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O’SulIivan Rua à Marie Lovell

La bibliothèque libre.
Traduction par Stuart Merrill.
Vers et Prosetomes 1 à 4, mars 1905 à février 1906 (p. 99-100).


III

O’SulIivan Rua à Marie Lovell.

Quand mes bras t’enserrent, j’appuie
Mon cœur sur la beauté
Qui s’est depuis longtemps évanouie du monde :
Les couronnes lourdes de joyaux que des rois ont lancées
Dans de ténébreux étangs, quand leurs armées fuyaient ;
Les contes d’amour dessinés avec des fils de soie
Par de rêveuses dames sur des tissus
Dont s’est engraissé le ver destructeur ;
Les roses que dans les temps anciens
Les dames emmêlaient à leur chevelure
Avant qu’elles ne noyassent les regards de leurs amants

Dans un crépuscule agité de sourds soupirs ;
Les lys froids de rosée que les dames portaient
Au long de plus d’un couloir sacré
D’où s’élevait un encens si ensommeillant
Que seuls les yeux de Dieu ne s’y fermaient pas.
Car ce front obscur et cette main languissante
Viennent d'un pays plus lourd de rêves.
D’un temps plus lourd de rêves que les nôtres.
Et quand tu soupires entre tes baisers.
J’entends aussi soupirer la pâle Beauté
Aspirant aux heures où tout s’évanouira comme la rosée,
Jusqu’à ce que rien ne reste que trônes sur trônes
De séraphins dont chacun méditera, solitaire.
Une épée posée au travers de ses genoux de fer.
Sur ses plus secrets mystères.

W. B. YEATS

Traduit de l’anglais par stuart merrill.