Nouvelles de Batacchi (édition Liseux)/Le faux Séraphin

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LE FAUX SÉRAPHIN


À MONSIEUR L’ABBÉ…


Pendant que, vers midi, nonchalamment couché sur votre excellent sofa, vous restez à convertir en chyle votre succulent déjeuner, et à demander au ciel bon appétit pour le copieux et excellent dîner qui vous attend, égayez-vous, Monsieur l’Abbé, avec la Nouvelle que je vous offre. Si par hasard vous vous endormez à moitié, n’attribuez pas ce sommeil à l’inexpérience ou au peu d’habileté du poète, mais pensez que mes vers auront alors le même sort que votre bréviaire.

Je vous salue et vous souhaite un bon cuisinier.



LE FAUX SÉRAPHIN


˜˜˜˜˜˜˜˜


Vénérer les Saints du paradis
Est certainement une action méritoire,
Mais il y a quelquefois des coquins…
On risque de passer pour un imbécile…
Monsieur l’Abbé, l’affaire est sérieuse,
Il y faut de la sagesse, il y faut du discernement.

Il n’est pas rare de trouver des imposteurs
Qui font croire aux âmes pieuses
Qu’ils leur procureront les grâces et les faveurs du ciel…
Et puis ils tirent, pardieu, certaines carottes…
Ils trompent les dames, escroquent ce qu’ils peuvent, et après
Se démantibulent les mâchoires à rire de vous.

Comme je ne suis pas habitué à avancer
Une chose que je ne puisse prouver ;
Comme je réfléchis longuement avant de parler,
Parce que je ne veux pas être exposé à rougir,
Monsieur l’Abbé, écoutez ce fait
À l’appui du langage que je vous ai tenu.


Dans un vaste royaume, nommé l’Antignano,
Vivait jadis une certaine Pollonia,
Qui, après la mort de son mari Bastiano,
Jouissait d’une assez honnête aisance,
En compagnie d’une fille seulement
Qui était une merveille de beauté.

Cette fille avait à peine dix-sept ans accomplis,
L’amour pour elle subjuguait tous les cœurs,
D’un autre côté, elle n’éprouvait pas
Les amoureux tourments et vivait libre de tout lien.
Elle passait sa vie tranquille et paisible
Et se nommait… attendez… Margherita.

La mère avait soixante ans passés
Et jouissait encore d’une bonne santé ;
Mais elle avait les yeux bordés de rouge
Avec les paupières renversées en dehors,
Ce dont elle se montrait bien désolée,
Car elle avait peur de perdre la vue.

Du côté de sa maison on voyait tourner
Un million de moines allant et venant,
Capucins, frères chaussés, réformés,
Minimes, jacobites, récollets,
De qui elle recevait assez de louanges
Pour en faire un autre Kyrie eleison.

Les moines restaient souvent à dîner
Et recevaient encore des aumônes pour dire la messe :
Il convient de faire ici une observation
Et je crois bien qu’elle me sera permise,
D’autant plus qu’elle a été faite par Bellarmin
Qui a écrit cette histoire en bon Latin.


Bien que l’engeance monacale en si grand nombre
Fréquentât la maison de Pollonia,
Margherita était encore vierge !
Je ne sais comment cela pouvait se faire,
Car je sais que pour engrosser nombre de femmes,
Il suffit, dans une maison, d’un seul moine.

Médecins, et chirurgiens, et charlatans,
Pollonia les consultait tous à chaque instant ;
Mais tous leurs remèdes étaient inutiles,
C’était toujours de l’argent jeté au vent ;
Quand un jour vint la trouver
Betta, sœur du docteur Santi,

Laquelle lui dit : « Si tu veux guérir
» D’un mal si cruel et si persistant,
» Tu iras à pied jusqu’au sommet des Alpes,
» Où Saint Pellegrino est vénéré.
» Là, il guérira tes yeux en deux secondes,
» Sans employer ni remèdes, ni onguents. »

Un si bon conseil plut à Pollonia
Et elle résolut d’aller visiter ce Saint ;
Elle prit un gros bourdon,
S’enveloppa dans une cape noire,
Mit sa fille en semblable équipage,
Et toutes deux commencèrent ce pèlerinage.

De Margherita la ravissante beauté
Attirait les yeux de tous les passants ;
Les gens s’arrêtaient dans les rues,
Il y avait foule où elle passait,
Et elle entraînait à sa suite, vêtue comme elle était,
Une nuée de drôles amoureux.


Plusieurs jours elles cheminèrent à travers villes et bourgs,
S’arrêtant la nuit dans les auberges ;
À la fin, la mère et la fille jolie
Commencèrent à gravir les Alpes ;
Et, en suivant un sentier difficile,
Elles arrivèrent à un bois désert et sombre.

Les dames, en entrant seules dans cette forêt,
Sentirent leur cœur oppressé par la peur,
Et, regardant autour d’elles de côté et d’autre,
Elles virent quelqu’un qui avait la mine d’un moine ;
Cela dilata le cœur de Pollonia,
Comme si elle avait vu le Sauveur.

« De grâce, rejoignons ce bon serviteur de Dieu, »
Dit-elle toute joyeuse à sa fille ; mais celle-ci :
— « Mère, » répondit-elle, « suivez mon conseil
» Et laissez-le aller à son couvent ;
» Marchons seules ; sous cet habit
» Pourrait se cacher quelque brigand, »

Pollonia, qui avait un culte pour les moines,
Doublait toujours le pas ;
Les deux joues couvertes de pâleur,
La belle Margherita la suivait ;
Le moine fixa les yeux sur elles :
« Loué soit Dieu ! » dit Pollonia.

— « À jamais ! » répondit le moine, et il entama
La conversation en leur demandant où elles allaient.
Pollonia répondit : — « Au sommet de cette montagne,
» Je vais visiter Saint Pellegrino. »
Et le faux moine répondit aussitôt :
— « Il demeure dans une grotte ici près. »


Alors, de dévotions et de pénitences
Ils se mirent à causer entre eux,
Ainsi que de saintes apparitions, et des indulgences
Que le Saint Père a coutume d’accorder,
Et pendant qu’ils discouraient de la sorte,
La route se faisait plus déserte.

Les arbres épais s’élevaient jusqu’au ciel,
Interdisant tout accès aux rayons du jour ;
À une faible et indécise clarté, le voyageur
Ne voyait autour de lui que précipices ;
Un silence profond cependant imprégnait
Dans le cœur une froide horreur.

Le moine alors s’arrêta, et résolument
Dit : « Il ne s’agit pas ici de compliments,
» Ce n’est pas pour rien que je suis venu jusqu’ici. »
Et en parlant ainsi, il sortit ses pistolets ;
Alors Pollonia épouvantée poussa des cris ;
« À l’aide ! Au secours ! » dit Margherita.

— « Moins de paroles, pardieu ! sortez votre argent ! »
Cria le moine, « ou je vous brûle la cervelle.
» Allons vite, les bagues, les boucles d’oreilles,
» La cape, le rochet de pèlerin, la robe…
» Je n’ai pas l’habitude de répéter mes ordres,
» Vite, pardieu ! je veux jusqu’à la chemise ! »

L’impie malandrin leur enleva tout
Et les laissa nues en pleine forêt.
Alors Pollonia : « Ô Saint Pellegrino ! »
S’écria-t-elle, « il ne nous manquait plus que ça !
» Oh ! cruel tourment qui me martyrise,
» À mon âge, montrer mes nudités ! »


Et elle avait bien raison, c’était un coup d’œil
À soulever le cœur de tout fidèle Chrétien ;
Mais peindre les formes enchanteresses
De Margherita, Titien n’y eût pas réussi,
Pas plus que celui qui fit mettre cent femmes nues
Pour peindre la déesse qui naquit dans la mer.

Jamais on ne vit dans la vallée de l’Ida
Deux tetons pareils, ni deux fesses comme celles-là…
Monsieur l’Abbé, voulez-vous vous imaginer
Comme elles étaient appétissantes et belles ?
Figurez-vous que vous voyez devant vous,
Toute nue, votre belle gouvernante.

« Oh ! ma chère maman, comment faire ? »
Dit Bita, « je vous l’avais prédit,
» En quel état sommes-nous ? mon Dieu ! Où aller ?
» Oh ! gueux de moine, maudit moine !…
» — Tiens-toi tranquille, tu m’as fait frissonner,
» On ne doit pas maudire les moines.

» Mais ne crains rien, ma chère enfant, attends,
» Saint Pellegrino nous enverra du secours,
» Il tirera vengeance de notre assassin
» Qui sera pendu, comme il convient.
» Non, ne crains rien, le bienheureux Saint nous rendra
» Bien plus qu’on ne nous a pris.

» Vois donc un peu quelle triste et douloureuse
» Aventure m’arrive en cet endroit !
» Je viens ici, si haut, pour recouvrer ma vue
» Qui s’en allait, baissant peu à peu,
» Et je perds jusqu’à ma chemise ! Cependant
» Je ne désespère pas d’être exaucé du Saint.


» Dans le malheureux état où nous sommes,
» Il faut nous recommander à Dieu ;
» Bita, récitons le saint rosaire,
» En connais-tu les paroles ?… Je les dirai, moi… »
Elle fait le signe de la croix et commence ainsi :
« deus, in adjutorium meum intende. »

Un chasseur, que les deux femmes n’avaient pas vu
(Il se nommait Mirtillo) s’aperçut de leur disgrâce ;
Il était dans la fleur de la jeunesse,
Avec une longue chevelure d’or
Et un menton imberbe ; favori de Vénus,
Jamais le beau sexe ne le rebutait.

En voyant la belle Margherita
Qui exhibait le délicat sentier d’amour,
Il sentit s’ouvrir dans son cœur une large blessure,
Et il eut vite imaginé un stratagème,
Tel que je défie le plus habile archiviste
De Cupidon, de m’en citer un mieux trouvé.

Il se retira dans un endroit très écarté
Et là, après avoir ôté tous ses vêtements,
Il se dépouilla aussi de sa blanche chemise,
Dénoua ses cheveux, les laissa flotter au vent,
Se mit une ceinture de soie
En bandoulière, et se la noua au côté.

Il s’en servit pour cacher ses génitoires ;
Puis, d’une oie tuée à la chasse,
Au dos, par un fil, il s’attacha les ailes,
Et il eut ainsi l’air d’un Séraphin ;
Mais un Séraphin sorti du pinceau
De Michel Ange serait beaucoup moins beau.


Il était tout blanc, de la tête aux pieds,
Comme le jasmin qui vient d’éclore.
Silence à qui célèbre ce polisson
De Ganimède, à qui vante le bel Antinoüs !
Jupiter ni Adrien, il faut en convenir,
N’ont jamais eu affaire à d’aussi jolis garçons.

Dans cet accoutrement, par un sentier inconnu,
Il devança les dames désolées ;
Il monta sur un chêne, et là, immobile,
Se tint jusqu’à leur arrivée.
Alors, il sauta légèrement à terre,
Pareil à un ange descendant des cieux.

Il dit : « La paix soit avec vous, bien-aimées dames !
» Saint Pellegrino du ciel m’envoie vers vous,
» Vos prières là-haut ont été entendues ;
» L’action impie et détestable de ce larron
» Sera punie, n’en doutez pas,
» D’autant plus qu’il portait le froc.

» Le Saint vous dispense, par raison de convenance,
» D’aller à son logis haut perché ;
» Retournez donc dans votre patrie,
» Je vous promets que vous obtiendrez vite
» Par son intercession tout ce que vous désirez,
» Sans faire un plus long voyage.

» Sortez du bois, et au pied de la montagne,
» Là où le chemin se partage en deux,
» Prenez à gauche, près d’une limpide fontaine :
» Vous trouverez non loin une hôtellerie
» Que tient un homme sage et de bonne mine
» Qui ne tardera guères à devenir bienheureux.


» À la fontaine qui n’est pas loin de l’auberge
» But un jour Saint Pellegrino altéré ;
» Puis, quittant le chemin aisé et plat,
» Vers ces hauteurs il dirigea ses pas ;
» C’est ici qu’il fit pénitence, et peu de temps après,
» Dans un chêne on le trouva mort.

» Mais cette fontaine lui était si chère,
» Qu’à son eau, où il avait étanché une soif ardente,
» Du haut du ciel il a donné la propriété
» De guérir du mal d’yeux instantanément.
» Il suffit de se les en baigner dans la matinée,
» Quand le soleil s’apprête à poindre au haut de la montagne.

» Dans l’auberge, qui est auprès de la fontaine,
» Où le Saint prit un instant de repos,
» Il préserve de l’obsession des mauvais esprits,
» Il fait devenir le pauvre riche à millions,
» Par lui, les jambes des boiteux sont redressées ;…
» Mais, que vous dirai-je de plus ? Allez et espérez ! »

Cela dit, il sauta un petit buisson
Derrière lequel il se cacha complètement.
« Oh ! ma chère Margherita, qu’il est beau ! »
S’écria Pollonia, et elle frotta ses yeux rouges.
Alors Margherita, toute pensive :
— « Oh ! maman ! » dit-elle, « il est beau, pour vrai ! »

Ce fut un spectacle tout à fait pittoresque
De voir les mouvements et gestes des personnages.
Pollonia se tenait dans une posture respectueuse,
Inclinée, les yeux fermés, les doigts entrelacés
Et fortement appuyés sous le menton,
Pleine de béatitude et de contentement.


Mirtillo, qui sournoisement regardait la jeune fille,
Tout en débitant son angélique discours,
Lui souriait de temps en temps
Et se moquait de la vieille en prières ;
Messer Priape, cependant, tout doux, tout doux,
Sortait la tête hors du nid.

Bita, qui toute nue se voyait,
Et qui avait devant elle Mirtillo tout nu,
Était consumée tantôt de honte et tantôt d’amour ;
Elle ne pouvait rester tranquille un seul instant,
Et riait en contemplant la vertu
De cette chose qui se dressait et s’abaissait.

Aussi la vision fit-elle en ce moment
Sur l’esprit des deux femmes un effet bien divers.
C’était un Séraphin du haut des cieux descendu :
L’une le crut, et pleine de respect,
Elle se mit à genoux et baisa les traces des pas
Laissées sur le sol par l’esprit céleste.

L’autre s’aperçut bien qu’un grand mystère
Se cachait sous cette malicieuse apparition ;
Elle ne crut pas que ce fût un ange véritable
Comme l’indiquait le déguisement qu’il avait pris ;
Elle reconnut en lui un jeune homme bien tourné
Et sentit son cœur profondément blessé.

Dire tout cela à sa mère,
La prudence de temps en temps l’y engageait,
Mais, plus fort qu’elle, l’amour victorieux
Lui ordonnait de se taire,
L’amour qui, lorsqu’il s’est emparé d’un cœur,
Ne souffre pas de partage.


« Tu le vois, ma fille, » dit alors
Pollonia, « le grand Saint daigne penser à nous,
» D’une céleste visite il nous honore
» Pour commencer, juge par là de ce qu’il fera plus tard. »
La belle fille se tait et ne répond rien,
Elle est partagée entre la crainte et l’espérance.

Par une longue route, alors, nos dames s’acheminent
Vers l’hôtellerie que leur a indiquée l’ange :
La mère, toute pleine d’allégresse,
La fille, tourmentée par l’amour.
L’une compte guérir ses yeux et trouver
Un sac d’écus, l’autre jouir d’un amant.

Mirtillo, cependant, qui du bois profond
Par expérience connaissait chaque sentier,
Dégringolant légèrement d’un rocher,
Arriva bien vite à la maison de l’hôte ;
Mais il avait d’abord, laissant ses ailes d’emprunt,
Repris tous ses vêtements de chasseur.

Il était fils d’un riche paysan
De la plaine, et l’hôte le connaissait,
Car maintes fois il lui avait prêté la main
Dans ses nombreuses fantaisies ;
Il lui servait d’entremetteur habile et prudent,
Et il en recevait de l’argent à foison.

Mirtillo lui raconta l’histoire de la mère
Et de la fille, et son apparition ;
L’hôte pinça les lèvres, fronça le sourcil
Et s’écria : « Quel coquin vous faites !
» Un tour si merveilleux,
» Satan lui-même ne l’aurait pas imaginé ! »


Après avoir été instruit de ce qu’il devait faire,
Il s’en alla terminer ses préparatifs,
Pendant que l’hôtesse portait à ces femmes nues
Une jupe et des vêtements,
Leur disant qu’une vision avait révélé
Leur aventure au père Bernardone.

« Je sais bien, » ajouta-t-elle, « que vous avez
» Perdu tout ce que vous aviez sur le dos,
» Mais le Saint vous le rendra bien vite ;
» Allons, soyez de bonne humeur, ne craignez rien,
» Mon auberge par le Saint est favorisée
» Et personne n’en est parti sans consolation. »

Cependant Pollonia, pleine d’espoir,
À peine arrivée à l’auberge avec sa fille,
Demanda un bon lit, une bonne chambre,
Et voulut avoir des draps bien blancs ;
Elle commande un bon souper, beaucoup de plats,
À payer avec l’argent que Dieu lui enverra.

Pendant ce temps-là, la fille songeait
Aux doux yeux que le jeune homme lui avait faits,
Et à cette espèce de ressort
Qui tantôt soulevait, tantôt abaissait la ceinture ;
Et, si elle tournait les yeux autour d’elle,
Elle ne voyait que Mirtillo et ce ressort.

Vint l’heure du souper ; après qu’à table
Elles se furent largement restaurées,
Et que de la cuisine et de l’office
Elles eurent mangé les meilleurs morceaux,
Au lit les conduisit l’hôtesse,
Une grande coquine, elle aussi, et une fameuse maquerelle.


Elles se déshabillèrent toutes deux et se mirent au lit,
Puis l’hôtesse emporta la lumière avec elle ;
Alors, la mère, pleine de joie et de contentement
En pensant à tout ce qu’elle compte obtenir,
« Allons, ma chère Margherita, » dit-elle,
« Disons un Pater et un Ave Maria.

» Recommandons-nous à notre protecteur,
» Pour que de l’extrême misère où nous sommes
» Il nous tire, ou qu’au moins sa bonté nous accorde
» Assez pour que nous puissions retourner chez nous. »
Bita se soumet aux volontés de sa mère,
Mais elle récite ses prières avec distraction.

Pendant qu’avec sa mère, elle disait
Des Pater Noster et qu’elle invoquait l’amour,
L’ange, qui était blotti sous le lit,
Sortit doucement, doucement ; plein d’ardeur,
Il s’approche de Margherita, la prend
Par la main et : « Ne craignez rien, » lui dit-il tout bas.

Margherita entendit et eut envie
D’avertir Pollonia, mais le dieu d’amour
Retint sa langue ; comme une feuille
Elle tremble pendant que l’ange vient
Si doucement qu’il ne fait aucun bruit
Au chevet du lit, du côté de sa mère.

Et pendant que la bonne dame adressait pêle-mêle
À son Saint Pellegrino des Pater, des Ave Maria,
Des Gloria, des Miserere, des Litanies,
Il lui mit sur le ventre d’une main légère
Une grande bourse pleine d’argent,
Et Pollonia de s’écrier contente et joyeuse. :


« Ma fille ! ma Bita ! Bita ! ma fille !
» agimus tibi gratias… Oh ! quel plaisir !
» Mets la main sur les draps,
» Sens-tu quelle bourse ? Ah ! je sens mon cœur qui s’ouvre !
» te deum laudamus… oh ! quel bonheur !
» Saint Pellegrino nous a rendu plus que notre compte !

» si quæris mirabilia… Je veux tout de suite
» Le faire savoir à toute l’auberge… »
Alors Margherita : « C’est quelque piège, »
Dit-elle à part, et tout haut : — « Ne faites pas cela, maman,
» Des grâces du ciel vous ne devez pas
» Faire étalage… demain matin vous le direz. »

— « Ma fille, que dis-tu là ? Ah ! de ta mémoire
» Est-ce sorti ce que disait Fra Sigismondo,
» Qu’il faut toujours glorifier les Saints
» Et célébrer leurs bienfaits en ce monde,
» Afin d’encourager ceux qui ont la foi
» Et de confondre ceux qui ne croient pas ?

» Allons, je veux me lever… — Ah ! chère mère ! »
Dit la fille, « de grâce ne le faites pas,
» Nous sommes dans des lieux que les assassins en bande
» Fréquentent : pour Dieu ! rappelez-vous ce moine !
» S’il y en a un par ici et qu’il apprenne la chose,
» Il nous égorge et nous prend cet argent. »

À la fin, avec ces raisons et d’autres plus fortes,
Bita, que le Dieu d’amour rendait éloquente,
Fit comprendre la sagesse de ses avis
À Pollonia, qui ne dit plus rien
Et se réserva de raconter le jour suivant
Le miracle fait par le ciel en sa faveur.


Mirtillo, qui aux propos de la vieille
Était resté incertain et irrésolu,
Et qui avait craint qu’elle ne gâtât
Les œufs, pour ainsi parler, dans le panier,
Voyant l’affaire arrangée,
Était retourné du côté de Bita.

Il ne sera pas nécessaire, je pense, que je dise
Plus d’une fois, et une seule suffira
Pour qu’on croie sans difficulté
Que Mirtillo fut bien reçu entre les draps,
Et que Margherita, pleine d’amoureuse ardeur,
Se serra contre sa mère et lui fit place.

Le jouvenceau, qui n’était pas moins enflammé,
Nudus, ut erat, nudam puellam amplexus est,
Crassasque in clunes, pilosam pubem, mammulas,
Manu tam velociter irruit,
Tam fervidus bœc membra pervagatus est
,
Qu’on eût dit qu’il avait dix paires de mains.

L’amoureux chatouillement fait bondir Bita
Dans le lit qu’elle secoue violemment,
Ce qui lui fit demander par Pollonia
D’où venaient des tressaillements si vifs.
Et Bita : — « J’ai fermé les yeux, et il m’a semblé
» Que je tombais sous un rocher qui s’écroulait. »

Après que Mirtillo un long temps
Puellam ubiquaque palpatus est,
Pressé de parfaire le grand œuvre
Par qui les hommes sont mis au jour,
Dans ses mains, qui avidement le reçurent,
Virile instrumentum rigidum collocavit.


Bita le saisit, et en le caressant
Elle se sentait fondre toute de contentement,
Comme un enfant, qui des fruits confits
Pressent le goût, rien qu’à les admirer.
Elle était si aise de l’avoir dans la main,
Qu’elle s’écria sans le vouloir : « Oh ! qu’il est beau !

— « Qui ? » répondit Pollonia. — « Je pensais, »
Dit la fille, « à cet ange que dans le bois
» Nous avons vu. — Peut-être est-il ici ? »
Reprit Pollonia. « Je te salue,
» Et te remercie, Saint Ange de Dieu !
» nomine patris, miserere mei. »

Crescit in ambobus voluptatis cupido ;
Stringit Myrtilus suaves papillas,
Margaritam amplexando, quæ ejus feminibus
Pulchras nates suas reponit,

Et lui, comme disent les Docteurs,
Lanceam puella infigit a parte posteriori.

Ut sensit Margarita Priapi caput
Suavi orificio appropinquans,
Præ voluptate sibi non imperat,
Et crissat et facilem facit laborem ;
Nec muta in tanta commotione stetit,
Sed interjectis verbis exclamavit
 :
« Ah !… il me le met ! »

— « Qui te le met ? ma fille, que dis-tu ? »
Cria Pollonia, et elle : — « Il me semblait
» Voir en haut de ces affreuses montagnes
» Ce moine, et qu’un poignard… — Écarte
» Ces tristes idées, ma fille, pense au saint Ange,
» Et prie Dieu qu’il le fasse rester auprès de toi. »


— « N’en doutez pas, chère maman, j’espère
» Jouir de lui au moins toute cette nuit. »
Mais le délicieux combat redouble d’ardeur,
Et voilà qu’au plus fort de l’action,
Exhalant un soupir, la fillette tout à coup
S’écrie : « Oh ! maman ! je suis en paradis ! »

— « Tais-toi, ma fille, » dit la vieille
» Et garde qu’un si grand bien ne te soit ravi,
» Mais, de grâce, occupe-toi maintenant de dormir,
» Je suis fatiguée et meurs de sommeil. »
En parlant ainsi, elle bâilla, elle frotta
Ses yeux chassieux et bientôt s’endormit.

Les amants s’en réjouirent, et comme elle dormait,
Ils recommencèrent le petit jeu d’Amour,
Autant de fois que la fantaisie leur en prit,
Car leur vigueur égalait leurs désirs ;
Mais l’aurore était sur le point d’apparaître,
Et l’hôtesse appela Pollonia dehors.

Elle l’invita à aller à la fontaine
D’où coule l’eau miraculeuse
Qui guérit le mal d’yeux :
La vieille se leva en toute hâte,
Et, les yeux plus rouges qu’à l’ordinaire,
Elle s’achemina vers la fontaine sacrée.

Là, elle se lava autant qu’elle en eut envie ;
L’hôtesse rit et lui dit : « Voulez-vous
» De Saint Panurgo visiter la demeure ?
» — Y a-t-il des indulgences, dites, savez-vous ?
» — Il y en a plein un sac, » lui répondit l’hôtesse,
Et alors la vieille se mit en route.


D’un Saint à l’autre l’hôtesse la promena
Pour que Mirtillo pût s’en aller tranquillement ;
Il voulut livrer encore un amoureux combat
Et puis il s’esquiva avec précaution.
La vieille revint, et, le bourdon à la main,
Elle reconduisit sa fille à l’Antignano.

La fatigue éprouvée pendant le voyage
Fit devenir Pollonia tout à fait aveugle ;
La fille eut plus de profit qu’elle,
Car elle fit un garçon beau comme le jour,
Mais Monsieur le curé y mit la main
Et l’affaire fut bien vite arrangée.

Turnèbe, en commentant ce passage
En homme habile, intelligent et fin,
Dit : Le curé avec grand plaisir
Continua les fonctions du Séraphin,
Puis il donna un mari à la belle Margherita,
Et, là-dessus, la Nouvelle est finie.