Occupe-toi d’Amélie !/Acte III-2e tableau

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Librairie Théâtrale (p. 347-394).

ACTE DE MARIAGE


L’an mil neuf cent huit et le cinq mai, à trois heures du soir, devant nous, maire du huitième arrondissement de Paris, ont comparu en cette mairie pour être unis par le mariage : d’une part, monsieur Marcel Courbois, né à Paris le 6 avril 1879, rentier, demeurant 27, rue Cambon, célibataire, fils majeur légitime de feu Joseph Courbois, banquier, et de dame Caroline-Émilienne Toupet, son épouse, également décédée ; et d’autre l’art mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet, née à Paris le 20 mars 1886, demeurant à Paris, 120, rue de Rivoli, fille majeure d’Auguste-Amédée Pochet, âgé de cinquante-quatre ans, ancien brigadier de la paix, même domicile, et de feu Marie-Thérese Laloyau, son épouse. Le père à ce présent et consentant ; après avoir reçu des contractants, l’un après l’autre, la déclaration qu’ils veulent se prendre pour époux, avons prononcé publiquement au nom de la loi que monsieur Marcel Courbois et mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet sont unis par le mariage.


DEUXIÈME TABLEAU

La chambre à coucher d’Amélie.


Au premier plan à droite, lit de milieu très élégant. À la tête du lit, côté public, petit meuble tenant lieu de table de nuit. Au pied du lit, et adossé contre, un petit canapé. Toujours à droite, en pan coupé, fenêtre. À gauche, premier plan, porte d’entrée générale. Une chaise entre le manteau d’Arlequin et la porte. Deuxième plan en pan coupé, une cheminée surmontée d’une glace et de sa garniture.

Au fond, au milieu, porte donnant sur le cabinet de toilette d’Amélie. Contre le panneau du mur, à droite de cette porte, un canapé. Contre le panneau, à gauche de la porte, meuble d’appui. Restant du mobilier ad libitum. Sur le pied du lit, une matinée à Amélie.



Scène PREMIÈRE

LE PRINCE, puis AMÉLIE et LE GÉNÉRAL.
Au lever du rideau, le prince, en caleçon, arpente la scène avec impatience. Ses vêtements sont étendus sur le canapé près de la fenêtre. Le lit, sans être défait, témoigne, par un certain désordre qu’on s’est couché dessus.
LE PRINCE, après avoir arpenté une ou deux fois la scène avec une impatience visible, s’arrêtant soudain.

Mais par Dieu, le père ! qu’est-ce qu’elle fait, voyons ? Qu’est-ce qu’elle fait ? On n’a donc pas idée de se marier si longtemps ! (On sonne.) Ah ! on a sonné !… C’est peut-être !… Oui, c’est elle ! (Il va au-devant d’Amélie et s’arrête étonné en voyant paraitre le Général tout seul.) Eh bien ! quoi ?

LE GÉNÉRAL (l), le chapeau à la main, faisant de sa main libre le salut militaire à la façon slave.

Voici la mariée, Monseigneur !

LE PRINCE.

Enfin !

LE GÉNÉRAL, allant jusqu’à la porte de gauche et parlant à la cantonade.

Mademoiselle d’Avranches, si vous voulez bien… ?

Il s’efface pour laisser passer.
AMÉLIE, entrant tout d’une traite.

Monseigneur, je vous demande pardon, si… (Petit cri étouffé de surprise.) Ah !

LE PRINCE (3).

Quoi ?

AMÉLIE (2).

Oh ! Rien… C’est la tenue de Monseigneur qui… Je m’attendais si peu… !

LE PRINCE, jetant un regard sur sa tenue.

Ah !… Je me suis mis ainsi pour gagner du temps. (Croyant tourner une galanterie.) Quand on s’ennuie, il faut bien faire quelque chose !

AMÉLIE, ahurie.

Ah ?

LE PRINCE.

Laisse-nous, Koschnadieff !

KOSCHNADIEFF.

Oui, Monseigneur !

Salut militaire et sortie.
AMÉLIE, pudiquement.

Oh ! Monseigneur, chez moi… vous n’y pensez pas ! Votre Altesse devait venir me prendre… mais je ne croyais pas qu’elle avait l’intention, ici, de…

LE PRINCE, brusque, mais bon enfant.

Eh ! bien, quoi ? Est-ce qu’on n’est pas très bien chez vous ? tout votre monde est occupé ailleurs.

AMÉLIE.

Je ne vous dis pas ! Mais les convenances !

LE PRINCE, avec désinvolture.

Eh ! nous ne sommes pas ici pour faire des convenances ! (Avec lyrisme.) Songez depuis les éternités que vous me faites languir ! (Sans transition, bien terre à terre.) Retirez Voire robe !

AMÉLIE, interloquée.

Hein !… Ah ?… déjà !

LE PRINCE, goulûment.

Le jour des noces, en est toujours pressé !…

Il tend les mains comme pour la saisir.
AMÉLIE, se dérobant par un léger écart du corps.

Oh ! Monseigneur ! (Pour faire diversion.) Je vais défaire mon voile.

Elle remonte vers la cheminée et, pendant ce qui suit, retire son voile devant la glace.
LE PRINCE, qui est remonté également, lui parlant presque dans le cou et avec emballement.

Si vous saviez !… Si vous saviez avec quelle impatience je comptais les minutes ! J’ai essayé de dormir un peu, en vous attendant ; je me suis étendu sur votre lit…

AMÉLIE, avec un petit sursaut de surprise.

Hein !… avec vos bottines ?

LE PRINCE, interloqué par cette interruption, regarde ses pieds chaussés, puis le plus naturellement du monde.

Avec ! Mais je n’ai pas pu… L’amour me tenait éveillé !

AMÉLIE, un peu railleuse.

Ah ! Bien aimable ! (Changeant de ton.) Oh ! Ce que je suis décoiffée !

LE PRINCE, lyrique et passionné.

Vous êtes adorable ! Je voudrais vos cheveux sur vos épaules !

AMÉLIE.

Hein ?

LE PRINCE, avec une fougue toute sauvage.

Comme une toison ! J’aime ça, moi ! promener ses pieds nus dans les cheveux épars de la femme aimée !

AMÉLIE, décrivant dans une révérence légèrement ironique un demi-cercle autour du prince.

Quel raffinement !… Mais ça n’est guère encore la mode à Paris !

Elle descend jusqu’au pied du lit.
LE PRINCE, voyant qu’elle essaie de dégrafer sa robe, s’élançant.

Oh ! permettez que je vous aide ?

AMÉLIE.

Volontiers, Monseigneur, parce que toute seule !…

LE PRINCE, dégrafant Amélie qui est debout face au lit.

Oui !… Oh ! cela est très suggestif !… Il me semble que je fais la nuit de noces.

AMÉLIE, moqueuse.

Par procuration.

LE PRINCE, très talon rouge.

Le droit du seigneur. (Reprenant le dégrafage.) Cela est très Louis quinzième ! (Il se pique.) Oh !

Il porte vivement son doigt piqué à ses lèvres.
AMÉLIE, avec un sérieux comique, comme si elle lui apprenait quelque chose.

C’est une épingle.

LE PRINCE, s’inclinant.

Je suis content de le savoir… (Tout en dégrafant.) Et ça s’est bien passé ? Oui ?…

AMÉLIE.

Quoi ?

LE PRINCE.

Le mariage… avec le logeur ?

AMÉLIE, rieuse.

Mais je vous ai déjà dit, Monseigneur, qu’il n’était pas logeur !

LE PRINCE, même jeu.

Eh ! Oui, je sais ! Mais quoi ? je l’ai connu comme ! alors je l’ai ainsi dans la bouche !

AMÉLIE, sur un bon blagueur.

Ah ! si vous l’avez ainsi dans la bouche !

LE PRINCE.

Alors, dites-moi ! ça a bien réussi ?

AMÉLIE.

Quoi ?

LE PRINCE.

Le tour ?

Il prononce « tourrr ».
AMÉLIE, l’imitant.

Le tourrr ?

LE PRINCE.

Oui !… Le parrain a donné dans… le godant… comme on dit ici !…

AMÉLIE, entièrement dégrafée, délacée, tendant ses bras au prince pour qu’il l’aide à les sortir des manches.

Comme un seul homme !

LE PRINCE, retournant les manches de la robe tout en parlant.

Bravo ! je trouve ça très drôle ! Ce logeur… qui n’a pas de liste civile et qui trouve ce moyen !… J’adore les farces ; aussi j’ai été heureux de commander le Général de service.

AMÉLIE, laissant tomber sa robe à terre.

Oh ! qu’ ça été aimable ! On a été très flatté.

LE PRINCE.

Oui ? (Voyant la robe qui, à terre, forme un cercle autour des pieds d’Amélie, d’une voix bourrue.) Sortez de là-dedans ! (Amélie enjambe la robe et passe à gauche. Le prince, tout en ramassant la robe et la déposant sur le coin du canapé.) Et il a été bien, oui ?

AMÉLIE.

Qui ?

LE PRINCE.

Le Général ?

AMÉLIE.

Ah !… Oh ! combien !

LE PRINCE, tout en arrangeant la robe sur le canapé.

Ça ne m’étonne point ! il est très décoratif ! Je ne sais pas ce qu’il donnerait à la guerre ?… mais dans un cortège… ! (Se retournant et apercevant Amélie en déshabillé, le dos à demi tourné de son côté, et les mains croisées pudiquement sur sa poitrine, — en extase.) Ah ! sainte Icône ! la Madone ! (Les mains derrière le dos, il s’avance à pas de loup jusqu’à Amélie et, se penchant sur elle, l’embrasse dans le cou.) Ah !

AMÉLIE, sursautant.

Oh ! Monseigneur ! vous me chatouillez !

LE PRINCE, a comme un frisson de lubricité, puis :

Vous aussi !

AMÉLIE, étonnée, montrant les mains pour témoigner qu’elle ne l’a pas touché.

Moi, Monseigneur ?…

LE PRINCE, très excité, le coude au corps, battant l’air avec sa main, à la façon des slaves.

Ah ! Tais-toi ! tais-toi !…

AMÉLIE, moqueuse.

Oh ! mais comment donc ! Monseigneur peut me tutoyer.

LE PRINCE, l’enlaçant dans ses bras.

Oh ! mon bébé ! Alors, quoi ?

Il l’embrasse dans le côté gauche du cou.
AMÉLIE, pendant qu’il l’embrasse.

Aha !… Voyez refrain !

On sonne.
LE PRINCE, au bruit de la sonnette, relevant vivement la tête, sans lâcher Amélie.

Hein ?

AMÉLIE, l’oreille aux aguets.

On a sonné.

LE PRINCE, de même.

Mais qu’est-ce que ?

AMÉLIE.

Je ne sais pas ! Oh ! mais la fille de cuisine est restée pour garder l’appartement ! Elle congédiera.

LE PRINCE.

Ah ! bon !… (Se replongeant dans le cou d’Amélie.) Oh ! mon béb… !

VOIX DE MARCEL.

Amélie ! Amélie !

LE PRINCE ET AMÉLIE, au moment où la porte s’ouvre, — bien ensemble.

On n’entre pas !

Ils s’écartent l’un de l’autre.

Scène II

Les Mêmes, MARCEL, toujours en habit, sans paletot, le chapeau sur la tête.
MARCEL (1), entrant en trombe.

Amélie ! Amélie !

AMÉLIE (2).

Hein ! toi !

LE PRINCE, le reconnaissant.

Ah ! le logeur !

MARCEL.

Quoi ?

LE PRINCE (3).

Eh bien ! vous êtes content ?

MARCEL.

Content ! Il demande si je suis content… (À Amélie) Amélie ! Amélie ! une tuile !… une tuile de quatre étages…

AMÉLIE.

Une tuile de quatre étages ?

MARCEL.

Qui nous tombe sur la tête.

LE PRINCE.

Une tuile de quatre étages, ça ne se voit donc pas tous les jours.

MARCEL.

Ah ! si tu savais… ?

AMÉLIE.

Mais quoi ? quoi ?

MARCEL.

Nous sommes mariés ! légitimement mariés !

LE PRINCE.

Hein ?

AMÉLIE.

Qu’est-ce que tu dis ?

MARCEL.

Toto Béjard, ce n’était pas Toto Béjard ! C’était le maire.

AMÉLIE.

Ah ça ! voyons ! tu veux rire ! Qu’est-ce que ça veut dire ?

MARCEL.

Ça veut dire qu’Étienne avait été mis au courant de notre malheureuse équipée !… qu’il a su que tous les deux, nous…

AMÉLIE.

Non ?

MARCEL.

Oui !

AMÉLIE.

Ah ! nom d’un chien !

MARCEL.

Et alors, il s’est vengé, le salaud ! mon meilleur ami ! Il nous a mariés ! mariés pour de bon !

AMÉLIE, n’en pouvant croire ses oreilles.

Tous… tous les deux !

MARCEL.

Oui, tous les deux ! la cérémonie était vraie ! le maire était vrai ! Tout était vrai ! Je suis ton mari et tu es ma femme !

AMÉLIE, la gorge serrée, comme si elle apprenait une catastrophe.

Est-il possible ! Mais alors !.. Alors je suis madame Courbois ?

MARCEL.

Mais oui !

AMÉLIE, changeant brusquement de ton.

Ah ! mon chéri ! mon chéri ! que c’est gentil !

Elle saute au cou de Marcel et l’embrasse.
MARCEL, abruti.

Qu’est-ce que tu dis ?

LE PRINCE, très gentleman.

Ah ! monsieur, tous mes compliments et mes vœux de bonheur !

MARCEL.

Hein ?

AMÉLIE, qui est no 2, un peu au-dessus de Marcel, présentant ce dernier au prince.

Mon mari. (Regardant Marcel tendrement et se répétant à elle-même ce mot qui la ravit.) Mon mari ! (Présentant le prince.) Son Altesse, le prince royal de Palestrie.

MARCEL, les yeux hors des orbites.

Quoi ?

LE PRINCE, fait trois pas pour aller à lui, lui donne un cordial shake-hand, puis :

Enchanté, monsieur !

Il remonte un peu.
MARCEL, le regarde remonter, littéralement abruti, puis affirmatif, au public.

Je deviens fou, moi.

AMÉLIE, allant à Marcel.

Oh ! tu verras ! tu verras quelle petite femme rangée, fidèle, popote, tu auras.

LE PRINCE, qui est (2) au-dessus de Marcel, lui donnant une tape sur le gras du bras.

Popote !

MARCEL.

Comment, « Quelle petite… » !

AMÉLIE, subitement pudique.

Ah ! mais que vois-je ! Je suis là à demi-nue… Oh ! vraiment !…

Elle remonte Jusqu’à la ruelle du lit prendre une matinée pour s’en revêtir.
LE PRINCE, à Marcel, tout en se dirigeant vers Amélie.

Vraiment ! Oh ! excusez-la, monsieur Amélie !

MARCEL.

Comment m’appelle-t-il ?

LE PRINCE, à Amélie.

Voulez-vous me permettre de vous aider à passer votre kimono ?

AMÉLIE, passant sa matinée avec l’aide du prince.

Volontiers, monseigneur… Merci ! (Descendant n° 2.) Et maintenant, monseigneur, vous ne pouvez rester davantage !

LE PRINCE, ahuri.

Quoi ?

AMÉLIE.

Je suis désolée, mais ma nouvelle situation… !

LE PRINCE, n’en croyant pas ses oreilles.

Hein ? Comment, mais… ! mais je viens pour… !

D’un geste de la tête, il indique le lit.
AMÉLIE, faisant un pas en arrière dans la direction de son mari et pour rappeler le prince aux convenances.

Monseigneur !

LE PRINCE.

Ah ! mais, c’est très désagréable ! Ça ne me regarde pas si… ! il était convenu que… !

AMÉLIE, nouveau recul très digne.

Je vous en prie ! (Passant sa main sur l’épaule de Marcel.) Mon mari !

MARCEL, baba.

Ah !

LE PRINCE, reste un instant interloqué, puis écartant les bras en s’inclinant.

C’est juste !… Je vous fais mes excuses !… Il est évident que… ! Croyez, monsieur, que, si je suis ici, ce n’est pas pour… pour… Oui !… (À froid, il passe entre Amélie et Marcel, remonte jusqu’au meuble fond gauche sur lequel est son chapeau melon et ses gants, les prend ainsi que sa canne, met son chapeau sous un bras, sa canne sous l’autre, enfile rapidement ses gants, puis, prenant son chapeau à la main, s’avance jusqu’à Amélie devant laquelle il s’incline.) Madame, je vous présente mes profonds respects !

AMÉLIE, faisant la révérence.

Monseigneur !

Le prince, oubliant qu’il est en caleçon, met son chapeau sur la tête et, la canne a la main, il se dirige vers la porte de sortie.
MARCEL, qui est resté comme hypnotisé par la scène à laquelle il vient d’assister, barrant brusquement le chemin au prince.

Mais non ! mais non ! (Passant no 2, tandis que le prince s’arrête.) Non, mais est-ce que vous vous payez ma tête ? est-ce que vous supposez que les choses vont en rester là ? et que je vais accepter ce mariage ?

AMÉLIE.

Comment ! mais puisqu’il est fait !

MARCEL.

Mais ça m’est égal ! On le défera ! Je veux le divorce !

Le prince est allé déposer sa canne et ses gants, mais garde son chapeau qu’il conserve sur la tête jusqu’à la fin de la pièce.
AMÉLIE (3).

Le… le divorce ?

MARCEL.

Absolument !

AMÉLIE, bien lentement, bien froidement, mais bien déterminée.

Oh ! non !… Oh ! non-non-non-non-non !… Je suis contre le divorce !… Et papa aussi !

MARCEL.

C’est ça qui m’est égal ! J’ai été fourré dedans, le mariage est nul.

AMÉLIE.

T’as vu ça ?

MARCEL.

La loi est formelle ! Il n’y a pas d’union valable, si l’on n’est pas consentant.

AMÉLIE, avec une logique implacable.

Eh ! bien ?… tu es consentant, puisque tu as répondu oui.

MARCEL.

C’est parce qu’on a abusé de ma crédulité !

AMÉLIE.

C’est possible ! Mais tu as répondu oui tout de même et, ça y est, ça y est !

MARCEL, hors de lui.

C’est trop fort !

LE PRINCE, auquel Marcel tourne le dos, tout occupé qu’il est par sa discussion avec Amélie. Lui frappant légèrement sur l’épaule.

Écoutez ! Je crois mon pauvre logeur…

MARCEL, se retourne vers le prince.

Ah ! et puis, vous, le prince, hein ? foutez moi la paix !

Il remonte légèrement.
LE PRINCE, avec un sursaut de dignité froissée.

Hein ? Je suis le prince de Palestrie !

MARCEL.

Oui ? eh ! bien, justement ! c’est pas ici ! (Redescendant.) Non ! Non ! Vous me voyez, moi, l’époux d’Amélie d’Avranches !

AMÉLIE, se montant.

Ah ! mais dis donc, c’est pas parce que tu es mon mari que…

MARCEL, sans l’écouter.

Une femme dont tout Paris connaît les amants !

AMÉLIE.

Ah ! mais… !

MARCEL.

Une femme que je trouve le jour même de ses noces en tête à tête avec le prince de Palestrie !

LE PRINCE.

En… en tout bien, tout honneur !

MARCEL, sachant ce qu’en vaut l’aune.

Oui-oui ! Oui-oui ! Et c’est cette femme-là à qui je donnerais mon nom !

AMÉLIE, venant, dos au public, se camper sous le nez de Marcel.

Ah ! et puis en voilà assez ! ou prends garde, ça ne se passera pas comme ça !

Elle passe no 2.
MARCEL.

Ah ! non, ça ne se passera pas comme ça !

AMÉLIE, qui est un peu au-dessus du prince, lui posant sa main droite sur l’épaule gauche.

Le prince est là, tu sais !

LE PRINCE, qui ne se soucie pas d’avoir une affaire dans un pareil moment.

Moi ?

MARCEL.

Ah ! le prince est là ? Eh ! ben, justement ! Je vais te le faire voir tout de suite, que ça ne se passera pas comme ça !… Je ne trouverai peut-être plus une si belle occasion… !

En parlant, il remonte à la fenêtre qu’il ouvre d’un geste rapide.
LE PRINCE, se précipitant vers lui suivi par Amélie.

Quoi ? Quoi ?…

AMÉLIE.

Qu’est-ce que tu fais ?

LE PRINCE, le saisissant à bras le corps.

Malheureux !

MARCEL, cherchant à se dégager.

Ah ! laissez-moi, vous !…

LE PRINCE, le tenant toujours.

Vous voulez vous jeter par la fenêtre ?

MARCEL, même jeu.

Eh ! non ! pas moi !

LE PRINCE, reculant instinctivement.

Hein ?

AMÉLIE.

Qui ?

LE PRINCE.

Nous ?

MARCEL, dégagé de l’étreinte du prince.

Non, ça !

En parlant, il a raflé sur le canapé les vêtements du prince et les flanque par la fenêtre.
LE PRINCE et AMÉLIE.

Ah !

Marcel, aussitôt, s’élance vers la porte de sortie, pendant que, par un mouvement en sens inverse, le prince se précipite à la fenêtre par où ses vêtements ont disparu.
LE PRINCE, penché à la fenêtre.

Mes vêtements ! Il a jeté mes vêtements par la fenêtre !

AMÉLIE, courant après Marcel.

Marcel ! Marcel !

LE PRINCE, courant à la porte de gauche.

Logeur ! eh ! logeur !

Quand tous deux arrivent à la porte, ils la trouvent fermée au verrou extérieurement.
AMÉLIE, avec un geste de dépit.

Il nous a enfermés !

Elle gagne la droite.
LE PRINCE, descendant avant-scène gauche.

Oser enfermer le prince de Palestrie !

AMÉLIE.

Oh ! l’animal !

LE PRINCE, se précipitant vers le cabinet de toilette.

Ah ! par là !

AMÉLIE.

Mais non ! c’est mon cabinet de toilette ! il n’y a pas d’issue.

LE PRINCE.

Oh !… Un pareil lèse-majesté ! En Palestrie, il serait fouetté en place publique et envoyé aux galères.

AMÉLIE.

Ah ! oui, mais en France !… sous Fallières !

Tout en parlant elle s’est dirigée vers la fenêtre.
LE PRINCE.

Mais, par notre père ! je ne puis rester ici, séquestré et sans vêtement.

AMÉLIE, brusquement, apercevant Marcel par la fenêtre.

Oh ! lui ! (Appelant) Marcel !… Marcel !

LE PRINCE, courant jusqu’à la ruelle du lit dans la direction de la fenêtre.

Quoi ? vous le voyez ?

AMÉLIE.

Il entre en face, au commissariat de police.

LE PRINCE.

Chez le commissaire ?

AMÉLIE.

Qu’est-ce qu’il manigance ?

LE PRINCE, redescendant gauche.

Eh ! bien, tant mieux ! Qu’il l’amène, le commissaire ! je le ferai arrêter ! Se permettre d’enfermer le prince royal de Palestrie !

AMÉLIE, descendant devant le pied du lit.

Ah ! mais prenez garde, monseigneur ! Songez que maintenant il est le mari.

LE PRINCE.

Mais quoi, alors ? C’est un guet-apens !

Il prononce « gué-à-pens. »
AMÉLIE.

Il veut faire constater le flagrant délit, parbleu !

LE PRINCE.

Mais c’est terrible ! Cela va faire un scandale ! et dans ma situation… ! vis-à-vis de mon gouvernement… !

AMÉLIE, se rapprochant du prince.

Mais non ! mais non ! Il se blouse ! Pour faire constater un flagrant délit, il faut d’abord une requête au président du tribunal ; sans ordonnance, le commissaire se refusera à instrumenter.

LE PRINCE.

N’importe ! je ne veux pas rester prisonnier plus longtemps. Rien que pour ma dignité… ! (Ton brutal.) Alors, quoi ? il n’y a pas d’issue ?

AMÉLIE, geste évasif, puis.

Il n’y a que la fenêtre.

LE PRINCE, Lfait une moue, puis.

Merci ! un deuxième étage !

AMÉLIE.

Oh !… premier au-dessus de l’entresol.

LE PRINCE, même jeu.

À sauter, ça revient au même… et avec le pavé !…

AMÉLIE, comme atténuatif.

C’est du macadam.

LE PRINCE, tourne les yeux de son côté, puis :

Est-ce beaucoup préférable ?

AMÉLIE, fait une moue, puis :

Ça dépend des goûts.

LE PRINCE, brusquement, saisi d’une inspiration.

Savez-vous ! Vous devriez vous mettre à la fenêtre et faire des signes aux gens qui passent.

AMÉLIE, se dérobant avec une révérence.

Merci !… Merci bien ! pour m’amener des histoires avec la préfecture !… Non, merci !

LE PRINCE, à bout de ressources.

Mais alors, quoi ?

AMÉLIE, levant les bras.

Ah ! « quoi, quoi » ? Il n’y a qu’à se résigner.

Elle s’assied sur le petit canapé du pied du lit.
LE PRINCE, désemparé.

Oh !

À ce moment on entend un bruit de voix se rapprochant peu à peu de la porte de gauche.

AMÉLIE, se dressant brusquement.

Écoutez !

LE PRINCE, l’oreille aux aguets.

Qu’est-ce que ?

AMÉLIE.

C’est lui qui revient !

LE PRINCE.

Il revient !

AMÉLIE.

Et pas seul ! il y a du monde avec lui.

LE PRINCE, pivotant sur les talons.

Oh ! Il se précipite dans le cabinet de toilette dont il referme la porte sur lui. À peine est-il disparu qu’on entend un tour de clef dans la serrure, la porte s’ouvre et Marcel parait.


Scène III

Les Mêmes, MARCEL, LE COMMISSAIRE.
MARCEL.

Entrez ! monsieur le commissaire ! (À Amélie.) Ma chère amie, je suis désolé, mais… !

LE COMMISSAIRE, parlant à la cantonade.

Vous deux, gardez les issues !

Le commissaire parait, le chapeau sur la tête, son écharpe à la main.
AMÉLIE (3), au commissaire

Vous désirez, monsieur ?

LE COMMISSAIRE, avec un sursaut de stupéfaction en se trouvant en face d’Amélie. Se découvrant.

Une dame ! (À Amélie.) Excusez-moi, madame ! c’est monsieur, qui… (À Marcel.) Eh ! bien, où est il, votre cambrioleur ?

MARCEL.

Mon camb…

AMÉLIE, lui coupant la parole.

Quel cambrioleur ?

LE COMMISSAIRE.

Mais, je ne sais pas !… Monsieur m’avait dit… !

MARCEL.

Ah ! Je vous ai dit… je vous ai dit !… parce que si je ne vous avais pas dit, vous ne seriez pas venu ! Mais il n’y a ici qu’un cambrioleur, c’est celui de mon honneur.

LE COMMISSAIRE, fronçant les sourcils.

Quoi ?

MARCEL.

Veuillez constater, je vous prie, la présence ici de l’amant de madame, le jour même de ses noces.

Amélie hausse les épaules et gagne la droite devant le lit.
LE COMMISSAIRE.

Hein ?

MARCEL.

Constatez, monsieur : le lit défait ! la tenue de madame !… (Prenant en main sa robe de mariée sur le coin du campé.) et sa robe de mariée encore là, toute chaude !

Il repose la robe sur le pied du lit.
LE COMMISSAIRE, décontenancé et hésitant.

C’est… vrai, madame ?

MARCEL, au-dessus du canapé.

Oserez-vous nier ?

AMÉLIE.

Ah ! ma foi, tu as raison ! Autant le divorce qu’un ménage dans ces conditions-là. (S’asseyant sur le canapé une jambe sur l’autre et sur un ton de bravade.) Eh ! bien, oui, monsieur ! c’est vrai.

Le commissaire s’incline en écartant les bras, devant l’aveu.
MARCEL, triomphant.

Enfin !

LE COMMISSAIRE.

Et… votre complice ?

AMÉLIE, indiquant d’un geste indifférent par-dessus son épaule, le cabinet de toilette.

Là ! dans le cabinet de toilette !… (À part, avec désinvolture, pendant que le commissaire remonte vers le cabinet.) Après tout, avec un prince !…

Elle fait claquer sa langue.
LE COMMISSAIRE, qui a remis son chapeau sur la tête, tout en remontant vers le cabinet de toilette. En poussant la porte.

Sortez, monsieur ! nous savons que vous êtes là.

Il redescend à gauche, tandis que Marcel s’écarte un peu dans la ruelle non loin du pied du lit. — Un temps. — Soudain venant de droite du cabinet de toilette le prince parait, toujours dans la même tenue ; il a ramené les bords de son chapeau sur son nez et pris les pans de sa cravate dans son chapeau pour en couvrir son visage ; il s’avance, la tête penchée sur l’épaule droite.

LE PRINCE.

C’est bien ! me voici.

MARCEL.

Constatez, je vous prie, le déshabillé de monsieur !

LE PRINCE, du tac au tac.

Permettez ! C’est monsieur qui m’a jeté mes vêtements par la fenêtre.

LE COMMISSAIRE, presque sous le nez du prince et sur un ton brutal et cassant.

S’il les a jetés, c’est sans doute que vous ne les aviez pas sur vous !… Votre nom ?

Il redescend un peu à gauche.
LE PRINCE.

Impossible !… Je voyage incognito !

LE COMMISSAIRE, croyant qu’on se moque de lui et sur le ton d’un homme qui ne supporters pas la plaisanterie.

Quoi ?

MARCEL.

Il suffit ! Monsieur est Son Altesse Royale le prince Nicolas de Palestrie !

LE COMMISSAIRE, avec un sursaut en arrière.

Hein ?

Instinctivement il se découvre.
LE PRINCE, avec dépit.

Ah ! maracache !

D’un geste d’humeur, il envoie son chapon : en arrière de sa tête, ce qui fait retomber sa cravate à sa place.
MARCEL.

Constatez, monsieur le commissaire ! constatez !

LE COMMISSAIRE, qui n’entend plus du tout de cette oreille, descendant à gauche.

Oh ! non… Oh ! non-non !

MARCEL, ahuri.

Quoi ?

LE COMMISSAIRE.

Non-non-non-non-non-non !… Une Altesse Royale ! merci ! l’immunité diplomatique !… Tu-tu-tu-tu ! je n’ai pas envie de créer des complications au gouvernement !

MARCEL, traversant la scène et allant au commissaire.

Qu’est-ce que vous dites !

LE COMMISSAIRE, sans le toucher, l’écartant du geste.

Oh ! Arrangez-vous ! Arrangez-vous ! Moi, ça ne me regarde pas.

LE PRINCE, étonné lui-même de ce revirement, mais heureux d’approuver le commissaire.

Absolument !

MARCEL, n’en croyant pas ses oreilles.

Mais, monsieur le commissaire, je suis le mari offensé, et…

LE COMMISSAIRE.

Ah ! Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? (Avec la plus entière mauvaise foi.) D’abord, je n’en sais rien, moi. Qu’est-ce qui me le prouve ?

LE PRINCE (3).

Oui, quoi ?

MARCEL.

Comment ! Qu’est-ce qui vous le prouve ? Mais qu’est-ce qu’il vous faut ? Regardez la tenue de madame ! le prince sans vêtements !…

LE COMMISSAIRE, lui coupant brutalement la parole, et nez contre nez avec Marcel.

C’est vous !… qui les lui avez jetés par la fenêtre.

LE PRINCE, sur le même ton.

C’est lui qui les a jetés par la fenêtre !

MARCEL, ahuri d’avoir ainsi à se défendre.

Ça prouve qu’il ne les avait pas sur lui…

LE COMMISSAIRE, Lécartant de grands bras.

En voilà une preuve !

LE PRINCE, haussant les épaules.

C’est idiot !

MARCEL, indiquant Amélie assise sur le canapé.

Et puis madame a avoué… Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?

LE COMMISSAIRE, furieux de cette insistance, grimpant sur ses ergots et allant se camper, tel un coq au combat la poitrine contre la poitrine de Marcel.

Ah ! Et puis en voilà assez ! Je n’ai pas de leçon à recevoir de vous.

MARCEL.

Hein ?

LE PRINCE.

À la bonne heure !

LE COMMISSAIRE, toujours poitrine contre poitrine, nez contre nez, avec Marcel ahuri. Pivotant autour de lui de façon à gagner le no 2.

Considérez-vous comme bien heureux que je ne vous dresse pas procès-verbal pour fausse déclaration à un magistrat.

MARCEL.

Moi !

LE COMMISSAIRE.

Oui, vous ! oui, vous ! Car, enfin, où est-il votre cambrioleur, hein ? Où est-il ?

MARCEL, complètement interloqué.

Mais je… mais je…

LE COMMISSAIRE.

Oui ! Eh bien, que ça ne vous arrive plus !

Il remonte vers le prince.
LE PRINCE.

Bravo !

MARCEL, reste un instant comme assommé, puis au public.

C’est moi le cocu ! et c’est moi qu’on engueule !

LE COMMISSAIRE, au prince tout près de lui et l’échine courbée à hauteur de sa ceinture.

Oh ! Monseigneur ! Je suis désolé ! Je supplie Votre Altesse d’agréer mes excuses. (Redressant un peu l’échine.) Tout ça, c’est la faute de ce maladroit !

LE PRINCE, battant l’air avec son doigt d’un geste brusque et sous le nez du commissaire.

Vous !… je vous fais commandeur de l’ordre de Palestrie !

LE COMMISSAIRE, très ému.

Hein ? Moi ? Monseigneur ! (Se confondant en courbettes.) Oh ! monseigneur ! Quel honneur ! Comment pourrai-je exprimer à Votre Altesse !…

LE PRINCE, le renvoyant du geste.

Oui, c’est bien, allez !

Il tourne les talons sans plus s’occuper de lui.
LE COMMISSAIRE, avec la plus plate obéissance.

Oui, monseigneur. (s’inclinant profondément.) Monseigneur ! (Un pas à reculons. Nouvelle salutation à Amélie.) Madame ! (De même, à Marcel, exactement sur le même ton qu’il a dit « Monseigneur ! Madamel » :) Idiot !

MARCEL, se tournant à moitié vers lui.

Quoi ?

LE COMMISSAIRE, dans le même mouvement. Nouveau pas à reculons, nouvelle et dernière salutation.

Monseigneur ! (Se redressant et tournant les talons. À la cantonade.) Venez, vous autres ! Il n’y a pas plus de cambrioleur que dans ma main !

Il sort.
MARCEL, qui n’en est pas encore revenu.

Ah ! bien, elle est raide, celle-là !

AMÉLIE, au prince qui arpente nerveusement la scène de haut en bas.

Monseigneur, je suis désolée qu’à cause de moi !…

LE PRINCE (2), à Amélie (3).

Oui, oh ! (À Marcel (1).) Ah ! vous avez fait des propretés, vous !

Il remonte.
MARCEL.

Allez, allez, monseigneur ! vous avez raison ! puisqu’il est avéré que vous jouissez d’un privilège !… que vous avez tous les droits ! Je m’incline et je vous fais mes excuses.

LE PRINCE, qui n’a pas cessé d’arpenter et est redescendu à ce moment près de Marcel.

Je me plaindrai demain… à la Présidence !…

Il remonte.
MARCEL, toujours à gauche de la scène.

Oh ! ça, la présidence… dans cette affaire là… !

LE PRINCE, redescendant, à Marcel.

Je regrette que ma situation ne me permette pas de donner à votre conduite les suites qu’elle comporte !

Il remonte.
MARCEL.

Je le regrette aussi, monseigneur.

LE PRINCE, toujours nerveux.

Oui !

AMÉLIE.

Monseigneur, du calme !

LE PRINCE, presque crié.

Je suis calme !

Il continue à arpenter.
MARCEL.

D’ailleurs, maintenant que le coup a raté, je puis bien dire que je suis désolé d’avoir eu à tomber précisément sur Votre Altesse, mais je n’avais pas le choix.

LE PRINCE, toujours arpentant.

Non, non, se permettre… !

AMÉLIE.

Et tout ça ! tout ça, par la faute d’Étienne !

MARCEL.

Oui. Ah ! Ce que je lui garde un chien de ma chienne à celui-là !

AMÉLIE.

Et moi donc !

LE PRINCE, brusquement redescendant (2) près de Marcel (1) et se campant devant lui.

Enfin, quoi ? quoi ? Vous ne pensez donc pas que je vais rester ainsi en chemise et en caleçon ! Vous allez me prêter un costume… que je m’en vaille !

MARCEL.

Mais j’en n’ai pas !

LE PRINCE.

Eh bien, trouvez-en un ! Ça ne me regarde pas ! donnez-moi le vôtre.

En ce disant, il lui pince en la secouant la manche de son habit à hauteur du biceps.
MARCEL, se dégageant et passant n° 2.

Ah ! bien plus souvent, par exemple !

LE PRINCE, revenant à la charge.

Allez ! Allez !

MARCEL, se garant.

Mais non !… mais non !… (Entendant un bruit de voix à la cantonade. Impérativement, au prince.) Chut !

LE PRINCE, interloqué.

Quoi ?

Amélie, le prince et Marcel prêtent l’oreille.
VOIX D’ÉTIENNE.

Monsieur et madame sont là ?

MARCEL, à Amélie.

Mais c’est Étienne, ma parole !

AMÉLIE.

Il a le culot de venir se payer notre tête !

MARCEL.

Ah ! bien, lui, il va me payer ce qu’il m’a fait !

Le prince (1) un peu au fond, Marcel (2) au milieu de la scène, Amélie (3) plus bas.

Scène IV

Les Mêmes, ÉTIENNE, habit noir comme à la mairie.
ÉTIENNE, paraissant et s’arrêtant le chapeau sur la tête, les mains dans ses poches, sur le pas de la porte.

Bonjour, les époux !

AMÉLIE.

Toi !

MARCEL, s’avançant vers lui à pas lents comme un fauve.

Qu’est-ce que tu viens faire ?

Le prince gagne un peu à droite.
ÉTIENNE, sur le ton dégagé et persifleur.

Rien ! Voir si ça va comme vous voulez ? Si vous êtes heureux ?

MARCEL.

Si nous sommes heureux ? ah ! canaille !

Il le prend par le bras et le fait brutalement passer à sa gauche.
ÉTIENNE (3).

Eh bien, quoi donc ?

MARCEL, au prince.

Monseigneur ! vous avez vu jouer le Fil à la patte ?

LE PRINCE, qui ne comprend pas.

Fil à la patte ? Quoi ? quelle patte ?

MARCEL, tout en fouillant dans la poche de derrière de son pantalon.

Eh ! bien, nous allons vous en rejouer une scène ! et pas au chiqué, cette fois !

ÉTIENNE, qui ne comprend pas où il veut en venir.

Qu’est-ce qu’il dit !

MARCEL.

Vous avez besoin d’un vêtement, monseigneur !

LE PRINCE.

Certes, par notre Père !

MARCEL.

C’est très bien ! (À Étienne.) Ton pantalon ! donne-moi ton pantalon !

ÉTIENNE, qui croit à une plaisanterie. Gouailleur.

Quoi ?

MARCEL, qui a tiré de sa poche un revolver qu’il braque sur Étienne.

Ton pantalon, ou je tire !

LE PRINCE, qui se trouve sur la ligne du tir entre Marcel et Étienne.

Eh ! là ! Eh ! là !

Il remonte vivement et gagne près de la cheminée.
ÉTIENNE.

Ah çà ! tu plaisantes !

MARCEL.

Je plaisante ! tiens !

Il tire en l’air.
ÉTIENNE, faisant un bond en arrière.

Ah !

AMÉLIE, tombant sur le canapé au pied du lit.

Ah !

LE PRINCE, descendant no 1.

Ah !

En même temps un morceau de plâtre se détache du plafond et tombe par terre.
AMÉLIE, devant le dégât.

Oh ! mon plafond !

Elle s’est relevée et descend un peu à droite.
MARCEL.

Oui, oh ! ben, ton plafond… zut ! (À Étienne.) Allons ! ton pantalon ; ou je te tue comme un chien.

ÉTIENNE, suppliant.

Marcel !…

MARCEL, agitant le revolver braqué sur Étienne.

Veux-tu vite…

ÉTIENNE, terrorisé.

Oui !… Oui-oui !

Il est debout devant le canapé, déboutonne vivement ses bretelles.
MARCEL.

Allez ! Allez ! plus vite que ça.

ÉTIENNE, retirant précipitamment son pantalon.

Voilà ! voilà !

Il passe le pantalon que Marcel prend de la main gauche sans cesser de tenir Étienne en joue.
MARCEL, jetant par-dessus son épaule le pantalon au prince.

Tenez ! attrapez, monseigneur !

LE PRINCE.

Merci !… (Il enfile vivement le pantalon.) Oho ! il va craquer !

MARCEL, à Étienne.

Et maintenant, ton habit ! ton gilet !

ÉTIENNE.

Marcel, voyons !

MARCEL.

Veux-tu donner ton habit et ton gilet !

ÉTIENNE, Éretirant habit et gilet.

Voilà ! voilà ! (À part.) Il est fou ! il est complètement fou !

Il remet le gilet et l’habit à Marcel.
MARCEL, jetant les vêtements au prince.

Voilà ! monseigneur ! (Brusquement.) Monseigneur ! pendant que vous y êtes, voulez-vous le caleçon ?

LE PRINCE.

Non, merci ! j’ai le mien et il est plus beau.

ÉTIENNE, s’avançant piteux et suppliant jusqu’à Amélie, qui est à l’extrême droite.

Amélie, je t’en prie !

AMÉLIE, passant (3) devant Étienne.

Oh ! ça ne me regarde pas ! Ça ne me regarde pas !

MARCEL, allant au prince qui a sur lui le pantalon de Marcel, mais n’a passé ni le gilet ni l’habit.

Et maintenant, monseigneur, excusez-moi ! mais pour le projet que je médite, la présence de Votre Altesse est de trop.

LE PRINCE.

Je comprends !… Monsieur est mon remplaçant.

MARCEL.

Vous l’avez dit, monseigneur !

LE PRINCE.

C’est bien ! je me sauve ! Au revoir ! et bonne chance ! Au revoir, Amélie !

AMÉLIE, faisant la révérence.

Au revoir, monseigneur !

LE PRINCE, est allé jusqu’à la porte dont il a poussé le battant comme pour sortir, puis, se ravisant, fait volte-face, et, après deux pas à froid, à Étienne qui est piteusement à l’extrême droite appuyé contre le lit, se faisant un écran de son chapeau haut de forme tenu contre le ventre.

Cocoï boronzoff ! Lapépétt alagoss !

ÉTIENNE.

Quoi ?

LE PRINCE.

Yamolek, Grobouboul !

Il sort.
ÉTIENNE, voyant le prince s’en aller avec ses affaires.

Non, mais c’est ça ! Il emporte mes vêtements et encore il m’engueule ! (Voulant courir après le prince.) Eh ! là-bas, vous !

MARCEL, arrêtant son élan par la menace de son revolver.

Bouge pas, toi ! ou je te brûle.

ÉTIENNE, reculant, de façon à revenir à sa place primitive.

Ah ça ! où veux-tu en venir ?

MARCEL, prenant la main d’Amélie.

Où je veux en venir ? à te faire pincer en flagrant délit avec ma femme.

AMÉLIE.

Absolument !

MARCEL, La main gauche dans la main droite d’Amélie. Avançant ainsi qu’Amélie à pas lents cadencés et successifs dans la direction d’Étienne.

Ah ! Tu es l’amant de ma femme !

AMÉLIE, même jeu.

Ah ! le jour même de ses noces, on te surprend avec elle !

ÉTIENNE, bouche bée. Affalé face à eux sur le bord du lit.

Hein ?

MARCEL, de même.

Ah ! l’on te trouve en caleçon dans la chambre conjugale !…

AMÉLIE, de même.

Ah ! Amélie se trouve avec toi en jupon !

ÉTIENNE, au public, désespéré.

Ils sont fous ! Ils sont fous !

MARCEL, un genou sur le canapé du pied du lit.

Eh bien, le commissaire !

AMÉLIE, appuyée des deux mains sur le bout du pied du lit.

Le commissaire !

À ce moment on frappe à la porte.
MARCEL, prêtant l’oreille.

Qui est là ?

VOIX DU COMMISSAIRE, sur le même ton que Marcel et Amélie, et comme un écho de leur voix.

Le commissaire !

MARCEL et AMÉLIE, avec une même révérence.

Le voilà !

ÉTIENNE, abruti.

Ah !


Scène V

Les Mêmes, LE COMMISSAIRE.
MARCEL, allant ouvrir la porte au commissaire.

Entrez ! Entrez, monsieur le commissaire ! Vous arrivez bien : nous parlions de vous.

LE COMMISSAIRE, entrant, les vêtements du prince pliés sur le bras. — Étonné.

De moi ? (Cherchant des yeux le prince.) Son Altesse ? Son Altesse est encore là ?

MARCEL.

Non, elle vient de partir.

LE COMMISSAIRE.

Ah ! c’est que je lui rapportais ses vêtements qu’on est venu déposer au commissariat.

MARCEL, prenant les vêtements.

C’est bien ! on les lui fera parvenir.

Il va les déposer sur une chaise près de la cheminée.
LE COMMISSAIRE, qui est un peu descendu, apercevant Étienne toujours piteux dans son coin, s’inclinant.

Monsieur !

ÉTIENNE, s’inclinant également.

Monsieur !

LE COMMISSAIRE, faisant allusion à sa tenue.

La… la chaleur… sans doute ?

ÉTIENNE, très gêné.

La chaleur, oui, oui !

MARCEL, qui est descendu. (3).

Oh ! mais je ne vous ai pas présentés ! (Présentant) M. Étienne de Milledieu, mon meilleur ami !… M. le commissaire du quartier !… (Échange de saluts.) Et maintenant, monsieur le commissaire, veuillez constater que je viens de surprendre ma femme en flagrant délit d’adultère.

LE COMMISSAIRE, avec un sursaut d’étonnement.

Hein ? Encore !

AMÉLIE.

Oui, monsieur le commissaire.

ÉTIENNE, suppliant.

Marcel !

MARCEL.

Assez ! (Au commissaire.) Je m’étais trompé tout à l’heure ! L’amant de ma femme, ce n’était pas le prince ; c’était monsieur !

Il désigne du doigt Étienne.
LE COMMISSAIRE, ravi de cette substitution.

Ah ! à la bonne heure !

ÉTIENNE, se précipitant n° 3.

Mais c’est faux !

AMÉLIE (4).

Du tout, monsieur ! Je le reconnais.

ÉTIENNE, indigné.

Oh !

AMÉLIE.

D’ailleurs, tout Paris vous le dira.

ÉTIENNE.

Oh !…

LE COMMISSAIRE.

Cet aveu me suffit.

MARCEL.

Veuillez donc constater.

LE COMMISSAIRE.

Où y a-t-il de quoi écrire ?

AMÉLIE, remontant vers la porte du cabinet de toilette.

Par ici, monsieur le commissaire.

LE COMMISSAIRE.

Venez

Il remonte.
ÉTIENNE, remontant avec le commissaire et arrivé sur le pas de la porte.

Je proteste ! C’est une infamie ! Je suis un citoyen de la République.

LE COMMISSAIRE.

Oh ! ça, monsieur ! ce n’est pas une considération.

Furieux, Étienne se couvre de son chapeau haut de forme dans lequel, après s’être déshabillé, il a jeté ses bretelles, ce qui fait que ces dernières pendent en partie hors du chapeau sur son cou. — Ils entrent tous trois dans le cabinet de toilette.
MARCEL, redescendant.

Enfin ! je suis vengé !


Scène VI

Les Mêmes, VAN PUTZEBOUM.
VAN PUTZEBOUM.

Ah ! te voilà, filske ! Je te demande pardon que je te relance ainsi donc ; mais une dépêche ça j’ai reçu qu’il faut que je parte ce soir. Alors, je t’apporte vite le chèque.

MARCEL.

Le chèque ?…

VAN PUTZEBOUM.

Du fidéicommis donc ! Tu as rempli les conditions, voilà l’argent : douze cent mille francs de principal, plus les intérêts composés : deux cent septante mille nonante-trois francs et cinq.

MARCEL, un peu déconcerté par ce flux de chiffres.

Quoi ? quoi ?

VAN PUTZEBOUM, lui remettant le chèque.

Oh ! Ça est le compte ! Ça est le compte !

MARCEL, jetant un coup d’œil sur le chèque.

…Nonante-trois francs et cinq… Oui, oui !… C’est parfait !

AMÉLIE, paraissant à la porte du cabinet de toilette.

Ah ! Le parrain !

Elle descend no 3.
MARCEL, qui a aperçu Amélie.

Et maintenant, mon parrain, j’ai l’honneur de vous annoncer…

VAN PUTZEBOUM, s’inclinant d’avance.

Compliments, hein donc !

MARCEL.

Non ! non !

VAN PUTZEBOUM, rengainant ses félicitations.

Ah ?

MARCEL.

…mon prochain divorce avec mademoiselle Amélie d’Avranches, femme Courbois, que j’ai surprise en flagrant délit d’adultère avec M. Étienne de Milledieu, mon meilleur ami.

VAN PUTZEBOUM.

Hein ?

MARCEL, à Amélie.

N’est-ce pas ?

AMÉLIE.

Absolument.

VAN PUTZEBOUM, voulant reprendre le chèque que Marcel tient toujours à la main.

Ah ! mais alôrs…

MARCEL, écartant la main de Van Putzeboum et mettant le chèque dans la poche intérieure de son habit.

Ah ! pardon, parrain !… Les conditions ont elles été remplies ?

VAN PUTZEBOUM, gauloisement.

Ça !… Elles ont même été remplies avant.

MARCEL.

Alors, ça ne vous regarde plus ! À ce moment sortent du cabinet de toilette Étienne et le commissaire discutant ensemble.

ÉTIENNE.

Mais enfin, monsieur le commissaire… !

LE COMMISSAIRE.

Non monsieur ! Ça ne me regarde pas ! Ça ne me regarde pas !

Il a son carnet à la main sur lequel il achève d’écrire.
MARCEL.

Allons, venez, parrain !

Van Putzeboum et le commissaire sortent et s’arrêtent sur le pas de la porte à la voix d’Étienne.
ÉTIENNE, qui est descendu no 5.

C’est une infamie ! (À Marcel.) Tu m’en rendras raison.

MARCEL.

À tes ordres. Au revoir, Amélie !

Il l’embrasse.
AMÉLIE.

Au revoir, Marcel.

ÉTIENNE, voyant tout le monde sur le point de se retirer.

Eh bien, et moi, alors, qu’est-ce que je deviens ?

MARCEL, prenant Amélle par les épaules et la poussant gaiement vers Étienne.

Eh bien, mon vieux ! Occupe-toi d’Amélie !

Il sort précédé par Van Putzeboum et le commissaire.
ÉTIENNE, ahuri, se laissant choir sur le canapé.

Qu’est-ce qu’il a dit ?

AMÉLIE, s’asseyant sur ses genoux.

Occupe-toi d’Amélie !

ÉTIENNE, confondu.

Ah !


Rideau.