Occupe-toi d’Amélie !/Acte II

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Librairie Théâtrale (p. 139-278).


ACTE DEUXIÈME

ACTE DEUXIÈME


Chez Marcel Courbois.


Sa chambre à coucher, de construction et d’ameublement anglais. À gauche, large fenêtre à caissons et à quatre vantaux, très élevée de soubassement, ce qui permet de mettre une large banquette à dossier en dessous sans gêner la manœuvre des battants. À chaque vitre, un rideau de vitrage fixé, haut et bas, sur tringle et serré au centre par un nœud de ruban. Au sommet de cette sorte d’alcôve, au fond de laquelle est enchâssée la fenêtre, grosse barre de bronze dorée sur laquelle glisse les larges anneaux des rideaux qui, fermés, doivent recouvrir la banquette qui est juste de la dimension de l’alcôve en question. De chaque côté, une embrasse-cordelière à deux gros glands. Au deuxième plan, grand panneau en pan coupé, auquel s’adosse le lit en cuivre, ayant à sa tête à gauche un fauteuil, à droite une table de nuit. (Ce panneau en pan coupé est indispensable pour permettre au pied gauche du lit d’être plus à l’avant-scène que celui de droite et d’arriver juste en regard de la porte de droite premier plan qui sera indiquée plus loin.) À droite du pan coupé, le mur tourne à angle droit sur une longueur de vingt-cinq à trente centimètres pour se briser encore une fois à angle droit et se continuer alors face au public en un large panneau mural à gauche duquel, et non au milieu, est une porte à un seul vantail donnant sur le vestibule. À droite de la porte, contre le mur, une large console avec un fauteuil de chaque côté. Nouvelle brisure à angle droit de vingt-cinq à trente centimètres, parallèle à celle indiquée plus haut. Aux deux extrémités de ce petit renfoncement de construction, une colonne de soutènement. Puis à droite : pan coupé, au milieu duquel est la cheminée surmontée d’une étagère au centre de laquelle est enchâssée soit une glace, soit une gravure anglaise. Enfin, pan droit jusqu’à l’avant-scène avec porte au milieu. À droite de la scène, un peu au fond, de façon à conserver libre de tout obstacle l’espace qui sépare le pied gauche du lit de la porte de droite premier plan, une table-bureau placée de biais ; adossé a la table et à sa gauche, un canapé ; à droite de la table un fauteuil de bureau. Au-dessus de la table de nuit, fixée au mur, un peu plus haut que la tête du lit, une lampe veilleuse en forme de potence et éclairée à l’électricité. Cette lampe est actionnée directement par un commutateur fixé au mur un peu au-dessus et à droite de la table de nuit, et par une poire qui pend à la tête du lit. Au-dessous du commutateur indiqué plus haut, un bouton de sonnette électrique fonctionnant directement, et, au-dessous enfin de ce bouton, autre commutateur actionnant censément le lustre de bronze qui pend au milieu de la pièce. À droite de la cheminée, à proximité de la porte, un cache-pot monté ou posé sur pied ; (dans ce cache-pot, mettre un peu d’eau). Sur la console du fond un chapeau de femme et un masque grotesque à mâchoire mobile. Sur la table-bureau, un bougeoir, un buvard, un classeur, et ce qu’il faut pour écrire. Sur le fauteuil de bureau, une robe de soirée très élégante. Sur la table de nuit, une bouteille de champagne vide.



Scène PREMIÈRE

MARCEL, couché, CHARLOTTE, puis AMÉLIE.
Au lever du rideau, la scène est presque dans l’obscurité ; seule la veilleuse allumée au-dessus du lit éclaire la chambre faiblement. Marcel dort à poings fermés. — Un temps. — La porte du vestibule s’ouvre. Charlotte entre apportant le déjeuner du matin sur un plateau.
CHARLOTTE, va au bureau sur lequel elle dépose son plateau puis gagnant vers le lit.

M’ssieur l (Marcel ne répond pas. — Un temps. — Élevant légèrement la voix :) M’ssieur ! (Nouveau temps.) Eh !… M’ssieur !…

MARCEL, dormant étendu sur le côté gauche. Sans se réveiller.

Hoong !

CHARLOTTE.

Il est midi trente-cinq !

MARCEL, de même.

Hoong !

CHARLOTTE, criant plus fort et scandant chaque syllabe.

Il-est-mi-di-trent’-cinq !

MARCEL, qui tout endormi s’est mis à moitié sur son séant, parait recueillir ses esprits, puis.

Je m’en fous !…

Il se retourne avec humeur.
CHARLOTTE, avec jovialité.

Ah ?… Oh ! à ce compte-là, moi aussi !… (Haut, revenant à la charge.) J’apporte le chocolat. (Pas de réponse. Un temps.) Le cho-co-lat !

MARCEL, furieux et bourru, se retournent vers elle.

Enfin, quoi ?… Qu’est-ce que vous voulez ?

CHARLOTTE, sans se décontenancer.

Le cho-co-laaat !

MARCEL, furieux.

J’en ai pas !… Fichez-moi la paix !

Il se renfonce sous sa couverture.
CHARLOTTE.

Ah ?… Bon !

MARCEL, relevant la tête.

Quelle heure est-il ?

CHARLOTTE.

Il est midi trente-cinq.

MARCEL.

Eh ! bien, je m’en fous !

Il se renfonce sous sa couverture.
CHARLOTTE.

Oui ! j’ sais !… M’sieur me l’a déjà dit !… Seulement, alors, pour quelle heure faut-il faire le déjeuner ?

MARCEL.

Pour huit heures ! Zut !

Il se retourne avec humeur.
CHARLOTTE.

Bien, m’sieur ! (Fausse sortie.) Je ferai seulement remarquer à monsieur…

MARCEL, excédé.

Oh !

CHARLOTTE.

que c’est lui, en me prenant à son service, hier matin, qui m’a donné l’ordre de le réveiller tous les jours à neuf heures !…

MARCEL, se mettant à moitié sur son néant.

Eh ! bien, il est midi trente-cinq ! Il y a encore huit heures vingt-cinq !

CHARLOTTE.

Ah ? bon ! Je ne savais pas que c’était neuf heures du soir !

MARCEL.

La barbe !

Il se laisse retomber sur le dos, la tête presque au milieu du lit, le bras droit étendu sur l’oreiller qui fait pendant à celui qui est sous sa tête.
CHARLOTTE.

Oui, m’ssieur !

Elle sort. — Un grand temps. — Marcel essaie de se rendormir. La position ne lui convenant pas, il se retourne sur le côté droit. — Un temps. — Il se tourne sur le côté gauche. — Un temps. — Il se relève sur le coude gauches ! flanque deux bons coups de poing dans son oreiller pour le redresser, y replonge sa tête. — Un temps.
MARCEL, brusquement se remettant sur son séant.

Je la ficherai à la porte, moi, cette bonne !… ça lui apprendra à me réveiller… (Il retourne son oreiller.) quand elle voit que je dors !… (Il baille.) Ah ! que je suis fatigué !… (Après réflexion.) Tout de même, il est midi !… Et midi, c’est une heure !… (Comme se répondant à lui-même.) Non, c’est pas une heure ; c’est midi !… Ah ! Je ne sais plus ce que je dis !… Je dors à moitié ! Et dire… (Il baille.) Et dire que si Paris était aux antipodes, il serait seulement minuit !… Je pourrais dormir encore sept heures, et je passerais pour un homme matinal !… Quel est l’idiot contrariant qui a fichu Paris de ce côté-ci du globe ?… (Sortant ses jambes du lit.) C’est égal ! y a pas, il faut que je me lève !… (Il descend du lit ; il est en chemine de nuit et pieds nus.) Mes chaussettes ! Qu’est-ce que j’ai fait de mes chaussettes ?… Ah ! les voilà ! (Tout en passant ses chaussettes puis ses pantoufles, tout cela sans s’asseoir ; adossé seulement contre le pied du lit.) Midi et demi !… J’ai un rendez-vous à onze heures !… Si je veux y être… ! Je sais bien que c’est avec un créancier !… et, un créancier, ça peut attendre !… Il attend depuis six mois, il attendra bien une heure de plus… D’autant que je compte ne rien lui donner !… alors !… il le saura bien assez tôt !… (Avec effort.) Allons, du courage ! (Tout en parlant, il s’est dirigé vers la fenêtre aux rideaux de laquelle il passe les embrasses — pleine lumière au dehors — projection de soleil sur le lit.) Oh ! Comme il fait déjà jour !… à midi et demi !… (Repassant devant le lit.) Eh ! bien ?… Et la bonne ? Qu’est-ce qu’elle fait, la bonne ?… Qu’est-ce qu’elle attend pour m’apporter mon chocolat ! (Il va sonner au bouton électrique. Peu à peu, le doigt sur la sonnette, il s’en dort debout, tandis que le carillon continue longuement. Soudain il perd à moitié l’équilibre. Se réveillant.) Quel est l’animal qui sonne comme ça ? (Revenant à la réalité.) Eh ! je suis bête ! c’est moi ! Brrrou ! nom d’un chien ! qu’il fait froid !… Ah ! et puis zut ! (Retirant ses pantoufles.) Je déjeunerai dans mon lit !… et je me lèverai après !… (Il se refourre dans son lit avec ses chaussettes. Au moment d’enfoncer ses jambes, il sent un obstacle qui l’arrête.) Hein ?… Eh ! ben, qu’est-ce que c’est que ça ? (Il ramène ses jambes à lui pour les renfoncer de nouveau.) Mais qu’est-ce que c’est que ça ?… (Même jeu.) Enfin, qu’est-ce qu’il y a donc ? (Intrigué, il se met à genoux sur le lit, rejette les couvertures et ne peut réprimer un cri en apercevant Amélie qui, ayant glissé vers le pied du lit, dort du sommeil du juste.) Ah ! (La saisissant par le poignet et la redressant tout endormie sur son séant.) Amélie !

AMÉLIE, endormie.

Brrou !… J’ai froid.

MARCEL.

Amélie ! C’est Amélie !

AMÉLIE, endormie.

Hoong !

MARCEL, la secouant.

Comment es-tu là ?

AMÉLIE, gonflée de sommeil.

Hein ?… Ah ! Zut !

MARCEL.

Mais non ! mais non ! il ne s’agit pas de dormir ! Amélie !… Amélie !… (Entendant Charlotte qui ouvre le porte.) Non ! bouge pas !…

Il lui lâche le poignet, elle retombe sur le dos ; il n’a que le temps de lui coller sur la figure un des oreillers sur lequel il s’accoude aussitôt en essayant de prendre un air dégagé.
CHARLOTTE.

C’est monsieur qui a sonné ?

MARCEL.

Oui ! Foutez-moi le camp !

CHARLOTTE.

C’est pour ça que monsieur a sonné ?

MARCEL.

Allez-vous me foute le camp, n… de D… !

CHARLOTTE, s’esquivant.

Ah ! Quel drôle de service !

Elle disparait.
MARCEL, se remettent vivement à genoux sur le lit, et après avoir enlevé l’oreiller, secouant Amélie.

Vite, Amélie !… Amélie !… Au nom du ciel !

AMÉLIE, endormie.

Hoong !

MARCEL.

Mais réveille-toi ! Nom d’une brique !

AMÉLIE, à moitié endormie.

Qu’est-ce qu’il y a ? Quoi ?

MARCEL.

Amélie, nom de nom !

AMÉLIE, ouvrant les yeux.

Hein ?… Ah !… Tiens ! Marcel !

MARCEL.

Eh ! Oui, Marcel !… Oui, Marcel !

AMÉLIE, à genoux sur le lit.

Ah !… Comment es-tu là, toi ?

MARCEL.

C’est toi !… C’est toi à qui je le demande ?

AMÉLIE, abrutie.

Quoi ?

MARCEL.

Qu’est-ce que tu fais chez moi ? dans mon lit ? avec une chemise de nuit à moi ?

AMÉLIE.

Je suis chez toi ?… Tiens, c’est vrai ! Comment que ça se fait ?

MARCEL.

Mais c’est ce que je te demande, cré nom !…

AMÉLIE, comme saisie d’un pressentiment.

Est-ce que… ?

MARCEL.

Quoi ?

AMÉLIE.

Est-ce qu’on aurait couché ensemble ?

MARCEL.

Eh ! Cochon de sort ! Ça m’en a tout l’air !… C’est pas une farce que tu m’as faite ?… Non ?… Tu n’es pas venue tout à l’heure ?

AMÉLIE.

Mais non !

MARCEL, descendant du lit et pendant ce qui nuit passant le pantalon de son pyjama.

Alors, y a pas ! On a bel et bien couché ensemble !

AMÉLIE.

Mais oui !

MARCEL.

Mais c’est épouvantable !… C’est un abus de confiance ! Je t’ai reçue en dépôt !

AMÉLIE, se remontant de façon à s’asseoir sur les oreillers.

Eh ! bien, mon colon… !

MARCEL.

Mais qu’est-ce que je dirai, moi, à Étienne, quand il me le demandera ?

AMÉLIE, vivement.

Oh ! mais, tu ne lui diras pas !

MARCEL.

Je sais bien ! Mais ce sera un poids d’autant plus lourd pour ma conscience !… Au moins, en avouant tout…

AMÉLIE.

Tu ferais de la peine à Étienne !

MARCEL.

Oui, mais elle serait soulagée !

AMÉLIE.

Qui ?

MARCEL.

Ma conscience !… Oh ! Comment avons-nous fait ça !

AMÉLIE.

Mais je ne sais pas ! Je ne me rappelle pas !

MARCEL, debout au pied du lit et tout en mettant ses brodequins.

Étienne ! mon meilleur ami ! Lui qui m’avait si affectueusement dit en partant : « Occupe toi d’Amélie ! Je te la confie !… parce qu’avec toi, au moins, je suis sûr d’elle !… »

AMÉLIE.

Oui !… ce qui, d’ailleurs, est un peu mufle !… Ça prouve qu’il n’avait pas grande confiance en moi !

MARCEL.

Et comme il avait raison !

AMÉLIE.

Je ne te dis pas ! Mais ce n’était pas à lui à le prévoir ! Cela me justifie jusqu’à un certain point !

MARCEL.

Toi, peut-être ! mais pas moi ! Ah ! pourquoi est-il mon meilleur ami ?… (S’asseyant sur le lit près d’Amélie.) Car enfin, il ne serait pas mon meilleur ami, regarde comme ce serait simple : je ne serais plus qu’un monsieur, qui a passé la nuit avec une dame… et ça, ça se voit tous les jours !…

AMÉLIE.

Sans compter qu’on ne l’aurait pas passée ensemble, la nuit !

MARCEL.

Ah ?

AMÉLIE.

Car, n’étant pas le meilleur ami d’Étienne, il ne t’aurait pas dit : « Occupe-toi d’Amélie !… »

MARCEL.

Mais oui !… (Changeant de physionomie.) Mais alors… ! (Descendant du lit.) au fond, c’est sa faute, tout ça !

AMÉLIE.

Mais absolument ! Est-ce qu’on confie sa maîtresse, quand elle est jolie et jeune, à un monsieur…

MARCEL.

Jeune et joli !…

AMÉLIE, avec une moue.

Enfin… pas mal !…

MARCEL.

C’est ce que je voulais dire ! Et il aurait le droit de se plaindre ?… Allons donc !…

AMÉLIE.

Un homme qui te dit : « Surveille-la ! »

MARCEL.

Ah ! Non !…

AMÉLIE.

C’est dégoûtant !

MARCEL.

Non, non !… Il faut être juste ! il m’a dit : « Occupe-toi d’Amélie ! », il ne m’a pas dit : « Surveille-la ! »

AMÉLIE.

Oui, mais il t’a dit : « Avec toi, au moins, je suis sûr d’elle !… » Ce qui revient au même ! Oh ! Je me vengerai !

MARCEL, montrant le lit.

Oh !… Ça y est !… Ah ! et puis zut, aussi ! Est-ce que j’ai une gueule de tuteur !… Pour qui me prend-il ?… pour un eunuque ?… Est ce qu’il s’imagine que je n’ai pas un tempérament tout aussi bien que lui ?… Est-ce qu’il n’a pas couché avec toi, lui ?…

AMÉLIE.

Tout le temps !

MARCEL, redescendant jusqu’au pied du lit.

Eh ! ben, alors ?

AMÉLIE, comme lui.

Eh ben, alors ?

MARCEL, adossé au pied du lit.

Pffu !

AMÉLIE.

Pffu !

Ils restent un instant silencieux et préoccupés. Marcel, après quelques hésitations, tourne la tête vers Amélie qui le regarde en hochant la sienne : Marcel, ennuyé, retourne la tête. Répétition du même jeu de la part de Marcel, Amélie répond par une petite moue et en faisant proutter ses lèvres.
MARCEL.

Oui, oh ! tout de même, c’est dégoûtant !…

AMÉLIE, hochant la tête.

Oui.

MARCEL, gagnant la droite.

On a beau se donner de bonnes raisons, tout ça n’excuse pas… ! (Remontant vers Amélie…) Un homme qui m’a donné un témoignage absolu de confiance ! qui m’a dit…

AMÉLIE.

« Occupe-toi d’Amélie !… »

MARCEL.

Oui !… Oh ! Comment avons-nous pu en arriver là ? sans même nous en rendre compte !

AMÉLIE.

Y a de ces choses, dans la vie !…

MARCEL, s’asseyant (2) sur le lit près d’Amélie.

Voyons, hier… hier soir, qu’est-ce qu’on a fait ?

AMÉLIE.

Comment, « Ce qu’on a fait » ? Eh bien, on a été à la foire de Montmartre avec les copains : Bibichon et la bande.

MARCEL.

Oui… Ça, c’est net dans ma mémoire…

AMÉLIE.

On a monté sur les cochons.

MARCEL.

Ah ! oui, les cochons ! ce qu’ils m’ont fichu le mal de mer ! ah ! cochons de cochons !

AMÉLIE.

Et on a lancé des serpentins !

MARCEL.

Comme tout foireman qui se respecte.

AMÉLIE.

Puis, on s’est baladé en faisant du chahut avec des masques en carton !…

MARCEL.

C’est idiot !… Et on a rigolé à faire peur aux gens, en les poursuivant avec des allumettes-feu d’artifice !

AMÉLIE, riant et imitant les allumettes-feu d’artifice.

Oui ! pschiii !

MARCEL.

Ah ! Ça te fait rire ! C’est stupide ! Non, faut il en avoir une couche !… le soir !

AMÉLIE.

Après quoi, on a soupé à l’Abbaye de Thélème ; après quoi on a resoupé au Rat mort ; après quoi, on est allé boire du champagne au Pigalle…

MARCEL.

Après quoi, pour les kummels à la glace, en est allé au Royal.

AMÉLIE.

Après quoi… ! après quoi… ! Ça devient plus vague… J’entrevois des bars, des lumières ! et encore du champagne !…

MARCEL.

On commençait à être un peu bu !…

AMÉLIE.

Plus que bu, oui !… Tout ça m’apparaît à travers un brouillard ! et, quand on est parti, on s’est aperçu que la terre tournait.

MARCEL, quittant le lit, mais restant à proximité.

Comme quoi, il faut être pochard pour constater les lois de la nature !

AMÉLIE.

Alors, je t’ai dit : « Ça va pas ! Je ne pourrai jamais monter mon escalier dans cet état ! »

MARCEL, navré.

Oui !… Et moi, je t’ai répondu : « Passons chez moi… J’offre l’ammoniaque !… »

AMÉLIE.

L’ammoniaque, oui !

MARCEL.

Oh ! parole imprudente !

AMÉLIE.

D’autant que t’as jamais pu le trouver, l’ammoniaque !…

MARCEL.

Jamais !

AMÉLIE.

et qu’on l’a remplacé par du champagne !

MARCEL, tristement, prenant machinalement la bouteille vide sur la table de nuit.

Ce qui n’a pas dû produire le même effet.

Il va s’affaler sur le canapé, la tête basse, les deux coudes sur les genoux, sa bouteille entre les jambes, tenue par le goulot.
AMÉLIE.

Non ! Car après ça, plus rien ! L’obscurité noire !

MARCEL, qui a fait culbuter sa bouteille entre ses main, la tenant dès lors le goulot vers la terre.

Le néant !… (Répétant tristement en balançant mollement la bouteille goulot en bas.) le néant !… (Relevant la tête.) Mais alors… le reste ?… Le reste ?…

AMÉLIE.

Quel… reste ?

MARCEL, se levant et allant déposer la bouteille sur la table de nuit.

Comment ! quel reste ? mais le reste !… (Saisissant Amélie par les poignets.) Enfin cette nuit… tous les deux… est-ce… qu’on a ?… ou… est ce qu’on n’a pas ?

AMÉLIE, les yeux dans les yeux, et après un léger temps.

Ensemble ?

MARCEL, haletant.

Oui !…

AMÉLIE, hésite un instant, puis ouvrant de grands bras.

Ah !

MARCEL, dans un recul qui l’éloigne du lit.

Comment « Ah » !… C’est pas possible ! Voyons, tu ne te rappelles pas ?

AMÉLIE.

Rien du tout !

MARCEL.

C’est trop fort !

AMÉLIE.

Eh ! bien, et toi ?

MARCEL.

Mais moi non plus !

AMÉLIE.

Eh ben ! alors ?

MARCEL.

Ah ! mais, c’est que tout est là : Avoir ou n’avoir pas !… comme dit Shakespeare ! Il est évident, parbleu, que si on n’a été que frère et sœur… ! Mais voilà !… l’a-t-on été ?

AMÉLIE, indiquant le ciel de la tête.

Dieu seul le sait !

MARCEL, au pied du lit.

Et je le connais !… il ne nous le dira pas !

AMÉLIE.

Non !

MARCEL.

Enfin, n’importe ! Avant tout, l’essentiel est qu’Étienne fasse comme nous : qu’il ignore !

AMÉLIE.

Et comme c’est pas nous qui irons lui dire…

MARCEL.

Par conséquent, il n’y a rien de fait !

AMÉLIE.

Y a rien de fait !…

MARCEL, redescendant à l’avant-scène.

Voilà ! y a rien de fait !

AMÉLIE.

Ah ! ce pauvre Étienne !

MARCEL.

On se met martel en tête et, puis somme toute, y a rien de fait !

AMÉLIE, qui s’est renfoncée sous les couvertures, laissent tomber sa tête sur l’oreiller.

Non, ce que j’ai la flemme !

MARCEL.

Ah ! non ! non !… C’est pas le moment !… Tu vas te lever, hein ?

AMÉLIE.

Oh ! déjà !

MARCEL.

Oui, déjà ! je te crois, déjà ! je vais te porter tes vêtements dans le cabinet de toilette, et tu iras t’habiller par là ! Allez, grouille, grouille !

AMÉLIE.

Oh ! grouille, grouille !

MARCEL.

Oui, grouille, grouille ! Ta robe ? ou est ta robe ?

AMÉLIE.

Est-ce que je sais, moi.

MARCEL.

Allez, debout !… debout-debout-debout !

AMÉLIE, obéissant, et tout en rejetant ses couvertures.

Oh ! que c’est embêtant !… (Poussant un cri de surprise.) Ah !

MARCEL.

Quoi !

AMÉLIE, bien naïvement.

J’ai couché avec mes bottines !

Elle se tord, en se laissant tomber sur le dos et en agitant en l’air ses pieds chaussés.
MARCEL, peu disposé à plaisanter.

Oh ! que c’est drôle !… Mais ris pas, voyons ! ris pas !

AMÉLIE.

J’ris pas, mon vieux ; je suis épatée.

MARCEL, tout en cherchant des yeux la robe d’Amélie.

Si c’est permis… ! Enfin, ta robe ? où as-tu fourré ta robe ?

AMÉLIE.

Mais j’sais pas, j’te dis !

MARCEL, trouvent le chapeau sur la console du fond.

Ah ben ! tiens, v’là déjà ton chapeau… Ah ! et ton masque d’hier qui est resté accroché après.

AMÉLIE.

Non ?

MARCEL.

Tiens vois (Il met le masque[1] sur sa figure et le chapeau d’Amélie sur sa tête. Il descend ainsi à l’avant-scène en faisant avec son menton mouvoir les mâchoires articulées du masque. Amélie rit. Apercevant la robe sur la table.) Ah ! ta robe !… sur la table !

AMÉLIE.

Sur la table ?

MARCEL, toujours le masque sur la figure, mettant le chapeau d’Amélie sous son aisselle gauche.

Alors, tu trouves qu’une table c’est un endroit pour mettre une robe, toi ?

AMÉLIE.

Oh ! mon chapeau !

MARCEL, retirant vivement le chapeau.

Je te demande pardon.

Il le passe sous son autre bras.
AMÉLIE.

Marcel ! Marcel ! mon chapeau !

MARCEL, reprenant le chapeau à la main.

Ah ! t’as de l’ordre, toi ! (Il prend la robe des plis de laquelle tombe une petite boîte longue.) Qu’est-ce que c’est que ça ? (Il ramasse.) Ah ! la boîte d’allumettes-feu d’artifice ! Quel fourbi, mon Dieu, quel fourbi !… (À Amélie.) Allez ! houste ! grouille-grouille ! (S’empêtrant les pieds dans la robe en s’en allant. — Furieux.) Allez ! voyons donc !

Il sort droite premier plan.

Scène II

AMÉLIE, puis CHARLOTTE, puis MARCEL.
AMÉLIE.

Grouille-grouille ! il est bon, lui ! j’ai aucune envie de grouillegrouiller. (Sortant les jambes du lit.) Ah ! j’ai les jambes en coton ! (Sautant hors du lit.) Allons, un peu de courage !… (Passant devant le lit.) Où est mon jupon ?… (À ce moment entre Charlotte qui descend carrément en scène.) Oh !

CHARLOTTE.

Oh !… Pardon !

AMÉLIE, troublée.

C’est moi !… Je… je venais…

CHARLOTTE, aussi gênée qu’elle.

C’est… c’est M. Courbois que madame attend ?

AMÉLIE.

Hein ? Oui… Oui, précisément !

CHARLOTTE.

Je ne sais pas si monsieur est visible ; je vais m’en assurer.

AMÉLIE, passant au no 2 devant Charlotte, ceci en relevant légèrement sa chemise comme une Parisienne qui se retrousse pour trotter dans la rue.

Oh ! bien non, ne le dérangez pas, je repasserai, mademoiselle !… je repasserai !

MARCEL, rentrant en coup de vent.

Là, maintenant, si tu… (Apercevant Charlotte et passant vivement au 2 entre Amélie et Charlotte.) Ah !… Eh !… bien, qu’est-ce que vous faites-là, vous ?

CHARLOTTE.

C’est… c’est madame, qui…

MARCEL.

Madame ?

CHARLOTTE.

… qui demandait si monsieur était chez lui !…

MARCEL, tandis qu’Amélie, riant sous cape, se colle malicieusement à lui, dos contre dos.

C’est encore vous !… Voulez-vous me fiche le camp !… Qui est-ce qui vous a permis d’entrer ?…

CHARLOTTE, lui présentant un paquet de journaux et de lettres.

C’est le courrier que le concierge vient d’apporter.

MARCEL.

Eh ! bien, est-ce que c’est une raison pour entrer comme dans un café ? Allons, donnez moi ça !…

Il lui arrache le courrier avec humeur.
CHARLOTTE, présentant une boîte de papier à lettres et une pelote de ficelle assez volumineuse.

Et puis voilà le papier à lettres !… et la pelote de ficelle qu’hier monsieur m’a dit d’acheter.

MARCEL.

Eh bien ? vous ne pouvez pas poser ça sur la table de nuit ? vous ne voyez pas que j’ai les mains embarrassées ?

CHARLOTTE, allant déposer les objets sur la table de nuit.

Oui, monsieur.

MARCEL, la suivant, tandis qu’Amélie passe à l’extrême gauche.

Et emportez la bouteille de champagne.

CHARLOTTE.

Oui, monsieur.

MARCEL, redescendant.

Espèce d’oie !

CHARLOTTE.

Oui, monsieur !

Elle sort.
MARCEL, sur le devant de la scène, et la tête tournée dans la direction de la porte.

Espèce d’oie !

AMÉLIE, qui s’est rapprochée de lui sans qu’il l’entende venir.
Avec malice.

Dis donc… ! Je crois qu’elle m’a vue !

Elle éclate de rire et retourne à gauche s’asseoir sur la banquette qui est dans la fenêtre.
MARCEL.

Oui, ah ! C’est malin !… Je vais la flanquer à la porte, moi !

AMÉLIE, assise.

Pourquoi ?

MARCEL.

Ça lui apprendra… à t’avoir vue !

Il remonte au-dessus de la table et, pendant ce qui suit, se verse une tasse de chocolat.
AMÉLIE.

T’as tort, elle est gentille, ta soubrette.

MARCEL.

Ah ! si tu crois que je l’ai regardée.

AMÉLIE.

Comment s’appelle-t-elle ?

MARCEL.

J’en sais rien ! je ne le lui ai pas demandé.

AMÉLIE.

Comment, tu ne sais même pas le nom de ta bonne ?

MARCEL.

Mais non ! Elle s’est présentée hier matin, je dormais, je l’ai engagée dans l’obscurité… C’est la première fois que je la vois.

AMÉLIE.

Ah ! ben ! si j’étais ta maîtresse, tu sais… ! une bonne comme ça !… elle est bien trop jolie pour un homme seul !

MARCEL, allant la chercher à la banquette.

Ah ! tiens, va t’habiller, tu dis des bêtises ! Si tu crois que je suis pour amours ancillaires ! (L’entrainant par le poignet.) Va ! tes frusques sont par là !

AMÉLIE, se laissant entraîner.

T’as raison… (Lui faisant brusquement lâcher prise.) Ah ! Mais au fait !…

MARCEL.

Quoi ?

AMÉLIE.

C’est idiot, je peux pas la mettre, ma robe !

MARCEL.

Pourquoi ?

AMÉLIE.

Mais parce que ! C’est une toilette du soir, décolletée et toute pailletée. Je ne me vois pas rentrant dans cette tenue en plein midi.

MARCEL, la reprenant par le poignet.

Eh ! ben, tu prendras le Métro.

AMÉLIE, dégageant à nouveau son poignet.

Mais non ! mais non ! rien que pour mon concierge !… et pour moi-même, c’est ridicule !… Non, je vais écrire un mot à papa, pour qu’il m’apporte un costume tailleur, tu feras porter la lettre par ta bonne ! Maintenant qu’elle m’a vue, il n’y a plus à se cacher.

MARCEL, haussant les épaules.

Comme tu Voudras !… Mais ce que tu perds un temps !

Il remonte près de la table de nuit, tandis qu’Amélie va s’installer à la table-bureau se disposant à écrire.
AMÉLIE, bousculant tous les objets qui sont sur la table pour quelque chose qu’elle cherche.

Là ! voyons…

MARCEL, qui la voit, avec inquiétude, bousculer ses affaires.

Oh ! là ! Oh ! là ! Quoi ? qu’est-ce que tu veux, mon petit ! demande-moi ! demande-moi !

AMÉLIE.

Du papier !

MARCEL.

Oui, eh ! bien, ne casse pas tout pour ça.

AMÉLIE, Apresque crié.

Du papier !

MARCEL, allant chercher la boite de papier à lettres.

Eh bien ! oui, voilà ! voilà !

AMÉLIE.

Allez ! grouille-grouille.

MARCEL, maugréant.

« Grouille-grouille » ! En voilà des expressions !

AMÉLIE.

Je te ferai remarquer que c’est toi qui, tout à l’heure…

MARCEL.

Oui, c’est bon ! Tiens ! attrape.

Il lui jette la boite de papier à lettres.
AMÉLIE.

Merci !

Prononcer « Berci. »
MARCEL, maussade.

Ah ! « Bercy » ! Charenton, oui !

AMÉLIE, écrivant en articulant à mesure ce qu’elle écrit.

Petit père ! je suis rue Cambon, chez Courbois, qui m’a logée cette nuit. Viens me prendre et apporte-moi un cos.. (Elle prend de l’encre.) tume tailleur. Je t’embrasse, Amélie.

MARCEL, qui pendant ce qui précède, au dessus de la table, à proximité d’Amélie, est en train de dépouiller son courrier, jetant par hasard un œil sur ce qu’écrit Amélie.

Pas d’h.

AMÉLIE.

Quoi ?

MARCEL.

Pas d’h, à tailleur.

AMÉLIE.

Ah ?… Oh ! Ça fait rien ! c’est pour papa.

MARCEL.

Ah ? bon !… bon bon ! moi ce que j’en faisais c’était pour tailleur !

Il va s’asseoir sur le canapé contre la table.
AMÉLIE, prenant une enveloppe.

L’adresse, à présent : « Monsieur Pochet… »

MARCEL, qui a décacheté une nouvelle lettre après y avoir jeté les yeux.

Ah !

AMÉLIE, écrivant.

Rue de Rivoli… Qu’est-ce qu’il y a ?

MARCEL.

Ah ! nom de nom !

AMÉLIE.

Mais quoi ?

MARCEL.

Le parrain ! le parrain qui rapplique à Paris !

AMÉLIE.

Qui ? Van Putzeboum ?

MARCEL.

Oui ! Ah ! cochon de sort ! Mais qu’est-ce qu’il vient faire ? Il était si bien parti pour ne plus revenir !

AMÉLIE.

Nous allons encore l’avoir sur le dos !

MARCEL.

Mais oui ! Tiens, v’là la lettre : (Lisant.) « Écoute, filseke !… » (Parlé.) Parce qu’il est d’Anvers. (Lisant) « Écoute filseke !… » (Parlé.) Il habite la Hollande…

AMÉLIE, finissant pour lui.

Mais il est d’Anvers.

MARCEL.

Ah ! ah ! tu sais ?

AMÉLIE.

Oui… oui, je sais !

MARCEL, lisant.

« Écoute, filseke, je te fais la surprise. Je suis à Paris depuis ce matin ; j’espère que je vais savoir te voir cet après-midi. Ton parrain qui t’aime. » (Se levant et gagnant jusqu’au pied du lit — entre chair et cuir :) Cochon, va !… Ah ! elle est jolie la surprise !

Il revient vers le canapé.
AMÉLIE.

Ah ! oui !

MARCEL.

« Post-scriptum : « Nous te faut… » (Parlé.) Quoi ? (Lisant.) « Nous te faut… » ? (À Amélie.) Qu’est-ce que tu lis là ?

AMÉLIE, lisant par-dessus l’épaule de Marcel.

« Nous te faut… »

MARCEL.

Nous te faut, oui !

AMÉLIE et MARCEL, lisant ensemble.

« Nous te faut dîner ce soir avec ta fiancée et son père, M. d’Avranches. »

MARCEL, regagnant vers le lit.

Ah ! ça va bien. (À Amélie.) Nous te faut dîner avec lui ce soir !

AMÉLIE.

Ce soir ! Mais je ne peux pas.

MARCEL.

Ah ! y a pas ! Nous te faut, nous te faut !

AMÉLIE.

Mais ce soir je dîne avec…

MARCEL.

Ça m’es égal ! Décommande-toi. Il n’y a pas : Nous te faut ! nous te faut ! Ah ! le crampon ! le crampon !

AMÉLIE.

Ah ! oui, alors !… C’est gai d’être obligée de tout chambarder ! Enfin, qu’est-ce que tu veux, je vais écrire. Mais si tu crois que ça m’amuse.

MARCEL, catégorique.

Ah ! quoi, mon petit ! Nous te faut !

AMÉLIE, qui a pris une autre feuille de papier et se dispose à écrire.

Oui, oh ! c’est gai.

MARCEL, navré, l’affalant sur le pied du lit.

Mais qu’est-ce qu’il vient faire, mon Dieu !… Je croyais si bien en être débarrassé ! il devait partir pour l’Amérique !…

AMÉLIE, tout en écrivant.

Ah ! bien, c’est peut-être ça !

MARCEL.

Quoi ?

AMÉLIE, id.

S’il part pour l’Amérique…

MARCEL.

Eh ! ben ?

AMÉLIE, id.

Il doit s’embarquer au Havre…

MARCEL.

Alors ?

AMÉLIE.

Alors, il est tout naturel qu’il passe par Paris.

Tout en parlant elle a pris une enveloppe et écrit l’adresse.
MARCEL, fait une moue peu convaincue, puis.

Enfin ! Dieu t’entende ! (Changeant de ton.) Eh ! bien ça y est, ? (Amélie, occupée à écrire, ne répond que par un imperceptible signe de la tête. Plus fort.) Ça y est ? (Même Jeu.) Ça y est ?

AMÉLIE.

Mais oui, ça y est.

MARCEL, se levant et gagnant la tête du lit.

Eh ! bien, on le dit !

AMÉLIE.

Eh ! bien, je l’ai dit !

MARCEL.

Toi !

AMÉLIE.

Je l’ai dit de la tête !

MARCEL.

Ah ! « de la tête » !

Il sonne.
AMÉLIE, qui s’apprête à mettre les deux lettres chacune dans son enveloppe.

Attends ! c’est pas sec !

MARCEL.

Eh ! ben, souffle ! (Il descend extrême gauche. Amélie souffle alternativement sur les deux enveloppes, qu’elle tient chacune par une main ; après quoi, dans chacune d’elle, pendant ce qui suit, elle introduit une des lettres qu’elle vient d’écrire.) Entrez !


Scène III

Les Mêmes, CHARLOTTE, puis IRÈNE.
CHARLOTTE, passant la tête avec circonspection.

On… on peut tout de même ?… Oui ?

MARCEL.

Quoi ?

CHARLOTTE.

Bien que monsieur ait sonné, on peut tout de même entrer ?

MARCEL.

Est-ce que vous vous payez ma tête ?

CHARLOTTE.

Non, monsieur.

MARCEL.

Espèce d’oie !

CHARLOTTE.

Oui, monsieur.

MARCEL.

Allez ! madame a une commission à vous donner.

AMÉLIE, à Charlotte qui est au-dessus de la table.

Oui, tenez, ma fille ! Ce n’est pas loin… cette lettre à porter à l’hôtel Continental…

CHARLOTTE, prenant la lettre.

Oui, madame.

Elle remonte.
AMÉLIE.

Attendez ! attendez ! Et puis cette autre : rue de Rivoli, à côté.

CHARLOTTE.

Ah ?… Ah ! ben, alors, c’est pas une commission.

MARCEL.

Comment, c’est pas une commission ?

CHARLOTTE.

C’est… deux commissions !

MARCEL, a un hochement de tête significatif au public, puis bien contenu.

Dites donc ! Voulez-vous me foute le camp ?

CHARLOTTE, obéissant sans empressement.

Oui, monsieur.

MARCEL, bondissant vers elle et sur un tout autre ton.

Voulez-vous me foute le camp ?

CHARLOTTE, détalant au plus vite.

Oui, monsieur !

MARCEL, sur le seuil de la porte du fond, parlant à la cantonade.

Espèce d’oie !

AMÉLIE, traversant la scène derrière Marcel sans qu’il l’aperçoive.

Ah ! zut, moi je gèle comme ça !

Elle se recouche dans le lit.
MARCEL, toujours à la cantonade.

Vous m’entendez : Espèce d’oie ! (Il referme la porte et, se dirigeant vers la table où il croit trouver encore Amélie.) Non, on n’a pas idée, ma chère… (L’apercevant dans le lit.) Hein ! Ah non, non ! tu ne vas pas te recoucher !

AMÉLIE.

Oh ! mais, je suis gelée, moi ! et en attendant papa…

MARCEL, voulant la faire lever.

Il n’y a pas d’ « en attendant papa » ! Allez ! Allez ! Debout !

AMÉLIE.

Oh ! mais voyons…

MARCEL.

Debout-debout-debout !

On sonne.
MARCEL.

Chut ! (Tous deux restent coi, l’oreille tendue.) On a sonné !

AMÉLIE.

Oui.

MARCEL, prêtant l’oreille à la porte.

Qui est-ce qui vient nous embêter ?

VOIX DE CHARLOTTE.

Mais qui demandez-vous, madame ?

VOIX D’IRÈNE.

Est-ce que monsieur est là ? Oui ?

MARCEL, bondissant vers le lit.

Nom d’un chien, Irène !

AMÉLIE.

Quoi ?

MARCEL.

Ma maîtresse, fous le camp !

AMÉLIE, qui se dispose à descendre du lit.

Hein ! C’est madame ?

MARCEL, la poussant par la croupe, ce qui la fait tomber du lit, la tête et les mains en avant.

Mais fous donc le camp, n… de D… ! Cache toi !

AMÉLIE, tombant la tête en bas.

Mais où ? Mais où ?

MARCEL, qui a fait le tour du lit et se dispose à détacher les embrasses des rideaux pour les fermer.

Mais je ne sais pas ! Là, sous le lit ! Dépêche-toi, sacrebleu !

AMÉLIE, se disposant à se glisser sous le lit.

Ah ! bien, je m’en souviendrai de cette matinée !

MARCEL, lui envoyant deux poussées du plat du pied.

Mais vas-tu te dépêcher, nom d’un chien !

Il détache les embrasses, les rideaux se ferment (nuit). — Marcel ne fait qu’un bond sur le lit, sur lequel il s’étale de tout son long. À ce moment on frappe à la porte.
IRÈNE, passant la tête.

On peut entrer ?

MARCEL, comme si on le réveillait en sursaut.

Qui… ? Qui est là ?

IRÈNE, entrant. — On voit qu’il fait grand jour dans l’antichambre alors que la chambre est dans l’obscurité.

Oh ! qu’il fait noir !

MARCEL.

Mais qui… qui est là ?

IRÈNE, tout en refermant la porte.

Ton cœur ne te le dit pas ?

MARCEL, d’une voix qu’il veut faire tendre et qui n’est que chevrotante.

Ohohoh ! Irène !

IRÈNE.

Ah ! Son cœur le lui a dit ! (S’élançant vers le lit à tâtons.) Ah ! Chéri !… Mais où es-tu donc ?

MARCEL, de la même voix chevrotante.

Mais là ! (La main d’Irène, dans l’obscurité, vient cogner le visage de Marcel.) Oh !

IRÈNE.

Oh ! Je t’ai mis le doigt dans l’œil ?

MARCEL.

Non ! c’est ma bouche !

IRÈNE, avec élan.

Oh ! mon chéri !

MARCEL.

Oh ! ma Rérène !

Ils s’embrassent.
AMÉLIE, surgissant à mi-corps du dessous du lit, face au public, comiquement.

Oh ! ce qu’on est mal là-dessous !

IRÈNE, se dégageant de l’étreinte de Marcel.

Mais pourquoi es-tu dans le noir, comme ça ? Attends !

Elle cherche le bouton électrique à tâtons.
MARCEL.

Qu’est-ce que tu cherches ?

IRÈNE, même jeu.

Le bouton de l’électricité.

MARCEL.

Oh ! tu veux allumer !

IRÈNE.

Mais oui, c’est triste, ici ! On ne se voit pas ! (Avec coquetterie.) et on y perd !… Moi, du moins !

MARCEL, s’efforçant de se mettre au diapason.

Oh ! mais moi aussi.

IRÈNE, même jeu.

Oh ! tu dis ça, pour ne pas être en reste.

MARCEL, même jeu.

Mais non, j’y perds bien plus que toi !

IRÈNE.

Oh ! t’es gentil !

Elle l’embrasse.
AMÉLIE, sous le lit.

Non. mais ils n’ont pas fini au-dessus !

IRÈNE.

Enfin ! où est-il donc le bouton ?

MARCEL.

Près du lit, au-dessus de la table.

IRÈNE.

Au-dessus de la table, bon ! (En tâtonnant, elle fait tomber la pelote de ficelle, qui roule sous le lit[2].) Oh ! qu’est-ce que j’ai fait tomber ? C’est sous le lit ! attends !

Elle se baisse pour ramasser l’objet tombé.
AMÉLIE, à part.

Fichtre !

MARCEL, vivement arrêtant le mouvement d’Irène.

Laisse donc ! Laisse donc !

IRÈNE.

Mais c’est là… !

MARCEL, la relevant en la voyant se rabaisser.

Mais laisse donc, voyons !… Ça n’a pas d’importance !… C’est une pelote de ficelle ! On la ramassera plus tard.

IRÈNE.

Ah ! Et puis, comme tu voudras.

AMÉLIE, sur un ton blagueur.

Oh ! c’est dommage ! on aurait reçu une visite !

IRÈNE, trouvant le bouton qui allume le lustre et non celui de la veilleuse.

Je le tiens. Ah ! voilà ! (Elle tourne le commutateur, le lustre s’allume.) Ah ! à la bonne heure ! on se voit, à présent !

MARCEL, se faisant un abat-jour de sa main comme quelqu’un que la lumière aveugle.

Ah ? tu trouves ?

IRÈNE.

Oh ! ça te fait mal aux yeux ?

MARCEL.

C’est parce que je viens de me réveiller, n’est-ce pas ? alors…

IRÈNE.

C’est moi qui t’ai réveillé !… Oh ! je suis désolée !

MARCEL.

Mais non ! non ! mais tu as bien fait ! il est temps de me lever.

Il fait mine de descendre du lit côté droit.
IRÈNE, lui repoussant les jambes sur le lit.

Comment as-tu dit ça ?

MARCEL, même jeu.

Oui, tu comprends, n’est-ce pas ?…

IRÈNE, même jeu.

Mais rien du tout ! Tu me parles de te lever, quand j’arrive ! Eh ! bien, c’est encore gentil, ça !… Quand je suis là, près de toi, tout heureuse, tout frémissante du désir de toi !

MARCEL.

Hein ?

AMÉLIE, à part.

Eh ! bien, mon colon !

IRÈNE, enlevant son manteau et se préparant à se déshabiller.

Du tout, du tout ! Tu étais en train de dormir, eh ! bien, on va dormir tous les deux !

MARCEL, avec un sourire angoissé.

Aha ?

IRÈNE.

Comme un petit mari et une petite femme !

MARCEL, même jeu.

Aha !

IRÈNE.

T’es pas content ?

Prononcer cotent.
MARCEL.

Oh ! Si ! si ! Ah ! ben !

AMÉLIE.

Eh ! ben, on va rigoler là-dessous !

IRÈNE, grimpant à deux genoux sur le lit.

Et puis tout, comme un petit mari et une petite femme !

MARCEL.

Aha ?

AMÉLIE.

Et tout ça sur ma tête ?

IRÈNE, lui sautant au cou.

Oh ! mon chéri-chéri !

MARCEL, s’efforçant d’être au diapason.

Oh ! ma Réré-Réreine !

AMÉLIE.

Ça y est ! on entame l’ouverture !

MARCEL, pendant qu’Irène, qui à droite, sur le lit, — par conséquent à la gauche de Marcel — l’embrasse dans le côté droit du cou. — À part.

Ce que c’est gênant de sentir un tiers sous soi, dans ces moments-là !

IRÈNE, descendant du lit et allant retirer son chapeau sur la table de droite.

Et maintenant, sois heureux ! J’ai toute ma journée à toi.

AMÉLIE, bien largement.

Hein !

MARCEL, terrifié.

Aha ?

AMÉLIE, à part.

Il va falloir que je reste toute la journée la dessous, moi ?

MARCEL.

Toute… toute la journée ?

IRÈNE.

Tu n’as pas l’air ravi.

MARCEL.

Moi ! Ah ben ! ah ! là là !

IRÈNE.

Non, vraiment, écoute ! quand je suis là, près de toi… !

MARCEL.

Tu as raison ! Tiens ! J’ai un bain à prendre ! Viens ! Viens ! dans la salle de bains…

Il fait mine de descendre du lit.
IRÈNE, lui repoussant les jambes comme précédemment.

Hein ! mais non ! mais non ! En voilà une idée !

MARCEL, même jeu.

Tu ne veux pas venir dans la salle de bains ?

IRÈNE, même jeu, sur un ton qui ne souffre pas de réplique.

Mais non !

AMÉLIE, à part, sur un ton précieusement comique, et la bouche en cul de poule.

Ah ! ça serait pourtant si bien, si elle allait dans la salle de bains !

IRÈNE, descendant un peu en scène, ce qui fait s’éclipser Amélie sous le lit.

Quand on a une bonne chambre, aller dans la salle de bains ! Ah ! non ! non, merci ! (Revenant à Marcel.) Tu vas me faire une place dans ton dodo ; et moi, je vais me déshabiller.

Elle va jusqu’à la table et se met à dégrafer son col.
MARCEL, avec angoisse.

Aha ?

AMÉLIE, paraissant à gauche du pied du lit.

Hein ! ces femmes honnêtes ! Et ça vous traite de haut en bas !

IRÈNE, qui se débat contre les difficultés d’un corsage agrafé dans le dos.

Oh ! cette agrafe !… (Sentant assise sur le lit et présentant sa nuque à Marcel qui, tout occupé à monologuer en lui-même, semble ne pas l’entendre.) Tiens, Marcel, veux-tu… ? (Voyant que Marcel ne lui répond pas.) Marcel ! (Descendant du lit, puis saisissant Marcel brusquement par le menton et lui faisant ainsi tourner la tête de son côté.) Non, mais quoi ? Qu’est ce que tu as ?

MARCEL, qui immédiatement s’est composé un sourire.

Hein ?

IRÈNE.

Ça ne te va pas ?

MARCEL.

Oh ! mais si !

Il tend les mains pour défaire l’agrafe.
IRÈNE, repoussant sa main.

Non, non ! Tu as l’air de faire une tête ! Ah ! ça, dis donc, est-ce que, par hasard, depuis que tu fréquentes mademoiselle d’Avranches… ?

AMÉLIE.

Moi !

MARCEL.

Oh ! quoi ? quoi ? Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?

IRÈNE.

Ah ! C’est que je suis bonne personne ; j’ai bien voulu me prêter pour ton parrain… ! mais peut-être qu’à jouer comme ça à la fiancée et au fiancé… qui sait ? il a bien pu arriver que… Ah ! mais c’est que ça ne m’irait pas !

MARCEL.

Oh ! moi, moi ! avec Amélie ! Ah ben ! Ah ! là. là, tu ne m’as pas regardé !…

AMÉLIE, la moitié du corps sortie côté gauche du lit, étendue sur le dos. — Pendant qu’il parle, donnant de la main des petits coups sur le matelas.

Non, mais dis donc ! Dis donc, là-haut !

IRÈNE.

Ah ! J’espère ! D’ailleurs, ce n’est pas une femme pour toi, cette petite ! Évidemment, elle a une frimousse.

MARCEL, trop heureux de cette concession, tapotant de sa main droite le matelas, pour attirer l’attention d’Amélie.

Ah ! ça oui, oui, elle a une frimousse.

AMÉLIE, le saisissant au poignet et le secouant comiquement de façon à le faire presque tomber du lit.

Merci, trop aimable !

MARCEL, luttant pour retrouver son équilibre.

Aha !… aha !

IRÈNE, le rattrapant par la jambe.

Eh bien, qu’est-ce que tu as ?

MARCEL, se remettant sur son séant.

Bien ! Bien !… C’est le matelas qui dégouline !

IRÈNE, haussant les épaules.

Oh !

Elle descend un peu en scène. Marcel profite de ce qu’elle lui tourne le dos pour envoyer un coup de plat de pied sur la nuque d’Amélie qui à ce moment est à quatre pattes se disposant à rentrer sous le lit.
AMÉLIE, que ce choc aplatit par terre.

Oh !

IRÈNE, se retournant au cri étouffé d’Amélie.

Quoi ?

MARCEL, qui a repris sa position primitive, de l’air le plus naturel.

Rien, rien ! j’ai fait « oh ! »

IRÈNE, revenant à ses moutons.

Non, mais, qu’est-ce que c’est, cette Amélie ! une ancienne femme de chambre ! Un torchon !

AMÉLIE, à plat ventre, toujours gauche du lit, les coudes par terre et le menton dans les mains.

Non, mais entrez donc !

IRÈNE.

et vulgaire !… sans race !…

AMÉLIE.

N’en jetez plus, la cour est pleine !…

IRÈNE.

C’est comme ses mains ! Tu n’as pas vu ses mains ?

MARCEL.

Non ! Non, je…

AMÉLIE, regardant ses mains.

Quoi ? Qu’est-ce qu’elles ont, mes mains ?

IRÈNE.

C’est une bonne fille, mais pas soignée…

AMÉLIE.

Ah ! mais elle m’embête, madame !

IRÈNE.

Elle s’ondule avec de la vanille, mon cher ! le figures-tu ça ?

AMÉLIE.

Et je resterai là-dessous pour entendre ça ! Ah ! non, alors !

Elle disparaît sous le lit.
IRÈNE.

Vois-tu, mon chéri, la vraie femme qu’il te faut, c’est moi.

AMÉLIE, passant la tête face au public entre les deux pieds du lit.

Comment donc ! c’est ça !

MARCEL, voyant Irène qui allume la veilleuse.

Qu’est-ce que tu fais ?

IRÈNE.

Il y a des moments où je préfère l’obscurité.

La veilleuse étant allumée, elle tourne le bouton qui éteint le lustre (demi-nuit).
AMÉLIE.

Oh ! la pelote de ficelle !… Attends un peu !

Elle disparaît sous le lit et, pendant tout ce qui suit, on la devine qui manigance quelque chose car, sans qu’on la voie, elle, on aperçoit de temps en temps sa main qui manipule le couvre-pied qui pend au pied du lit.
IRÈNE, sautant joyeusement sur le lit.

Oh ! Chéri ! Chéri !

MARCEL.

Oh ! Réré-Réreine !

Ils s’embrassent.
IRÈNE, s’asseyant complètement, les jambes sur le lit, à côté de Marcel.

On est bien sur ton lit !… Ah ! si tu savais comme j’ai mal dormi cette nuit !

MARCEL, sainte-nitouche.

Ah ! pas plus que moi ! J’ai travaillé tard !

IRÈNE.

Moi, j’ai eu des cauchemars !… Figure-toi : je somnolais ; j’ai été réveillée en sursaut par une longue forme blanche, qui, à la lueur de la veilleuse, agitait de grands bras… (Sans transition, l’embrassant.) Je t’adore.

MARCEL, pressé de connaitre la suite.

Oui, oui !… C’était quoi ?

IRÈNE.

Mon mari, qui passait sa chemise de nuit ! Crois-tu ! C’est tout simple, mais quand on ne s’attend pas !… Toute la nuit, ça m’a poursuivi ! (Apercevant le couvre-pied qui dégringole du lit, tiré d’en bas par Amélie.) Tiens, ton couvre-pied qui est tombé.

MARCEL.

Oui. ça ne fait rien.

IRÈNE.

Et tout le temps, il me semblait voir les objets s’agiter, les meubles marcher… (Poussant un grand cri en apercevant le couvre-pied, sous lequel est cachée Amélie, avancer dans la chambre avec des soubresauts comiques.) Ah !

Elle ne fait qu’un bond en saut de mouton par-dessus le corps de Marcel et se précipite à l’extrême-gauche de la scène, tandis que la couverture animée se dirige par petits soubresauts vers le cabinet de toilette.
IRÈNE, cri strident et prolongé.

Aaaah !

MARCEL, bondissant sur les genoux jusqu’en pied du lit qu’il n’a pas quitté.

Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

IRÈNE, acculée à l’extrême gauche.

Là !… là !… ton couvre-pied qui marche !

MARCEL, à part, en pouffant sous cape.

Ah ! chameau d’Amélie, va ! (Haut, faisant l’innocent.) Où ça ? Je ne vois rien !

IRÈNE.

Mon Dieu ! C’est mon cauchemar qui me reprend… Oh ! Marcel, j’ai peur !

MARCEL, qui est allé rejoindre Irène.

Allons, voyons ! voyons ! pour un couvre-pied qui marche ! mais ça se voit tous les jours. Faut être au-dessus de ça ! faut être au-dessus de ça !

À ce moment, par la porte du cabinet restée ouverte, on voit le couvre-pied qui revient tout seul et retourne par petits sauts saccadés dans la direction du lit. (Lire l’explication à la fin de l’acte.)
IRÈNE, cri strident.

Aaah !

MARCEL, sursautant.

Quoi !

IRÈNE.

Là ! Là ! le voilà qui revient !

MARCEL.

Hein !

IRÈNE.

Là ! Là !

MARCEL, éperdu.

Mon couvre-pied qui revient tout seul !

Pendant ce temps-là, le couvre-pied s’est rapproché par secousses espacées. Nouvelle secousse.
IRÈNE, poussant un grand cri et se précipitant sur le lit pour en redescendre aussitôt du côté droit.

Ah !…

MARCEL, faisant comme elle.

Allons, voyons ! Allons, voyons ! Mais du calme… du calme, quoi !

Irène est au-dessus de la table (2), Marcel plus bas.
IRÈNE, voyant Marcel qui, peu rassuré, se dirige cependant avec circonspection vers la couverture, Brusquement et crié.

Marcel ! Marcel ! N’y va pas !

MARCEL, bondissant en arrière au cri d’Irène, puis.

Allons ! Allons ! Qu’est-ce que tu penserais de moi si !… Ce n’est pas au moment du danger qu’un homme se dérobe !

Marcel gagne sur la pointe des pieds vers la couverture.
IRÈNE, vivement, au moment où Marcel s’en approche.

Marcel ! Marcel ! prends garde !

MARCEL, nouveau bond en arrière, puis.

Ah ! là ! voyons ! (Comme précédemment, il gagne prudemment vers le couvre-pied. Arrivé auprès, le considère de l’œil, risque un ou deux coups timides de la pointe du pied dans la couverture, puis voyant que rien ne bouge, après un peu d’hésitation, la saisit par un des coins et, triomphant, la ramène en courant vers Irène qui, pendant ce jeu de scène, est descendue à l’avant-scène droite, à distance respectable de Marcel.) Là !… tu vois ! petite peureuse !

IRÈNE, avec admiration.

Ah ! Tu en as du courage,

MARCEL, avec panache, le bras tendu tenant haut la couverture.

Un homme ne recule pas, même devant un couvre-pied !

À ce moment, d’une secousse brusque, le couvre-pied lui est arraché des mains et va rejoindre le pied du lit.
TOUS DEUX, poussant un même cri de terreur.

Ah !

IRÈNE, courant en tous sens, affolée.

Ah ! mon Dieu ! Au secours ! Au secours !

MARCEL, gagné par la contagion de la peur.

Mais ne crie donc pas ainsi à la fin ! Ça finirait par me gagner !

IRÈNE, même jeu, et courant prendre son chapeau sur la table.

La couverture est enchantée ! Je ne veux pas rester une minute de plus !

MARCEL.

Mais ne crie donc pas comme ça ! Ne crie donc pas comme ça !

Affolée, Irène se précipite vers le cabinet de toilette quand, à ce moment, en surgit Amélie, telle un gnome monstrueux, revêtue d’un peignoir de bain dont elle a le capuchon sur la tête, la figure recouverte du masque déjà vu, et agitant dans chaque main une allumette-feu d’artifice enflammée. Elle se fait toute petite en marchant et avance ainsi par petits pas rapides et déhanchés.
IRÈNE, rebroussant chemin.

Ah ! Au secours ! Au secours !

CHARLOTTE, entrant à ce moment.

Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il (Poussant un cri.) Ah ! Au secours ! Au secours

Les deux femmes se précipitent dehors.
MARCEL, aussi affolé qu’elles.

Mais taisez-vous donc ! Mais taisez-vous donc !

Il s’est réfugié entre le lit et la fenêtre, littéralement hypnotisé par l’apparition qu’il a devant lui. Voyant sa terreur, et pour s’en amuser, Amélie va se camper devant lui, mais de l’autre côté du lit. Marcel redescend vivement vers le pied du lit comme pour traverser la scène. Amélie redescend également. Marcel remonte vers la tête du lit, saisit un des oreillers, le lance à Amélie et court grimper sur la banquette qui est sous la fenêtre tout en s’enveloppant le corps dans le rideau. Amélie, se tordant de rire, va jeter ses allumettes dans le vase près de la porte du cabinet de toilette, lance dans le cabinet de toilette masque et peignoir, puis :
AMÉLIE.

Eh ! bien, je crois que c’est mené… ça !

MARCEL, toujours dans son rideau.

Hein ! C’est toi ! C’est toi qui nous fiches des venettes pareilles ?…

Il descend de la banquette et met les embrasses au rideau. Grand jour.
AMÉLIE.

Eh ! oui, faut bien que les masques et les allumettes-feu d’artifice servent à quelque chose !

MARCEL, allant à Amélie.

Ah ! non, écoute, c’est idiot !… Tu as vu dans quel état tu as mis ces malheureuses femmes.

AMÉLIE.

Plains-toi, je t’ai sauvé la partie avec madame ; sans cela, elle serait encore là, et tu étais plutôt empêtré !… Elle a eu un peu le trac, hein ? Ah ! bien, ça lui apprendra à me chiner ! Après l’accueil que je lui avais fait chez moi ! Non, « mes mains » ! Mais, qu’est-ce qu’elles ont, mes mains !

Elle les lui fourre brusquement sous le nez.
MARCEL.

Allons, voyons ? (Changeant de ton.) Ah ! parbleu, quand j’ai vu le couvre-pied filer, j’ai bien pensé que tu étais dessous !… Mais, quand je l’ai vu revenir tout seul… ! Ah ! ça, par exemple… !

AMÉLIE.

T’as eu la frousse.

MARCEL, étourdiment.

Oui !… (Vivement) Hein ! non !… Non mais, en fin, je n’y étais plus ! je ne… Comment diable as-tu fait ça ?

AMÉLIE.

Oh ! que c’est malin ! Madame m’avait envoyé de la ficelle, n’est-ce pas ? Alors, moi, avec une épingle à cheveux, j’ai relié la corde au couvre-pied, j’ai passé autour du pied du lit… et, une fois dans le cabinet de toilette, aie donc ! je n’ai eu qu’à tirer pour que le couvre-pied revienne en place.

Elle remonte et va éteindre la veilleuse.
MARCEL, ramassant le couvrepied et le remettant sur le lit.

Ah ! que c’est bête ! Veux-tu que je te dise ? c’est enfantin !

AMÉLIE, redescendant.

Ben oui ! C’est l’œuf de pigeon ?

MARCEL, la regarde, étonné, puis :

Quel œuf de pigeon ?

AMÉLIE.

Ben, je ne sais pas ! C’est toi qui disais ça l’autre jour !

MARCEL.

Moi ?

AMÉLIE.

Enfin quoi ? il fallait le trouver.

MARCEL.

Ah ! l’œuf de Colomb, tu veux dire.

AMÉLIE, remontant vers le lit.

Oh ! bien, oui, quoi ! Colombe, pigeon, c’est toujours le même animal.

MARCEL.

Le même animal ! évidemment, évidemment ! (Répétant en riant sous cape.) L’œuf de pigeon !

Il gagne la droite.
AMÉLIE, grimpant sur le lit et se refourrant dedans.

Voilà comme je suis, moi ! Je suis inventive !

MARCEL.

Ah ! grande gosse, va !… (Se retournant et apercevant Amélie dans le lit.) Ah ! non, non, tu ne vas pas te recoucher. Allez ! debout-debout-debout !

AMÉLIE.

Oh ! mais enfin… !

MARCEL.

Allez deb…

Sonnerie qui les galvanise, — ils se regardent.
AMÉLIE.

On a sonné.

MARCEL.

Oui.

Il va prêter l’oreille à la porte du fond.

Scène IV

Les Mêmes, puis VAN PUTZEBOUM.
VOIX DE VAN PUTZEBOUM.

Alleï ! alleï ! laissez, puisque je vous dis que je suis le parrain.

MARCEL, bondissant à la voix de Van Putzeboum.

Nom d’un chien, le parrain ! Allez ! Fous le camp n… de D… ! fous le camp.

AMÉLIE.

Mais où ça ?

MARCEL, la poussant par le bas des reins comme à l’arrivée d’Irène.

Mais sous le lit, donc !

Il se précipite vers la porte pour écouter.
AMÉLIE, se rattrapant au moment de tomber du lit sous la poussée de Marcel.

Ah ! non, zut ! j’en ai assez !

Elle se renfonce dans le lit.
MARCEL, revenant au lit et y retrouvant Amélie.

Mais vas-tu fiche le camp. (Au moment on voit tourner le bouton de la porte du fond.) Non, trop tard.

Marcel n’a que le temps de sauter sur le lit et, d’un même mouvement, lui et Amélie, rabattent le drap sur leur tête. À ce moment précis parait Van Putzeboum.
VAN PUTZEBOUM, qui est entré juste à temps pour apercevoir le jeu de couverture, reste un instant bouche bée, puis fait un geste de la tête comme pour dire : « Eh ben ! » puis au public, avec un geste prometteur de la main.

Attends un peu donc !

Il s’approche du lit sur la pointe des pieds, puis, d’un mouvement brusque, découvre Marcel et Amélie.
MARCEL et AMÉLIE, ensemble et vivement.

On n’entre pas !

VAN PUTZEBOUM, ahuri, reconnaissant Amélie.

Mademoiselle Amélie d’Avranches !

AMÉLIE.

Hein ! oui !… oui, je passais.

MARCEL, à Amélie, comme s’il la rencontrait dans la rue.

Ah ! Tiens ! c’est vous ! Oh ! comment ça va ?

Il lui tend la main.
AMÉLIE, lui tenant la main.

Quelle charmante surprise !

VAN PUTZEBOUM.

Et dans le lit donc, ensemble !

MARCEL.

Oh ! Si on peut dire !…

AMÉLIE.

On passait ! On passait !

VAN PUTZEBOUM, hochant la tête d’un air moqueur.

Oui ! Oui !… Eh ! hé ! Eh ! hé !

MARCEL.

Quoi ?

VAN PUTZEBOUM.

Ça va bien, pour une fois !

MARCEL.

Mais pas mal, mon parrain ! Vous aussi, je vois !

VAN PUTZEBOUM.

Vous avez eu bon ? Oui ? Oui ?

MARCEL.

Oh ! mon parrain !

VAN PUTZEBOUM, descendant un peu en scène.

Ah ! Godferdeck ! Tu ne l’as pas encore mariée, ta femme, et tu profites déjà sur !

TOUS DEUX.

Hein !

VAN PUTZEBOUM.

Eh ! bé, filske !

MARCEL, descendant du lit.

Mon parrain, je vais vous expliquer…

AMÉLIE, toujours dans le lit.

Je vous assure, monsieur, que…

VAN PUTZEBOUM, levant les bras au ciel.

Hou là ! Mais qu’est-ce que c’est donc ? C’est votre affaire, savez-vous !

MARCEL, qui a pris la veste de son pyjama et l’a enfilée.
Redescendant no 3.

Hein ! Oui, je sais bien.

VAN PUTZEBOUM (2).

Ça est comme qui dirait une avance sur titre… Tu touches avant ; ça te regarde ! (Allant au lit.) Et ça va, la jeune fiancée ?

AMÉLIE, rieuse.

Mais vous voyez… le parrain !

VAN PUTZEBOUM.

Ouyouye ! Ah ! tout de même, le garnement !… Quand c’est que je pense que vous étiez si innocente donc il y a quinze jours !

AMÉLIE, bien sainte nitouche.

Moi !

VAN PUTZEBOUM.

Comme on dit à Paris… il a fait vite de vous déssalei.

AMÉLIE.

Oh !

VAN PUTZEBOUM, à Marcel, en lui envoyant une poussée avec son ventre qui le fait tomber sur le canapé.

Être de perdition, va !… Et le papa, alors ? M. d’Avranches ? ça, qu’est-ce qu’il dit donc ?

MARCEL, vivement, allant à lui.

Oh ! il ne sait pas ! il ne faut pas lui dire… ni à personne ! hein ?… Surtout… surtout à personnel…

VAN PUTZEBOUM.

Alleï ! Alleï ! Qu’est-ce que tu penses, hein ! Est-ce que ça est même_à dire, ces choses-là.

AMÉLIE.

D’ailleurs, il n’y a rien, vous savez !… On… on dormait.

VAN PUTZEBOUM, moqueur.

Ouie ! ouie ! Ça, je me doute… Ah ! Tout de même, non ! écoutez ; je vous demande une fois pardon d’être entré… comme ça jusque dans le lit, mais ça, je ne savais pas, n’est-ce pas ?

AMÉLIE.

Oh ! mais…

VAN PUTZEBOUM.

Je voulais seulement faire la surprise de mon retour.

MARCEL.

Ah ! le fait est que je ne m’attendais pas !… Vous êtes de passage à Paris ? Oui !… Évidemment.

VAN PUTZEBOUM.

Espère donc ! Ca est la surprise justement. Je me suis dit : « Vraiment, en souvenir de son père, et pour son amitié, je ne sais pas laisser faire le mariage pour que je n’y sois pas. »

MARCEL.

Hein !

VAN PUTZEBOUM.

Alors, je me suis arrangé ! J’envoie mon fondé de pouvoir pour qu’il me remplace en Amérique et je vais une fois le rejoindre après la noce. Que tu saisis, fils ?

MARCEL, abruti.

Ap… ap… ap…

VAN PUTZEBOUM.

Ap… ap… ap… Tu broubelles (broubeulles) à présent ?

MARCEL.

Quoi ?

VAN PUTZEBOUM.

Tu broubelles ?… Tu es bègue ?

MARCEL.

Non, je dis : « Ap… après la noce ? »

VAN PUTZEBOUM.

Oui… Comme ça, je pourrai te remettre de la main dans la main ta fortune, que je suis dépositaire.

MARCEL.

Aha ? Ah ! ben, voilà une surprise !

AMÉLIE.

Le fait est que pour une surprise !

MARCEL.

Ça, c’est une surprise !

Il s’effondre sur le canapé.
VAN PUTZEBOUM, s’asseyant près de lui sur le canapé.

Oui ? Ça te plaît, ça ?

MARCEL (3), sur le canapé.

Oh ! je suis radieux !

VAN PUTZEBOUM (2), sur le canapé.

Eh hé, ça te faut dire, savez-vous !… car, quand je te regarde, ce que tu peux, une fois, avoir l’air lugubre, quand tu es radieux !

MARCEL.

Qu’est-ce que vous voulez, ça dépend des natures.

VAN PUTZEBOUM.

Oui, ça, je sais ! J’en ai eu un comme ça, quand il était joyeux… Ça était triste ! missait, il gémissait !

MARCEL.

Là ! ben, vous voyez !

VAN PUTZEBOUM.

Et il me léchait ! il me léchait !

MARCEL, le regardant, ahuri.

Hein !

AMÉLIE.

Qui ?

VAN PUTZEBOUM.

N’poleion premier donc ! Mon bouledogue. (Caressant machinalement la nuque de Marcel.) Si vous aviez vu la gueule qu’il avait !

MARCEL, dégageant sa tête et avec humour.

Allons ! voyons donc !

VAN PUTZEBOUM.

Ah ! C’était ça une bonne bête !

MARCEL.

Je suis vraiment heureux de vous l’avoir rappelé.

VAN PUTZEBOUM, se levant, et tout en parlant gagnant jusqu’au lit pour parler à Amélie.

Mais je bavarde, je bavarde, ça est pas tout ça, filske ! Maintenant que je t’ai vu… ta fiancée se faut s’habiller, n’est-ce pas ? et moi, je gêne !

MARCEL, qui s’est précipité sur la canne et le chapeau de Van Putzeboum que celui-ci et déposés en entrant sur la console. Les lui passant par-dessus l’épaule et devant le nez, afin que rien ne retarde son départ.

Oh ! vous partez !… déjà ! Oh ! vraiment !

VAN PUTZEBOUM, se retournant de son côté et prenant les objets qu’on lui présente.

Oui ! En attendant, je vais savoir faire une course ou deux, et je passe dans la demi-heure vous reprendre tous les deux. On fera la pormenade jusqu’au dîner, hein, donc ?

MARCEL, le poussant sans avoir l’air vers la porte.

C’est ça ! bon ! c’est ça !

AMÉLIE.

Vous nous gâtez vraiment ! Vous nous gâtez !

VAN PUTZEBOUM.

Alleï ! Alleï !… Ça est pour moi le plaisir !… Et alors on prévient le papa, hein donc ? qu’il dîne avec nous !

MARCEL, de même.

Entendu, entendu !

VAN PUTZEBOUM.

Alleï ! Ne vous dérangez pas ! s’il vous plaît !

MARCEL, de même.

C’est ça ! Au revoir ! au revoir ! (Lui fermant la porte sur le dos, puis à Amélie.) Eh ! bien, nous sommes propres !

AMÉLIE.

Comment vas-tu sortir de là, maintenant ?

MARCEL, descendant en scène.

Eh ! C’est fini ! Ma combinaison est dans l’eau ! C’est la catastrophe !

AMÉLIE, sortant du lit et allant à lui.

Allons, allons ! s’agit pas de se démonter !

MARCEL, passant no 1.

Quoi ! il veut assister au mariage… Je ne peux pas le lui donner, moi, le mariage ! c’est au-dessus de mes moyens.

AMÉLIE.

Ah ! oui, dame, ça !

VAN PUTZEBOUM, rentrant en flèche.

Le papa ! Voilà le papa !

MARCEL.

Quoi ?

AMÉLIE.

Quel papa ?

VAN PUTZEBOUM.

Ton papa à vous ; il monte l’escalier !

MARCEL.

Eh ! bien, après ?…

VAN PUTZEBOUM.

Mais alleï, cachez-vous !

AMÉLIE.

Moi ?

VAN PUTZEBOUM.

S’il vous voit comme ça, il va se douter… Cachez-vous.

MARCEL.

Hein ! Ah ! Oui ! oui !

AMÉLIE, que Van Putzeboum fait passer no 3.

C’est vrai ! Ah ! malheureuse que je suis !

VAN PUTZEBOUM, la poussant, suivi de Marcel, vers le cabinet de toilette.

Non ! non ! ne soyez pas désoléï ! Ça n’est pas le moment, savez-vous ! Alleï, alleï, entrez là !

Il lui indique le cabinet de toilette et retourne vers Marcel.
AMÉLIE, entre ses dents, au moment d’entrer.

Oh !… Vieille colle, va !

À peine est-elle sortie que Pochet fait irruption par le fond.

Scène V

Les Mêmes, POCHET.
POCHET.

Ah ! je vous trouve.

MARCEL.

Vous !

POCHET (1).

Ma fille ?… ma fille est ici ?

MARCEL (2).

Amélie… ?

VAN PUTZEBOUM, vivement, tirant Marcel par le poignet de façon a le faire passer no 3.

Non, monsieur, non ! elle n’est pas là !

POCHET.

Comment, elle n’est pas là ?

VAN PUTZEBOUM.

Non, j’ai visiteï ! tout l’appartement ; elle n’est pas là !

MARCEL.

Oui, en effet, elle…

POCHET.

Ah ! par exemple !… mais où est-elle ?

VAN PUTZEBOUM.

Ah ! Ça, on ne sait pas dire, savez-vous !… (Posant sa main gauche sur l’épaule de Marcel.) Mais Marcel ça est un galant homme, tu sais ! et il n’oublie pas qu’une file est une file.

POCHET.

Quoi ? Quoi ? « Une file est une file ? » (À Marcel.) Enfin, n’importe, il faut que je vous parle.

Il va déposer son chapeau sur la banquette qui est sous la fenêtre.
MARCEL, entourant familièrement de son bras gauche les épaules de Van Putzeboum de façon à l’entraîner vers la porte.

Ah ? Ah ?… Eh ! bien alors, mon cher parrain… !

VAN PUTZEBOUM.

Quoi ?

MARCEL.

Vous aviez une course à faire, n’est-ce pas ? Je crois que maintenant…

VAN PUTZEBOUM, bas.

Oh ! prends garde, tu sais !… le vieux, il a flairé le vent !… Si je te laisse… !

MARCEL.

Non, non ! n’ayez pas peur !

VAN PUTZEBOUM, esquissant le mouvement d’aller vers le cabinet de toilette.

Au moins, je vais la faire filer, que le père ne la voie pas.

MARCEL, le retenant.

Non, non ! ne vous inquiétez de rien, je réponds de tout.

VAN PUTZEBOUM.

Allons ! Ça te regarde hein ! donc !… Moi ! c’était pour toi.

MARCEL.

Oui, oui, je vous remercie bien.

VAN PUTZEBOUM.

Au moins tâche un peu de savoir mentir.

MARCEL.

Oui, oui, soyez tranquille !

VAN PUTZEBOUM.

Au revoir alors !… à tout à l’heure, donc !… (Se dégageant de Marcel et descendant un peu vers Pochet qui est devant le pied du lit.) Monsieur d’Avranches, on dîne ensemble ce soir, n’est-ce pas ?

POCHET, étonné.

Moi ?

VAN PUTZEBOUM.

Oui ! Ça est convenu avec Marcel et votre file.

POCHET.

Hein ? Ben… vous l’avez donc vue ?

VAN PUTZEBOUM, très troublé.

Hein ! non, non ! Mais je suppose, n’est-ce pas ? puisque le fiancé il dîne, la fiancée doit faire avec.

POCHET.

Ah ! oui.

Il descend.
VAN PUTZEBOUM, à Marcel et à mi-voix.

Oh ! je m’en vais, moi ! Ça est plus sûr.

MARCEL.

C’est ça ! C’est ça ! Allez !

VAN PUTZEBOUM.

À tout à l’heure.

Marcel l’accompagne jusqu’à la porte.
POCHET (1), aussitôt la sortie de Van Putzeboum.

Eh ! bien, qu’est-ce que ça veut dire ? Il est revenu, lui ?

MARCEL (2).

Ah ! il m’est retombé sur le dos !

POCHET.

Pour longtemps ?

MARCEL.

Eh ! jusqu’au mariage ! il vient pour y assister.

POCHET.

Non ? C’t averse ! Comment allez-vous faire ?

MARCEL.

Ah ! est-ce que je sais !

POCHET, passant no 2.

Ah ! c’est embêtant !… oh ! c’est embêtant !… Sans compter que cette situation-là, c’est bon un moment ! mais à trop durer… ça finirait par compromettre Amélie.

MARCEL, qui s’est assis sur la barre du pied du lit, les talons sur le sommier.

En quoi ?

POCHET.

Dame ! si on croit vraiment qu’elle est fiancée, ça décourage !

MARCEL, à part, moitié riant, moitié scandalisé, levant les yeux au ciel.

Oh !

POCHET.

Croiriez-vous qu’elle n’est pas rentrée cette nuit, cette petite !

MARCEL, jouant l’étonnement.

Non ?

POCHET.

Comme je vous le dis ! Ah ! je ne suis pas content !


Scène VI

Les Mêmes, AMÉLIE.
AMÉLIE, la frimousse espiègle, passant sa tête par l’entrebâillement de la porte du cabinet de toilette.

Bonjour, papa !

POCHET.

Ah !… eh ! bon, mais… ! tu es ici, toi ?

AMÉLIE, entrant.

Mais oui, quoi ? tu le sais bien.

POCHET.

Mais non ! (À Marcel.) Ah ça ! qu’est-ce que vous me disiez ?

MARCEL, toujours perché sur sa barre de lit.

Mais c’est pas moi ! C’est le parrain !

AMÉLIE.

Comment, « tu ne sais pas » ? mais je t’ai écrit !

POCHET.

À moi !

AMÉLIE.

Mais oui ! Alors, quoi ? tu ne m’apportes pas mon tailleur ?

POCHET.

Je devais t’apporter un tailleur ?

AMÉLIE.

Oui, enfin, un costume tailleur… Je n’ai qu’une toilette de nuit.

POCHET, sur un ton choqué, en indiquant la chemise d’Amélie.

Oh !… je vois !… Mais je n’ai rien reçu… On a dû porter ton mot comme j’étais déjà sorti pour venir.

AMÉLIE.

Alors, qu’est-ce que tu viens faire ?

POCHET.

Mais vous prévenir, donc ! pour le cas où il aboulerait ici.

AMÉLIE et MARCEL.

Qui ?

POCHET.

Mais Étienne !

MARCEL et AMÉLIE.

Étienne !

Marcel a sauté à bas du lit pour rejoindre Pochet.
POCHET.

Il a fini ses vingt-huit jours.

MARCEL.

En quinze jours !

POCHET.

Son régiment est licencié ! il y a une épidémie d’oreillons !

MARCEL.

Oh ! nom d’un chien.

POCHET.

Alors, au débotté tout à l’heure, il est tombé à la maison.

MARCEL, gagnant la gauche.

Oh ! ma mère ! ma mère !

AMÉLIE.

Et qu’est-ce que tu as dit ?

POCHET.

Eh ! naturellement, j’ai dit n’importe quoi !… J’ai dit que tu étais sortie de bonne heure…

AMÉLIE.

Bon ça !

POCHET.

Qu’est-ce que tu voulais ! il fallait bien sauver la face. Ah ! c’est chic de me mettre dans des situations pareilles !… Obliger ton père à mentir !…

MARCEL, regrimpant sur sa barre de lit.

Oh ! ben !…

POCHET.

Moi ! un ancien assermenté !

AMÉLIE.

Une fois n’est pas coutume.

POCHET.

Ah ! non, non ! je ne suis pas content ! Ça n’est pas sérieux ! Découcher maintenant !…

AMÉLIE.

Oh ! papa : on n’a rien à se reprocher ! J’ai couché ici, mais… !

POCHET, l’arrêtant d’un geste.

C’est très bien ! Je ne veux pas le savoir ! (À Marcel sévèrement.) Je ne veux pas le savoir !

MARCEL, toujours perché sur sa barre.

Mais je vous dis rien, moi !

POCHET.

Tu reconnaîtras que je ne me mêle jamais de tes affaires. Il y a certaines choses dans la vie où un père qui se respecte doit garder ses distances… Je n’ai donc jamais voulu être pour toi, ni un juge ni un ascenseur !… C’est-y vrai ?

AMÉLIE.

C’est vrai.

POCHET.

Mais je tiens à te dire ceci : C’est que moi, qui suis un homme ! jamais, tu entends, de toute ma carrière — en dehors des jours… où j’étais de nuit — jamais, je n’ai découché !… (À Marcel.) jamais !

MARCEL, comme précédemment.

Mais encore une fois je vous dis rien, moi !

POCHET.

Que ton père te serve d’exemple ! (Dégageant.) Quand je défaillais, moi… c’était l’après-midi.

AMÉLIE, respectueusement.

C’est vrai, papa ; c’est plus convenable !

POCHET, satisfait de cette approbation.

Ah !

AMÉLIE, prenant son père par le bras.

Mais je vais te dire aussi, pour notre excuse : Ce n’est pas entièrement de notre faute ; hier soir, on avait tellement fait la bombe ; on était tellement ronds !…

MARCEL, descendant de sa barre pour aller à Pochet.

C’est-à-dire que, si on n’a pas la gueule de bois…

AMÉLIE.

C’est un miracle.

POCHET, convaincu et affectueux.

Mais oui ! Mais oui ! Mais je ne doute pas que tu n’aies d’excellentes raisons ! mais c’est tout de même des choses qu’on ne peut pas expliquer au concierge ! Alors !…

AMÉLIE.

Ben, oui ! je sais bien.

POCHET, un bras autour des épaules d’Amélie, l’autre autour de celles de Marcel. — Avec élan.

Ah ! (Il embrasse sa fille : instinctivement se tourne ensuite vers Marcel, fait le mouvement de l’embrasser et s’arrête en route.) La jeunesse est légère !

À ce moment on entend une rumeur à la cantonade.
VOIX DU PRINCE.

Logeur, s’il vous plaît.

MARCEL, remontant.

Qu’est-ce que c’est que ça ! Qui est-ce qui crie comme ça dans l’antichambre ? (Ouvrant la porte du fond et la refermant aussitôt.) Sapristi ! le prince ici, chez moi !

POCHET, courant affolé.

Le prince ici !

AMÉLIE, qui est à l’extrême droite.

Oh ! et je suis en chemise !

Elle traverse la scène en courant et va se réfugier derrière le rideau de droite de la fenêtre dont elle défait l’embrasse.
POCHET, courant à la table.

Nom d’un chien !… le bougeoir !… le bougeoir !…

Il saisit le bougeoir qui est sur le bureau. Marcel se tient près de la cheminée.
LE PRINCE, surgissant et s’arrêtant sur le seuil.

Oh ! que de monde !…

POCHET, qui s’est précipité (3) le bougeoir tendu au-devant du Prince.

Sire !

LE PRINCE (2).

Ah ! monsieur le père ! oui ! Encore avec une bougie !

Il descend un peu.
POCHET, descendant avec lui.

Excusez-moi, Majesté ! je n’ai pas eu le temps d’allumer.

LE PRINCE.

Mais qu’est-ce que vous faites donc toujours avec une bougie ? C’est donc une manie ? un tic ? Dites-moi quoi ?

POCHET.

Mais non, sire !…

LE PRINCE.

Et puis, je vous prie ! je ne suis pas sire ! Je suis Monseigneur, Altesse ! Donc votre sire et votre bougie, vous pouvez laisser ça ensemble.

En ce disant il passe devant lui et gagne la droite.
POCHET, qui l’a suivi et avec malice.

Pour que ça fonde.

LE PRINCE, se retournant et brusque.

Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

POCHET.

C’est un mot pour faire rire Votre Altesse : « Sire… bougie… la cire dans la bougie… la bougie dans la cire… ça fond !… »

LE PRINCE, le regarde avec dédain, puis.

C’est idiot !

POCHET, interloqué.

Ah ?

LE PRINCE.

Et je vous ai décoré !

POCHET.

Commandeur, oui, Altesse ! (Tirant à moitié le brevet de sa poche.) J’ai même reçu le brevet !

LE PRINCE.

Oui, oui… enfin !… C’est au titre étranger !

POCHET.

Croyez bien, monseigneur… !

LE PRINCE, lui tournant carrément le dos.

Oui, assez ! merci !

POCHET, se le tenant pour dit.

Bon !

Il dépose le bougeoir sur la table.
MARCEL, toujours dans son coin près de la cheminée. À part.

Ah çà ! qu’est-ce qu’il vient faire chez moi ?

LE PRINCE, remontant par l’extrême droite jusqu’au fond de la scène — en passant il bouscule presque Marcel sans même avoir l’air de faire attention à lui. Marcel s’efface tout contre la cheminée.

Mais quoi ? Je ne vois pas mademoiselle d’Avranches !

POCHET, courant à la fenêtre.

Amélie ! Amélie ! Son Altesse t’appelle !

AMÉLIE, à voix basse.

Ah ! non ! non !

POCHET.

Mais viens donc, voyons ! Quand un roi commande !… (Au prince, qui est à droite du lit.) Elle se cache, la chère enfant !

LE PRINCE.

Oh ! mademoiselle d’Avranches, je vous en prie !

AMÉLIE, derrière le rideau.

Oh ! Monseigneur !…

POCHET (1), à Amélie (2).

Allons, voyons ! (Au prince.) Elle… elle s’habille.

Il va la chercher.
AMÉLIE, présentée par son père qui la tient de la main gauche elle a passé l’embrasse du rideau autour de sa taille comme une ceinture.

Oh ! Monseigneur… vraiment !… je suis en chemise.

LE PRINCE, affirmatif.

Oh ! très bien, je vois ! vous m’attendiez.

AMÉLIE, avec un soubresaut d’étonnement.

Moi !…

POCHET, passant 2 et allant au prince qui est devant le pied du lit. — Et presque dans son oreille.

C’est un amour, cette petite !… Ah ! je comprends qu’une tête couronnée…

LE PRINCE, très sec, en lui faisant signe avec son chapeau qu’il tient à la main, de passer à sa gauche.

Oui ! Eh bien ! comprenez !… mais en silence.

POCHET.

Ah ?… pardon.

Il passe 3 en décrivant à distance un demi-cercle autour du prince auquel il fait en passant des révérences de cour.
LE PRINCE, tournant carrément le dos à Pochet puis s’adressant à Amélie.

Vous m’avez écrit de venir, je suis venu.

AMÉLIE, stupéfaite.

Moi !

LE PRINCE.

Le général me suit !… avec les costumes tailleur.

AMÉLIE.

Hein !

LE PRINCE.

Je lui ai dit de prendre un choix… (Sur un ton de regret.) n’ayant pas la mesure !

AMÉLIE, sur un ton de protestation.

Oh ! mais, Monseigneur, il y a erreur !… Je ne vous ai jamais écrit ça.

LE PRINCE.

Comment donc ? mais tenez ! (il tire de sa poche la lettre qui lui a été portée ; il la déplie pour la lire ; Pochet curieusement s’est approché les deux mains dans les poches et jette les yeux sur la lettre par-dessus l’épaule du prince ; ce que voyant, celui-ci toise avec hauteur Pochet, qui se le tenant pour dit, pivote sur les talons, les yeux au plafond, et s’éloigne de l’air le plus innocent du monde ; dès lors, le prince entame la lecture de la lettre.) « Petit père… »

AMÉLIE, scandalisée.

Oh !… et vous admettriez !…

LE PRINCE.

Mais comment ! C’est très drôle ! J’aime ça ! (lisant) « Je suis rue Cambon, chez Courbois, qui m’a logée cette nuit. » (Parlé) Courbois, quel drôle de nom !

POCHET, riant avec complaisance.

Oui, hein ?

AMÉLIE, indiquant Marcel qui, se sentant en dehors de la conversation, a fini par s’asseoir au fond, près de la console.

C’est monsieur !

POCHET.

Oui, c’est… (À Marcel.) Hep !

MARCEL, à cet appel se précipitant par l’extrême droite sur le bougeoir et courant avec jusqu’auprès du prince. — S’inclinant profondément.

Monseigneur !

LE PRINCE.

Encore la bougie !

AMÉLIE.

C’est M. Courbois.

POCHET.

C’est… c’est Courbois.

LE PRINCE.

Aha !… C’est vous le logeur ?

MARCEL (3), ahuri.

Hein ?

LE PRINCE.

C’est très bien !

Il lui tourne le dos.
MARCEL, à Pochet.

Comment, « le logeur » ?

POCHET, le prenant par le biceps et le faisant passer 4.

Chut, pas de rouspétance.

LE PRINCE, à Amélie.

Où en étais-je ? Ah ! oui. (Lisant.) « Viens me prendre et apporte un costume tailleur. »

AMÉLIE.

Oh ! Monseigneur. Mais ce n’était pas à Votre Altesse que j’écrivais ainsi.

LE PRINCE.

Hein !

AMÉLIE.

C’est à papa.

LE PRINCE.

Mais comment ?

AMÉLIE.

Je ne sais pas ! Je me suis trompée d’enveloppe !

POCHET, jovial et familier.

J’y suis ! C’est moi, alors, qui recevrai la lettre que tu écrivais à Son Altesse.

LE PRINCE, lui imposant silence par des petits « ah ! ah ! » nerveux et saccadés.

Ah !… ah !… ah !… (Un temps. Pochet s’arrête court.) Mademoiselle expliquera tout aussi bien.

AMÉLIE.

Mais Monseigneur, je ne vous aurais pas appelé « petit père ! »

MARCEL, très courtisan.

Elle n’aurait pas tutoyé Votre Altesse.

LE PRINCE, comme pour Pochet.

Ah !… ah !… ah !

MARCEL, s’inclinant.

Pardon !

LE PRINCE.

De quoi vous mêlez-vous… le logeur ?

MARCEL, à part.

Ah ! zut !

POCHET, haut et par flagornerie pour le prince.

Évidemment, voyons ! On m’adresse pas la parole à un prince royal avant qu’il vous parle. (Au prince, dont il est tout près.) Pas vrai ?

LE PRINCE.

Eh bien ?… puisque vous le savez !

POCHET.

C’est pour ça que je lui dis.

LE PRINCE.

Faites-le.

POCHET.

Ah ? bon !

LE PRINCE, haussant les épaules, puis se retournent vers Amélie et le sourire aux lèvres.

Au contraire, c’est charmant de m’appeler petit père ! C’est tendre, c’est affectueux ! C’est slave ! C’est charmant de me tutoyer, moi que j’ai tant horreur de l’étiquette, du protocole.

POCHET, [3] à Amélie.

Là, tu vois !

LE PRINCE, à Pochet, pour le faire taire.

Ah !… ah !… ah !…

POCHET, s’écartant prudemment.

Oui !… Oui, oui !

LE PRINCE, à Amélie.

Je suis un bon garçon, à la bonne franquette, comme vous dites !… j’aime à rire, à m’amuser, à faire des farces. Vous verrez, je suis très farceur !… À la cour de Palestrie, je suis connu pour…

AMÉLIE.

Vraiment !

POCHET, qui s’est rapproché, riant.

Oh ! que je vous comprends !

LE PRINCE, brusquement, à Pochet.

Ah !… ah !

Pochet, qui ne s’y attend pas, pivote brusquement et, dans son mouvement, envoie un renfoncement dans l’estomac de Marcel qui est tout près de lui.
MARCEL, en recevant le coup dans l’estomac, exactement sur le même ton que le prince.

Ah !

LE PRINCE, à Amélie.

Ainsi, tenez, dernièrement : vous connaissez le gros Patchikoff ?

AMÉLIE.

Non.

POCHET.

Non, nous ne…

LE PRINCE, sèchement.

Je demande ça à mademoiselle.

POCHET.

Non, mais je sais, elle ne le connaît pas.

LE PRINCE.

Ah !… ah !… ah !

Pochet se reculant en faisant signe avec les mains qu’il a compris.
MARCEL, avec malice, dans l’oreille de Pochet.

On ne parle pas à un prince royal, avant qu’il vous adresse la parole.

POCHET, à Marcel, en imitant le prince.

Ah !… ah !… ah !

Il remonte pour redescendre peu de temps après.
LE PRINCE, à Amélie.

Patchikoff, c’est un chambellam de la cour. Eh bien ! l’autre soir, après le dîner, nous l’avons empoigné, avec quatre de mes officiers, par les jambes et par les bras, et nous l’avons plongé dans une baignoire d’eau glacée.

AMÉLIE.

Non ?

LE PRINCE.

Il était furieux ! Il n’osait rien dire, mais il était furieux ! Nous avons ri ! Nous avons ri !… (Changeant de ton et le plus naturellement du monde.) Et il est mort !… d’une congestion !

AMÉLIE et POCHET, qui est revenu (3) à sa place première.

Non ?

POCHET, qui est devant le pied du lit, tout près du prince, se tordant complaisamment.

Ah !… Ah ! que c’est drôle !

MARCEL, gagnant l’extrême droite.

Ce prince est décidément idiot !

Il remonte au fond et va s’asseoir sur le siège qui est près de la console, à côté de la porte.
POCHET, presque courbé en deux par le rire, se retenant à la barre du lit pour ne pas tomber.

Que c’est drôle ! Que c’est drôle !

LE PRINCE, toise un instant avec dédain Pochet qui se tord presque sur sa poitrine, puis :

Écoutez, le papa !… Je vous fais grand offier !… mais par Dieu le Père, foutez-nous la paix. (On sonne.) Tenez, la sonnette… Ça doit être le général !… Voyez donc, logeur !

MARCEL, au fond, se levant, à part.

Non mais, c’est ça ! il me prend pour son larbin. (À ce moment la porte du fond s’ouvre et l’on voit Charlotte introduire le général suivi d’un commis de magasin portant une caisse. Le général entre ; trouvant Marcel à droite de la porte, il lui remet, sans même le regarder, son chapeau entre les mains et descend un peu en scène. Marcel considérant le chapeau.) Oh ! charmant !

Il pose le chapeau sur la console.

Scène VII

Les Mêmes, KOSCHNADIEFF, UN COMMIS DE MAGASIN.
LE PRINCE.

Eh ! entre donc, général !

KOSCHNADIEFF, faisant avec la main le salut militaire palestrien.

Altessia !

Il descend vers le prince.
LE PRINCE.

Et alors ?… Tu apportes les costumes ?

KOSCHNADIEFF, très respectueux.

Voilà tout ce que j’ai pu trouver, Monseigneur… (Brusque, au commis.) Mettez là, subalterne ! (Au prince.) On m’a donné plusieurs, à condition, comme ils disent. (Au commis.) Allez, l’employé ! vous ferez reprendre ! je vous prie.

LE COMMIS, après avoir déposé la caisse par terre.

Bien, monsieur ! Au revoir, messieurs, dame !

Il sort.
LE PRINCE, très galant, à Amélie, en lui tendant la main.

Tenez donc ! si vous voulez voir… ?

AMÉLIE, la main dans celle du prince, face a lui, dos au public et le bras tendu, faisant une révérence de cour.

Oh ! Monseigneur, vraiment… ! (Toujours la main dans celle du prince, ayant décrit un demi-cercle autour de lui qui l’a amenée au 2, faisant une nouvelle révérence.) Oh ! vraiment, Monseigneur… !

En faisant la révérence elle donne du talon dans la caisse et manque de tomber.
TOUS, se rapprochant d’Amélie.

Oh !

AMÉLIE, qui a repris son équilibre.

Ça n’est rien !

LE PRINCE, lisant sur la caisse le nom du magasin.

« Trois Quartiers. » Z’est-ce que c’est bien ?

AMÉLIE.

Mon Dieu !… ce n’est pas là où je m’habille !… mais enfin !…

LE PRINCE.

Si vous voulez essayer, celui qui vous va ?…

AMÉLIE, indiquant le cabinet de toilette.

Volontiers ! Alors, si on veut m’apporter ça par là…

Tout en parlant elle gagne jusqu’à la porte du cabinet de toilette en passant devant Koschnadieff, Pochet et Marcel.
LE PRINCE, voyant Pochet qui, empressé, a ramassé la caisse à robes.

Ah !… ah !… ah ! (Pochet interdit lâche la caisse qui tombe avec fracas devant lui de toute sa hauteur. Le prince faisant alors un signe impératif au général.) Koschnadieff !

Le général ramasse la caisse avec empressement.
AMÉLIE, s’interposant.

Oh ! prince ! le général !…

LE PRINCE.

Laissez ! Il est fait pour ça ! Un général doit servir à quelque chose !

Le général, flatté, approuve d’un geste fier de la tête ; le prince gagne la gauche.
AMÉLIE, au général qui vient à elle avec la caisse.

Oh ! je suis confuse !

KOSCHNADIEFF, s’inclinant.

Je vous prie !

AMÉLIE.

Alors, par ici, général.

Elle entre dans le cabinet de toilette.
POCHET, au général qui, arrivé à la porte du cabinet de toilette, ne peut y introduire la caisse qu’il présente par la largeur.

Non, jamais comme ça, général ! Dans l’autre sens !

KOSCHNADIEFF, à Pochet.

Kolaschnick ! Euh ! Merci.

Il retourne la caisse dans le sens de la hauteur et entre dans le cabinet de toilette.
MARCEL, qui est descendu à gauche de la table.

Dites donc, Pochet…

POCHET, au moment de sortir, se retournant vers Marcel.

Kolaschnick !

Il entre dans le cabinet à la suite du général.

Scène VIII

LE PRINCE, MARCEL.
LE PRINCE, qui a arpenté la scène, redescendant tout contre Marcel qui est resté bouche bée de la sortie de Pochet et lui tourne le dos. — Brusquement.

Et Vous, alors ? quoi ?

MARCEL, qui a sursauté à cette brusque et tonitruante interpellation, se retournant vers le prince.

Moi ? Mais rien, monseigneur ! je regarde ; parce que moi, dans tout ça, n’est-ce pas… ?

LE PRINCE, passant no 2.

Évidemment !

MARCEL.

Je vais même, si Votre Altesse le permet, aller m’habiller.

LE PRINCE, se retournant à demi et dédaigneusement par dessus l’épaule.

Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?

MARCEL.

Non ! C’est parce que Votre Altesse me demande…

LE PRINCE, de son index tendu battant l’air d’un coup sec sous le nez de Marcel, ce qui fait battre les paupières et sursauter la tête de ce dernier. (Faire ce geste à froid et ne parler chaque fois qu’après.)

C’est drôle ! Je connais… votre figure !

Même jeu de l’index, même sursaut de Marcel.
MARCEL, flatté.

Ah ! vraiment, monseigneur ?

LE PRINCE.

Où donc… ?

Même jeu.
MARCEL, à part.

Mon Dieu que c’est désagréable !

LE PRINCE.

vous ai-je vu ? Vous n’avez pas servi… ?

MARCEL.

Dans l’infanterie, à Compiègne.

LE PRINCE, brusque.

Non !… Non !

MARCEL.

Ah ! pardon !

LE PRINCE.

… à Monte-Carlo !… hôtel de Paris ?

MARCEL, vexé.

Moi ? Ah ! non ! non, c’est pas moi.

LE PRINCE.

Ah ? je confonds, alors ! il y a un sommelier qui vous ressemble.

Il passe.
MARCEL.

Très flatté, monseigneur ! mais c’est un autre !

LE PRINCE, qui est remonté au fond, considérant l’appartement.

Et alors, dites-moi ! c’est votre logement, ça ?

MARCEL.

Mon Dieu, oui.

LE PRINCE.

Oui !… Il est laid.

MARCEL.

Ah ?

LE PRINCE.

Oui !

MARCEL, à part.

Non, mais, est-ce qu’il est venu ici pour chiner !

LE PRINCE.

Très laid !

MARCEL.

Mon Dieu, monseigneur, je ne dis pas ; mais, n’est-ce pas, étant donné ce que je le loue…

LE PRINCE.

Ah ?… et… qu’est-ce que ?

MARCEL, qui ne comprend pas.

Monseigneur ?

LE PRINCE, répétant.

Et… qu’est-ce que ?

MARCEL, avec un geste vague, pour avoir l’air d’avoir compris.

Ben, vous savez, mon Dieu… ! hein ?

LE PRINCE, soupe au lait.

Qu’est-ce que vous louez ça ?

MARCEL, vivement.

Ah ! qu’est-ce que je loue ça !… Dix-huit cents francs !…

LE PRINCE.

Par jour ?

MARCEL, sans réfléchir.

Par jour. (Se reprenant.) Hein ? non, par an.

LE PRINCE.

Ah ! à la bonne heure !

MARCEL.

Alors, n’est-ce pas ? pour dix-huit cents francs…!

LE PRINCE.

Et qu’est-ce que ça vous fait, chaque jour ?

MARCEL.

Quoi ? Oh !  !… Ça m’embête un peu au moment du terme ; mais sans ça !…

LE PRINCE.

Non !… Chaque jour, combien ça vous fait ?

MARCEL.

Ah ! ce que ça me fait par jour !

LE PRINCE.

Oui !

MARCEL.

Oui ! oui… oui !… (À part.) Est-il curieux !

LE PRINCE.

Eh ! bien ?

MARCEL.

Diable ! c’est que c’est tout un calcul à faire !

LE PRINCE.

Eh ! bien, faites le !

Il remonte.
MARCEL.

« Faites-le » ! Oui, évidemment ! c’est… c’est une solution ! (À part) On n’a pas idée d’être curieux comme ça ! (Commençant le problème.) Dix huit cents francs par an, qu’est-ce que ça fait par jour ? (À part) Si je m’attendais à faire des mathématiques aujourd’hui !… (Haut) Dix huit cents… (À part) Il faut bien que ce soit pour une Altesse Royale ! (Haut) Étant donné qu’il y a douze mois dans l’année, si c’était cent francs par mois, n’est-ce pas ?… si c’était cent francs par mois…

LE PRINCE, qui arpente, s’arrête, remarche, descendant à ce moment.

Allez ! prenez votre temps.

MARCEL, interrompu dans son calcul.

Ah ! là, voyons ! (Reprenant) Si c’était cent francs par mois, ça ferait cent multiplié par douze ; égal euh… ? égal douze cents ! c’est très simple !… J’ai déjà douze cents francs, je les mets de (Il fait la mimique de ramasser avec les doigts douze pions imaginaires et de les fourrer dans les poches de côté de son pyjama) Ça va ! ça va ! Bon ! de douze, aller à dix-huit… reste… reste…

LE PRINCE.

Huit !

MARCEL.

Mais non, six !

LE PRINCE.

Ah ! douze, dix-huit ! oui six ! six !

MARCEL.

Je vous en prie, monseigneur ! je ne tiens pas à faire le calcul, mais du moment que vous me le demandez, ne vous en mêlez pas ! sans ça nous n’en sortirons pas !

LE PRINCE.

Allez ! allez ! ne vous troublez pas !

MARCEL.

Oh ! c’est pas moi qui me trouble ! (Reprenant) Six ! bon ! reste donc six cents ! six cents par douze, ça fait… ?

LE PRINCE.

Six cent douze !

MARCEL.

Ah ! là, monseigneur ! voyons ! par notre Père !

LE PRINCE.

Allez ! allez ! ne vous troublez pas !

MARCEL.

Étant donné que six cents est la moitié de douze cents et que douze cents font cent francs, six cents feront donc moitié moins ; soit : cinquante francs ! c’est logique.

LE PRINCE.

Eh ! ben, ça y est ?

MARCEL.

Ça va ! ça va ! (Reprenant) Je reprends tous les cents francs que j’ai mis dans ma poche ; avec les cinquante que j’ai là ! ça fait cent cinquante ! Ça y est ! (Au prince.) Monseigneur, ça y est ! ça fait cent cinquante francs ! Ouf !

Il s’assied satisfait et épuisé.
LE PRINCE.

Par jour ?

MARCEL.

Par jour. (Se reprenant.) Non, par mois !

LE PRINCE.

Ah ? et qu’est-ce que ça fait par jour ?

MARCEL.

Qu’est-ce que ça… ? (Il regarde le public avec découragement, puis au prince.) Vous y tenez ?

LE PRINCE.

Évidemment ! Je me moque, moi, par mois !

MARCEL.

Aha ?… tandis que par jour… ?

LE PRINCE.

Évidemment !

Il remonte.
MARCEL.

Oui, oui ! il aime mieux ça par jour ! c’est une question de goût !… soit ! allons !… (Il se lève, résigné.) il me fera avoir une congestion, ce prince-là ! (Reprenant) Voyons, nous disons : cent cinquante francs par mois, qu’est-ce que ça fait par jour ? — c’est très simple ! — Comme il y a trente jours dans le mois, ça fait cent cinquante divisé par trente.

LE PRINCE.

Oui !

MARCEL.

Merci !… En quinze combien de fois trente ?… En quinze combien de fois trente, il y va deux fois !… Voilà ! je pose deux !… et je retiens trente ! (À part.) Mon Dieu, que c’est dur quand on n’est pas entraîné ! (Calculant de tête.) Deux fois trente, soixante ; de quinze… ? soixante de quinze… ?

Il continue à suer sang et eau… se prenant la tête de la main droite, comptant mentalement avec ses doigts de la main gauche : dessinant avec son pied par terre des signes imaginaires de division, inscrivant de même des chiffres ; puis avec sa semelle les effaçant.
LE PRINCE, brusquement.

Eh ! bien, ça y est !

MARCEL, sursautant.

Ah ! là… ! Ah ! c’est malin ! il faut que je re commence, maintenant !

LE PRINCE.

Enfin, quoi ? vous n’avez pas encore trouvé !

MARCEL.

Mais si ! j’allais ! j’allais ! et puis vous me coupez ! Attendez ! attendez ! je retrouve le fil ! Oui !

LE PRINCE.

Quel fil ?

MARCEL.

Chut… (Comptant) Cinq, oui, neuf, sept, zéro, zéro… Voilà ! Je trouve vingt-cinq mille francs.

LE PRINCE.

Vingt-cinq mille francs ? par jour !

MARCEL, contemplant par terre son opération imaginaire.

Il doit… il doit y avoir une erreur !

LE PRINCE.

Sûr !

MARCEL, excédé.

Mon Dieu ! quand je pense qu’il y a des gens qui gagnent cent sous par jour ! cent cinquante francs par mois ! et qui…(Brusquement, avec un cri de victoire.) Ah !… Je l’ai ! (Au prince.) Je l’ai, monseigneur ! « Cent cinquante francs par mois, cent sous par jour » ! Quel éclair ! Ça fait cinq francs ! Cinq francs par jour !

LE PRINCE.

Cinq francs par jour !

MARCEL.

Tout rond ! (À part) Oh ! comme on arrive mieux à un résultat quand on ne procède pas par le calcul.

LE PRINCE.

Cinq francs par jour, Vous louez ça !

MARCEL.

Oui !

LE PRINCE.

Évidemment, pour cinq francs par jour on ne peut pas avoir le palais des doges !

MARCEL, haut, avec complaisance.

Non. Et puis, qu’est-ce que j’en ferais ?

LE PRINCE.

Cinq francs par jour, c’est très bien !… (Tout en gagnant la gauche)… Vous direz ça au général, n’est-ce pas ?

MARCEL.

Au général ?… Quoi ?

LE PRINCE, s’échauffant.

Que ça fait cinq francs par jour.

MARCEL.

En quoi ça peut-il l’intéresser ?

LE PRINCE, soupe au lait, la voix dans la tête.

Il s’occupe de ces choses-là.

MARCEL, à part.

Il faut vraiment qu’il ait du temps à perdre !


Scène IX

Les Mêmes, POCHET puis KOSCHNADIEFF.
POCHET.

Voilà ! elle a choisi.

LE PRINCE.

Ah ! très heureux ! (Koschnadieff à ce moment sort de la chambre de droite.) Ah ! Koschnadieff !

KOSCHNADIEFF, s’arrêtant (4) sur le pas de la porte du cabinet de toilette.

Altessia ?

LE PRINCE.

Moïa marowna ! Tetaïeff polna coramaï momalak scrowno ? (Avance un peu ! À t’on trouvé le costume voulu ?)

KOSCHNADIEFF.

Stchi ! A spanié co ténia. Monseigneur, co rassa ta swa lop ! (Certes ! un costume tailleur, Monseigneur, qui lui va comme un gant).

LE PRINCE.

Très bien !

LE GÉNÉRAL, la main à son front, dans l’attitude militaire.

Swoya Altessia na bouk papelskoya mimi ? (Votre Altesse n’a plus besoin de moi ?)

LE PRINCE.

Nack. (Le général s’incline et remonte chercher son chapeau au fond.) Ah ! (Le général redescend.) (2) Woulia mawolsk twarla tschikopné, à le logeur là, euh !… (Voulez-vous donner au logeur, là, euh !…)

MARCEL (3), entendant qu’on parle de lui.

Ça y est ! v’lan ! « le logeur » !

LE PRINCE.

… Quantchi prencha. (Vingt francs !)

Il gagne l’extrême gauche.
LE GÉNÉRAL.

Oh ! stchi ! (Oh ! oui !)

Il fouille dans sa poche de gilet, en tire sa bourse et y prend vingt francs.
MARCEL, à Pochet (4).

Qu’est-ce qu’il dit encore de moi ? Qu’est-ce qu’il dit ?

LE GÉNÉRAL, mettant un louis dans la main de Marcel.

Quantchi, prencha ; voilà !

MARCEL, ahuri.

Qu’est-ce que c’est que ça !

POCHET, facétieux.

Prenchi, prencha ; c’est un louis.

MARCEL.

Un louis ! (Au Prince.) Eh ! ben, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ?

LE PRINCE.

Pour le logement donc !

MARCEL.

Comment, pour le logement ! Ah çà ! Son Altesse plaisante ?

LE PRINCE.

Quoi ? quoi ? C’est cinq francs, je vous donne vingt !

LE GÉNÉRAL.

On vous donne vingt !

MARCEL, allant vers le prince, en passant devant le général.

Hein ? Mais justement ! mais pas du tout !… je ne veux pas ! en voilà une idée.

LE PRINCE.

Comment ! Quoi ? Qu’est-ce que ?

MARCEL, s’échauffant et voulant absolument forcer le prince à reprendre son louis.

Mais je ne suis pas tenancier ! reprenez ça !

LE PRINCE, scandalisé de ce sans-façon vis-à-vis de lui.

Eh là ! eh là !

LE GÉNÉRAL, saisissant Marcel par le bras et le faisant passer (3).

Quelles sont ces façons !… Quand Son Altesse… !

POCHET, même jeu, le faisant passer (4).

Eh ! Ne compliquez pas !…

MARCEL, furieux.

Mais je ne veux pas de son louis, moi !

POCHET, lui prenant le louis des mains.

Eh ! bien, ce n’est pas une raison pour faire tant d’histoires. (Au prince, la main qui tient le louis tendue vers lui comme pour le lui rendre.) Excusez-le, monseigneur !… ce manque d’usages… ! (Il met le louis dans son gousset.) Ah ! là, là !

LE PRINCE, de loin à Marcel.

Je suis très mécontent, vous savez ! Jamais, entendez-moi ! jamais, je ne reviendrai plus chez vous.

POCHET, à Marcel.

Là !…

MARCEL, à part.

Tu parles !

LE PRINCE.

Et maintenant, allez ! je vous ai assez vu !

MARCEL.

Que je m’en aille ?

POCHET, abondant dans le sens du prince par flagornerie.

Oui, allez-vous-en ! ça vaut mieux. (Au prince.) N’est-ce pas ?

LE PRINCE.

Oui !… Et vous aussi.

POCHET.

Ah ? et moi aussi ?

LE PRINCE.

Allez ! tous les deux !

POCHET.

Bon !… bon, bon !…

MARCEL, se tordant d’un rire nerveux.

Aha ! C’est le comble !… il me fiche à la porte de chez moi !…

POCHET, prenant le bras de Marcel.

Allons-nous-en alors, puisqu’y dit… !

Ils se dirigent tous deux, bras dessus bras dessous vers le cabinet de toilette.
LE PRINCE, criant à les faire sursauter.

Non !

POCHET et MARCEL, se retournant au cri.

Quoi ?

LE PRINCE.

Pas par là !… j’ai loué !…

MARCEL, rebroussant chemin ainsi que Pochet. Avec le même rire.

Il a loué ! Ça devient comique ! Ma parole, ça devient comique !…

POCHET, à Marcel.

Où va-t-on alors ?

MARCEL.

Je ne sais pas !… Allons à la lingerie.

POCHET.

Allons à la lingerie !…on comptera le linge !..

MARCEL.

C’est ça ! on comptera le linge.

Ils sortent par le fond.
LE GÉNÉRAL, la main à son front, au prince qui arpente nerveusement la chambre.

Swoya Altessia na jabo dot schalipp as madié ? (Votre Altesse n’a pas d’ordres à me donner ?)

LE PRINCE, s’arrêtant, et après une seconde d’hésitation.

Nack. (Non.)

LE GÉNÉRAL.

Loyo, sta Swoya Altessia lo madiet, me pipilski teradief. (Alors, si Votre Altesse le permet, je vais me retirer.)

LE PRINCE.

Bonadia Koschnadieff ! (Bonjour, Koschnadieff.)

LE GÉNÉRAL.

Arwalouck, Motjarnié ! (Au revoir, Monseigneur.)

Sortie du général.

Scène X

LE PRINCE, puis CHARLOTTE.
LE PRINCE, qui s’est remis à arpenter.

Vraiment, cette Amélie est charmante, mais je ne sais donc pas pourquoi elle a choisi ce logeur ! (Il s’assied sur le lit, côté droit. Au même moment on frappe à la porte du cabinet de toilette.) Entrez ! (Entre Charlotte portant sur les bras une paire de draps pliés.) Ah !… la. camériste !… Qu’est-ce que vous voulez ?

CHARLOTTE, qui a gagné carrément en scène de façon à se trouver à un mètre environ en face du prince.

J’viens faire le lit !

LE PRINCE, avec indifférence.

Ah ? (Considérant Charlotte.) Montrez-vous un peu !.. soubrette !

CHARLOTTE, avançant d’un pas.

Non : Charlotte !

LE PRINCE.

Oui ! « Soubrette », c’est un nom générique.

CHARLOTTE.

J’sais pas ce que c’est.

LE PRINCE, tendant la main vers elle.

Bien ! ça n’a aucune importance. (L’attirant tout contre lui.) Vous êtes très jolie savez-vous bien !… pour une camériste !

CHARLOTTE, debout entre les jambes écartées du prince.

Ben oui ! mais si vous restez sur le lit, je ne pourrai jamais mettre les draps.

LE PRINCE.

Je suis le prince Nicolas de Palestrie !

CHARLOTTE.

J’vous dis pas ; mais j’pourrai pas les mettre davantage.

LE PRINCE, prend les draps des mains de Charlotte et les jette à côté de lui sur le lit, puis les deux mains sur le gras des hanches de la bonne.

Venez un peu là, qu’on vous regarde.

CHARLOTTE, riant.

Ah ! ben, vous avez une façon d’entendre le service !

LE PRINCE, émoustillé, la faisant asseoir sur son genou gauche.

Alors, mon bébé, quoi ?

CHARLOTTE.

Il est rigolo, l’vieux !

LE PRINCE, la faisant sauter avec son genou.

Quoi, alors, mon bébé ?

CHARLOTTE, lui tapotant les joues entre ses deux mains.

Ehé ! Nicolas !

LE PRINCE.

Aha ! très drôle ! j’aime dans ces moments là qu’on me manque de respect ! (Se renversant en arrière et entraînant sur lui Charlotte.) Charlotte !

Prononcez Chaar…lott’, 1re syllabe longue ; 2e brève.
CHARLOTTE, imitant le prince.

Nicoo-las !


Scène XI

Les Mêmes, AMÉLIE, nue-tête, mais habillée d’un modeste petit costume tailleur qui lui va tant bien que mal.
AMÉLIE, surgissant du cabinet de toilette juste pour assister aux épanchements du couple et s’arrêtant interdite.

Oh ! monseigneur ! je vous demande pardon !

Elle fait mine de rebrousser chemin.
LE PRINCE, se remettant sur son séant.

Hein ?… du tout, du tout ! (Du ton le plus naturel en indiquant de la main droite, comme une justification, Charlotte qu’il tient toujours enlacée.) Je… je vous attendais. (Faisant pivoter Charlotte, et lui donnant une bonne claque sur la hanche.) Allez ! déguerpis !… la bonne !

CHARLOTTE, ahurie.

Ah !… eh bien, en voilà une girouette !

Elle sort par le fond.
LE PRINCE, affectueusement, de sa place en lui tendant les mains.

Amélie !

AMÉLIE, s’avançant vers le prince et avec une pointe d’ironie.

Je crains, monseigneur, de vous avoir dérangé.

LE PRINCE.

Du tout ! du tout !… Comme vous dites en France : je pelotais !… en attendant partie.

AMÉLIE, faisant un pas de plus vers le prince.

Bravo ! Votre Altesse possède notre langue !

LE PRINCE, émoustillé.

Ah ! taisez-vous ! ne me dites pas des choses ! (Toujours assis sur le lit, tendant la main gauche vers Amélie.) Tenez ! venez là !

AMÉLIE, mettant sa main droite dans celle du prince et faisant en même temps la révérence de cour.

Par obéissance, monseigneur !

LE PRINCE.

Oh ! mais pourquoi avez-vous mis ce costume !

AMÉLIE.

Il ne me va pas très bien.

LE PRINCE.

Mais pourquoi ?

AMÉLIE.

Mais, monseigneur, c’est vous qui m’avez dit… !

LE PRINCE.

Eh ! Pour l’essayer, donc ! mais ensuite… ! Ah ! Vous étiez plus confortable tout à l’heure ! Enfin !… mieux vaut peut-être progressivement !… (Brusquement, la faisant asseoir sur son genou gauche.) Oh ! mon bébé ! alors, quoi ?

AMÉLIE, souriante et gênée.

Mais, monseigneur… rien !…

LE PRINCE.

Je suis le prince de Palestrie.

AMÉLIE.

Je sais.

LE PRINCE.

Alors, quoi ? mon bébé !…

AMÉLIE, riant.

Eh ! ben… voilà. !

LE PRINCE, ravi.

Elle est charmante ! Elle est charmante ! (Changeant de ton.) Qu’est-ce que je disais donc ?

AMÉLIE.

Monseigneur disait : (Imitant l’accent et la grosse voix du prince.) Alors quoi ? mon bébé !

LE PRINCE, riant très fort.

Ah ! Oui ! Mon bébé, alors quoi ?

Ils rient ensemble.

Scène SCÈNE XII

Les Mêmes, POCHET, suivi de MARCEL.
POCHET, entrant en coup de vent.

Vite ! vite !…

MARCEL, entrant également en coup de vent.

Putzeboum ! voilà Putzeboum !

LE PRINCE.

Hein !

AMÉLIE, instantanément debout.

Putzeboum !

LE PRINCE, qui n’a pas lâché la taille d’Amélie, la tirant à lui.

Eh ! bien, quoi, Putzeboum ? Qu’est-ce que c’est encore, Putzeboum ? On ne peut donc jamais être tranquille ?

AMÉLIE, sur les genoux du prince.

Putzeboum ! mais comment savez-vous ?

POCHET, très vite.

Je me disposais à partir ; je l’ai vu dans l’escalier.

MARCEL, très vite.

il monte ; dans une seconde il sera là.

AMÉLIE, se levant d’un bond.

Ah ! nom d’un chien !

LE PRINCE, tirant Amélie à lui.

Eh ! bien, ça nous est égal…

AMÉLIE, se relevant aussitôt.

Oh ! non, monseigneur, non ! Il ne faut pas qu’il vous voie.

LE PRINCE.

Pourquoi ? C’est un terroriste ?

AMÉLIE.

Non ! Non !

LE PRINCE, voulant la tirer à lui.

Alors, je m’en moque !

MARCEL.

Ah ! oui, mais pas nous !

On sonne.
AMÉLIE.

Tenez, on sonne ! C’est lui !

ENSEMBLE.
POCHET.

Venez ! venez !

AMÉLIE.

Vite, monseigneur, vite !

MARCEL.

Vite, allez par là ! Allez par là !

LE PRINCE, entrainé par tous vers le cabinet de toilette.

Oh ! mais, c’est très désagréable ! Si c’est une farce, je la trouve mauvaise.

AMÉLIE.

Monseigneur ! monseigneur ! je vous en prie.

TOUS.

Venez ! Venez !

Amélie et le prince disparaissent dans le cabinet de toilette.
POCHET, sur le pas de la porte du cabinet de toilette, à Marcel.

Vous voyez ! vous voyez ce que nous faisons pour vous !

MARCEL.

Oui ! bon ! nous parlerons de ça plus tard… (Entendant parler au fond à la cantonade, il pousse vivement Pochet dans le cabinet de toilette.) Vite donc !

Ils disparaissent dans le cabinet de toilette.

Scène XIII

CHARLOTTE, VAN PUTZEBOUM, puis ÉTIENNE.
CHARLOTTE.

Ah ! C’est bien ! Entrez, monsieur, puisque vous êtes le parrain !

VAN PUTZEBOUM.

Qui donc !… (Entrant et croyant trouver tout son monde.) Alléï là ! Est-ce qu’on est prêt ? (Ne voyant personne.) Eh bé !… Ma où sont donc ?… (Appelant.) Eh ! la file !

CHARLOTTE, qui est déjà dans le vestibule, reparaissant.

Monsieur ?

VAN PUTZEBOUM.

La file de quartier !

CHARLOTTE, à part, tout en descendant un peu en scène.

Comment est-ce qu’il m’appelle ?

VAN PUTZEBOUM (1).

Où sont donc, qu’il y a personne ?

CHARLOTTE.

Ah ! Tiens ?… on était là tout à l’heure !

VAN PUTZEBOUM.

Ma ne sont plus donc !

CHARLOTTE, faisant mine d’aller au cabinet de toilette.

Je vais voir par là !… (On sonne.) Oh ! pardon ! on a sonné !

Elle rebrousse chemin et sort du fond pendant ce qui suit.
VAN PUTZEBOUM.

Bon ! Oui ! Allez !… (Une fois Charlotte sortie, au public.) Qu’est-ce que tu paries qu’il est encore quéqué part à faire caresse à sa fiancée, donc ! Ah ! ça est un homme de tempérament, mon fileul ! Ça on sait dire !

Il a gagné jusqu’à l’extrême gauche.
VOIX D’ÉTIENNE.

Mais oui… mais oui !… inutile de m’annoncer !…

VOIX DE CHARLOTTE.

Mais, monsieur !…

VAN PUTZEBOUM.

Qu’est-ce que ça est, hein ? cette voix, je connais !

ÉTIENNE, entrant carrément en scène.

Bonjour, Marcel ! (Ne rencontrant que Van Putzeboum.) Ah ! je vous demande pardon !

VAN PUTZEBOUM.

Monsieur Chopart !

ÉTIENNE, qui n’y est pas.

Quoi ?… (Se rappelant.) Ah ! oui !…

VAN PUTZEBOUM.

Et qu’est-coque vous faites là ? Je vous croyais une fois militaire ?

ÉTIENNE, allant poser son chapeau sur la table.

Libéré ! je suis libéré !… Cause d’oreillons !…

VAN PUTZEBOUM.

Tiens ! Tiens !

ÉTIENNE.

Ah ! la belle maladie !

VAN PUTZEBOUM.

Oui… et vous venez voir alors votre futur cousin.

ÉTIENNE, ne comprenant pas au premier moment.

Mon fut… ? Ah ! oui, oui !… Il n’est pas là ?

VAN PUTZEBOUM.

Si donc ! qu’on a dû le prévenir.

ÉTIENNE.

Mais, vous-même ? Amélie m’avait écrit que vous étiez reparti en Hollande.

VAN PUTZEBOUM.

Oui ! parti, ça j’étais !… mais aussi revenu, ça je suis.

ÉTIENNE.

Ah !

VAN PUTZEBOUM.

Oui… Ça me cause une fois beaucoup de dérangement hein, donc ! mais j’ai pensé que ça ferait peut-être de la peine à Marcel si je n’assistais pas pour son mariage…

ÉTIENNE, ahuri.

Hein ?

VAN PUTZEBOUM.

Et alors, en souvenir de son père donc, je me suis arrangé pour ; et alors, voilà : pour le mariage je reste.

ÉTIENNE, à part.

Oh ! nom de nom de nom ! (Haut.) Et Marcel ! Marcel, qu’est-ce qu’il a dit de ça ?

VAN PUTZEBOUM.

Marcel ? Oh ! Ça l’a profondément touché, savez-vous !…

ÉTIENNE, n’en croyant pas ses oreilles.

Ah ? Aha !

VAN PUTZEBOUM.

Oui ! Ça j’ai senti !

ÉTIENNE, à part.

Oh ! le malheureux ! Quel pétrin, mon Dieu ! quel pétrin !

VAN PUTZEBOUM.

Et c’est dans trois semaines le mariage, il paraît.

ÉTIENNE, de plus en plus ahuri.

Aha !

VAN PUTZEBOUM.

Oui. (Avec malice.) Et même que je pense que ça n’est pas trop tôt, donc… (Riant.) parce que…

ÉTIENNE, dressant l’oreille. Parce que quoi ?

VAN PUTZEBOUM, faisant le discret.

Hein ? Non, rien… Ça te dire, je sais pas !…

ÉTIENNE, flairant la vérité.

Quoi ?… Mais si, mais si, quoi ?

VAN PUTZEBOUM.

Non, non ! Je sais pas ! Il m’a fait promettre que je dise à personne.

ÉTIENNE.

Oh ! oui, oui !… Mais, voyons ! à moi…

VAN PUTZEBOUM.

Oui, ça est vrai !… À toi… Toi tu n’es pas tout le monde ! Je sais ! Tu es son meilleur ami ; il te vous dit tout ; alors… comme il te vous le dira aussi bien, n’est-ce pas ?

ÉTIENNE, sur les charbons.

Mais évidemment, évidemment !

VAN PUTZEBOUM.

Oui, mais seulement tu promets que tu le dis à personne ?

ÉTIENNE, rongeant son frein.

Mais oui ! mais parbleu, voyons !

VAN PUTZEBOUM.

Ah ! Parce que, tu comprends, ça ferait des ruses avec Marcel, et moi je ne veux pas des ruses, hein donc !

ÉTIENNE, même jeu.

Bien oui ! Bien oui !

VAN PUTZEBOUM.

Eh ! bé… Ça je te dis bien entre nous : je crois qu’il est assez bien temps qu’on les marie !…

ÉTIENNE.

Hein ?… Pourquoi ?

VAN PUTZEBOUM.

Mais parce qu’il ne peut plus attendre, donc ! et la petite aussi !… (Ravi.) Et que les tourtereaux, ils ont déjà profité sur !

ÉTIENNE, bondissant.

Qu’est-ce que vous dites ?

VAN PUTZEBOUM.

même que tout à l’heure je les ai trouvés couchés dans le lit, là !…

ÉTIENNE.

Dans le lit !

VAN PUTZEBOUM.

Oui !… elle est fameuse ! hein ?

ÉTIENNE, éclatant.

Ah ! n… de D… !

VAN PUTZEBOUM, faisant un bond en arrière.

Qu’est-ce qu’il y a ?

ÉTIENNE, le saisissant au collet et le secouant comme un prunier.

Vous les avez trouvés couchés dans le lit ?… Vous les avez trouvés couchés dans le lit ?…

VAN PUTZEBOUM, cherchant à se dégager.

Hein ! Mais laisseï-moi !…

ÉTIENNE, même jeu.

Vous les avez trouvés…

VAN PUTZEBOUM, se dégageant d’un geste brusque.

Mais qu’est-ce que ça vous fait donc ?

ÉTIENNE, remontant avec rage.

Ah ! les cochons ! les cochons ! les cochons !

VAN PUTZEBOUM.

Mais puisqu’ils font mariage, alleï ! Qu’est ce que ça sait une fois te faire ?…

ÉTIENNE.

Quand je pense que j’avais confiance en lui !… Que je lui avais laissé Amélie en me disant : « Avec lui je peux être tranquille !… »

VAN PUTZEBOUM.

Ah ! Godferdom ! Ah ! bien, si j’avais su savoir !

ÉTIENNE, redescendant à proximité de Van Putzeboum.

Et voilà !… voilà ce qui se dit un ami !…

VAN PUTZEBOUM, piteux et suppliant.

Chopart ! voyons Chopart !

ÉTIENNE, avec une brusquerie furieuse qui fait bondir Van Putzeboum en arrière.

Ah ! fichez-moi la paix avec votre Chopart ! Il n’y a plus de Chopart ! (Arpentant la scène.) Ah ! les cochons ! les cochons ! les cochons !

VAN PUTZEBOUM.

Mais comme il est pointileux pour sa cousine, donc !

ÉTIENNE, qui est arrivé au lit.

Je n’ai pas plutôt le dos tourné qu’on les trouve cou-chés-en-semble !

Il scande chaque syllabe des deux derniers mots d’un coup de poing rageur sur le matelas du lit.
VAN PUTZEBOUM.

Non… écoute donc ! écoute !… Il ne faut pas tout de même juger comme ça…

ÉTIENNE.

Ouais ! Ouais !

VAN PUTZEBOUM.

Après tout s’ils étaient couchés, peut-être que…

ÉTIENNE, le narguant.

Que quoi ? que quoi ?

VAN PUTZEBOUM, bien bête.

Mais, je ne sais pas dire ! Ils étaient peut être fatigués !…

ÉTIENNE, l’imitant.

Fatigués ! fatigués !… Ah ! Ah ! C’est vous qui m’avez l’air fatigué !… Oh ! mais ça ne se passera pas comme ça !… Oh ! ils me le paieront !

Tout en parlant il a gagné l’extrême droite.
VAN PUTZEBOUM.

Hein ? Ah ! non ! non ! écoute ! ça, non !… Ah ! bien ! Si j’avais su !… Écoute ! qu’est-ce que tu m’as promis ; que, si je te disais, tu ne dirais à personne !…

ÉTIENNE, avec un ricanement nerveux.

Ah ! ah ! c’est ça qui m’est égal !

Il remonte par l’extrême droite pour redescendre ensuite par le milieu de la scène.
VAN PUTZEBOUM, remontant parallèlement à lui de l’autre côté de la table, puis redescendant ensuite avec lui.

Ah ! non ! non ! Ça ! elle est mauvaise !… Ça est me mettre dans les patates, tu sais ! et ça, je veux pas !…

ÉTIENNE, arpentant sans l’écouter.

Oh ! les cochons ! les cochons !

VAN PUTZEBOUM.

Écoute, Chopart ! ça tu ne sais pas faire !… J’ai fait un pataquès… j’aurais pas dû te dire… mais toi aussi, tu sais, tu m’as promis…

ÉTIENNE.

Ouais ! ouais !

VAN PUTZEBOUM.

J’ai ta parole, Chopart… ça tu dois pas faire… ça tu dois pas, Gotferdom !… Et puis enfin, puisqu’ils font mariage !

ÉTIENNE, le saisissant par les revers à l’encolure de sa jaquette.

mariage !… mariage ! mais espèce de c… (Brusquement, d’un mouvement sec imprimé au revers du veston, envoyant, comme avec un ressort, pirouetter Van Putzeboum au loin, — puis comme frappé d’une idée lumineuse.) Oh ! qu’elle serait pommée, celle-là !

Il continue à combiner intérieurement.
VAN PUTZEBOUM, après avoir repris tant bien que mal son équilibre, se rapprochant et, frappant doucement sur l’épaule d’Étienne.

Chopart ! Voyons ! Réponds !

ÉTIENNE, se retourne vers lui, le toise une seconde, puis comme un homme qui prend une détermination.

Soit ! vous avez raison ! Je vous ai promis ! c’est bien ! je ne dirai rien.

VAN PUTZEBOUM, soulagé d’un poids.

Ah ! À la bône heûre !

ÉTIENNE, sardonique.

Mais comment donc !

VAN PUTZEBOUM.

D’autant que je te répète, il n’y a peut-être rien eu !

ÉTIENNE, même jeu.

Mais oui ! mais oui !… À la réflexion, parbleu !… Ils n’étaient peut-être que fatigués !

VAN PUTZEBOUM.

Mais absolument donc !

ÉTIENNE, les dents serrées à grincer.

Mais c’est évident, ces chers petits !

VAN PUTZEBOUM, s’épongeant, tout en gagnant la gauche.

Ouf ! Je suis tout en chaud, moi !

Ne pas prononcer le t final de « tout. »
ÉTIENNE, à part.

Ah ! saligauds !… Ah ! vous me le paierez ! et… bien !

Il ponctue le dernier mot d’un geste du poing plein de menace.
VAN PUTZEBOUM, à part.

Heureusement qu’au fond il est gôbeur !


Scène XIV

Les Mêmes, MARCEL, AMELIE, POCHET.
MARCEL, sortant du cabinet de toilette.

Qu’est-ce qu’on me dit, mon parrain… !

VAN PUTZEBOUM.

Eh ! le voilà !

MARCEL, apercevant Étienne, vivement, à part.

Nom d’un chien ! Étienne ! (Haut et allant à lui.) Toi ! toi ! ici !

Dans ce mouvement il s’arrange pour passer n° 2 afin d’être entre lui et Van Putzeboum.
ÉTIENNE.

Oui, moi ! moi !

AMÉLIE, surgissant, suivie de Pochet.

Étienne !

POCHET.

Vous !

ÉTIENNE[4].

Moi !

AMÉLIE, s’élançant dans ses bras.

Ah ! mon Étienne !

ÉTIENNE.

Ma petite Amélie ! (Baisers, puis, à part.) Petite traînée !… (À Marcel.) Ce bon Marcel !

MARCEL.

Et ça va bien ?

ÉTIENNE.

Si ça va !… Ah !

MARCEL, lui serrant la main avec exagération.

Ah ! je suis bien content !

ÉTIENNE.

Et moi donc !… (Entre les dents.) Salaud, va !…

POCHET.

Vous êtes heureux de vous revoir ?

ÉTIENNE.

Moi ? aux anges !

MARCEL, comme un éclair, bas à Van Putzeboum.

Surtout à lui, pas un mot ! pas un mot de ce que vous savez !

VAN PUTZEBOUM, bas.

Hein ? Ah ! la, mais oui, voyons… Est-ce que ça est même à dire ces choses-là ?

MARCEL, bas.

Oh ! oui, hein ?

VAN PUTZEBOUM, bas.

Est-ce que tu me crois assez bête pour aller lui raconter… !

MARCEL, bas.

Ah ! est-ce qu’on sait jamais ! (À part.) Ouf ! ça me tranquillise !

Il retourne à Étienne qui cause avec Amélie avec des sourires pleins de venin.
ÉTIENNE, sur un ton hypocrite.

Et dis-moi, elle ne t’a pas trop ennuyé ?… elle a été bien sage ? bien raisonnable ? oui ?

MARCEL.

Si elle a été sage !

POCHET, croyant donner le meilleur des arguments.

C’est-à-dire qu’ils ont été tout le temps ensemble.

ÉTIENNE.

Ainsi, voyez !

POCHET.

Ils ne se sont pas quittés… alors !

ÉTIENNE (3), enserrant dans une même étreinte Marcel (2) et Amélie (4).

Mais, comment donc, évidemment ! (Les dents serrées.) ces chers amis !

VAN PUTZEBOUM, les voyant tous réunis et en pleins épanchement, s’avançant jusqu’à eux en longeant la rampe et arrivé entre Marcel et Étienne bien face à eux et dos au public.

Écoutez, mes enfants, j’étais revenu pour vous chercher, mais je vois que Marcel n’est pas encore habilé

MARCEL.

Excusez-moi ! j’ai eu du monde tout le temps ; mais ça ne sera pas long !

VAN PUTZEBOUM.

Laisse donc ! laisse donc ! D’autre part, Amélie, elle doit assez bien désirer qu’elle reste un peu avec son cousin, qu’elle n’a pas vu depuis quinze jours !…

AMÉLIE.

Évidemment, ça… !

VAN PUTZEBOUM.

Oui !… alors qu’est-ce que je sers, moi ? Je sais pas aider Marcel à s’habiler, et je sais encore moins pour vos épanchements cousinaux !… Alors, comme je suis de trop…

TOUS, protestant ironiquement.

Oh ! Oh !

VAN PUTZEBOUM.

Si ! Si ! Ça est devinable ! Eh ! hé, juste ça se trouve que je voulais passer chez le perruquier !… pour ma barbe, donc !

MARCEL.

Ah ! oui !… la barbe !

VAN PUTZEBOUM.

La barbe, oui ! J’avais dit que je remettrais pour demain, mais, puisque ça est ça, j’ai le temps, hein ?… Et, alors, je vous retrouve dans la demi-lyheure chez Amélie… ça va une fois ?

TOUS, l’accompagnant, le poussant presque, dans la hâte de le voir partir.

Comment donc ! c’est ça, c’est ça !

VAN PUTZEBOUM.

Alleï ! Alleï ! Ne me reconduisez pas… (À Marcel.) Toi, tu t’habiles… et vous autres, vous épanchez ! À tout à l’heure !

TOUS.

À tout à l’heure ! À tout à l’heure !

Van Putzeboum sort ; déjà tous redescendent, quand il reparaît presque aussitôt.
VAN PUTZEBOUM.

Dites donc, il n’y a pas un raseur près d’ici ?

MARCEL, excédé.

Oh ! pas loin !

AMÉLIE.

Tenez, en face ! il y en a un en face.

VAN PUTZEBOUM.

Ah ! bon ! bon ! À cette heure-ci, il y sera, oui ?

MARCEL.

Oui, oui ! allez toujours ! S’il n’est pas là, il y en aura toujours un quand vous serez là, je vous le garantis.

VAN PUTZEBOUM.

Parfait ! Merci ! À tout à l’heure !

Il sort.

Scène XV

Les Mêmes, moins VAN PUTZEBOUM.
MARCEL (1).

Ouf ! crampon, va ! (À Étienne (2).) Hein, crois-tu ?

AMÉLIE (3).

Le v’là revenu !

ÉTIENNE, faisant l’innocent.

Mais oui, j’en suis baba ! Qu’est-ce qu’il fait ici ? Je le croyais en Hollande.

MARCEL.

Ah ! mon ami, ne m’en parle pas !

AMÉLIE.

Il rapplique pour notre mariage.

ÉTIENNE, feignant de tomber de son haut.

Qu’est-ce que vous dites ?

POCHET.

Et il vient assister à la cérémonie.

AMÉLIE et MARCEL.

Oui !

ÉTIENNE.

Oh ! nom de nom ! Oh ! mes pauvres enfants ! (À Marcel.) mais alors tu es flambé ?

MARCEL, avec un geste découragé.

Ah !… à moins d’un miracle… !

Il va s’adosser contre le pied du lit.
POCHET.

… c’est dans le lac !

ÉTIENNE.

Oh ! mais pas du tout ! Il ne s’agit pas de se laisser abattre. Il faut trouver une solution ! ce miracle, il faut l’accomplir !

MARCEL.

Mais quoi ? quoi ?

AMÉLIE.

Comment veux-tu ?

ÉTIENNE.

Ah ! je ne sais pas ! Mais il ne sera pas dit que je laisserai un ami… (Avec intention.) un bon ami comme toi dans l’embarras.

En ce disant il serre la main de Marcel à le faire crier.
MARCEL, ne pouvant réprimer un petit cri de douleur.

Aha ! (Tout en faisant manœuvrer ses phalanges endolories.) Ce cher Étienne !

ÉTIENNE, avec un sourire qui en dit long.

Oui ! mon vieux !… (Changeant de ton.) Bien, ma foi, je ne vois qu’une chose : Il veut assister au mariage. Eh bien ! ce mariage… (Avec énergie.) il faut le lui donner !

MARCEL, quittant le pied du lit et descendant vers Étienne.

Hein ! Tu veux que j’épouse Amélie ?

AMÉLIE.

Tu veux me marier à Marcel ?

MARCEL.

Ah ! non ! J’aime bien Amélie, mais de là à l’épouser… !

POCHET, avec dignité et comme un argument sans réplique.

Quoi ! J’ai bien épousé sa mère !

MARCEL.

Ah ! Je ne vous dis pas, mais Amélie… ! ah ! non !

ÉTIENNE.

Mais, là ! là ! il ne s’agit pas de ça ! Ah ! bien, merci ! te donner Amélie ! elle, si bonne !… si droite !… si fidèle !…

Sur chaque qualificatif, il donne un baiser à Amélie, avec plus l’envie de la mordre que de l’embrasser.
AMÉLIE, sur les mots « si fidèle », gênée.

Tais-toi ! Tais-toi !

MARCEL.

Oui, tais-toi !

ÉTIENNE, se complaisant à tourner le fer dans la plaie.

Non, non ! je tiens à le dire !… Eh ! bien, de quoi s’agit-il ? de rouler ton parrain ? Eh ! bien, on le roulera ! (Prenant Amélie et Marcel par la main et les faisant descendre quelque peu.) et voici… ! ce que je propose :

TOUS, anxieux.

Quoi, quoi ?

ÉTIENNE, à Marcel.

Nous allons a la mairie avec Putzeboum, de façon qu’il assiste à tout ; nous publions les bans.

MARCEL, avec un sursaut de surprise.

Pour de vrai ?

ÉTIENNE.

Pour de vrai.

AMÉLIE.

Mais alors… c’est le mariage.

ÉTIENNE.

Mais non ! c’est les formalités… obligatoires du mariage, mais ça ne le rend pas obligatoire pour ça ! ton parrain est convaincu : désormais il est à nous.

AMÉLIE et MARCEL, ne comprenant pas.

Oui !

POCHET, avec admiration.

C’est épatant !

MARCEL et AMÉLIE.

Quoi ?

POCHET, interloqué.

Hein ?… Je ne sais pas !… ce qu’il a trouvé.

MARCEL, haussant les épaules.

Ah ! là !…

AMÉLIE.

Voyons, papa !

MARCEL.

Allez, circulez !

ÉTIENNE.

Suis-moi bien !… À la mairie même, pour la date fixée, je loue la salle des fêtes.

TOUS.

Oui.

ÉTIENNE.

Bon ! J’ai loué ; je suis chez moi ; je fais ce que je veux !

TOUS

Oui !

ÉTIENNE.

Bien ! Je prends un ami à moi ; tiens : un de la Bourse ; Toto Béjard, par exemple.

MARCEL.

Toto Béjard ?

ÉTIENNE.

Oui ! tu ne connais pas ; (À Pochet et Amélie.) vous ne connaissez pas.

POCHET.

À la Bourse, je connais Cheminot.

ÉTIENNE.

Oui, eh ! bien, c’est pas lui. (Reprenant son exposé.) Je dis à mon Toto Béjard, qui est un blagueur à froid… je lui dis : « Tu vas être le maire ! » Il ceint l’écharpe ; et dès lors, devant ton parrain réuni, nous célébrons ton mariage avec mademoiselle Amélie d’Avranches ici présente et couverte d’oranger.

TOUS, ravis et sautant de joie.

Ah ! Ah ! Ah ! bravo !

Marcel, Amélie et : Pochet font une ronde bruyante et joyeuse autour d’Étienne.
ÉTIENNE, pendant qu’ils dansent autour de lui, avec des hochements de tête et des sourires significatifs.

Oui, mon vieux ! Danse ! danse !

MARCEL, serrant les mains d’Étienne avec effusion.

Ah ! Étienne, tu me sauves la vie ! Quel ami ! ah ! quel ami !…

ÉTIENNE, sardonique.

Mais… autant que tu en es un, toi-même.

MARCEL.

Ah ! comment te remercier !

ÉTIENNE.

Laisse donc !… Tu me remercieras plus tard !

Reprise de la ronde autour d’Étienne.

Rideau.

EXPLICATION DU TRUC DE LA COUVERTURE


Ce truc pourrait s’exécuter ainsi que le personnage l’explique lui-même, mais cela aurait plusieurs inconvénients dont le plus grave serait, étant donné l’angle aigu que fermerait la ficelle autour du pied du lit, de voir cette ficelle se rompre sous l’action du frottement, ce qui rendrait la continuation de l’acte impossible. Voici donc comment il s’effectue :

Dans le décor, sous le lit, à gauche (dans l’angle formé par le pied et le cadre du lit), percer deux trous horizontalement parallèles, distants de cinq ou six centimètres l’un de l’autre et a une hauteur du sol égale à celle du dessous du lit qui doit être de trente-cinq centimètres environ.

— En regard de ces trous, à chaque traverse du sommier (qui doit être en bois et creux), visser deux pitons.

— À l’envers du couvre-pied ouaté (côté tourné vers la tête du lit), à dix centimètres du bord et bien au milieu de ce bord, coudre solidement deux languettes d’étoffe bien résistantes, longues de huit centimètres sur quatre de large et placées parallèlement à cinq ou six centimètres de distance dans le sens de la longueur du couvre-pied. À chacune de ces languettes fixer solidement deux anneaux de rideau (cela fait quatre en tout), le second cinq centimètres au-dessous du premier.

— Avoir deux pelotes de ficelle solide (fouet), ayant chacune un peu plus que le métrage nécessaire au trajet de la tête du lit au pied du lit et du pied du lit au cabinet de toilette intérieurement.

— De la coulisse, passer chacun de ces fils par chacun des trous percés dans le décor et ensuite par chacun des pitons correspondants du sommier. (Éviter d’emmêler les fils.) Après quoi, contourner extérieurement le pied gauche du lit avec les deux fils parallèles, les faire monter le long du devant du lit, les passer par-dessus la barre de traverse, les glisser sous le couvre-pied et les attacher chacun d’abord au second anneau, puis au premier anneau (pour lequel on a réservé un peu de fil avant de faire le nœud) de sa languette respective. Après quoi, tirer le pied du couvre-pied de façon qu’il retombe en biais sur le devant du lit, de manière à cacher la ficelle au public et en même temps à permettre à Amélie de tirer la couverture à elle quand elle est sous le lit. Pour le reste, l’accessoiriste chargé de la manœuvre n’a qu’à lâcher du fil quand Amélie s’en va avec la couverture, et à tirer le fil a lui quand il s’agit de faire revenir le couvre-pied. S’assurer que tout fonctionne bien avant le lever du rideau, et aussi que les ficelles passées par les pitons ne traînent pas par terre, afin qu’Amélie, quand elle se glisse sous le lit, ne s’empêtre pas dedans.

Nota : Il est préférable aussi bien dans l’intérêt du décor — dont la toile aurait à souffrir par l’usage — que dans l’intérêt même de la manœuvre du fil, de fixer derrière le décor, à l’endroit ou il est percé, une petite armature en bois percée également des mêmes trous dans lesquels on aura serti deux œillets en verre ou en métal, ce qui permettra un glissement plus facile.



  1. Pour les masques conformes à ceux de la représentation à Paris, s’adresser à la maison Bérard, 8, rue de la Michodière, Paris.
  2. En réalité, elle ne fait pas tomber la pelote : mais, au contraire, pendant les quelques répliques ci-dessus, elle l’a escamotée et glissée sous le traversin sans que le public s’en aperçoive.
  3. Toute cette scène doit être jouée par Pochet, toujours près du prince, de façon à recevoir chaque fois les « ah !… ah !… ah ! » presque dans le nez.
  4. Van Putzeboum (1), Marcel (2), Étienne (3), Amélie (4), Pochet (5).