Occupe-toi d’Amélie !/Acte I
ACTE PREMIER
Premier plan, fenêtre à quatre vantaux et formant légèrement
bow-window. Deuxième plan, un pan de mur. Au fond, à gauche,
face au public, la porte donnant sur le vestibule. Toujours au fond,
occupant le milieu de la scène, une glace sans tain qui permet de
distinguer la pièce contiguë. On aperçoit, par cette glace, l’envers de
la cheminée voisine ainsi que sa garniture. — À droite, en pan coupé,
grande baie sans porte donnant sur un petit salon. À droite, premier
plan, porte donnant dans la chambre d’Amélie. Au fond, contre
la glace sans tain, un piano demi-queue, le clavier tourné vers la
gauche. Sur le piano, une boite de cigares, un bougeoir, une boîte
d’allumettes ; ceci sur la partie gauche du piano. Sur la partie droite,
un gramophone et des disques ; dans le cintre du piano, une petite
« table-rognon » ou un petit guéridon. Sur cette table, un service
à liqueurs. Contre le piano, dans la partie qui est entre le clavier
et le cintre, une chaise. Devant le clavier du piano, une banquette.
À droite, au milieu de la scène, placé de biais, un canapé de taille
moyenne. À gauche, en scène, une table à jeu, avec cartes à jouer,
cendriers, trois verres de liqueurs, une bouteille de chartreuse, une
tasse de café. Une chaise au-dessus de la table, face au public : une
chaise de l’autre côté, dos au public et une autre chaise à droite de
la dite table. Petit meuble d’appui contre le pan de mur immédiatement
après la fenêtre. Autres meubles, bibelots, tableaux, plantes, objets d’art ad libitum. Bouton de sonnette électrique au-dessus
du piano, contre le mur, près de la baie.
Scène PREMIÈRE
VALCREUSE, BOAS, puis ÉTIENNE.
Au lever du rideau, Amélie est debout, près du piano, en train de faire entendre le gramophone à ses invités. Bibichon, un cigare à la bouche, est assis sur le canapé entre Palmyre (1) et Yvonne (3). (Palmyre est assise sur le bras du canapé.) Valcreuse dos au public, et Boas face au public, sont assis à la table à jeu, en train de faire une partie de cartes. Le gramophone est en marche exécutant un grand air chanté par Caruso. On écoute religieusement avec des dodelinements de tête extasiés. (Le morceau chanté par Caruso est l’air d’Il Trovatore : Di quella pira… enregistré par la Société des gramophones. Mettre le disque en mouvement, le rideau encore baissé, et ne lever qu’à la fin de la huitième mesure de chant après la ritournelle, à Marse avvanpo.)
Oh ! Épatant !
Ah !
Hein ! Croyez-vous !
Ah !
Qui est-ce qui gueule comme ça ? C’est Caruso ?
« Qui gueule » ! On t’en donnera des « Qui gueule » !
Enfin, qui chante. C’est une façon de dire ! Dieu sait que je serais mal venu… ! Ah ! le bougre, il a vraiment une voix !
Eh ! bien oui, tais-toi !
Tais-toi, voyons !
Une voix bénie de Dieu !
Chut donc !
Oui ! (Silence religieux. Les femmes sont au septième ciel. Arrive une note tenue à gros effet de Caruso, vers la vingt neuvième ou trentième mesure ; tout le monde reste comme suspendu aux lèvres du ténor absent. Yeux blancs, airs pâmés, tant que dure la note. Une fois la fameuse note finie, continuant avec Caruso, comme les spectateurs qui se croient obligés de chantonner avec l’artiste à l’opéra.) Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Ah ! non !… non, pas toi !
Ah ?
Tu ne l’as pas, toi, la voix bénie de Dieu.
Caruso, suffit !
Bon, bon ! Moi, ce que j’en faisais, c’était pour corser.
Oui, eh bien, ne corse pas, veux-tu, et laisse nous écouter.
Mais je ne vous empêche pas d’écouter, mes petites.
Oui, oui, assez !
Oh !
Je chantonnais discrètement, je ne pensais pas que…
Oh ! Oh !
Mais tais-toi donc ! (N’entendant plus le gramophone. À Amélie.) Eh ben ?
Mais ça y est, c’est fini !
Là ! voilà, c’est fini ; et on n’a entendu que Bibichon !
Mais en chair et en os au moins !
Ah ! bien, ça n’est pas encore ce qu’il y a de mieux.
Tu n’as pas un Delna ?
Non ! mais j’ai le récit de Théramène par Sylvain.
Non !
Bon, adjugé !
Ah ! c’est tout de même une invention admirable, ce gramophone ! penser que dans cent ans nous pourrons entendre des gens qui ne seront plus depuis des années !
Oh ! dans cent ans… !
Toi surtout !
Oui, je serai un peu tapé !
Oh ! encore un ! Écoute, Bibichon, c’est pis qu’une cheminée ! On ne respire déjà plus ici.
Le dernier ! Le dernier !
Tenez ! écoutez ça ! vous allez me dire si vous connaissez ?
Ah ! qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que c’est ?
Ah ! voilà !
Laissez donc ! Laissez donc ! on va essayer de deviner.
Oh ! moi, je me connais ! je ne devinerai pas !
Oh ! assez !
Ah ! non, non, pas ça ! Je suis royaliste, moi ! La Marseillaise, merci ! C’était bon sous l’Empire !… quand j’étais républicain !
T’es de l’Empire, toi ?
Oh ! un peu !… très peu !
T’as connu Napoléon 1er ?
Ah ! non, mon petit ! non ! c’est pas le même !
Qu’est-ce que tu fais avec nous, alors, si t’es de l’Empire ?
C’est vrai ! Pourquoi n’es-tu pas avec ceux de ta génération ?
Oh ! vous ne voudriez pas !
Pourquoi ?
Ils sont vieux !
Ah ! bébé, va !
Ben, tiens !…
Ah ! Zut alors ! zut !
Ah ! la voix de ton fol amant !
Étienne !
Amélie !… je crois ! je crois encore !…
Hein ! En quoi ?
En Dieu ?
Non ! en mon pantalon ! j’ai encore grandi.
Ah ! bon !
Tiens ! regarde ! Au moins cinq centimètres depuis ma dernière période.
Mais, c’est positif !
Tu pousses encore, mon chéri ?
Mais tenez ! heureusement que j’ai eu l’idée d’essayer !… Si j’étais parti ce soir comme ça pour mes vingt-huit jours, ça aurait été chic pour me présenter demain au corps ! (À Amélie.) Tu vas me faire rallonger ça, hein ?
Oui ! et tu ferais bien d’essayer aussi la tunique pendant que tu y es.
Tu parles ! (Sans transition.) Ah ! ce que ça, infecte le vieux cigare, ici !
Ah ! je ne suis pas fâchée ! Je vais faire ouvrir la fenêtre.
Ah ! non !… ou alors on passe à côté ; j’ai pas envie d’attraper la mort.
Douillet !
Tiens ! sur la digestion, merci ! et à moins que je ne me colle Palmyre dans le dos et Yvonne sur l’estomac… !
Ah ! non, alors !
Oui, eh ! bien, Palmyre, si tu veux ; mais Yvonne, tu peux te fouiller !
Mon petit Boas ! on ne te demande pas l’heure qu’il est.
Désolé ! mais c’est ma maîtresse.
Mon petit Boas, c’est peut-être ta maîtresse, ce qui n’empêche pas qu’elle est majeure…
Mais non !
Enfin, elle est d’une émancipation telle que ça vaut une majorité ; donc si elle est ta maîtresse, elle l’est aussi de ses actes… (Sur un ton badin.) sans compter d’un tas de gens que nous ne connaissons pas.
Ah ! mais, dis donc !
Chut ! (À Boas.) Donc mon petit Boas tu n’as pas voix au chapitre.
Il est insupportable !
Scène II
Madame a sonné ?
Oui ! Ouvrez la fenêtre ! et puis enlevez ces tasses et ces petits verres qui traînent !
Eh ! là, pas le mien ! j’ai pas fini. (Il le vide d’un trait, le repose sur la table, puis donnant une petite tape sur la joue d’Adonis.) Là !… Va-z’y ! Bouffi !
Allez ! vous y êtes ?
On y est.
Tu viens, Gueuldeb ?
Quoi ?
Comment tu l’appelles ?
Gueuldeb.
Gueuldeb ?
Il s’appelle Boas ! je l’appelle Gueuldeb. (Voyant que personne ne comprend. Sur un ton ravi.) Gueuldeb… boas !
Ah ! très drôle ! Ah ! pas mal !
Oh ! que c’est spirituel !
Non, c’est idiot ! c’est ce qui en fait le charme ! Allez ! Viens, Gueuldeb !
Oh ! très drôle ! Oh ! très drôle !
Ah ! ah ! ça lui restera !
Ça lui restera.
Oh !
Ah ! bon, ça !
Oui ? Eh ! bien, et ça ?
Oh !… (Du tac au tac envoyant de sa main droite une gifle sonore et à toute volée sur la joue d’Amélie.) Chameau !
Oh !
Oh !
Il est suivi dans son mouvement par Boas et Valcreuse.
Qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce que tu as fait ?
Il m’a giflée, Étienne ! Il m’a giflée !
Oh !
Voyou !
Polisson !
Gibier de potence.
Oui, eh bien, ça lui apprendra, à cette volaille !
Il m’a appelée volaille !
Oh !
Oui, volaille ! oui, volaille !
ENSEMBLE. |
PALMYRE.
C’est impudique ! ÉTIENNE.
Ah ! saligot ! BOAS.
Apache ! VALCREUSE.
Voyou ! |
Mais sortez-le ; sortez-le donc !
Voulez-vous me lâcher ! tas de lâches ! tas de lâches !
Il est gentil, ce petit !
Ce qu’ils sont embêtants avec leur fenêtre ouverte !
C’est odieux ! C’est abominable !
Ah ! je ne sais pas ce qui m’a retenu de lui casser les reins !
près d’Yvonne (2).
Non, mais avez-vous vu ! vous avez vu ça ? Volaille !
Et lever la main sur toi !
Oh !
Aussi, ça t’apprendra à engager à ton service n’importe quelle gouape ! Je suis sûr que tu n’as pris aucun renseignement !
Mais si ! mais si !
Oui, oh ! comme tu fais tout !… à la flan !
Naturellement, ça va être de ma faute.
Ah ! ma chère, c’est qu’il faut se méfier, par ce temps d’apaches !
Mais, ma bonne amie, tu penses bien que si je l’ai engagé, n’est-ce pas… ?
Qui ? qui te l’a recommandé ?
Des gens !… en qui je pouvais me fier.
Qui ?
Sa famille !
Oui, oh ! ça doit être quelque chose de propre.
Mais oui !
Ah ! il a de la chance d’être un domestique, ce qu’il aurait reçu mes témoins !
Ça !
Ah ! Il a de la chance de n’être qu’un gamin !
Oui !… ça surtout.
Pourquoi, « surtout » ?
Tiens ! Parce que je voudrais pouvoir en dire autant.
Ah ! là !… (À Amélie.) Je pense bien que tu ne vas pas garder ce polisson une heure de plus.
Ah ! celui-là !… il ira passer la nuit sous les ponts, à l’hospitalité de nuit, c’est son affaire ! mais pas ici ! Le recueillera qui voudra !
Dis donc ! on pourrait peut-être le prendre chez nous ?
Ah ! non !… merci !
Le pauvre petit, on ne peut pourtant pas le laisser sur le pavé de Paris.
Non mais, hein ! tu le veux ?
Donne-lui ton lit tout de suite !
Oh ! non, voyons ! toi tu vas immédiatement à l’extrême.
Scène III
Eh ! ben, quoi donc ?
Ah ! Monsieur Pochet !
Papa, tu arrives bien !
Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que tu as encore fait à Adonis ?
Moi !
Je l’ai trouvé tout en larmes. Il paraît que tu l’as giflé devant tout le monde ?
Oh !
Oh ! bien, celle-là, par exemple !…
ENSEMBLE. |
ÉTIENNE.
Mais c’est lui qui a levé la main sur Amélie ! PALMYRE.
Ah ! bien, monsieur, si vous aviez été là, vous auriez vu ! VALCREUSE.
C’est un petit voyou, on devrait le faire arrêter ! BOAS.
C’est une honte ! c’est lui qui a frappé Amélie. |
Ah ! je vous en prie ! (Tout le monde se tait. — Un temps. — À Amélie, très catégorique.) Lui as-tu, oui z’ou non, octroyé une calotte la première ?
Il sifflait les liqueurs.
C’est pas ce que je te parle ! (Un temps.) L’as-tu calotté la première, oui z’ou non ?
Ah ! évidemment.
Sufficit ! en matière de duel, le règlement est péremptoire : c’est celui qu’il a reçu la première gifle qu’il est l’offensé ! le reste ne compte pas.
Oh ! permettez !…
Ah ! et puis ne répliquons pas ! (Un temps.) Je suis approximativement, que je me suppose, aussi déversé que vous sur les matières de l’honneur ! ancien brigadier de la paix, ex-prévôt de régiment, vous comprenez que vous n’allez pas m’en remontrer ! Eh ! bien, il a reçu la calotte, et, de plus, on l’a passé à tabac… c’est lui qu’il est l’offensé.
Non, mais dis tout de suite que j’ai eu tort.
Péremptoirement !
Oh !…
Sans compter qu’une femme ne bat pas un homme ! c’est antistatutaire !
Enfin, quoi ! Vous n’attendez pas qu’elle lui fasse des excuses ?
Et pourquoi pas ?
Oh ! mais enfin, voyons… !
Ah ! Circulez, mesdames, je vous en prie ! Messieurs, circulez !
Oh !
Il n’y a pas de duel possible, n’est-ce pas ? Eh ! bien, quand on a z’eu tort, y a pas d’honte à le reconnaître.
C’est trop fort !
Monsieur Étienne, je converse à ma fille ; veuillez donc avoir la chose de ne pas vous insérer dans nos discussions intestinales. Quand vous avez une scène avec Amélie, j’ai celui de ne pas y mettre mon mot, n’est-ce pas ? eh ! ben, veuillez avoir celui d’en faire autant.
Oh !
Allons, Amélie ! laisse-toi aller ! dis-z’y un mot ?
Moi, si j’étais toi… !
Ah ! je vous en prie, madame !
Mais non, j’ dis comme vous !
Ah ?… Ah ! Bon ! Allez-y, alors !
Va, dis-z’y un mot !
Là, écoute-la !
Ah ! non, non, tout de même !…
Ah ! tu ne vas pas faire ça !
Enfin, monsieur… !
Mais, sacristi ! j’ai le droit de donner mon avis !… Je suis quelqu’un ici !… c’est moi qui paie !
Eh ! bien, ça suffit ! Contentez-vous de ça.
C’est trop fort ! (À Bibichon qui, indifférent à la scène, fait toujours sa patience.) Enfin, voyons ?
Oh ! moi, tu sais… ! j’ suis d’ la classe !
Oh ! naturellement !
Alors ? c’est compris ?
Allons, soit, papa ! puisque tu me le demandes.
Ah ! non, non !… j’aime mieux m’en aller.
Eh ! bien, allez-vous-en ! (Gagnant la gauche tout en maugréant.) Ce manque de tactique ! (À Amélie.) Je t’envoie Adonis, hein ?… pas d’excuses, naturellement… non !… simplement… dis-z’y un mot.
Oui.
Dis-z’y un mot.
ENSEMBLE. |
PALMYRE.
Ah ! ben, tu as de la bonté de reste ! BOAS.
Ah ! bien, c’est pas moi qui ferais ça ! VALCREUSE.
Ah ! ben, tu es vraiment bonne fille ! PALMYRE.
Ah ! oui, alors ! AMÉLIE, tout en les dirigeant vers la baie de droite.
Oh ! ben, qu’est-ce que vous voulez ! C’est papa ! |
Elle a parfaitement raison !…
Au fond, tout ça n’a aucune espèce d’importance.
Un instant ! Je vous demande un instant. (Tout le monde sort. — Un temps. — Amélie est près du piano sur lequel elle met machinalement un peu d’ordre. On frappe à la porte du vestibule.) Entrez !
Scène IV
Ah !… c’est toi ?…
Madame m’a fait demander ?
Hein ? Oui !… (Petit temps.) Allons, viens ! (Adonis, à contre-cœur, fait un pas vers elle, l’air renfrogné et boudeur, l’œil obstinément fixé face au public, dans le vide.) Alors quoi !… on m’en veut ?… (Adonis ne répond que par une secousse d’épaule témoignant de sa mauvaise humeur : cela, sans regarder Amélie davantage. Celle-ci, s’asseyant sur la chaise qui est contre le piano.) Je t’ai fait mal, tout à l’heure ?…
Oh ! si ce n’était que ça !
Alors ?… (Silence d’Adonis.) Allons, voyons, boude pas ! (Silence d’Adonis.) Je t’ai fait de la peine ? (Avec élan, l’attirant à elle.) Allons, viens donc, grand dadais !
Oh ! tu m’as profondément humilié !
Grosse bête, va !… (Adonis la regarde, hésite, puis, pris d’un élan subit, se plonge dans le cou d’Amélie en sanglotant.) Mais tu sais bien que je t’aime bien !
Scène V
Oh !
Oh !
Laisse-moi ! laissez-moi !
Eh ! ben ?… quoi ?
Oh !
Eh ! ben, ça y est ?
Tenez, monsieur, soyez content ! je viens de trouver madame avec son domestique sur les genoux !…
Ah ? parfait !… la paix est faite alors ? C’est très bien !
Hein ?
Elle couche avec le valet de pied, parbleu !
elle couche avec le valet de pied !
ENSEMBLE. |
AMÉLIE, se dressant, indignée.
Qu’est-ce que tu dis ? ADONIS, bondissant en avant.
Qu’est-ce que vous dites ? |
Malheureux ! (D’un geste digne, il reboutonne sa redingote, fait à froid deux pas jusqu’à Étienne, puis théâtralement :) C’est son frère !
Hein !
Papa !
Ah ! Et puis, zut ! quoi ! c’est lâché. J’vois pas pourquoi je cacherais une chose qu’est Chic à Amélie !… (Une main sur l’épaule d’Amélie.) Quand il s’agit de sa famille — au moins elle ! — elle n’a pas les pieds nickelés !… comme tant d’autres ! Elle s’est dit : (Martelant chaque phrase en l’accompagnant d’une légère tape de la main sur l’épaule d’Amélie.) « J’ai un frère ; j’ai des devoirs ! » Et, elle l’a pris chez elle !… comme domestique !
Voyons, papa !
Si, si ! Je tiens à z’y leur dire ! (Aux autres.) Eh ben ! combien que vous en trouvez qui auraient fait ça ?
Ah ! oui, oui !… ça oui !… ah ! évidemment !
Mon pauvre petit, va ! De quoi on te supposait capable ! (Il l’embrasse. Après quoi, allant à Étienne.) J’espère qu’après ça, monsieur, vous ne refuserez pas d’obtempérer au retrait de vos allégations suppositoires…
Quoi ?
… et pornographiques !
Va !… donne-lui la main !
À lui ?
Quoi !… c’est ton beau-frère.
Oh !… de la main gauche.
Eh ! bien, donne-lui celle-là ! On n’est pas à un côté près !
Soit ! Allons ! (À Adonis, lui tendant la main.) Ça… ça va bien ?
Mais, pas mal ! Vous aussi ?
Pas mal, merci ! (À Amélie.) Là, es-tu contente ?
Adonis, on a sonné ! Embrasse ta sœur, mon Chéri ! (Adonis saute à son cou comme un gamin.) Et va ouvrir !
Oui !
C’est beau, la famille !
Qui est-ce qui peut venir à cette heure-ci ? Tu attends du monde ?
Non, personne.
Écoute ! si tu as du monde… !
Nous allons te laisser.
Ah ! non, ne me lâchez pas ! Vous allez m’attendre par là !… (Elle indique la baie.) Ce ne sera pas long ! (À Adonis qui revient.) Eh ! bien ?…
C’est une dame qui demande à te parler en particulier !
« À te parler en particulier » ! (À Amélie.) Non ! Écoute, choisis !… Si c’est ton domestique, qu’il ne te tutoie pas ! Si c’est ton frère, enlève-lui la livrée.
Oh ! ne rase pas ! (À Adonis.) Qui est cette dame ?
J’ sais pas !
Comment, « tu ne sais pas. »
Elle n’a pas voulu dire son nom !
Oh ! mauvais !… (À Adonis.) C’est une femme bien ?
Pffût ! (Avec dédain.) Ça a l’air d’une femme du monde.
Vous êtes gentil pour les femmes du monde.
Enfin, elle n’a pas le chic d’Amélie ! Elle est habillée sombre !
Monsieur aime le tape à l’œil.
Tu parles !
Hein !
Adonis !
Eh ! ben !
Oh ! pardon ! Ça m’est échappé !
Ça doit être quelque quêteuse. Les femmes du monde ne viennent jamais chez vous que dans ces cas-là. (À Adonis.) Fais-la entrer ; nous verrons bien.
Nous t’attendons par là.
C’est ça !
Allez ! viens, Gueuldeb !…
Ah ! Bibichon, la barbe !
Scène VI
Si madame veut entrer !
Entrez, madame !
C’est bien à madame Amélie d’Avranches que… ?
C’est moi, madame.
Ah ! madame ! la démarche que je tente près de vous est d’un ordre tellement délicat !… Aussi l’émotion… !
Remettez-vous, madame, je vous en prie !
Voilà ! Il s’agit de… (Vivement comme se reprenant.) d’une amie.
Ah !
Mais, pardonnez !… Je vous regarde !… il me semble… c’est curieux ! que vos traits ne me sont pas inconnus.
Mon Dieu, c’est possible, madame ! Je… je fréquente beaucoup.
Non, non ! mais… est-ce qu’avant d’être ce que… enfin, est-ce que vous avez été toujours… euh !…
Oh ! non, madame !… (Avec importance.) Fille d’un ancien fonctionnaire de la République…
Ah ! non ! non ! Alors non ! Excusez-moi, c’est une ressemblance.
Il n’y a pas de mal ! Et vous disiez alors que vous veniez… ?
Pour une amie, oui ! (Insistant.) une de mes bonnes amies !… Je me suis chargée… Ah ! l’amitié crée quelquefois de ces obligations ! Excusez-moi de ne pas vous dire le nom de la personne…
Oui, madame, oui.
Mais c’est une femme mariée, vous comprenez ! Et vis-à-vis d’un mari, n’est-ce pas ? on ne doit pas oublier qu’on a des devoirs.
Oh ! Serait-ce au sujet de son mari que… ?
Non, non ! c’est au sujet de son amant.
Ah ?… Ah ?
Ah ! Madame, si vous saviez !… Si vous saviez comme elle l’aime !
Votre amie ?
Hein ? mon… mon amie, oui ! C’est son premier amant, pensez donc !
Oh !… Pauvre femme !
Et vous ne vous figurez pas ce que c’est pour une femme mariée, « le premier amant » ! ce que ça représente de choses exquises ! d’hésitations ! de lutte ! de remords de conscience !
Oui, madame ! oui !
Ah ! la première faute ! (Brusquement et gentiment.) Mais, madame, vous devez avoir connu ça ?
Dame… oui !
Eh ! bien, rappelez-vous !
Oui !… moi, ce fut un Danois !
Un chien ?…
Quoi ?… Oh non ! un homme du Danemark.
Ah !… (Corrigeant) Un Danois.
C’est ce que j’ai dit…
Ah !… Ah ! oui ! Oui, en effet, un… un Danois.
Depuis, tant d’eau a passé sous le pont… !
Ah ! oui, mais pas pour elle ! pas pour mon amie ! Pour elle, c’est le premier, c’est l’unique !… Ah ! si elle devait le perdre, ah ! ce serait horrible !
Vous l’aimez donc bien ?
Oh ! follement !
Vous êtes charmante.
Hein ! (Toute confuse, se levant.) Oh ! Madame, madame ! Qu’est-ce que vous m’avez fait dire ! Non, non, c’est… c’est mon amie.
Vous Vous méfiez donc bien de moi ?
Oh ! Madame.
D’ailleurs, je ne vous connais pas, par conséquent… ! (Changeant de ton.) Et puis, la discrétion est notre devoir professionnel.
Ah ! et puis, tant pis ! il faut avoir le courage de ses actes ! Eh ! bien, oui, madame ! c’est moi !
Si vous croyez qu’il m’avait fallu tant de temps pour deviner !
Oh ! madame ! alors, dites-moi que ce n’est pas vrai, ce que j’ai appris. Oh ! ce serait si mal ! Vous qui pouvez en avoir tant que vous voulez ! Et moi, moi qui n’en ai qu’un, songez donc !… L’univers entier, tout le reste des hommes, je vous l’abandonne ! Mais pas lui ! Laissez-le-moi !
Mais quoi ! quoi ?
Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas, qu’il doit vous épouser ?
Hein ? Qui ?
Marcel Courbois ?
Marcel Courhois ! Moi ! Moi ! (Éclatant de rire.) Ah ! Ah ! Ah !
Eh ! bien, où allez-vous ?
Laissez ! (Appelant) Étienne ! Étienne !
Quoi ?
Viens ! Viens un peu !
Scène VII
Qu’est-ce qu’il y a ?
Voilà madame qui… ah ! ah ! ah !
Madame !
… qui vient tout affolée me demander…
… au nom de mon amie !
… d’une de ses bonnes amies…
Aha !
… s’il est vrai que j’épouse Marcel Courbois…
Marcel !
L’amant de mad… (Corrigeant vivement sur un geste d’Irène.) de l’amie de madame.
Marcel ! toi ! toi ! Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !… Ah ! que c’est drôle !
Hein !
Ah ! vraiment ? Oui ?… C’est… c’est si drôle que ça ?
Ah ! oui !… Oui !
Que je suis contente ! Vous ne sauriez croire combien je suis contente !
Vraiment ?
Je ne comprends pas ce qui vous fait rire ; mais je vois que vous riez et… et ça me fait du bien.
Ah ! madame ! que vous aimez donc bien madame votre amie.
Hein ! oui… non !… je…
Vous voyez, ça ne trompe personne.
Ah ! et puis, maintenant, j’en ai pris mon parti !
Marcel Courbois ! Mais qui a pu vous faire supposer ?
Eh ! bien, voilà : C’est ce matin. Comme c’était dimanche, j’étais allée à la messe de onze heures.
Ah ?
la passer chez lui.
Ah ! bon !
Dame ! Vous comprenez : étant mariée, on n’est pas libre comme on veut !… Alors, comme il s’habillait…
Se « rhabillait », sans doute, vous voulez dire.
Non !… Il n’était pas encore levé, quand je suis arrivée…
Ah ! ah !… Vous m’en direz tant.
Alors, histoire de passer le temps, j’ai fouillé un peu dans ses papiers.
Ben… naturellement !
et j’ai trouvé une lettre !… Ah ! cette lettre ! ou plutôt le brouillon d’une lettre que Marcel avait écrite à son parrain et dans laquelle il lui annonçait son prochain mariage avec mademoiselle Amélie d’Avranches.
Moi ! Crois-tu ?
C’est insensé ! Qu’est-ce que ça veut dire ?
Ça !
Vous n’avez pas demandé à Marcel ?
Oh ! non, non ! J’aurais eu trop honte !… Songez donc, si la chose avait été vraie !… Et puis, étant donné la façon dont j’avais surpris la chose !
Vous avez préféré vous adresser à moi.
Oui !
Tout ça est incompréhensible ! (Au-dessus d’Irène, gagnant la gauche tout en parlant.) Ecoutez, madame, je ne suis pas en mesure de vous donner la clef de ce rébus. Quand je verrai Marcel, je lui demanderai. En tout cas, tranquillisez-vous ! Je vois que vous vous intéressez à Marcel…
Si je m’y intéresse !…
Oui !… Vous me diriez le contraire que je ne vous croirais pas ! Eh ! bien, je vous garantis que vos appréhensions sont sans objet. Je connais Marcel à fond ; c’est mon meilleur ami…
Ah !
Je suis son confident, comme il est le mien. Et le seul fait qu’Amélie est mon amie, suffit pour que…
Vous êtes son confident !
Toutes ses pensées, il me les confie.
Mais alors… vous me connaissez…
Moi ?… Mais… non, madame !
Ah ?… Oh ! Il ne m’aime donc pas alors ?
Pourquoi donc ?
Mais qu’il n’a pas éprouvé le besoin… !
Mais ce n’est pas ça, madame ! mais son devoir de galant homme…
Justement ! Quand on aime vraiment, il y a au-dessus du devoir de galant homme, le besoin d’avoir un confident pour parler de l’être qu’on aime. Mais moi, monsieur ! moi, madame ! j’ai une amie qui a un caractère odieux !… Je ne l’ai que pour parler de lui !… Celui qui peut rester confiné dans son devoir de galant homme, n’aime pas sérieusement !
Comme c’est vrai !
Allons, madame, je vois que j’ai tort de le faire à la discrétion ! Eh ! bien, oui, je vous connais !… Je vous connais, (Avec intention.) madame la comtesse !
« Madame la comtesse » ! Il vous a mis au courant ! (Tout en gagnant vers le canapé.) Ah ! c’est bien ! C’est bien, ça ! C’est bien !
« Madame la comtesse » ? (Brusquement, tout en gagnant vers Irène.) Mais oui, j’y suis ! J’écoutais votre voix depuis un instant… Je me disais : « Je connais ce timbre ! » Mais voilà ! « Madame la comtesse », ça m’éclaire !… Ne seriez-vous pas madame la comtesse de Prémilly ?
Hein ! Vous me connaissez !
Mais vous-même, madame, tout à l’heure, ne me reconnaissiez-vous pas ?
Ah ! mais alors, c’était bien ça ! Je ne me trompais pas : Amélie !
Pochet !
Mon ancienne femme de chambre.
Elle-même.
Oh ! ma pauvre enfant !
Tu as été femme de chambre, toi !
Ah ! zut ! Je ne pensais plus que t’étais là !
(À Irène, en se mettant la main sur la bouche.) Oh ! pardon,
madame !
Quoi ?
J’ai dit : « Zut ! »
Oh !… (La considérant à travers son face-à-main.) Comment, c’est vous !… Oh ! il me semblait bien ! seulement j’hésitais, n’est-ce pas ?… Ce changement de situation !… Ce cadre tout autre !… Sans compter les cheveux, qui étaient d’une autre couleur.
Oui ! ils ont éclairci ; je ne sais pas pourquoi ?
Moi, non plus !… Et puis enfin, « Amélie d’Avranches », Vous que j’avais quittée « Pochet » tout court !
« Pochet », c’était pas un nom pour la galanterie… (Faisant la petite bouche.) Et puis, pour mon père ! (Debout, à demi penchée près d’Irène, les coudes serrés au corps et une main dans l’autre.) Et… et madame va bien, oui ?… Et monsieur ? Oui ?
Monsieur va bien, merci, Amélie… Il a été un peu souffrant, le pauvre homme.
Oh ! ce pauvre monsieur.
Mais ça va, maintenant.
Oh ! tant mieux ! tant mieux !
Mais asseyez-vous donc !
Oh ! devant madame !…
Mais voyons !…
C’est trop d’honneur !… (Ne sachant que dire dans son trouble.) Ah ! ben… si je m’attendais jamais !
N’est-ce pas ?… Et je vous avoue que je me félicite dans cette circonstance ! pénétrant dans un monde que je ne connais pas… m’y trouver comme ça en monde de connaissance !…
Ah ! oui ?
Alors vous êtes devenue…
Cocotte, oui, madame.
Oh !… mais comment avez-vous pu tomber à…
L’ambition !… J’avais ça dans la tête… Je n’étais pas faite pour le métier de femme de chambre.
C’est dommage ! Vous aviez un bon service.
Elle l’a toujours.
Étienne !
Pardon !
Mais c’est vrai : vous étiez coquette. Vous adoriez les rubans, les colifichets.
Oui.
Vous aimiez à vous parfumer.
Oui.
Avec mes parfums !
Avec mes gages, je ne pouvais m’offrir que ceux de madame.
Il vous arrivait de m’emprunter mes robes sans me le dire.
Oh ! mais je les remettais.
puis :
Moi aussi. Enfin, vous ne pensiez qu’à votre coiffure ; vous vouliez être ondulée, comme les dames.
(La tançant du doigt.) C’est même ça qui vous a fait renvoyer.
Oui ! le jour où j’avais pris les gousses de vanille pour m’en faire des bigoudis !
Non ?
Si !
Les gousses de vanille ! tu vois ça !
Avouez que ça dépassait les bornes !…
Ça dépassait, madame ! Ça dépassait.
Ah ! tout de même, malgré tous ces défauts je vous ai souvent regrettée.
Madame est bien bonne !
Quand on voit la peine qu’on a à trouver une bonne femme de chambre aujourd’hui !
Ah ! ne m’en parlez pas, madame ! quelle engeance ! Il n’y a plus moyen d’être servie !
Oh ! du monde pour vous !
Pour moi ?…
Chut !… c’est nous !
Oh ! pardon ! (À Irène.) Madame permet ?
Faites donc ! faites donc !
À Irène.
Pardon, madame !
Eh ! bien, quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?
Tout ceci très rapidement dans un chuchotement général. |
PALMYRE, à voix basse.
Ne te dérange pas, nous partons. BOAS, même jeu.
Oui, au revoir. VALCREUSE, même jeu.
Au revoir ! ÉTIENNE, même jeu.
Vous vous en allez ? BIBICHON, même jeu.
On file à l’anglaise. AMÉLIE, allant à eux.
Bon. Alors, au revoir. ÉTIENNE.
Je vous dis : à dans vingt-huit jours, puisque je pars ce soir pour Rouen. |
À dans vingt-huit jours !
À dans vingt-huit jours !
C’est ça, c’est ça !… Au revoir ! Excusez-moi de ne pas vous reconduire… Papa, veux-tu ?
Entendu ! Entendu !
Ah ! et… et bien des choses à Caroline !
Je n’y manquerai pas !
Au revoir, au revoir…
C’est… c’est sa sœur, Caroline !
Ah ?
La sœur de la blonde.
Oui, oui. (À ce moment on voit, à travers la glace sans tain, traverser tous les personnages qui viennent de sortir de scène. Ils font, en passant, des signes de la main à Amélie. Irène, qui, plus bas en scène qu’Amélie et tournée vers cette dernière, a par conséquent son regard dans la direction de la glace sans tain, apercevant le jeu de scène et se détournant vers le public.) Tenez ! vous disent adieu.
Ah ! oui, Oh !… (Leur répondant de la main, — très par dessous jambe.) Oui ! Au revoir ! au revoir !
Au revoir ! au revoir !
Ah ! je ne saurais dire à madame combien je suis heureuse !… Je suis si dévouée à madame !
Oui ?
Pourquoi est-ce toujours quand ils ne sont plus à votre service que les domestiques commencent à vous être dévoués !
Oh ! comme c’est gentil ce que tu dis là !
Oh ! Il y a un peu de vrai ! (À Étienne.) Mais, si je ne me trompe, monsieur, vous devez être…
Mon ami.
Oui, ça… ! (À Étienne, tandis qu’Amélie redescend (3)) Non, mais… — le confident et le meilleur ami de Marcel… — Vous êtes monsieur Étienne de Milledieu.
Aha ! je vois qu’il vous a parlé de moi.
Et pas en mal, je vous assure !… (Lorgnant Étienne avec son face-à-main.) Seulement, il ne m’avait pas dit… (Considérant son uniforme.) Ah ! vous avez embrassé là une belle carrière !
Oh !…
Vous êtes quoi ?…
Remisier !… à la Bourse.
Ah ? Ah ?… Je ne savais pas qu’on eût un uniforme.
Ah !… ah ! oui… Il n’y en a pas encore, en effet. Ça, c’est pour mes vingt-huit jours.
Ah ! bon ! dites-moi ça !…
Scène VIII
Voilà !… la bande est expédiée… (S’arrêtant interdit à la vue d’Irène.) Oh ! pardon !
Va, reste ! (Présentant de sa place.) Papa.
Madame !
Ah ! parfaitement ! Je remets très bien.
Tu ne reconnais pas madame ? (Geste vague de Pochet.) Madame de Prémilly !
Oh ! par exemple ! Mais je crois bien !
Vous veniez souvent chez moi voir votre fille… Vous rappelez-vous ? Vous étiez alors gardien de la paix.
Oui, euh… enfin, brigadier !… Si je me rappelle ! Ah ! ben, je crois bien ! Ah ! ben !… Ah ! ben !… Et… ça va bien ?
Merci ! très bien.
Eh bien, j’espère que madame a vieilli ! À la bonne heure !
Hein ?
Papa !
Eh bien, vous en avez de bonnes !
Hein ?… Ah ! non ! non ! Madame comprend comme je l’entends ! Je ne veux pas dire pour ça que madame est devenue vieille. Ah ! bien ! qu’est-ce que je dirais, alors, moi ! (arrivé no 4) Seulement, en ce temps-là, madame avait l’air d’une gosse, positivement ! On avait envie de la prendre sur les genoux ! Maintenant, madame est une femme.
Oh ! bon, tu fais bien de t’expliquer.
Oui.
Oh ! il n’y a pas de mal, allez !… Il faut bien s’attendre à vieillir comme les autres ; et je n’y mets pas de coquetterie. (À Amélie.) Mais, si je me souviens, vous aviez un petit frère ?
Je l’ai toujours.
Nous l’avons toujours.
Il doit être grand, maintenant ! Qu’est-ce que vous en avez fait ?
Je l’ai chez moi.
Est-ce qu’il est resté aussi joli ? Il était ravissant comme enfant.
Eh ! pas mal.
C’est moi… en mignon !
Si madame veut le voir… ?
Avec plaisir.
Ce n’est pas difficile. (Redescendant.) Nous verrons s’il reconnaîtra madame.
Madame a sonné ?
Oui, viens ! (Adonis descend à gauche du canapé.) et dis bonjour à madame.
Bonjour, madame !
Hein ! Quoi ? C’est lui ? Mais… c’est lui qui m’a ouvert tout à l’heure !
Ah ! bien, oui, au fait ! (À Adonis.) Tu ne re connais pas madame !
Non.
C’est madame ! Madame chez qui tu allais quelquefois quand tu étais petit.
Vous ne vous rappelez pas ? La dame qui vous a donné une montre en argent !…
Ah ! oui ! Même que je l’ai échangée avec un camarade de la mutuelle… contre une seringue.
En voilà une idée !
Pourquoi une seringue ?
Tiens ! Parce que, avec une seringue, je pouvais seringuer les gens, tandis qu’avec une montre… !
Mais c’est idiot !
Oh ! je l’ai regrettée depuis ! parce que, pour savoir l’heure, une seringue… !
Alors, vous me reconnaissez ?
Pas du tout !
Eh ! ben, c’est madame.
Ah !
Madame le trouve changé ?
Dame ! C’est aujourd’hui un homme et j’avais laissé un enfant.
Comment qué s’appelle ?
Madame de Prémilly !
Ah ! oui ! Celle qui a fichu Amélie à la porte à cause des bigoudis !
Chut ! voyons !
Qu’est-ce qu’il dit comme ça tout bas ?
Il est en train de remettre madame.
À la bonne heure !
C’est gentil, ce petit tableau de famille !
Ah ! on a sonné.
Où vas-tu ?
Eh ! bien, je vais ouvrir donc !
Ah ! bon, va ! (Remontant vivement et à Adonis déjà sorti.) Eh ! Dans le petit salon ! Fais entrer dans le petit salon !
Eh ! bien, moi, ma bonne Amélie, je vous laisse.
Madame s’en va ?
Bien, oui… Vous avez du monde, n’est-ce pas… ?
C’est M. Courbois !
Marcel !…
Bonjour les enfants ! (Se trouvant nez à nez avec Irène.) Ah !
Mon ami, je…
Hein ! toi !… Vous !… Vous ici ! (Bien bêtement sur le même ton pour donner le change.)… Madame !
Oh ! que ce « madame » est donc bien dit !
Mais qu’est-ce que vous faites là ? Votre place n’est pas ici !
Ah bien, dis donc… !
Mais absolument !
Mon ami, je vous expliquerai…
Oui, mais d’abord à toi ! à toi de nous expliquer… ! Qu’est-ce que c’est que ces histoires de mariage ? Tu épouses Amélie, maintenant ?…
Hein ?
Il épouse Amélie ? Vous épousez Amélie ?
Mais non ! mais non ! Quoi ? Comment ? Qui est-ce qui vous a dit ?
Pardonnez-moi ! c’est moi, mon ami…
Comment ?
Par une lettre que j’ai lue…
Vous !
Oui, par erreur !… par erreur !…
Comment ! tu (Se reprenant.) Vous fouillez ma correspondance ?
Oh ! Va donc ! Si c’est pour nous, ne change pas tes habitudes ! Tu peux dire tu à Madame !
Et alors !… et alors, tu as douté de moi !
Ah ! bien, on douterait à moins.
Enfin, pourquoi ? pourquoi ce mariage ?
Eh ! « pourquoi » ! Parce que, si vous voulez le savoir, j’ai des emm…bêtements pardessus la tête, et que ce mariage est pour moi le seul moyen d’en sortir.
Hein ! Mais alors… tu l’épouses ?
Oui ?
Mais non ! (Établissant bien la distinction.) Je fais semblant de l’épouser.
Semblant ?
Pourquoi ?
Eh ! parce que j’en ai assez de la mouise où je me débats depuis un an !
La « mouise » ?
Oui, c’est-à-dire la purée.
La purée ?
La débine.
La débine ?
La crotte.
La cr… Oh !
Je n’ai plus le sou, quoi ! Je n’ai plus le sou, voilà !…
Oh ! mon pauvre chéri ! c’est vrai ?… Oh ! si je pouvais… !
Tais-toi !… Tu pourrais que moi je ne pourrais pas !
Oh ! le préjugé !…
à Amélie.
N’est-ce pas ?
Alors, ma foi, je me suis dit : « À la fin, c’est trop bête ! Quand on a à soi douze cent mille francs… ! »
Mais c’est vrai, au fait : tu as douze cent mille francs !…
Tu as douze cent mille francs ?
Douze cent mille francs !
Vous avez douze cent mille francs !
J’ai douze cent mille francs.
Oh ! mais asseyez-vous donc !
Pas la peine ! il ne peut pas y toucher.
Ah ?… alors !…
Mais oui ! c’est ce qui m’enrage ! C’est encore une de ces idées à mon pauvre père ! Ah ! je l’aimais bien ! Mais ce qu’il pouvait Voir de travers ! Ne s’imaginait-il pas qu’un jeune homme ne pouvait être à même de diriger sa fortune, sans se la faire manger par des cocottes !
Oh ! que c’est coco !
Mon pauvre Adonis ! Ah ! ça n’est pas moi qui… !
Non ! ça… ! et pour cause !
Alors, conséquence : Il m’a laissé juste de quoi ne pas crever de faim : six mille livres de rentes ! la purée, quoi !
Et comment !
Eh ! mais… ! je n’avais pas ça à la préfecture !
Et quant aux douze cent mille balles, il les avait remis en fidéicommis…
En quoi ?
En fidéicommis.
Oui, ça veut dire : remis à la bonne foi. C’est un capital que l’on confie de la main à la main à un tiers, avec mission de le remettre à une personne à qui il est destiné.
Ah ! oui ! C’est comme qui dirait Bibichon, quand je lui remets un louis pour qu’il me prenne un cheval au book ou au pari mutuel.
Tu y es ! Ça n’a aucun rapport, mais c’est tout à fait ça.
En fidéicommis à mon parrain, à charge par lui de me les verser le jour où je me marierais.
Ah ! mais alors, je comprends ! Ce mariage… !
L’expédient du désespoir ; ça réussira ou ça ne réussira pas ; je risque le paquet.
C’est ça ! et tu as annoncé à ton parrain que tu épousais Amélie !
Comme tu dis.
Elle est bonne ! Elle est bien bonne !
Mademoiselle Amélie d’Avranches, jeune fille d’une excellente famille !
Eh ! bien, mais… !
Ancien brigadier de la paix !
Et j’ai joint à l’envoi, la photographie de la jeune personne annoncée à l’intérieur.
C’est ça ! Je te ferai encore cadeau de ma photographie.
Ah ! Qu’est-ce que tu veux ? Quand on craque (prononcer chaque fois « quan-hon » ), c’est pas comme quand on craque pas. Il faut donner des choses probantes. Je n’avais que toi sous la main ; je t’ai envoyée.
T’es bien gentil ! (Avec des balancements de pavane, gagnant l’extrême-gauche no 1.) Voilà ! Je me balade en Hollande, moi !
Comme un fromage !
Eh bien, mon vieux, tout ça me parait bien combiné ; ça va tout seul.
Eh ! bien, non ; justement, ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout ! et c’est pour ça que je suis là.
Quoi ?
Mon parrain n’a pas voulu se contenter de la lettre ; il a tenu à s’assurer par lui-même, et il est venu.
Non !
Il a débarqué chez moi, il y a une heure, et il m’a dit : « C’est moi, filseke » !… — Parce qu’il est d’Anvers ! — « C’est moi, filseke » !… — Il habite la Hollande, mais il est d’Anvers. — « C’est moi, filseke ! Que je te faïe la surprise ! »
Oh ! la charmante surprise !
Tu parles ! (Reprenant) « Il faut que tu me présentes une fois à la jeune fille, donc ! »
Ah !… Et c’est moi la jeune fille.
C’est toi la jeune fille.
Eh ! bien, quoi ? Elle n’est pas mariée, que je suppose ?
Non ! Pour ce qui est de ça, non !
Tu penses que je ne me le suis pas fait dire deux fois ; j’ai pris mes cliques et mes claques pour vite aller vous prévenir… et me voilà !
Et alors ?
Eh ! ben, alors, quoi, mes enfants ! y a pas !… Il ne s’agit plus de blaguer ! Nous jouons le tout pour le tout. Le parrain veut voir la fiancée ; il faut que je lui présente la fiancée.
Amélie ? Ah !… Ah ! non, tu sais, non ! Ah !
Oh ! voyons. Étienne !… Étienne, tu ne vas pas… ! (Allant à Amélie.) Amélie, voyons, dis ! tu ne vas pas me laisser en plan, hein ?
Comment, il va falloir… ! Oh !
Douze cent mille francs ! tu ne me feras pas manquer ça ?
Amélie, ma fille ! vous ne pouvez pas lui faire manquer ça.
Tout de même, voyons… !
Non ! Tu ne peux pas ! tu ne peux pas !
Douze cent mille francs, songe donc ! Tu penses que je te ferai un beau cadeau !
Eh ! ton cadeau ! ton cadeau ! Je n’en veux pas, de ton cadeau !
Mais Si !… Mais Si !… (Comme pour corriger ce que ce cri du cœur peut avoir d’intéressé.) Il ne faut pas dire ça !… c’est désobligeant !
Oui, enfin !… Avant tout, il y a toi !… Et puis Madame… ! à qui je suis profondément dévouée.
À toi ! Tiens !…
Oui, c’est un secret entre nous.
Allons, ma petite Amélie, hein ?
Soit, quoi ! Je ferai de mon mieux !
Ah ! merci, Amélie.
Merci, ma bonne Amélie !
Merci, toi !
« Merci, merci » ! Bien oui, mais… et le mariage ?… Il verra bien qu’il n’y a pas de mariage.
Ah ! oui.
Tais-toi ! ç’a été ma première crainte ! Dieu merci ! tout va bien. Il part pour deux mois en Amérique ; tu penses si je me suis dépêché de fixer la date de mon prétendu mariage dans le courant de cette période. Alors, il m’a dit : « Écoute, filseke !… » — parce qu’il est d’Anvers ! — « Écoute, filseke… » — Il habite la Hollande…
Mais il est d’Anvers.
Ah ! vous savez ?…
Oui, oui, nous savons !
« Écoute, filscke ! je suïé en peine, hein ? je ne saurai pas être là pour la cérémonie ! mais. si ça t’est quifquif, aussitôt marié, je te ferai parvenir le montant de ta fortune. » Comment, si ça m’est quifquif ! Tu parles !
Allons ! Parfait ! tout va comme sur des roulettes.
Monsieur mon fiancé, voici ma main.
Ah !… mademoiselle !
Mon gendre dans mes bras !
Beau-père ! vous me comblez !
Et quand doit-il venir, ton parrain ?
Mais je ne sais pas ! aujourd’hui !… tout à l’heure !… tout de suite !… (Sonnerie) Le voilà !
Oh ! là, là, je m’esquive, alors, moi !
Alors cette fois tout de bon, madame part ?
Mais oui, ma fille ! Je n’ai que faire dans cette entrevue de famille !
Eh ! bien ?… C’est mon parrain ?
Le général Koschnadieff !
Quoi ?
Ah ?… c’est pas lui !
Qu’est-ce que c’est que ça, Koschnadieff ?
J’sais pas !
Qu’est-ce qu’il veut ?
J’sais pas !
Eh ! bien, va lui demander !
Oui !
Allons, ma bonne Amélie… !
Ah ! madame, je ne saurais dire combien j’ai été heureuse…
Vous êtes une brave fille.
Si jamais madame a besoin de moi… ou de mon père…
Oh ! tout dévoué !
Merci, ma bonne ! Merci, Pochet !
Eh ! bien, voilà : il dit que c’est pour une entrevue diplomatique !
Quoi, « diplomatique » ?
Oh ! ben quoi !… Reçois-le ! tu verras bien.
Fais-le entrer… Je suis à lui tout de suite.
Pendant ce temps-là, je vais me remettre en bourgeois !… Tu viens, Marcel ?
Tu parles !… (À lrène.) Alors, au revoir, ma petite Irène !… tu rentres tout de suite, hein ? Au revoir !
Au revoir, Marcel ! Au revoir, Amélie !
Oh ! mais, nous reconduisons madame.
Ah ! bien, comme de juste !
Monsieur !
Madame, très heureux ! (À Marcel.) Viens, toi !
Tenez par ici, madame.
Scène IX
Si monsieur veut entrer ?
Ah !… Très bien ! (Jetant un rapide regard circulaire.) Mais quoi ?…
Monsieur ?
La maîtresse de céans donc !
Elle va venir, monsieur, je l’ai prévenue.
Ah ! très bien ! (Adonis remonte.) Ah !… dites moi !… valet !
Monsieur ?
Quelle femme ?… des amants ? beaucoup ? un ? combien ?
Qui ?
La maîtresse de céans ?
Mais, monsieur, je ne sais pas !… que monsieur lui demande lui-même.
Ah ?… Oh ! stupide ! allez !
C’t une casserole !
Hep !… Valet !
Monsieur ?
Prenez ce louis.
Ah ! Merci, monsieur !
Hep ! (Adonis redescend.) Et faites-moi la monnaie, je vous prie !
Ah ?…
Oui !
V’là tout ?
V’là tout.
Cosaque, va ! (Apercevant à travers la glace Amélie qui revient du vestibule.) Ah ! voilà madame !
Scène X
Monsieur ?
Général Koschnadieff ! (Amélie lui indique le canapé pour l’inviter à s’asseoir près d’elle ; du geste il décline respectueusement cet honneur et, allant jusqu’au piano sur lequel il dépose son chapeau, il prend la chaise qu’il descend près du canapé. Se présentant à nouveau.) Général Koschnadieff, premier aide de camp de Son Altesse Royale le prince Nicolas de Palestrie.
Oh ! Général, très honorée, mais… ?
C’est Son Altesse qui m’envoie vers vous.
Son Altesse ?
Le prince est donc très amoureux de vous.
De moi ?… comment ? mais Son Altesse ne me connaît pas.
Je vous demande pardon ! Vous étiez bien une fois au gala du Français, lors de la dernière visite officielle du prince à Paris ?… aux fauteuils de l’orchestre ?
En effet, mais…
Eh ! bien, le prince vous a remarquée.
Moi ! non vraiment ? oh !
Certes !… Il a même demandé au Président de la République qui vous étiez !
Non ?
Mais le Président n’a pas pu le renseigner.
Ah ?
Non !
Tiens !
Alors, nous avons délégué un attaché de l’ambassade, qui s’est mis en rapport avec la police, laquelle, le lendemain, nous a fait parvenir une fiche.
Une… une fiche !
Une fiche. C’est comme cela que le prince a eu la joie d’apprendre qui vous étiez.
Ah ! c’est… c’est d’un galant !
Oh ! Son Altesse est très éprise ! Elle a le pépin… comme vous dites ! (Rapprochant sa chaise d’Amélie, et confidentiellement, presque dans l’oreille.) Je crois que si elle est revenue incognito, c’est beaucoup pour vous.
À ce point !
À ce ! Son Altesse est arrivée ce matin… En ce moment, elle fait la visite au Président, qui la lui rendra un quart d’heure après ; après quoi, elle sera débarrassée !
Oui, le fait est que ces petites cérémonies… !
Qu’est-ce que vous voulez ? c’est le protocole ! (Revenant à ses moutons.) Si je vous disais que la première chose que le prince m’a dite en s’installant à l’hôtel — sur l’honneur ! — c’est une parole d’amour pour vous.
Le prince est donc sentimental ?
Très !… (Comme à l’appui de son dire.) Il m’a dit : « Koschnadieff, mon bon ! Cours chez elle et arrange-moi ça, hein ? Sur toi je compte ! »
Ah ?… Ah ? comme ça ?
Positivement.
Eh ! ben, mon colon !
Oh ! il est très amoureux ! (Changeant de ton.) Et alors, voilà, je fais la démarche.
Ah ?… Ah ! Alors c’est vous qui…
Quoi ?… on dirait que je vous étonne ?…
Du tout, du tout ; seulement, n’est-ce pas… ?
Oui, je comprends ! c’est un peu délicat !… Vous n’êtes peut-être pas habituée à ce genre de démarche !
Oh ! c’est pas ça !… Vous pensez bien, n’est ce pas ? que tous les jours… Seulement, tout de même, ordinairement, c’est pas un général.
Vraiment ?… Tiens, tiens, tiens !
Non.
Comme c’est curieux !
Ah ?
En Palestrie, c’est moi que j’ai l’honneur d’être chargé !… (Comme raison de cette charge :) Je suis l’aide de camp de Son Altesse !
Évidemment ! évidemment !
Alors !… dites-moi quoi ? voyons !… quand ?
Quoi, quand ?
Quelle nuit voulez-vous ?
Hein ? Ah ! non, vous savez ? vous avez une façon de vous coller ça dans l’estomac !… Mais je ne suis pas libre, général ! J’ai un ami !
Aha !… et alors ?… qu’est-ce qu’il veut ?… une décoration, peut-être ? commandeur de notre ordre, est-ce ça ?
Mais non, monsieur, mais non ! Je suis fidèle à mon amant.
Bon !… Alors, grand officier ?… avec plaque ?… ça fera peut-être l’affaire ?
Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit !
Alors, donc, quoi ? C’est un refus ?… vous éconduisez Son Altesse ?
Je ne dis pas ça.
Qu’est-ce qui vous arrête ?
Ah ! ben, tiens… !
Songez qu’il s’agit d’une Altesse Royale !… et, tromper son amant avec une Altesse Royale, ce n’est donc déjà positivement plus le tromper.
Oui, évidemment, ça… ! (Se retournant vers le général.) Surtout qu’on n’est pas obligé de lui raconter.
Eh ! par Dieu le Père, non !
Justement, mon amant qui part faire ses vingt-huit jours à Rouen !
Là ! vous voyez, comme le Seigneur fait les choses !
Et une Altesse Royale !
Le prince est très généreux !
Oh ! mon amant me donne tout ce dont j’ai besoin !
Je ne doute ! (Plus lentement.) mais à côté de tout qu’est ce qu’on a besoin…
Il y a tout ce qu’est-ce qu’on n’a pas besoin !
Qui est énorme !
Énorme !
Oui !… Eh bien ! donc, alors, quoi ?
Eh bien ! alors… je ne sais pas !…
Très bien !
Oh !
Nous sommes d’accord. (Il fait mine de remonter chercher son chapeau, puis redescend.) Ah ! Je n’ai plus qu’une chose à vous dire : Son Altesse a l’habitude, après chaque visite, de donner dix mille francs.
Dix… dix mille francs !
Dix mille !
Ffuie !
C’est donc une somme de neuf mille francs que j’aurai à vous remettre !
De… de neuf ?
De neuf.
Ah ! parce que vous…
Quoi ?
Non… non ! rien ! ça va bien ! de neuf ! de neuf ! de neuf !
Nous sommes d’accord !
Eh ben ! mon lapin !
Scène XI
Je vous demande pardon !… Voilà la monnaie de vingt francs qu’on a demandée à Adonis.
Oui ça ?
Ah ! oui ! C’est moi !… pardon !
Voici ! une, deux, trois, et cinq pièces de vingt sous qui font vingt.
Je vous rends grâces. (Lui donnant la pièce.) Gardez !
Merci.
Mon père !… Le général… euh !… je vous demande pardon ?
Koschnadieff !
C’est ça, Kosch… Enfin, comme monsieur dit ! premier aide de camp du prince de Palestrie.
Fffuie !… Mazette !
Très heureux !… positivement !… (Il accompagne cette déclaration d’un geste auquel se méprend Pochet ; croyant que le général lui tend la main, il va pour la lui serrer, mais le geste de Koschnadieff s’est continué dans la direction d’Amélie pour la phrase suivante qui achève sa pensée ; Pochet reste en plan avec sa main tendue, jette sur elle un regard déconfit, fait « hum ! » et refourre sa main philosophiquement dans sa poche. Ce jeu de scène dure l’espace d’une seconde.) Vous avez une fille, en vérité !… Si cela peut vous être agréable d’être commandeur de l’ordre de Palestrie !…
Hein ! moi !… Oh !… Oh ! mais certainement… croyez hien que… oh !… Seulement, à quel titre ?
Services exceptionnels : Son Altesse a le béguin pour madame votre fille.
Aha !
Alors, mon maître m’a chargé de la démarche pour !… si vous n’y voyez pas d’inconvénients… ?
Pardon !.. pardon !… Est-ce pour un mariage ?
Mon Dieu ! pas positivement !
Oh ! alors, je vous prie !… pas à moi !… pas à moi !
Ah ?
Ma dignité de père… !
Bon ! Bon ! Très bien !… (Indiquant Amélie.) Alors, c’est entre nous deux ! (À Amélie.) Madame ! j’aurai donc l’honneur d’accompagner tout à l’heure Son Altesse…
Hein ?
qui viendra vous présenter ses hommages, aussitôt qu’elle en aura fini avec l’Elysée.
Le prince ! le prince ici ?
Positivement !
Oh !… Asseyez-vous donc !
Merci !
Non ! Je parle au prince ! Oh ! Est-il possible ! Quoi ! Il nous ferait l’honneur !… Mon Dieu, mon Dieu !… Et rien pour pavoiser !… pas de drapeaux ! rien.
Oh ! non, je vous prie ! pas de chichis ! le prince désire l’incognito.
Ah ? ah ?… je regrette !… Ça aurait fait bien pour les voisins !
Scène XII
et VAN PUTZEBOUM.
Amélie ! (S’excusant auprès du général dans lequel il a été presque donner.) Oh ! pardon, monsieur !
Je vous prie !
Le voilà ! le voilà ! je viens de l’apercevoir à travers la fenêtre !
Qui ?
Mon parrain ! Van Putzeboum !
Quoi ?
Bien oui !… c’est de naissance.
Putzeboum.
Van ! Van ! (Sonnerie) Là ! voilà, c’est lui !
Eh ! bien, mon grand, quoi ? va le recevoir.
C’est ça ! C’est ça ! (À Koschnadieff.) Monsieur, encore pardon !
Oh ! mais alors bien donc, madame ! je vous présente mes devoirs.
Au revoir, général, et très reconnaissante.
Oh ! je vous prie !… (À Pochet qui est remonté (3) à la suite du général.) Monsieur le père…
Général ! (Ne perdant pas le nord.) Et alors, n’est ce pas ? pour la petite croix de commandeur…
Entendu ! Entendu !
Et quand je dis « petite. », vous savez, même au besoin une grande… !
Par ici, parrain !
Eh ! te voilà, filske !… Eh bien ! me voilà, moi ! À la bonne heure ! on sent ici que tu deviens un homme sérieux… dans ce foyer familial, n’est-ce pas ?
Mais oui, mon parrain !
Ah !
Mon parrain, je vous présente…
Attends !… attends, fils, que je devine !… (Le regard dans les yeux d’Amélie, l’index en avant et sur un son inspiré.) Mademoiselle Amélie d’Avranches… ça est vous !
C’est moi !
Ah !… J’aïe deviné !
Qu’il est fort !
M. Marcel nous avait annoncé votre venue, monsieur, et nous vous attendions avec impatience !
Tenez ! Tenez !
N’est-ce pas ?
Ah !… Comme l’avenue de Messine !
Ah ! bien ça, ça est gentil, savez-vous !… Gotferdeck, petit, je te félicite ! Ça est un beau brin tout de même !
Oh ! monsieur.
Oui, oui ! je dis comme ça est !
N’est-ce pas ?
Eh ! sûr donc ! (Se tournant vers Pochet.) N’est-ce pas, monsieur ?
Ben… c’est ma fille.
Ouyouyouye ! oui ? Eh bien ! je te complimente !… Vous savez faire, savez-vous.
On s’est mis deux, je vous dirais !
Ouie, ça je pense !… On s’est mis deux ! (Se tournant inconsidérément vers Amélie.) On s’est mis d… (S’arrêtant, interdit, et bas à Pochet.) Oh ! oh ! devant elle… Gotferdom !
Oh ! oui, oui ! c’est juste !
Monsieur d’Avranches, n’est-ce pas ?
Hein ? Pochet !
Amélie et Marcel lui font vivement des signes d’intelligence dans le dos de Van Putzeboum.
Hum !
Euh ! Pochet… d’Avranches ! Pochet, d’Avranches, oui, oui !
Très heureux, monsieur. (Lui tendant la main.) Votre main donc ? (Après avoir serré la main de Pochet, se tournant vers Amélie.) Mademoiselle ! ça est un viel habitant de la Hollande qu’il a fait tout exprès le voyage pour vous apporteï tous seï vœux de bônheur.
Ah ! mon… mon parrain !
Ouie, c’est ça !… nommez-moi le parrain ! ça raccourcit les distances donc ! (Au moment d’embrasser Amélie, à Marcel.) Tu permets que je la bise ?
Quoi ?
Que je la bise !… « Une bise !… » Tu sais pas ça qu’est-ce que c’est une bise ?
Ah !… (Poussant légèrement Amélie contre Van Putzeboum.) Bisez, parrain ! bisez !
Est-ce que je saïe vous embrasser ?
Comment « si vous savez ? » Mon Dieu ! il me semble que vous êtes plus à même que moi…
Non ! Non ! il demande s’il peut.
Ah !… Comment donc !
Ah ! cette joue virginale. (Il l’embrasse sur la joue droite, puis à Pochet, tandis qu’Amélie va s’asseoir sur le canapé.) Il me semble que je bise sur un bouton de rose ! (Allant se camper au milieu de la scène, face à Amélie, tandis que Pochet remonte près de Marcel, derrière le canapé.) Eh ! bien, mademoiselle Amélie ! vous êtes contente que vous mariez mon fileul ?
Certes !… J’aime… (Prononcer « J’eîmme » ) J’aime monsieur Marcel et je suis heureuse de devenir sa femme.
Tu entends ça, filske ?
Ah ! Toute ma vie ! toute ! pour cette parole d’amour !
Ah ! mon ami ! pas avant l’hyménée !
Je vous demande pardon !
Ah ! Chaste jeune file ! Ça est pur comme de l’or.
Et c’est rare par le temps qui court !
Quoi ? l’or ?
Non, la pureté.
Eh ! ben, et l’or donc !
Et, maintenant, permettez-moi… ! je vous ai apporté… ! vous devez aimer les bijoux ?
Tu parles !
Hum !
Comment ?
Non, je dis : (Parlant comme avec une pomme de terre trop chaude dans la bouche et bien à la file.) U-arles, eu-arles, eu-erles, é-erles, des perles… (Répétant, en appuyant sur le mot.) Des perles… des diamants, ça n’est pas pour les jeunes filles.
Oui, ça est vrai ; mais maintenant que vous mariez Marcel, ça est changé donc ! Est-ce que vous ne savez pas porter des diamants ?
Oh ! si, si, je sais !
Non, mais essayez un peu, pour voir.
Oui ? Ça est bien ; alors permettez que vous acceptez ce petit souvenir. (Il présente un écrin qu’il a tiré de sa poche et qu’il ouvre.) Je l’ai fait monter juste expressément pour vous.
Pour moi ! (Étourdiment.) Oh ! qu’il est bath !
Comment ?
Hein ! non ! non ! c’est une expression.
Tiens ?
Oui, ça veut dire : « Ah ! qu’il est chic ! Ah ! qu’il est beau ! »
Bath ! Bath, oui !
Ah ! tenez, vous aussi vous êtes chic, il faut que je vous embrasse.
Ah ! ah ! quelle gâmine, donc !
Regarde, papa ! Marcel !
Voyons ! voyons !
Oh ! superbe !
Merveilleux !
Quelle eau !
Oh !… On dirait du cristal !
Quoi ? Ah ! non, on t’en donnera du cristal ! Oh ! Vois-moi ces feux…
Oh !… Ça vaut au moins, ça… !
Papa, voyons ! ça ne nous regarde pas.
Oh ! non, non ! Mais c’est pour dire !… parbleu j’ai pas l’intention de le payer ! non ! seulement… Ah ! il est épatant !
Oui, il n’est pas mal (Ravi de placer l’expression.) est bath !… il est bath !…
Il est bath ! Il est bath ! Ah ! Ah ! Ah !
C’est-à-dire qu’il est admirable !
Et conséquent !
C’est un solitaire.
Ah ! oui !… oui ! Eh bien, tenez ! voilà peut être son seul défaut !
Je l’ai choisi entre mille, savez-vous ! Les brilants, ça est ma partie, n’est-ce pas ?
Ah ?
Oui, en Hollande, (Prononcer : « en Nollande. » ) je faïe dans les diamants.
Ffffuie !… (Une fois au no 1.) Que] luxe !
Eh ! bien, sans que je me vante : ça est une pièce de collection !
Il ne reste plus qu’à faire la collection !
Ah ! Oui ! Oui ! Mais ça je n’en peux rien ! pour ça, son mari est là, hein ? Pas vrai, filske ?
Mais, comment !
Maintenant qu’il va toucher la grosse fortune !
Ah ! quand ?
Mais aussitôt que tu auras passé sur l’hôtel de ville, donc !
Sur l’hôt… ?
Oui donc, le bourguemestre ! le mariage !
Ah ! le… (À part.) Rien à faire !
Ah ! non, ce qu’elle est chic. (À Van Putzeboum.) Ah ! tenez, il faut que je vous réembrasse.
Alleï ! Alleï ! Ne te gêne pas, petite ! (Elle l’embrasse.) Je crois que vous êtes contente, hein ?
Oh ! là ! là ! c’est moi qui aime mieux ça que les fleurs.
Ah ! mais… je pense que vous avez reçu aussi ma corbelle ?
Votre corbelle, non… Tu as vu une corbelle, toi, papa ?
J’ai pas vu de corbelle.
On n’a pas apporté une corbelle ! Ah ! bien, celle-là !… Mais qu’est-ce qu’ils font, ces animaux ?… Ah ! bé !… Vous n’avez pas le téléphon que j’y leur flanque un peu une savônnâde.
Mais si, nous l’avons.
C’est chez le fleuriste, la, boulevard de la Mâdéléne, qui vend des bouquets de mariage… et des couronnes môrtuhères.
Landozel !
Si ! oui ! me semble !… Ils sont bêtes, savez vous, dans cette maison. Je leur dis : « C’est pour mademoiselle Amélie d’Avranches, la jeune file qui marie M. Courbois ; vous devez la savoir ? » Ils me répondent « Non ! d’Amélie d’Avranches, on ne sait que la d’Avranches qu’elle est avec M. de Millédieu ! »
ENSEMBLE. |
MARCEL, à part.
Sapristi ! AMÉLIE.
Oh ! POCHET.
Hum ! |
« Alleï ! Alleï ! Mais qu’est-ce que tu chantes donc ? Ça, ça n’est pas du tout ! Ça est la jeune file du monde, mademoiselle d’Avranches, qui marie M. Marcel Courbois ! » Ils vous prenaient pour une côcôte ! (Confus en s’apercevant qu’il parle à Amélie, qui, elle, tournée vers Van Putzeboum, n’a pas bronché.) Oh ! Oh ! pardon ! Je dis des expressions devant vous… !
Oh ! mais je n’ai pas compris, monsieur !
Oh ! ingéïnuité !… Quel trésôr ! (Presque dans l’oreille d’Amélie, en lui prenant les épaules entre les deux mains.) Votre mari vous expliquera plus tard. (Il passe au no 3.) N’est-ce pas, filske ?
Oui, c’est pas pour les jeunes files !
C’est bien, mon ami ! Je ne demande pas à savoir.
Scène XIII
Là, je me suis changé !
Oh !
Nom d’un chien !
Aie ! mais quoi donc ? mais quoi ?
Monsieur… Monsieur…
Monsieur… Chopart !
Paul !… Paul Chopart !
Quoi ?
Oui, chut, tais-toi ! Pas de gaffes.
Mon cousin !
Son cousin.
Le cousin d’Amélie !
Oui ? Tenez ! tenez ! tenez !
Son cousin ?
Ah ! Monsieur, mes compliments !
Trop aimable ! (À part, vexé.) Son cousin ! Ah ! zut !
Monsieur Van Badaboum !
Putz !… Putzeboum.
Putz-c’est ça-boum ! Putzeboum !
Enchanté !
Oh ! mais… Attends un peu ! (À Marcel, qui cherche discrètement à l’arrêter au passage.) Laisse donc ! (Arrivé no 4, à Étienne no 5.) Je connais un Chopart à Rotterdam !
Ah ?… Vous êtes bien heureux !
Émile Chopart, oui !… qui faïe dans l’anisette.
Non ?… Oh ! le sale !
Vous n’êtes pas parents, pour une fois ?
Non !… Non, je n’ai pas de parents qui fassent dans l’anisette.
Ah ! bônne, très bônne anisette ! Je vous la recommande !
Merci ! Après ce que vous m’en avez dit !…
Vous avez tôrt ! Elle est meilleure comme les autres.
Eh ! bien, tant mieux !… Tant mieux pour elle !
Eh bien, si vous permettez, je vais une fois téléphôner pour les fleurs.
Mais très volontiers ! (À Pochet.) Papa, veux-tu conduire ?… le téléphone est dans ma chambre.
Tenez, par ici !
Aha ! non, ce fleuriste ! avec son M. de Millédieu !
Quoi ?
Non, rien ! Je ris en pensant à tout ça ! ce M. de Millédieu !
Comment, il rit !
Allons, voyons !
Quelle brute !
Ah ! mais dites donc !
Mais tais-toi donc !
Scène XIV
Enfin, pourquoi se fout-il de moi en me traitant de « quelle brute » ?
Mais la brute, c’est pas toi !
Ah ?
C’est le fleuriste !
Quel fleuriste ?
Celui à qui il a commandé la corbeille.
Quelle corbeille ?…
Mais la corbeille pour Amélie !
Mais oui ! Tu ne comprends donc rien ?
Ah ! ben, enfin… !
Cet imbécile de fleuriste a eu la maladresse de lui parler de mademoiselle d’Avranches qui est avec M. de Milledieu.
Eh ! ben ?
Eh ! bien, tu comprends que dès lors je ne pouvais plus te présenter.
Pourquoi ?
Mais parce que la fiancée de Marcel Courbois ne peut pas être la maîtresse de M. de Milledieu !
C’est ça ! Et alors je suis devenu Chopart !
Voilà !
Vous en avez de bonnes !
Oh ! bien, mon vieux ! C’est l’affaire de quelques jours ; une fois lui parti, tu reprendras ton nom.
Tu es bien bon de me le rendre.
Scène XV
Dis donc, Amélie, veux-tu venir ? Il n’y a pas moyen d’avoir la communication.
Voilà ! Voilà ! (Elle fait mine d’aller à Pochet et, revenant aussitôt à Étienne.) Oh ! dis donc ! je ne t’ai pas montré la belle bague qu’il m’a donnée !
Oui, oh !
Regarde un peu la belle bague !
Allons, viens, voyons ! Ne nous fait pas alanguir.
oui, voilà ! (Revenant à Étienne et lui agitant sa bague sous le nez.) Elle est chic, hein ?
Très chic ! très chic !
Ah çà ! vas-tu venir ?
Elle est chic, hein ? Elle est chic ?
Mais oui, mais oui !
Scène XVI
Écoute, je suis désolé, mon vieux, de t’embêter comme ça !
Mais tu blagues ! Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse après tout ?… D’autant que je pars tout à l’heure, par conséquent… !
Ah ! bien, alors !
Et même, au fond, tiens ! ça m’arrange très bien ! Je voulais justement te demander un service ; or, il découle tout seul de la situation.
Ah ! parle ! quoi ?
Eh bien, voilà ! Tu sais entre nous combien je tiens à Amélie… Ah ! si j’avais pu l’emmener avec moi là-bas !… Mais j’ai réfléchi qu’une ville de garnison… avec des supérieurs hiérarchiques, quand on a une jolie maîtresse… c’est pas prudent !
Mais Amélie t’est fidèle !
Oui !… je ne dis pas !… jusqu’à preuve du contraire !… D’autre part, la laissant à Paris toute seule, elle va s’embêter !… Il y a bien les copains ! Mais au fond, je les connais ! C’est des cochons !
C’est des cochons !
Mon vieux, il n’y a que toi ! Toi, tu es mon meilleur ami ; j’ai confiance en toi comme en moi-même ; Amélie te porte de l’affection… Eh ! bien, rends-moi ce service : pendant que je ne serai pas (Très scandé.) occupe-toi d’Amélie !
Moi ?
Oui, balade-la ! Même-la au théâtre, déjeune, dîne, soupe, marche !…
Aussi ?
Aussi. (Vivement) Hein ! Ah ! non, eh ! là, non !… C’est une expression ! Ça veut dire, marche, vas-y : fais-la dîner, souper !…
Ah ! bon !
Ah ! non, merci ! C’est justement pour l’empêcher d’avoir des velléités que…
Compris !… et entendu ! Tu peux te fier à moi.
Mais je sais bien !
Je m’occuperai d’Amélie !
Merci, mon vieux !
Scène XVII
AMÉLIE.
Non, il n’y a pas moyen, savez-vous ! J’aurai plus vite fait pour y aller moi-même…
Oh ! vraiment, parrain… !
Si ! Si ! Si ! (À Marcel.) Tu viens avec, filske ?
Où ça ?
Chez le fleuriste, donc ! J’ai en bas un taquessiqu’auto.
Un quoi ?
Un taquessiqu’auto.
Ah ! un taquessique-auto ! Oui, oui, oui !
On sera revenu sitôt que de partir.
Oui ! Oui !
Tu viens ?
Volontiers !
Il n’y a pas eu mèche d’avoir la communication !
Non ! J’étais greffé sur une espèce de menneken insupportable à qui j’avais beau dire : « Mais alleï-vous-en !… » Il voulait absolument que je lui donne M. de Milledieu !
Moi ?
Non, moi !… Comme si je l’avais en poche !
Non, mais… Qui ? Qui demandait M. de Milledieu ?
Est-ce que je sais, moi ? Est-ce que vous croyez que je lui ai demandé ? On s’en fiche de M. de Millédieu !
Hem !
Mais oui ! On s’en fiche ! ou s’en fiche !
Alors, à tout à l’heure, hein ?
À tout à l’heure ! (À Pochet.) Accompagne, papa !
Scène XVIII
C’est ça ! il me coupe mes communications ! Ah ! non, tu sais, celle-là, je la trouve raide ! Cette façon d’envoyer dinguer mes amis !
Ah ! là !… Tu dois partir dans un quart d’heure et voilà de quoi tu t’occupes : du téléphone !… (Descendant vers Étienne.) au lieu de consacrer ces quelques minutes à ta petite Amélie.
Eh ! tu as raison, après tout ! D’autant que depuis ce matin nous n’avons pu être l’un à l’autre un instant !
Ah ! il n’est pas trop tôt que tu t’en aperçoives !
Alors ?… hein ?
Eh ! bien, alors… !
Pendant vingt-huit jours, ça va être l’abstinence !
Le jeûne !…
Et, quand on va se quitter pour si longtemps, on se serrerait la main, et voilà tout ?
Ah ! non !
On ne se dirait pas un dernier bon petit adieu ?
Ben dame… !
Là ! bien intime ?
Dame !
Tu as vu comme elle est jolie, ta chambre ?
Allons, voyons !…
Viens Voir ta chambre comme elle est jolie.
Oh ! Étienne !… Étienne !
Viens voir comme elle est jolie, ta chambre !
Oh ! canaille !
Eh ! bien, où allez-vous ?
Rien, rien ! On va téléphoner !
On-va-té-lé-pho-ner !
Eh ben ! on le dit ! (Au public, en haussant les épaules.) Ils n’auront jamais la communication.
Scène XIX
DEUX GARÇONS FLEURISTES,
portant une magnifique corbeille toute en fleurs blanches,
puis KOSCHNADIEFF et le PRINCE NICOLAS.
Par ici ! par ici !
Qu’est-ce que c’est ?
C’est des fleurs ! et des belles ! (Remontant.) Entrez, les hommes !
Là ! Entrez ! prenez garde que vous abîmez pas !
Mazette !
Figurez-vous, n’est-ce pas ! en arrivant en bas, nous nous sommes cognés contre la corbèle qu’on apportait !
Voyez-vous ça !
Tiens, on sonne !
Posez ça une fois là, hein ? (Il indique la table à jeu sur laquelle les porteurs posent la corbeille face aux personnages en scène. À Pochet.) Mais où c’est la fiancée qu’elle est donc ?
Là, dans sa chambre, en train de téléphoner.
Ah ! le téléphon ! oui ! oui !
Ah ! par exemple, celle-là… !
Qu’est-ce que c’est ?
Le prince !… Le prince de Palestrie !
Ah ! nom d’un chien ! et tu le laisses dans l’antichambre ?
Non ! y monte.
Allez ! rangez-vous, vous autres ! Rangez vous !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Le roi ! C’est le roi ! (Aux porteurs, en les repoussant derrière la table.) Allez, derrière les arbres ! derrière les arbres… (Courant jusqu’au piano.) Mon Dieu ! et pas de candélabre ! (À Adonis) La bougie ! allume la bougie !
Mais pourquoi ?
Mais parce que ! Quand on reçoit des rois !…
(À Van Putzeboum et Marcel, tandis qu’Adonis allume la bougie.)
Allez ! pas de rassemblement ! Circulez ! Circulez !
Oh ! mais une fois savez-vous… !
Là ! introduis… Ah ! la musique ! la musique !
(Pendant qu’Adonis sort, il actionne le gramophone qui joue la Marseillaise. — Un temps. — Pochet, la bougie allumée à la main, va se poster à proximité de la porte, un peu en deçà du piano. Le prince enfin parait suivi de Koschnadiefl. Tout le monde s’incline. Pochet, la bougie haute, l’échine courbée.)
Sire !…
Oh ! que de monde !… (Frappé soudain par le son de la Marseillaise.) Oh ! l’hymne national ! Il se découvre. Tout le monde reste un bon instant la tête inclinée.
Je présente à Votre Altesse le père de ma demoiselle d’Avranches.
Oh ! très bien ! je vous complimente… (Avec intention.) monsieur le Commandeur !
Oh ! sire.
Mais que vois-je ? vous alliez vous coucher, peut-être ?
Mais non, sire ! c’est pour vous !
Oh ! mais je n’en ai que faire !
Ah ? Ah ?
Et… votre délicieuse fille n’est pas là ?
Elle va venir, Sire ! Mais… si je puis la remplacer… ?
Oh ! non !… Non !
Je vais la chercher, Sire ! je vais la chercher ! (À part en se dirigeant vers la porte droite, premier plan.) Mon Dieu, et l’autre ! son Milledieu, qui n’est pas encore parti !…
(Il ouvre carrément la porte qu’on lui referme brutalement sur le nez.)
Oh !
ENSEMBLE. |
VOIX D’AMÉLIE.
On n’entre pas ! VOIX D’ÉTIENNE.
Mais foutez-nous la paix ! |
On met le verrou, que diable ! on met le verrou !… (Remontant vivement vers le prince qui cause avec Koschnadieff.) Par ici, Altesse ! par ici, mon prince !… (Il le précède à reculons et remonte de la sorte, toujours son bougeoir allumé à la main dans la direction de la baie. Il va donner ainsi du dos contre le groupe Van Putzeboum, Adonis, Marcel. Se retournant et les poussant les uns contre les autres de façon à déblayer la place.) Allez ! Allez, circulez ! circulez vous autres ! (Se retournant aussitôt vers le prince et comme précédemment :) Par ici, monseigneur ! Par ici !
- ↑ Boas et Valcreuse toujours assis, Bibichon (3) debout près de la table à jeu ; Amélie (4), Étienne (5), Palmyre (6), Yvonne (7).
- ↑ Bibichon (1), toujours assis ; Étienne (2), Pochet (3), Amélie (4), Valcreuse (5), Palmyre (6), Yvonne (7), Boas (8).
- ↑ Adonis (1), Pochet (2), Amélie assise (3), Étienne (4), Bibichon assis (5) sur le côté gauche du canapé, Palmyre (6), Yvonne (7), Valcreuse (8), Boas (9), ces quatre derniers debout derrière et sur les côtés du canapé.
- ↑ Étienne (1) devant la table à jeu, Marcel au fond (2) ainsi que Van Putzeboum (3), Pochet (4), Amélie devant le canapé (5).