Obermann/XXVIII

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Obermann (1804 - 2e éd, 1833)
Charpentier (p. 107-108).

LETTRE XXVIII.

Paris, 27 février, III.

Vous ne pouviez me demander plus à propos d’où vient l’expression de pied-plat. Ce matin, je ne le savais pas plus que vous ; je crains bien de ne le pas savoir mieux ce soir, quoiqu’on m’ait dit ce que je vais vous rendre.

Puisque les Gaulois ont été soumis aux Romains, c’est qu’ils étaient faits pour servir ; puisque les Francs ont envahi les Gaules, c’est qu’ils étaient nés pour vaincre : conclusions frappantes. Or les Galles ou Welches avaient les pieds fort plats, et les Francs les avaient fort élevés. Les Francs méprisèrent tous ces pieds-plats, ces vaincus, ces serfs, ces cultivateurs ; et maintenant que les descendants des Francs sont très-exposés à obéir aux enfants des Gaulois, un pied-plat est encore un homme fait pour servir. Je ne me rappelle point où je lisais dernièrement qu’il n’y a pas en France une famille qui puisse prétendre, avec quelque fondement, descendre de cette horde du Nord qui prit un pays déjà pris, et que ses maîtres ne savaient comment garder. Mais ces origines qui échappent à l’art par excellence, à la science héraldique, se trouvent prouvées par le fait. Dans la foule la plus confuse, on distinguera facilement les petits-neveux des Scythes[1] et tous les pieds-plats reconnaîtront leurs maîtres. Je ne me ressouviens point des formes plus ou moins nobles de votre pied, mais je vous avertis que le mien est celui des conquérants : c’est à vous de voir si vous pouvez conserver avec moi le ton familier.


  1. Plusieurs savants prétendent que les Francs sont le même peuple que les Russes.