Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Les Laboureurs

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 91-93).


Les Laboureurs.





Et habebis thesaurum in cœlo.
Evang. sec. Matthæum, XIX, 21.





 
Nous portons dans nos champs la bêche et la charrue
Et la herse qui mord la glèbe avec ses dents,
Et, chaque jour, l’aurore à peine reparue,
Nous sommes à l’ouvrage, ô laboureurs ardents.

Courbés jusqu’à la nuit sur notre tâche austère,
Les membres fatigués et le cœur haletant,

Nous creusons nos sillons, nous déchirons la terre,
Et promenons nos socs dans le sol palpitant.

Et quand l’aube revient, le labeur recommence,
Et le soir au travail, le soir nous trouve encor
Dans nos sillons ouverts qui jetons la semence,
La graine, cet espoir des belles gerbes d’or.

Dès lors plus de repos. Nous craignons les gelées,
Nous observons le ciel, nous écoutons le vent,
Nous redoutons avril aux froides giboulées,
Même nous gourmandons le mois de mai souvent.

Nous prions pour un peu de soleil ou de pluie.
Tout est pour nous espoir ou crainte, ombre ou lueur,
Selon que le blé pousse, où l’aube réjouie
Épanche sa rosée et l’homme sa sueur.

Juillet nous tire enfin de nos craintes étranges.
Toute la plaine alors résonne de nos chants,
De nos javelles d’or nous encombrons nos granges,
Ou nous les entassons en meules dans nos champs

Toute l’année ainsi, remplis d’inquiétude,

Nous allons parcourant le cercle des saisons.
Grossir quelque fortune est notre seule étude,
Et notre seul espoir l’espoir de nos moissons.

On travaille, on fatigue, et l’on croit être riche
Lorsque nos coffres sont gorgés d’argent et d’or.
Mais combien d’entre nous laissent leur cœur en friche,
Leur cœur où germerait un bien plus beau trésor !

Car bâtir sur la terre est bâtir sur le sable,
Et rien ne nous survit de nos ambitions.
L’homme n’emporte au ciel qu’un bien impérissable :
Ce bien c’est sa moisson de bonnes actions.



Octobre 1856.