue,
Lui dit tout bas : — « Chiara, il faut
» Que je me réjouisse avec toi de tout mon cœur ;
» Déjà l’évêque est tout à toi : quel bonheur !
» Quel gentil amant ! Quel beau visage ! »

À de tels propos, Donna Chiara ne put se contenir ;
Elles commencèrent à babiller entre elles,
Leur visage à toutes deux devint rouge
Comme l’écarlate, parce qu’elles voulaient retenir leur rire ;
L’effort qu’elles firent fut si violent
Qu’elles laissèrent, en dessous, échapper une goutte.

Monsignor Mangiagatti, se fiant à l’indice
De cette rougeur subite et du sourire qui l’accompagnait,
Crut que Donna Chiara, bien disposée pour lui,
Brûlait d’une passion égale à la sienne ;
Espérant dès lors une facile victoire,
Il reprit sa gaieté et son air hautain ;


Et il cria aux sœurs : — « Si à l’avenir
» Vous ne respectez pas l’abbesse,
» Si dans le parloir un homme ose venir,
» Et si aux grilles, sauf pour entendre la messe,
» Vous avez l’audace de mettre votre visage,
» Je vous ferai, par Dieu ! murer vivantes. »

Disant ces mots, il les regarda de travers,
Tellement que l’inquiétude s’empara de presque toutes ;
Ensuite, il tourna furtivement les yeux
Sur les deux étoiles qui avaient blessé son cœur ;
Il branla la tête, il fit les yeux doux, voulant
Dire : — « Cette sévérité n’est pas pour vous. »

Il monta en carrosse après qu’il eut fait
Peur avec son visage et son discours ;
Il se mit dans un coin, pensif et absorbé,
Les sourcils froncés, pareil à un ours,
Et, tenant la tête penchée,
Cessa de distribuer des bénédictions.

Arrivé au palais, comme il en avait l’habitude,
Il ne songea pas à importuner le cuisinier ;
Il s’assit à table et ne mangea pas, car il avait
Le cœur plein d’amoureux désirs,
Et, ramenant sa pensée sur ce charmant visage,
Il crut voir le paradis ouvert devant lui.

Il sortit de table à jeun, ayant pris seulement
Le chocolat au lever du jour,
Et par-dessus une bouteille de Vino Santo
Avec les deux tiers d’un gâteau long d’une coudée ;
Mais un cœur généreux, quand il aime bien,
Ne se repaît que d’amour et n’a besoin de nourriture.


Du bout des dents le soir il mangea des rôties au vin
Et un petit plat de quatre chapons ;
Il vécut ainsi trois jours, et, comme il était
Poète, il sortit son carnet,
La Regia et le Rimariote Ruscelli,
Et il mit sur le papier ces beaux vers :

« Comme le cerf égaré… oh ! non… comme l’âne
» Court, quand il a soif, boire les fraîches eaux
» Qui coulent de sources abondantes
» Portant leur tribut au Pô, à l’Arno ou au Tibre,
» Ainsi vers vous je désire courir,
» Mais de peur d’un non je tremble et frissonne.

» Avez-vous jamais vu quelque imbécile ensorcelé

» Devenir maigre comme un cent de clous et refuser la nourriture ?

» Tel je suis, mes membres n’ont plus de vigueur,
» En sorte que chacun me dit : Pauvre diable !
» Donc, plutôt que de mourir, je me décide
» À cesser la plaisanterie et à parler librement.

» Dans votre gentille Constantinople
» Meurt de désir d’entrer ce créateur des hommes,
» Qui ne levait plus la tête et qui, maintenant, est indomptable !
» Je sens ses veines s’enfler et gonfler ;
» Je le sens, hélas ! qui se fait dur comme acier,
» Et j’en aurai bientôt les culottes en perce.

» Voilà trois nuits déjà qu’il s’obstine à tenir
» En l’air mon drap et ma couverture de soie ;
» Il voudrait tremper sa tête dans cette mer si douce
» Que ne vaut pas la plaisante mer d’Amérique.
» Si vous consentez à lui prêter assistance,
» Nous ferons notre affaire sans nous laisser pincer.


» Celui qui vous implore n’est pas un sale frocart,
» Indigne de pénétrer dans votre lit ;
» Ce n’est pas un chapelain, ce n’est pas un chanoine,
» Mais, pensez-y bien !… c’est votre évêque !
» Adieu, ma chère, aimez-moi autant que je vous aime,
» Et consoles-moi en me répondant bien vite. »

Il fit remettre ensuite ce dégoûtant billet
Avec précaution à son trésor bien-aimé :
Donna Chiara, après l’avoir lu,
Le remit toute en colère à Donna Irene
Qui rit à n’en plus pouvoir et dit : — « Allons,
» Viens avec moi, je veux que nous lui répondions. »

La lettre écrite, elles prièrent le jardinier
De leur faire le plus tôt possible le plaisir
De remettre à Monsignor en propres mains
Un long panier qu’elles lui confièrent,
Et de dire à Monsignor que Donna Chiara le lui envoie,
Qu’elle le salue et se recommande à lui.

Il est difficile de dépeindre la joie extrême
Que firent ces paroles à Monsignor ;
Elle ne fut cependant pas telle, qu’elle le décidât
À donner un pourboire au messager :
Il ne lui aurait pas, tant il était avare,
Fait cadeau, même de l’eau du lavabo.

Plein d’impatience, il prit son canif,
Quand il fut seul et sans témoins,
Décousit le panier, et dedans il trouva
Un petit billet lié à une paire de grands ciseaux ;
Mais quand il lut ce qui y était écrit,
Ses cheveux se dressèrent de rage sur sa tête.


« Signor » (lui disait-elle), « je ne me suis pas faite nonne
» Pour servir de paillasse à des gens de votre sorte.
» Ma robe toujours sera pour vous de plomb.
» Si votre instrument a de trop vifs désirs,
» Rentrez-le dans votre ventre, comme les mulets,
» Ou bien coupez-le avec ces grands ciseaux. »

Avez-vous jamais vu, orgueilleux et fier de lui,
Quelqu’un de ces petits milords qui flânent sous les fenêtres
Lever les yeux pour faire un gracieux salut
Et mettre un de ses escarpins dans la merde ?
Il entre dans une fureur moins grande
Que Monsignor à ce billet désagréable.

Il fut hors de lui tout ce jour-là ;
Jamais lion ne brûla d’une telle colère,
Et tous les prêtres qui eurent affaire à lui
Par Dieu ! s’en trouvèrent fort mal ;
Après cela, il se coucha comme une tigresse de l’Hyrcanîe
Qui ne trouve plus ses petits dans sa tanière.

Le lendemain matin, bien qu’il n’eût pas
Dormi pendant cette horrible nuit,
Se sentant moins aveuglé par la colère,
Il se mit à examiner attentivement
Comment de cette coquette de nonnain
Il pourrait tirer vengeance à son gré.

Résolu à lui faire une guerre terrible,
Et à l’entraîner inévitablement à sa perte,
Il desserre, ô miracle, les cordons de sa bourse,
Et paie une vingtaine d’espions
Pour lui rapporter avec le plus grand soin
Toutes les allées et venues de ce couvent.


Il ne tarda guères à savoir qu’à l’heure
Où Phébus cachait dans la mer sa lumière dorée,
L’infidèle, que malgré lui il adore,
Étreignait sur la plume un vigoureux amant ;
Que le gaillard se nommait Salvadore
Et qu’il était prieur de San-Policarpo.

Il sut encore que la belle Donna Irene,
D’une flamme impure ayant le cœur envahi,
Jouait des reins à tire-larigot
Avec un autre prieur, nommé Tommaso :
Et que les prêtres, qui entraient au crépuscule
Le soir, sortaient de bon matin.

À de telles nouvelles, sa colère s’accrut,
Et, pour faire pis que peur à ces galants,
Il résolut de les prendre en flagrant délit ;
Par une nuit obscure et ténébreuse,
Entouré de prêtres et de serviteurs armés,
Il sortit de chez lui tout encapuchonné.

Avec eux, le parloir et le couvent,
Le mur du jardin, tout fut cerné :
Lui-même, armé d’un tromblon,
Fait la ronde dans tous les sens ;
Il dispose ses espions à tels et tels endroits,
Il place des sentinelles ici et là.

Pendant qu’il est ainsi aux aguets, les deux prieurs,
Couchés avec leurs bien-aimées,
Entraînent leurs vigoureux coursiers
À de longues joutes toujours plus douces, plus agréables,
Et quand, fatigués, ils ont la tête basse,
En baisottant, en patinant, ils amusent leurs dames.


Parfois… Mais arrêtons nos gais propos,
Et éteignons le feu qui embrase notre cœur :
Faisons en sorte que notre récit ne scandalise
Le Minos Piémontais et ne lui fasse froncer le sourcil ;
Évitons que le critique pédant
Ne parle de nous avec trop de mépris.

Le prêtre Tommaso, qui le lendemain devait
Donner à la campagne un somptueux dîner,
De Donna Irene plus tôt qu’à l’ordinaire
Se sépara, pour voyager à la fraîche ;
Il sortit, en traversant un corridor,
De ce guêpier, accompagné du servant.

Mais les deux complices à peine avaient fait quelques pas
Qu’ils trouvèrent une lanterne en face d’eux
Et entendirent un : « Qui va là ? » si brutal et si terrible,
Qu’ils faillirent tomber les quatre fers en l’air ;
Aussitôt arrêtés avec une grande violence,
Ils furent traînés devant Monsignor.

— « Ah ! brigand bon à mettre au carcan ! »
S’écria-t-il furieux, « je t’ai donc pincé !
» Tu éprouveras, à ta honte et à ton grand préjudice,
» Le poids de ma vengeance, et qu’elle ne tarde pas !
» Enlevez-moi d’ici ce misérable
» Et enfermez-le dans une horrible prison. »

Tout tremblant, le prêtre répondit : — « Seigneur,
» Je ne suis pas venu ici pour rien faire de mal ;
» J’ai accompagné l’ami Salvadore,
» Qui avait peur de cheminer dans l’obscurité :
» Il s’offre quelques douceurs avec Donna Chiara,
Pour moi, je ne m’entiche pas de nonnains. »


À ce nom autrefois cher et aujourd’hui détesté,
Le prélat frémit des pieds à la tête ;
Il sentit ses cheveux se dresser sur son front
Et des sentiments divers se combattre dans son cœur ;
Puis il se tourna vers le servant tout confus
Et lui dit : — « Ouvre le couvent, scélérat. »

Le servant, troublé, et saisi d’une peur bleue,
Après être resté quelque temps muet et tremblant
Répondit (et il disait vrai) : — « Je n’ai pas la clef
» Pour ouvrir les nombreuses serrures ;
» La porte par laquelle nous sommes sortis a un loquet
» Qu’un ressort met en mouvement et qui s’ouvre du dedans.

» Si vous me le commandez, j’irai tout de suite
» Prendre la clef et vous l’apporterai ici aussitôt…
» — Brigand, tu voudrais te gausser de moi. »
Dit Ildebrando, et aux sbires qui auprès de lui
Se tenaient, il cria : « Allons, vous autres, accompagnez
» Cet homme en prison et portez-moi les clefs. »

Donna Irene, pendant ce temps-là, se tenait
À une grille de fer de la galerie
D’où l’on dominait une ruelle hors du couvent,
Par où devait partir son amoureux.
Elle eut peur à en tomber sur le carreau,
Quand elle le vit empoigner presque à la porte.

Elle entendit beaucoup de monde, et, le visage pâle,
Courut trouver son amie Donna Chiara,
À qui, tremblante, elle apprit la triste nouvelle
De cette surprise cruelle et imprévue ;
Et elle s’écria : — « Vite, vite, décidez-vous,
» Il faut cacher cet autre prêtre. »


Donna Chiara un moment resta
Indécise, puis elle dit : — « Don Salvadore,
» Si vous êtes pour moi l’amant que vous dites,
» Montrez-le en me sauvant l’honneur ;
» Pour tenter de fuir il est trop tard,
» Et je ne sais où vous cacher aux regards indiscrets.

» Si Ildebrando peut s’assurer que dans mon lit,
» Comme certainement il le suppose, je vous ai reçu…
» Il m’aime et vous connaissez ce billet
» Où il me peint sa flamme… Ah ! si vous êtes ici pincé…
» Sa rage… sa fureur… sa jalousie…
» Oh là là !… Don Salvadore, qu’arrivera-t-il de nous ?

» Habillez-vous…, mais non, il vaut mieux que vous entriez
» Nu dans le lit de la supérieure…
» Il faut que vous souteniez à l’évêque
» Qu’elle vous sollicite…, et même qu’elle vous paie.
» Arrangez-vous pour m’innocenter, et après
» Il me sera facile de vous sauver aussi. »

À peine avait-elle parlé que, semblable à la biche agile,
Qui voit le chien la poursuivre à travers les feuillages,
Elle se sauve sans ceinture et entre dans la cellule
Où dormait son amie Cunegonda,
Sœur converse au service de l’abbesse,
Mais toute différente de goût et de caractère :

Elle faisait mine de seconder la supérieure
Quand elle espionnait pour son compte,
Mais elle ne lui disait que fables et sornettes
Et favorisait ses deux belles amies.
Donna Chiara brièvement lui explique
Ce qu’il faut qu’elle fasse incontinent.


Sœur Cunegonda se lève et éveille
L’abbesse, en lui disant d’une voix qui pleure :
« Ma mère, levez-vous, du poulailler doit s’approcher
» Un renard ou une fouine, ou autre bête féroce :
» Écoutez comme les poussins crient…
» Oh Dieu ! on les mange tous… les pauvres petits ! »

L’abbesse sur le bord du lit
Saute et reste l’oreille dressée ;
Puis elle dit : — « Je n’entends rien, Cunegonda…
» — Parce que vous avez l’oreille dure, »
Répond la sœur converse,… « oh ! mon doux Jésus !
» Écoutez comme ils font pio ! pio ! »

Le poulailler produisait un bon revenu
Réservé au profit de l’abbesse :
Aussi la vieille avare eut-elle peur
Que son gain ne fût compromis,
Et bien vite, pour chasser la bête sauvage,
Elle courut pieds nus, en chemise et en jupon.

Elle avait une lanterne et un bâton,
Avec sœur Cunegonda elle entra dans le jardin ;
Mais bien que l’erreur commise
Lui parût manifeste, elle resta longtemps
À explorer le cul des poules
Du doigt, pour voir si elles allaient pondre.

Cependant, Donna Chiara avait amené
Le prêtre à se rendre à ses désirs :
Dans le lit de la vieille, sans dire un mot
Il était déjà : ah ! que ne peut le dieu d’Amour !
La nonnain, rentrée dans sa cellule,
En avait à double tour fermé la serrure.


Déjà par un bout du long corridor
Arrive l’abbesse pour regagner sa chambrette ;
Par l’autre bout, Monsignor en fureur
Vient, entouré de lanternes et de gens armés.
C’est ainsi qu’autrefois vint baiser les joues du Christ
Cette canaille de Judas Iscariote.

La vieille, effrayée, reste un pied en l’air
Et s’écrie : « À cette heure !… Et que voulez-vous ?
» Vous êtes armé ? Quelle idée vous a passé par la tête ? »
Mais Monsignor cria : — « Où est cet indigne prêtre ? »
» Me voici…, tremble, putain de nonne !
» Je viens te faire une jupe de plomb. »

— « Signor, » dit la vieille, « voulez-vous par hasard
» Me salir d’une si vilaine accusation ?
» Ne Connaissez-vous pas ma pudeur ?
» De telles saletés ne sont pas mon fait…
» Ah ! vous avez tort de m’insulter, vous êtes cruel !
» — Où est Donna Chiara ? » s’écria le prélat.

— « Ah, ah ! » dit la vieille, « voici la cellule
» Où couche cette vraie dépravée ! »
Monsignor, plein de colère et de rage,
Donne dans la porte un féroce coup de pied :
» Sors ! » s’écrie-t-il, « coquine de sœur !
» Sors aussi, prêtre, bon apôtre ! »

Au commencement, sœur Chiara ne répondit pas,
Feignant d’être profondément endormie,
Mais Monsignor ne cessa de secouer
La porte, et peu s’en fallut qu’il ne la jetât bas ;
Elle l’ouvrit enfin ; elle regarda, tout endormie,
Puis elle dit en riant : « Oh ! qu’est-ce que cette armée ? »


Elle était en chemise, une chemise tissée
Par des tisserands Bataves ; à demi nue en sortait
Sa poitrine garnie de deux tetons bien durs,
Qu’elle recouvrait de sa main blanche,
Montrant dans son agitation son ventre poli,
Et ses cuisses et ses jambes et son gros fessier.

À cette vue, Monsignor demeure
Immobile, au point qu’il paraît tout d’une pièce ;
Mais la colère et la folie rentrèrent dans son cœur
En pensant qu’un morceau de si grand prix
Lui était volé, à sa honte et à son désespoir,
Par un subordonné, par un mauvais prieur.

— « Ah ! il te sied bien de faire l’étonnée, »
Cria-t-il, « effrontée que tu es, et de te moquer du monde !
» Honte et déshonneur des saintes filles…
» Avant peu… » et, se tournant vers ceux qui le suivaient,
« Allez, » leur dit-il, « et amenez-moi bien vite
» Ce vilain prêtre qui est caché dans la chambre. »

— « Allez, allez ! » ajouta l’abbesse,
« Et couvrez-moi de honte cette salope
» Qui est parvenue à noter d’infamie
» Notre sainte corporation,
» Et qui, par un si infâme sacrilège… »
Mais Donna Chiara ne put se contenir :

— « Ah ! tais-toi ! » lui cria-t-elle, « puante harpie,
» Tes calomnies, grâce au ciel, sont impuissantes ;
» Mon innocence va éclater à tous les yeux,
» Grâce au Christ et à Santa Maggiorana,
» Et l’on verra dans un instant la preuve
» De ma pureté et du sale péché d’autrui. »


Pendant que, furieuse, elle parlait ainsi,
Ildebrando furetait dans tous les coins ;
Mais, ne trouvant pas celui qu’il supposait,
Il demeura plein de honte et de confusion.
À la fin il dit : — « Ce prêtre est dans le couvent, j’en suis sûr,
» Je saurai le trouver pour son malheur. »

Les religieuses, réveillées par ce vacarme
Sortirent de leurs cellules en criant : « Jésus-Maria ! »
Et elles dirent à Monsignor : — « De grâce, faites
» Fouiller ma cellule la première…
» — Non, » s’écria l’abbesse, « que la première
» Soit la mienne, si Monsignor a pour moi de l’estime. »

Le prélat cria fort à ses séides :
« Allez visiter toutes les cellules. »
Il dit ensuite à deux valets de chambre :
« Entrez dans la chambre de l’abbesse,
» Allez-y pour la forme seulement,
» Ce n’est pas là, bien sûr, qu’est le délinquant. »

Pendant qu’on fouillait les cellules,
Ildegonda disait : — « Bien certainement celle
» Qui dans son cœur pervers et abominable,
» Nourrit des amours si infâmes, si criminels,
» Monsignor, ne saurait obtenir de vous le pardon
» D’un crime si scandaleux, si atroce.

» Soyez sourd à la pitié, aux prières,
» Vous le devez… » Tout à coup on entendit un grand bruit,
Les servants criaient à n’en plus pouvoir :
« Monsignor !… Monsignor !… Monsignor !…
» Venez vite, Monsignor,… accourez…
» Voici le prêtre dans le lit de l’abbesse. »


— « Pardieu ! » s’écria Ildebrando, et il courut à toutes jambes
Dans la cellule d’où le bruit venait ;
Il vit blotti dans le lit le prêtre
Qui, de peur, n’osait remuer,
Et, se tournant vers l’abbesse qui venait d’arriver,
Il lui lança, en serrant les dents, un mauvais regard.

Un enfant qui s’éveille et qui entend
Son père en colère, le fouet à la main,
Lui crier : « Polisson, porc, impertinent,
» Je te déshabituerai de faire toujours au lit, »
Cherche, tout triste et tout effrayé, à cacher
Sous ses fesses le corps du délit.

L’abbesse ne fut pas moins honteuse,
Elle était consternée et ne savait que dire ;
Elle ne peut comprendre si elle veille ou rêve,
Et, pendant ce temps, les rires des nonnains,
La colère de Monsignor, et le vacarme
Que fait chacun, lui font perdre la tête.

Mais quelle lèvre pourra redire les injures
Que Donna Chiara vomissait !
— « Bravo ! Donna Ildegonda, ce sont de belles farces
» Que vous faites là ! Bravo, bravo, bravo !
» Qui aurait cru que si légère fût la jupe
» De cette sale archibisaïeule ?

» Quand je devrais mourir à la potence,
» Je veux d’ici sortir sur-le-champ :
» C’est dans un saint monastère, et non dans un sale bordel
» Qu’ont cru me mettre mes parents ;
» On m’a placée ici pour servir le Christ dans son temple,
» Et non pour être témoin de telle ignominie !


» Ciel, qui de pures et saintes amours as rempli
» Mon âme, de grâce, épargne-lui cette honte !
» Mais auparavant, que la foudre vengeresse frappe
» Et consume cette infâme pourriture !
» Que la terre s’ouvre, et que pour l’éternité
» La flamme de l’enfer la dévore ! »

Après avoir, en criant ainsi d’une voix furieuse,
Accru la confusion de la pauvre abbesse,
Accompagnée de sa fidèle amie,
Elle partit frémissante et s’enferma dans sa chambre ;
Ildebrando, couvert de honte, plein de dépit,
Tourne tout autour de lui des yeux furibonds.

Il fit lier le prêtre, et s’écria : — « Viens, sortons,
» Viens, le feu t’attend, allons, allons ! »
Se tournant ensuite vers la supérieure effrayée :
« Je veux, » dit-il, « que nous causions demain. »
Puis, entouré de ses prêtres et de ses laquais en armes,
Il revint au palais en sacrant.

Comme l’aube du matin apparaissait déjà,
Il ne se mit pas au lit pour dormir ;
Mais, ayant fait appeler son chancelier au bureau,
Il entame un procès diabolique
Contre Irene, qu’il se prépare à faire brûler
Avec les prêtres, l’abbesse et Donna Chiara.

Mais, au moment où sa colère était la plus ardente,
Et le poussait à sévir sans pitié,
Chiara lui écrivit un si gentil billet,
Que sur l’heure il fit élargir les prisonniers
Et gracia des peines par eux encourues
Les prêtres, celle qui lui écrivait et Donna Irene.


Bellarmin dans ses écrits nous raconte,
Et il se peut qu’il dise vrai,
Que Donna Chiara, pour arranger l’affaire,
Se rendit aux impurs désirs du prélat,
Et, qu’au moyen de la jouissance convoitée,
Elle calma et éteignit son atroce fureur ;

Que, désormais devenu indulgent,
Il ferma les yeux, et toujours laissa
Ces nonnes jouir des fruits d’amour,
Pourvu que lui-même en eût à se mettre sous la dent ;
Enfin, que Donna Ildegonda, déshonorée,
Demeura dégradée de sa charge.

Si cela est vrai, comme l’apparence
Semble l’indiquer, nous devrons conclure
Que l’or, le travail et la prudence
Sont utiles dans tous les cas extrêmes,
Mais que, plus que la prudence, l’or et le travail,
La figue est toujours une puissante protectrice.