Observations sur le dictionnaire tubétain imprimé à Sérampore

La bibliothèque libre.

Observations sur le Dictionnaire tubétain imprimé à Sérampore[1], par M. Klaproth.

La publication d’une grammaire et d’un lexique de la langue du Tubet est un événement qui fait époque dans les fastes de la littérature asiatique. Les notions qu’on avait en Europe sur cet idiome important, datent du commencement du siècle passé, époque à laquelle on découvrit une bibliothèque tubéto-mongole dans les ruines du couvent boudd’hique d’Ablaiïn kit, sur la rive gauche de l’Irtyche. On sait qu’en 1722, Pierre le Grand ayant envoyé un volume de cette bibliothèque à l’Académie des inscriptions et belles-lettres à Paris, cette compagnie chargea le célèbre É. Fourmont d’en rendre compte. Ce savant reconnut l’écriture pour être tubétaine, et osa entreprendre non-seulement la lecture, mais même la traduction d’une feuille, à l’aide du petit vocabulaire du P. D. Fano, ouvrage très-incomplet et fautif quant à l’orthographe. Il est aisé de concevoir qu’un travail fait avec le secours de matériaux aussi défectueux ne pouvait rendre avec exactitude le sens de l’original. Il en a été de même de la traduction que le P. Giorgi a hasardée dans son Alphabetum tibetanum, quoique ce religieux eût à sa disposition, sur le Tubet et sa langue, des renseignemens meilleurs que ceux que l’on possédait auparavant, mais desquels une tête confuse comme la sienne n’a su tirer aucun profit.

M. Abel-Rémusat ayant traduit tout entier le Vocabulaire boudd’hique, publié à Peking en cinq langues, savoir, en sanskrit, en tubétain, en mandchou, en mongol et en chinois, a pu présenter, dans ses Recherches sur les langues tartares, des idées plus justes sur l’idiome du Tubet, que celles qui existaient quand cet excellent ouvrage a paru. Ce savant avoue pourtant, avec la modestie qui chez lui s’allie si naturellement à ses connaissances profondes, que le manque de matériaux suffisans l’empêchait de donner autant de développement à son travail sur cette langue, qu’il aurait désiré ; cependant tout ce qu’il dit est en général, loin d’être tout-à-fait erroné, comme un journal de Calcutta l’a avancé dernièrement, sans en donner aucune preuve.

Les Anglais qui vivent dans l’Inde ont un intérêt particulier à se procurer des renseignemens détaillés sur le Tubet, pays extrêmement riche en or, et situé dans le voisinage de leurs possessions : il n’est donc pas étonnant qu’ils aient tâché d’obtenir des moyens d’étudier la langue que l’on parle dans cette contrée si peu connue. C’est à leurs efforts pour y parvenir que l’on doit la publication du dictionnaire et de la grammaire qui font l’objet de cet article.

La préface, signée W. Carey, commence ainsi :

« L’ouvrage qu’on présente ici au public contient une grammaire et un dictionnaire de la langue du Thibet et du Bhota, plus fréquemment écrit Bhotanta (en hindoui), et nommé Boutan par les Européens. Elle n’est pas seulement l’idiome du Thibet et du Boutan, mais nous sommes sûrs qu’elle est également celui du Petit-Thibet ; et comme ces pays sont éloignés l’un de l’autre de milles milles, nous concluons que cette langue est parlée dans toute la région située sur les sommets des monts Himâlaya, communément appelée la Tartarie chinoise, et dans quelques autres contrées limitrophes de celle-ci, dont la plupart, sinon toutes, sont sous la domination ou l’influence de la Chine, et occupent l’espace compris entre les possessions anglaises et russes[2]. »

Les phrases imprimées en italique se trouvent textuellement dans l’original anglais que nous donnons dans la note ; elles montrent combien on possède peu, à Calcutta, de renseignemens exacts et détaillés sur la géographie et l’ethnographie de l’Asie centrale. Le Petit-Tubet, étant limitrophe du Tubet à l’occident, n’en est pas éloigné de mille milles, comme le dit l’auteur anglais, auquel on pourrait demander ce qu’il veut dire lorsqu’il parle des régions qui, étant situées sur les sommets de l’Himâlaya (ce qui semblerait vouloir dire qu’elles sont suspendues en l’air), s’étendent depuis la frontière de l’Hindoustân jusqu’à celle de la Sibérie. L’estimable missionnaire paraît également ignorer qu’entre l’Inde et les possessions russes, il y a quatre peuples parlant des langues entièrement différentes. Au nord de l’Inde, sont les Tubétains, qui s’avancent jusqu’au 33.e parallèle environ ; puis viennent les Hor ou tribus mongoles ; ensuite les habitans turcs et mahométans de la Petite-Boukharie, mêlés dans les villes de Boukhares ou Tadjiks, qui parlent persan. La Petite-Boukharie est séparée, au nord, par la chaîne des Monts Célestes, de la Dzoungarie, qui est habitée par des Kalmuks nomades, et se termine au nord à la Sibérie.

M. Carey nous apprend ensuite que le dictionnaire qu’il publie avec M. Marshman, a vraisemblablement été composé par des missionnaires catholiques, qui travaillaient autrefois dans le Tubet ; qu’une copie de leur ouvrage se trouvait dans la possession de feu le major Latter, et que ce fut sur celle-ci que M. Schrœter, Allemand de nation, et membre de la Church missionary society, fit la sienne. Ce missionnaire habitait Tentaliya, poste militaire dans le district de Pournea, et recevait un salaire du gouvernement anglais de l’Inde. Après sa mort, son manuscrit fut remis à l’éditeur, et, à la recommandation de ce dernier, le gouvernement en permit la publication, qui fut effectuée par le moyen d’une souscription généreuse.

Il est vraisemblable que l’original de ce lexique est celui qu’on conservait dans l’hospice des capucins du Nipâl, et duquel Hervas parle[3]. Le manuscrit laissé par Schrœter était en italien ; M. Marshman l’a traduit en anglais.

Malgré les nombreuses imperfections de ce travail, il faut savoir gré aux éditeurs qui l’ont entrepris ; car ils ont eu de grandes difficultés à vaincre. La première et la plus forte, sans doute, a dû provenir de ce qu’ils ignoraient la langue dont ils publiaient le dictionnaire ; et la seconde, le manque de types tubétains. Ils ont donc été obligés de faire graver et de faire fondre ceux-ci. Il est fâcheux qu’ils aient pris pour modèles ceux de la Propagande de Rome, qu’ils ont imités en les diminuant. Les formes du caractère de Rome s’éloignent beaucoup des exemples de la belle calligraphie tubétaine, et des modèles que fournissent les livres imprimés dans le pays même. Un autre inconvénient est que ces types sont mal fondus, et, par conséquent, se cassent à l’impression, comme tous ceux de Sérampore.

Ces petits défauts seraient bien peu importans, si le dictionnaire était plus complet et mieux rédigé. On ne peut que donner des éloges à l’ordre dans lequel les mots sont classés, ordre beaucoup plus commode et plus facile pour les Européens qui veulent consulter ce lexique, que celui que les Tubétains suivent ordinairement dans les ouvrages de ce genre. Mais un défaut essentiel de ce livre, c’est le manque d’un grand nombre de mots nécessaires, qui n’est nullement compensé par une foule de phrases souvent peu utiles. Plusieurs mots essentiels ne se trouvent que dans ces phrases, tandis qu’on les cherche en vain à la place qu’ils devraient occuper. Les explications en anglais sont en partie trop vagues, inexactes et même fausses. Les noms relatifs à la religion et à la mythologie indienne et bouddhique sont ordinairement expliqués par des synonymes sanskrits ; on y trouve à chaque instant les noms de Chiva, Indra, Ouma, Vichnou, Krichna, Kartikia, &c., comme explications de phrases tubétaines qui paraissent contenir plutôt les titres et les désignations de différentes manifestations de ces divinités, que leurs noms.

Quant à la grammaire, elle est, de l’aveu de M. Carey lui-même, très-courte et insuffisante en plusieurs points importans ; il y manque le temps passé du verbe être, la conjugaison d’un verbe passif, les observations sur les mots indéclinables, et la syntaxe. Néanmoins, ce morceau contribue à éclaircir divers points sur lesquels nous n’avions que des notions imparfaites.

Les éditeurs auraient dû avertir que M. Schrœter n’avait pas exactement suivi l’ordre de l’alphabet tubétain. Ils le disent à la vérité en passant, mais ils ne donnent pas une table de son système, ce qui aurait facilité la recherche des mots dans le dictionnaire. La suivante remédiera à cet inconvénient.


ka, page 1. djha mêlé de dhza, p. 109.
k’ha, p. 4. nya, p. 110.
gha, p. 22. ta, p. 119.
nga, p. 70. tha, p. 120.
tcha mêlé de tsa, p. 79 dha, p. 132.
tch’a mêlé de thsa, p. 83. na, p. 174.
pa, p. 183.
pha, p. 184. cha, p. 369.
bha, p. 199. sha, p. 376.
ma, p. 252. sa, p. 383.
ya, p. 291. za, p. 441.
ra, p. 303. ha, p. 445.
la, p. 347. ཨ​ a, p. 446.
འ​ signe des voyelles longues, p. 446.

Par une méprise singulière, l’auteur a oublié, dans le dictionnaire, la lettre va, par laquelle commence, par exemple, le mot va, renard, et qui, par conséquent, manque dans le lexique de M. Schrœter.

On sait que les Tubétains écrivent un grand nombre de lettres qu’on ne prononce pas, du moins à Lassa, et que d’autres lettres groupées et entrelacées ensemble ont des prononciations totalement différentes de celles qui leur sont propres. Les règles que Schrœter donne sur cet objet sont généralement bonnes ; mais nous devons faire, à cet égard, une observation importante : c’est qu’il est presque sûr que la plupart des lettres qu’on ne prononce plus actuellement l’étaient autrefois, et le sont encore, en partie, dans le Tubet oriental. M. Abel-Rémusat a énoncé cette opinion dans ses Recherches tartares ; je l’ai également exprimée dans mon Asia polyglotta. Voici quelques exemples qui prouvent que, tous deux, nous avons eu raison.

Du temps de la dynastie mongole en Chine, dans les xiii.e et xiv.e siècles, les Chinois appelaient le Tubet 藏思烏 Ou szu tsang ; ce nom n’est, en effet, que la transcription du mot tubétain དབུས་གཙང་ qui, actuellement, se prononce Oui dzang, mais qui s’écrit Ous dzang. Le caractère chinois szu représente ici l’s finale de la première syllabe ; or, les Chinois ne l’auraient sûrement pas écrit, si, à cette époque, les Tubétains n’avaient pas prononcé ous et non pas oui ; car les Chinois ne lisaient pas les écrits tubétains, et ne faisaient que saisir le son des mots prononcés de vive voix. La même observation se présente à l’occasion, de la transcription chinoise de ཁྲི་, Thi, trône, qui est le titre de la famille des anciens rois du Tubet. Les lettres qui composent ce mot devraient proprement se lire k’hri, mais actuellement on les prononce thi ; cependant les Chinois écrivent 黎乞 khǐ li, ce qui fait k’hri, car ils expriment l’r par une l.

Nous avons comparé le lexique de Schrœter avec trois ouvrages originaux. Le premier est le grand dictionnaire tubétain expliqué en mongol, et intitulé མིང་གི་རྒྱ་མཚོ་ Ming ghi ghia mtsho ; en mongol, , c’est-à-dire, la Mer des dénominations, et en chinois, 海明 Ming hai, ou la Mer de la clarté. L’autre est le Vocabulaire bouddhique en cinq langues, duquel j’ai parlé plus haut. Le troisième est un Vocabulaire chinois-tubétain, fait dans le xv.e siècle. Le résultat de cette comparaison motive, comme on va le voir, le jugement que nous avons porté de l’ouvrage publié à Sérampore.

Parlons d’abord des omissions qui y sont fréquentes : une des plus singulières est celle du mot ཆུ་ tch’ou, qui signifie eau. Le Lexique tubeto-anglais donne bien le terme tch’ou, mais il l’explique par urine. On y cherche aussi en vain plusieurs autres mots essentiels et d’un usage fréquent, comme les suivans :


གཞུང་ shoung, rivière. རྒྱ ghia, bosquet de saules.
རོང​་ rong, vallée étroite. བྱག​་ djagh, cime de rocher.
སོག​་ sogh, prairie, pâturages. ཀྱ་ kya, blanc.
ལྕང་ལོ་ tchang lo, འུ་ཡུག​་ oûyough, brouillard dans les montagnes.
et ལྕང་མ་ tchang-ma, saule, osier. ཁྲོ་ཕུ་ t’ho phou, mine de fer.
རྟོད་ཕུར​ dö phour, corde. du gouvernement : mot qui répond à celui de mandarin.
འཇམ་ djham, faible. ཐོམ་བ་ themba, impôt, tribut.
སྤར་མཏོ་ phar to, griffe ; p. ex., celle
d’un lion.
སྒྲོགས་ doh, canon.
ཨོལ་ཁ་ olk’ha, faucon. རྩེ་ཇེ་ tse dje, chef.
ལ་རྒན་ larghan, vieux, âgé. ཐོམ་བུ་ thom bhou, cuiller.
ཨ་མྱེ་ yanye, doyen, chef. ཐང་ཤིང་ thang ching, pin.
ཟམ་པ་ zam pa, pont. ཐང་རག་ thang ragh, l’alviez (pinus cem­bra).
ཕོག་ p’hogh, poutre, grande planche,
petit pont sur un ruisseau.
ཐང་སྡོང་ thang dong, cèdre.
དམ་ཀ dham ka, cachet, sceau. ཐང་ལུང་ thang loung, mélèze.
ཁོག་མ་ k’hogh ma, chaudron. ཐང་ནག་ thang nag, sapin.
བློན་པོ་ lon po, employés supérieurs ལུ་པ་ lou pa, ruisseau.

བོན་བོ་ bhon bho, བན་པོ་ bhan po, et ཤེན་ chen, sont les noms par lesquels on désigne communément les Tao szu, ou sectateurs de la doctrine du philosophe chinois Lao tsu : on ne les trouve pas dans le lexique de Schrœter.

གཤར་​ char est le nom de l’écriture ordinaire ou cursive des Tubétains ; il manque dans le dictionnaire de leur langue publié à Serampore. On y cherche aussi en vain les mots :

ཁའི་གྲ་​ k’hî dha, coins de la bouche.

​ཀོ་ཀོ་ ko ko, menton.

མཁུར་པ་​ k’hour pa, joues. Schrœter donne le mot composé ​མཁུར་ཚོས་ k’hour tsô, qui signifie pommettes des joues, et il le traduit par the cheek (joue).

མཆེ་བ་​ tch’e bha, dents antérieures, est expliqué chez lui par « la dent d’un éléphant, l’ivoire ; » ce mot désigne aussi la trompe de l’éléphant. »

​སྨ་ར་ ma ra, est barbe, et non pas the beard, the hair (la barbe ou les cheveux). Le mot qui signifie cheveu en tubétain est ​སྐྲ་ ta. Schrœter l’explique par voice (voix) ; cependant il donne bientôt après une phrase dans laquelle ta a la signification de cheveu : ​སྐྲ་ཁ་དོག་ལན་གསུཾ་ ta k’ha dhagh lan soum, « changer trois fois la couleur des cheveux. »

མགྲིན་པ་ dhin pa, partie antérieure du cou, gorge. Le dictionnaire de Serampore l’explique par the neck (le cou) ; mais le cou s’appelle en tubétain མགུལ་བ་ ghoul bha.

མིད་པ་ mîdh pa, pharynx, manque, de même que

སྲོལ་མདུང་ srol dhoung, la pomme d’Adam, et

ལྟག་པ་ tagh pa, boucle de cheveux.

དཔུང་པ་ poung pa, bras au-dessus du coude, partie supérieure du bras, et non pas the shoulder (l’épaule) : cette dernière s’appelle en tubétain ཕོག་པ་ phough pa, mot que Schrœter explique à tort par an arm (un bras).

དཔུང་མགོ་ poung gho, avant-bras, manque.

Le pouce s’appelle, en tubétain, thebh mo, མཐེབ་མོ་ thebh tch’en, et encore མཐེབ་ཆེན་ the bhong : le lexique anglais écrit, མཐེ་བོས་ the bhö.

སེན་མོ་ sen mo, ongle du doigt : le dictionnaire anglais l’explique par a tooth (une dent).

ཆུ་བ་ tch’ou bha, tendons, manque, ainsi que

སྙིང་ཁ་ (bouche du cœur), creux de l’estomac.

ལྟོ, to, ventre (en mandchou, [texte mandchou] ; en mongol, , et en sanskrit, oudharam), est expliqué par food, victuals (nourriture, vivres). Plus bas, on lit le mot ལྟོ་བ་ to bha, the stomach (l’estomac) ; mais, en tubétain, c’est ཕོ་བ་ pho bha.

On ne trouve pas non plus les mots suivans :

བརླ་ la, cuisse. རྐང་པ་ kang pa, ou
པུས་མོ་ pu mo, genou. རྐང་བུ་ kang bhou, vessie.
ལོང་བུ་ long bhou, cheville du pied. རྙིལ་ nyil, gencives.
རྟིང་པ་ ting pa, talon. སྤྱི་བོ་ tchi bho, sommet de la tête.
མཆེར་བ་ tch’er bha, rate. རྣག་ nag, pus.
ལོང་ཀ་ long ka, boyau culier. མཐེའུ་ཆུན་ theou tch’oun, le petit doigt.

རྐང་ kang signifie également la moelle des os et le pied : le dictionnaire de Serampore ne donne que cette dernière signification.

ཡན་ལག་ yan lagh désigne les membres du corps et les branches des arbres et des plantes : M. Schrœter passe sous silence la première signification de ce mot, qui se retrouve pourtant dans les phrases qu’il cite.

སྤུ་ pou sont les poils du corps, et non pas hair (cheveux) en général.

གཅིན་ tchin signifie l’urine : dans le lexique anglais, ce mot est expliqué par urne, cruche, pot d’eau.

རྫི་བོ་ dhzi bho sont les cils, et non pas the eyelids (les paupières).

Une foule de mots sont mal expliqués : je n’en citerai que quelques exemples.

ལུང་པ་ loungpa, vallée sans eau entre les montagnes. Le dictionnaire de Serampore explique : a place very thickly inhabited, a country, a land, a region, the wind.

འུག་པ་ ouk pa, hibou : le P. Schrœter le traduit par « oiseau qui mange des poissons. »

གཡུང་དྲུང་ young dhoung ou young djoung, est le nom d’un caractère sacré qu’on voit souvent sur la poitrine des bod’hisattva et des saints de la religion bouddhique : le dictionnaire de Serampore écrit ce mot, གཡུ་དའདྲུང་ you dhoûng, et l’explique par the greek cross, which is a sign employed in Bhotanese legislation ; c’est-à-dire, « la croix grecque, qui est un signe employé dans la législation du Tubet. » Cette phrase ne présente aucun sens raisonnable.

གང་གྰ་ Ganggâ est le nom tubétain du Gange : le P. Schrœter écrit ག་གྰ་ Gagâ, quoique la première dénomination soit la plus usitée.

མཚན་མཁན་ tshan k’han, physiognomiste, un homme qui dit la bonne aventure d’après les traits du visage. Le dictionnaire anglais explique ce mot par those who give a name to an infant, « ceux qui donnent un nom à un enfant. »

སྡེ་དཔོན་ dhepon, chef d’une tribu, chef. L’auteur anglais l’explique par Kartika : ce mot indien désigne le commandant des armées célestes. Cependant l’explication que les Chinois donnent de dhe pon, 長落部 pou lo tchhang, et les mots mongols et mandchous, et [texte mandchou] ne laissent aucun doute sur sa véritable signification.

ནུ་བོ་ nou bho, frère cadet. M. Schrœter rend mal ce mot par « le frère aîné » ; c’est ཕུ་བོ་ phou bho qui a cette dernière signification.

La célèbre invocation ཨོཾ་ om n’est pas expliquée dans le lexique de M. Schrœter ; on n’y trouve que ཨོཾ་མཛད་ Om dzhâdh, the god Mohadeva, c’est-à-dire, celui qui fait OM. Le grand dictionnaire tubétain-mongol explique cette syllabe mystique par རབ་བསྔགས་ rab ngah, la meilleure louange.

Un des noms de Bouddha ou Chakiamouni est, en chinois, 來如 Ju lai ; en langue mongole, tagounzilan irakhsan ; en mandchou, [texte mandchou] inekou dzikhe ; en tubétain, དེ་བཞིན་གཤེགས་པ་ dhe shin cheh pa, et en sanskrit, तथा गतः tat’hâ gatah. Tous ces mots signifient comme ou ainsi venu[4], c’est-à-dire que Bouddha est venu au monde de manière à n’être plus soumis à de nouvelles naissances. L’auteur du lexique de Serampore n’a pas saisi le sens de cette phrase tubétaine, car il la traduit par to walk through the paths of peace, an expression applied to saints, « marcher dans les voies de la paix, expression appliquée aux saints. »

རྒྱ་མ་ཚྭ ghia ma ts’aw est expliqué dans l’ouvrage du P. Schrœter par « espèce de sel qu’on tire des sables de l’Afrique. » Il n’est pas présumable que les Tubétains aient des notions de l’Afrique, et il y a certainement erreur dans cette phrase.

Le mot sanscrit बोधिसत्त्वः Bôd’hisattvah (véritable intelligence), désigne les incarnations divines qui, quoique déjà très-saintes, sont cependant encore soumises à de nouvelles naissances. En tubétain, on dit : བྱང་ཆུབ་ djhang tch’oubh. Ce mot aurait dû être amplement expliqué dans le nouveau dictionnaire ; mais on n’y lit que la phrase suivante, qui n’est nullement satisfaisante : Pious, holy, sacred, blessed, holy as a Changch’hoob, c. à d. pieux, saint, sacré, bienheureux, saint comme un Djhang tchoubh. » Ce mot y est donc expliqué par lui-même ; c’est comme si l’on mettait dans un dictionnaire français : « Saint signifie un saint. »

L’auteur n’a pas été plus heureux avec le mot ཤ་ཀྱ་སེངྒ་ Chakia, senggha, qu’il explique ainsi : « Shakya singha, PROBABLY A KIND OF ANIMAL, Goutama ; » mais Chakia senggha, ou ཤྰ་ཀྱ་སེང་གེ་ Châkia seng ghe (en mongol, Chakia iïn arslan), est un des noms de Boudd’ha, et signifie « le lion de la famille de Chakia.

Quand on publie le premier dictionnaire d’une langue peu connue, il est nécessaire d’y faire entrer les principales dénominations géographiques, ainsi que les noms que la nation qui parle cette langue donne aux autres peuples avec lesquels elle est en relation. Il est fâcheux que l’auteur du lexique tubétain imprimé à Serampore n’ait pas apporté plus de soin à cette partie de son travail : je veux tâcher de remédier en partie à ce défaut. Voici une liste des noms ethnographiques tubétains ; j’ai mis en parenthèse les explications souvent inexactes qu’on trouve dans le lexique : བོད་ Bhödh (Tibet or Bhotan), et བོད་ཡུལ་ Bhödh youl, sont les dénominations les plus ordinaires du Tubet.

Les habitans de ce pays donnent à plusieurs nations le nom de རྒྱ་ Ghia, c.-à-d., les grandes ou très-répandues ; employé seul, ce nom s’applique d’ordi­naire aux Chinois. Ceux des derniers qui, depuis le moyen âge, se sont dispersés dans differentes contrées de l’Asie centrale, et principalement dans la Petite-Boukharie et la Dzoungarie, sont appelés རྒྱ་ནག་ Ghia nagh, Chinois noirs, expression qui répond à celle de Kara Kilat des Mongols, par laquelle Ghia nagh est expliqué dans les vocabulaires originaux. Les Hindous, au contraire, sont nommés en tubétain རྒྱ་གར་ Ghia ghar, ou Ghia blancs ; en mongol, Enetkek. Les Russes sont nommés རྒྱ་སེར་ Ghia ser, ou Ghia jaunes. Le nom par lequel on désigne les tribus mongoles qui occupent la partie septentrionale du Tubet, est ཧོར་ Hor (mot que le lexique explique par a kind of spice which grows in Tartary) ; mais on les appelle aussi རྒྱ་ཧོར་ Ghia Hor, ou Ghia de Hor ; leur nom mongol est Siraïgol ou Charagol.

On applique aussi ce nom de Hor ou Hor pa à tous les Mongols en général, quoique ce peuple porte ordinairement au Tubet celui de སོག་པོ་ Sogh po, c’est-à-dire, habitans des prairies, ou nomades. Autrefois cette dénomination a été également donnée aux nomades d’origine turke qui occupaient, du temps du règne de la dynastie mongole en Chine, plusieurs contrées du Tangout ; car je trouve le mot chinois 回回 Hoei hoei, expliqué en tubétain par Sogh po. Actuellement les Tubétains donnent aux Hoei hoei, en mongol, , le nom de རྒྱ་སོག་ Ghia sogh, ou Ghia des prairies. On voit donc combien était faible l’argument de M. J. J. Schmidt de Saint-Pétersbourg, qui croyoit pouvoir assigner une même, origine aux Hindous et aux Chinois, seulement parce que ces deux nations portaient au Tubet le nom de Ghia : voilà cette prétendue famille encore augmentée par les Russes, les Mongols et les Turks, qui tous sont nommés Ghia en tubétain. Le lexique de M. Schrœter explique Sogh po par a native of Tartary, et Sogh youl par Tartary ; il y manque, comme je l’ai déjà observé, le mot radical sogh, prairie, pâturage.

Au nord du Tubet, sur les rives du Yarghia dzangbo, se trouvent encore des nomades turks qui sont mahométans ; on les appelle ཁ་ཆེ་ K’ha tchhe (grandes bouches), et, dans les livres chinois, Ka tsi. Schrœter explique ce mot par a Saracen, a Moor. Il paraît que ce sont les descendans des tribus ouigoures qui habitaient la même contrée du temps de la dynastie mongole en Chine, et qui alors portaient le nom de Chara ouigour. (Ouigours jaunes). Un autre nom des Mahométans est ཐོ་གར་ Tho gar.

Le Tubet proprement dit est divisé en quatre grandes provinces, qui se suivent, de l’est à l’ouest, dans l’ordre suivant : ཁམས་ K’ham, དབུས་ Oui ou Woui, གཙང​ Dzang, et ང་རི Nga ri. K’ham signifie le royaume, et Oui, le milieu ou l’intérieur. Ce dernier mot est inexactement imprimé dans le lexique ; car on y lit, དབུ་ས་ Wou sa, et on l’explique par a district of Lassa, au lieu de the district of Lassa. Le nom de la troisième province, Dzang, manque dans le dictionnaire ; je n’ai pas non plus trouvé celui de la quatrième, Nga ri : mais je ne suis pas sûr de son orthographe ; ainsi il se peut qu’il y soit à un autre endroit.

Le nom du Houang ho en tubétain est རྨ་ཆུ་ Ma tchhou (rivière de la plaie) ; il manque chez le P. Schrœter, ainsi que les noms géographiques suivans :

མཉྗུ་ Mañdjhou, les Mandchous.

ཀ་ལིང་ Ka ling, les Coréens.

མཚོ་སྔོན་ Mtsho ngon, Koko noor, ou le Lac Bleu.

མོད་ཁམས་ Mö mä, le pays appelé par les Chinois Tho kan, situé près de la partie supérieure du Houang ho.

ཐོར་མན་ Thor man, la ville de Tourfan.

ཧ་མིལ་ Ha mil, Hami ou Khamil.

ཤིང་ཀུན་ Ching koun, la ville de Lin thao dans le Chen si.

ག་ཆུ་ Gha tch’ou, Ho tcheou dans la même province.

དབུས་གཚང་ Oui dzang est un ancien nom du Tubet, composé de ceux des provinces Oui et Dzang. Les Chinois le transcrivent par Ou szu thsang, et les Mongols le rendent par Barohn djao, le côté droit ou de l’occident.

ཨོའི་ལོད་ Oilödh, les Dzoungar (en mongol, ).

Le nom tubétain du Nipâl est བལ་པོ་ Bhal po ; il se trouve dans le lexique, pag. 221.

མཧྰ་ཙིན་ Mahâ tshin est le nom sanskrit de la Chine employé dans des livres tubétains ; il manque dans le dictionnaire de Schrœter.

མ་ལ་ཡ་ Malaya, et ཀེ་ལ་ཤ་ Kelacha, désignent les montagnes de neige ; ce sont vraisemblablement des corruptions des mots indiens Himâlaya et Kaïlâsa. Ils manquent également dans le lexique de Serampore. On n’y trouve pas non plus གཙང་ཆུ་ Dzang tch’ou, qui est le nom abrégé du grand fleuve du Tubet que les Tubétains appellent གཡས་རུ་གཙང་པོ་ཆུ་ Yärou dzang po tch’ou, et les habitans du royaume d’Awa, Iraouaddy.

  1. Le titre de cet ouvrage, est : a Dictionary of the Bhotanta or Boutan language, printed from a manustript copy made by the late F. Ch. G. Schrœter, edited by J. Marshman, to which is prefixed a Grammar of the Bhotanta language, by T. Ch. G. Schrœter, edited by W. Carey. Sérampore, 1826, in-4o, iij, 25, 6 et 475 pages.
  2. « The work now presented to the public consist of a grammar and dictionary of the language of Thibet and Bhota, more frequently written Bhotanta, but called Boutan by Europeans. This however is not only the language of Thibet and Boutan, but it is also ascertained to be the language of little Thibet ; and as these countries are a thousand miles distant from each other, it is infered that this language is spoken throughout the whole of the region on the summits of the Himalaya mountains, usually called Chinese Tartary, and some other countries bordering thereon, all of which are mostly, if not altogether, under the dominion or influence of China, and occupy the space between the English and the Russian possessions. »
  3. « Nell’ ospicio de’ PP. cappucini di Nekpal nel Tibet, c’ è un dizionario Tibetano ms. il quale contiene trentatre mila parole. » Hervas, Catalogo delle lingue ; Cesena, 1785, in-4o, pag. 147.
  4. M. Wilson donne ce mot dans son dictionnaire, et l’explique par « un Djeïna ou Bouddha. » Il le croit composé de tat’hâ, ainsi (véritablement), et de gata, su, obtenu. Mais gatah est ici le participe du passé du verbe gama, aller ou venir.