Occupe-toi d’Amélie !/Acte III

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Librairie Théâtrale (p. 279-346).


ACTE TROISIÈME

ACTE TROISIÈME


PREMIER TABLEAU

La Salle des mariages à la mairie.


En pan coupé gauche, deuxième et troisième plan, grande baie donnant sur un vaste atrium auquel on accède par deux marches. Au premier plan, perpendiculaire à la rampe, mur plein auquel est adossée une banquette occupant toute la largeur. Au fond, tout de suite après la baie, grande partie oblique. Au centre une porte donnant sur les couloirs de la mairie. À droite, deuxième plan, porte donnant dans le cabinet du maire. Trois tables sont placées parallèlement au mur de droite. Celle du milieu plus grande que les deux autres et sur estrade : c’est la table du maire ; elle est recouverte du traditionnel tapis vert ou grenat, suivant la décoration de la mairie. Derrière la table, un fauteuil. Au-dessus, sur une console appliquée au mur, le buste de la République. Une chaise à chacune des deux autres tables. À l’avant-scène, parallèlement à la rampe et tout près de la table la plus près du public, une petite banquette sans dossier, pour deux personnes. Face à la table du maire, les deux fauteuils des mariés encadrés de chaque côté par deux chaises ; puis au fond, continuant la rangée mais formant angle droit avec elle, deux chaises face au public. (Ce premier rang doit être très en oblique, de façon à ce que chacun des artistes reste visible le plus possible des spectateurs. Placer donc les meubles de ce premier rang en raison d’une ligne qui partirait du trou du souffleur pour aller rejoindre le fond du décor, à deux mètres environ de l’angle de droite.) Derrière ce premier rang, un second rang de cinq chaises (cette rangée un peu moins oblique que la première), puis, derrière, deux rangées de banquettes sans dossier ; l’avant-dernière banquette doit être encore moins oblique que la rangée de chaises et la dernière banquette perpendiculaire à la scène. Sur la table du maire, un encrier, un petit code, différents papiers. Un registre sur chacune des tables qui encadrent la table du maire.



Scène PREMIÈRE

MOUILLETU, VALÉRY, MOUCHEMOLLE,
GABY, INVITÉS, INVITÉES.
Au lever du rideau, le monde est assis çà et là dans la salle, dans l’attente de la cérémonie qui se prépare. Gaby est entrée et s’engage dans la rangée de chaises.
MOUILLETU, à Gaby, sur le ton d’un refrain habituel.

Sur les banquettes, messieurs, dames ! les chaises et fauteuils sont pour le cortège.

GABY, s’introduisant dans le rang suivant formé par la banquette derrière les chaises.

Pardon, je ne savais pas ! Pardon, monsieur. (Le monsieur se lève.) Pardon, madame.

La dame se lève.
UN MONSIEUR, à son voisin.

C’est bien à trois heures, la cérémonie ?

LE VOISIN.

Si les mariés ne sont pas en retard, c’est pour trois heures.

Sur ces entrefaites sont entrés, bras-dessus, bras-dessous, Valéry et Mouchemolle ; ils longent le fond, tout en parlant à haute voix.
VALÉRY.

Oui, mon vieux ! et tous les garçons sont alors tombés sur le pochard et on l’a sorti en cinq sec.

MOUCHEMOLLE.

Ah ! la bonne histoire !

VALÉRY, à Mouilletu.

Ah ! dites donc, garçon ! le mariage Courbois ?

MOUILLETU.

C’est ici, monsieur.

GABY, qui est assise au bout de la banquette côté public, de sa place faisant des signes à Valéry et Mouchemolle.

Eh !… psstt !

MOUCHEMOLLE, joyeusement.

Ah ! Tiens ! voilà Gaby !

VALÉRY, même jeu.

Ah ! Gaby ! (Valéry se glissant dans le rang de Gaby.) Ah ! te voilà, toi !

GABY.

Tu parles !

MOUILLETU, voyant Mouchemolle qui s’engage dans le rang de chaises.

Pas sur les chaises ! sur les banquettes !

MOUCHEMOLLE, sur un ton blagueur.

Oui ! Merci, mon ami.

Il sort du rang de chaises et s’engage dans le rang suivant à la suite de Valéry.
VALÉRY, dérangeant les deux personnes qui occupent le commencement de la banquette.

Pardon, monsieur ! Pardon, madame !

MOUCHEMOLLE, se glissant derrière lui et passant devant les personnes.

Pardon !… pardon !

VALÉRY.

Bonjour, Gaby !

MOUCHEMOLLE.

Ça va bien ?

Ne trouvant pas de place pour s’asseoir, il enjambe la banquette et s’assied sur la dernière banquette.
GABY.

Bonjour, les gosses ! Vous n’avez pas voulu rater le mariage, hein !

VALÉRY.

Tiens !

MOUCHEMOLLE.

Mais dis donc, tu en es une autre à ce que je vois !

GABY.

Tu penses ! C’est l’attraction du jour !

VALÉRY.

Non, mais tout de même, c’est incroyable, hein ?

GABY.

Quoi ?

VALÉRY.

Mais ce mariage, donc !

MOUCHEMOLLE.

Marcel épouser Amélie !

GABY.

Mais il paraît que c’est une blague.

VALÉRY.

Comment, une blague ! C’est-à-dire qu’on l’a cru d’abord. Mais maintenant, il n’y a plus à douter, voyons ! puisque le mariage a lieu.

GABY.

Mais non, mais non ! Marcel a passé la soirée hier à Tabarin, et il nous a assuré que c’était un bateau qu’on montait à son parrain !… à propos d’une question d’héritage !

VALÉRY.

Oh ! voyons ! c’est à vous qu’il a monté le bateau ! Comment veux-tu ? à la mairie !…

GABY.

Ah ! je ne sais pas ! je te dis ce qu’il nous a dit.

Ils continuent à causer.

Scène II

Les Mêmes, CORNETTE, puis LE MAIRE.
CORNETTE, une épaule plus haute que l’autre, accourant du fond.

Mouilletu ! Mouilletu !

MOUILLETU, debout sur l’estrade, en train de ranger sur la table du maire.

Ah ! monsieur Cornette !

CORNETTE.

Bonjour, Mouilletu ! le patron ne m’a pas demandé ?

MOUILLETU.

Oh ! si… vous pouvez me remercier ; je vous ai sauvé la mise en disant que je vous avais déjà vu.

CORNETTE.

Oh ! merci !… J’ai été retenu plus longtemps que je ne voulais.

MOUILLETU.

Au café, je parie ?

CORNETTE.

Je faisais une manille avec Jobinet.

MOUILLETU, cherchant.

Jobinet ?

CORNETTE.

Le comptable d’en face… Jobinet, vous savez bien… qui est si rigolo !… Jobinet, des pompes funèbres.

MOUILLETU.

Ah ! oui !… eh ! bien ? vous avez gagné au moins ?

CORNETTE.

Mais non !… C’est pas étonnant, il est bossu !

LE MAIRE, passant la tête à la porte de droite.

Cornette !

CORNETTE, empressé.

Voilà, monsieur le maire !… voilà !

Le maire est rentré, Cornette court le rejoindre dans son cabinet.

Scène III

Les Mêmes, PÂQUERETTE, GISMONDA,
puis DEUX PHOTOGRAPHES.
VALÉRY, apercevant Pâquerette et Gismonda qui, sur les derniers mots, sont arrivées de gauche et traversent au fond.

Tiens, voilà Pâquerette et Gismonda.

GABY.

Ah ! oui… (Leur faisant signe.) Eh !…

VALÉRY et MOUCHEMOLLE, de même.

Hep ! hep !

PÂQUERETTE, à Gismonda.

Ah ! les copains !

GISMONDA.

Tiens ! Ça va bien ?

GABY, leur faisant signe de venir près d’elle.

Vous venez là ?

GISMONDA et PÂQUERETTE.

Oui !

MOUILLETU, aux deux femmes qui s’engagent dans le rang des chaises.

Pas sur les chaises, mesdames, pas sur les chaises !

PÂQUERETTE, sur un ton gouailleur.

Qu’est-ce qu’il a, celui-là !

GISMONDA.

Oh ! bien, vous n’avez pas de place…

PÂQUERETTE, qui est descendue a l’avant-scène.

Si on se casait au fond, on serait mieux pour l’entrée du cortège…

VALÉRY.

Oh !… Si vous voulez !

GABY.

Moi, je veux bien.

MOUCHEMOLLE.

Allons !

Les deux hommes se dirigent vers la banquette de gauche tandis que les femmes iront peu à peu, lentement, tout en causant.
GABY.

Vous êtes restés encore tard cette nuit ?

PÂQUERETTE.

Ne m’en parlez pas : Six heures du matin !…

GISMONDA.

On s’est quitté en se donnant rendez-vous ici ; mais toute la bande était si vannée, qu’elle a bien sûr dû rester au lit !

VALÉRY, qui est près de la banquette adossée au mur.

C’est là qu’on se met !

PÂQUERETTE.

Oui ! on sera très bien.

GISMONDA.

Il paraît que c’est un nommé Toto Béjard qui fait le maire ?

VALÉRY et MOUCHEMOLLE.

Toto Béjard ?

PÂQUERETTE.

Un type de la Bourse, oui.

GABY, à Valéry.

Ah ! tu vois. (Aux deux femmes.) N’est-ce pas que Marcel nous a dit, pour son mariage, que c’était une blague qu’on faisait à son parrain.

PÂQUERETTE et GISMONDA.

Absolument !

GABY.

Là !

VALÉRY.

Eh bien, qu’est-ce que tu veux, ça me dépasse.

UN PHOTOGRAPHE, son appareil sous le bras, fendant, pour passer, le rassemblement formé par Valéry, Gaby, Pâquerette, Gismonda et Mouchemolle, et qui obstrue le passage.

Pardon, messieurs ! Pardon, mesdames ! (À part.) Oh ! nom d’un chien, il y a du linge ! (Arrivé à Mouilletu à l’avant-scène droite.) Dites-moi : le cortège entre par là, naturellement ?

MOUILLETU.

Dame ! par où voulez-vous qu’il entre ?

LE PHOTOGRAPHE.

C’est que je voudrais l’avoir bien en face… Je suis le photographe du Matin.

MOUILLETU.

Ah !… Très bien, monsieur !…

UN DEUXIÈME PHOTOGRAPHE, après avoir accompli le même trajet que son confrère, surgissant dans le dos de ce dernier, pour s’adresser à Mouilletu.

Dites-moi, garçon… (Reconnaissant l’autre photographe qui s’est retourné.) Tiens ! vous !

PREMIER PHOTOGRAPHE.

Bien oui, je viens pour le Matin.

DEUXIÈME PHOTOGRAPHE.

Et moi pour le Journal !

LES DEUX PHOTOGRAPHES, en chœur.

Naturellement !

Ils remontent. Pendant ce qui précède, Mouilletu a gagné la gauche en passant derrière les photographes.
VALÉRY, à Mouilletu qui est arrivé près de lui.

Dites-moi, garçon !

MOUILLETU.

Monsieur ?

VALÉRY.

C’est bien à trois heures, le mariage ?

MOUILLETU.

Oui, monsieur.

LE MAIRE, passant la tête a la porte.

Mouilletu ! Mouilletu !

MOUILLETU.

Voilà, monsieur le maire !

Le maire rentre chez lui.
TOUS, étonnés.

Mouilletu ?

MOUILLETU, se rapprochant de Valéry, pour s’excuser.

Je vous demande pardon !

GABY, le retenant par la manche.

Dites donc ! « Mouilletu », c’est à vous qu’il demande ça ?

MOUILLETU.

Oui, madame ! C’est mon nom.

GABY, riant.

Quelle drôle d’idée !

MOUILLETU, tandis que tout le groupe rit.

Je n’en suis pas plus fier !… Je vous demande pardon !

Il les quitte pour aller chez le maire.
MOUCHEMOLLE.

Oh ! bien, si c’est à trois heures : il est moins trois…

VALÉRY.

Ça ne peut être long.

GISMONDA.

D’ailleurs, quand nous sommes arrivés, il y avait déjà des voitures en bas qui entraient.

VALÉRY.

Oh ! bien, alors… !

À ce moment, on entend dans l’atrium l’orchestre qui attaque la marche du Prophète.
GABY.

La musique ! Voilà la musique !

GISMONDA.

C’est les mariés ! c’est les mariés qui arrivent !

TOUS.

C’est les mariés !

MOUILLETU, sortant de chez le maire et courant vers l’entrée.

Le cortège, mesdames, messieurs ! voici le cortège !

LES DEUX PHOTOGRAPHES, qui étaient à l’affut dans l’atrium, accourent en scène.

Le cortège ! voilà le cortège !

Mouilletu a disparu dans l’atrium.
TOUT LE MONDE.

Le cortège ! Voilà le cortège !

Un des photographes s’est mis contre le manteau d’arlequin gauche : l’autre grimpe sur une banquette. Tous deux, l’appareil braqué sur l’entrée.
GABY.

Allons voir l’entrée. Allons voir l’entrée.

TOUT LE GROUPE.

Allons ! Allons !

Ils grimpent les marches de la baie qu’ils obstruent complètement. Dans la salle, les gens sont debout sur les banquettes.
MOUILLETU, revenant de l’atrium et repoussant les gens qui embarrassent l’entrée.

Place, messieurs-dames ! place pour le cortège ! rangez-vous.

GABY, indiquant la banquette de gauche.

Là ! là !

TOUT SON GROUPE.

C’est ça ! C’est ça !

Gaby, Gismonda et Pâquerette grimpent sur la banquette. Les deux hommes, debout devant, se collent contres elles. À ce moment, entrée du cortège. En tête Amélie en mariée, donnant le bras gauche à son père qui est en habit, le chapeau à la main, la croix de commandeur de Palestrie au cou. Derrière, Marcel, donnant le bras à Virginie Pochet, sœur de Pochet. Derrière, Adonis en smoking, donnant la main à une petite fille de six ans, tenant un bouquet de demoiselle d’honneur. Derrière, les quatre témoins : Étienne, Van Putzeboum, le général et Bibichon. Puis les invités Valcreuse, Yvonne, Boas et Palmyre.
MOUILLETU, les recevant sur le pas de la porte.

Par ici, messieurs les mariés ! par ici !

DES VOIX DANS L’ASSISTANCE.

Oh ! qu’elle est bien ! quelle jolie toilette !… comme elle est en physique !… etc.

Ils descendent par la gauche pour gagner la droite en traversant la scène, conduits par Mouilletu. Les photographes prennent des instantanés. Au moment où Amélie passe devant Valéry, Gaby et la bande… chacun lui fait un compliment : « Oh ! délicieuse !… épatante !.. Tu as une robe qui te va !… compliments !… etc., etc… » À chacun Amélie répond par un : « Merci… Merci bien… »
MOUILLETU, gagnant la droite en tête du cortège.

Par ici, messieurs, dames !

AMÉLIE, qui est arrivée avec Pochet à l’avant-scène gauche. S’arrêtant en voyant Pochet dont la figure se contracte d’émotion.

Tu pleures, papa ?

POCHET, contenant mal son trouble.

Non !… Oui !… Qu’est-ce que tu veux : l’émotion… ! C’est pas des larmes positivement ; c’est plutôt comme quand on épluche un oignon sous son nez, ça vous…

AMÉLIE.

Oui ! Oui !

POCHET.

N’est-ce pas ? sentir sa fille en fleur d’oranger… comme ça… sous l’œil de la foule !…

AMÉLIE.

Mais puisque c’est une blague.

POCHET.

Je sais bien, mais, tout de même !… (Il se mouche bruyamment, puis.) Ah ! le mariage est une belle institution !

AMÉLIE.

Allons, calme-toi !…

MOUILLETU, de l’extrême droite, voyant qu’on ne l’a pas suivi.

Suivez messieurs, dames ! suivez !

POCHET.

Voilà ! Voilà ! Ils gagnent par la suite jusque devant la table du maire.

VIRGINIE, à Marcel, à qui elle donne le bras. Parlant, tout en suivant.

Je vous dirai que ça dépend ! À domicile, pour faire les ongles, je prends huit francs ; mais, pour les amis, c’est cent sous.

MARCEL.

Oh ! c’est tout à fait intéressant !

ADONIS, tirant la petite qui marche en regardant derrière elle.

Mais suis donc, la gosse ! Tu es tout le temps à te faire traîner.

LA PETITE.

Mais, je suis !

ADONIS, dépité.

Oh ! C’t’ idée aussi de m’avoir collé la môme à la concierge comme demoiselle d’honneur. Je suis ridicule !

Ils vont s’asseoir sur les deux chaises qui forment la tête du premier rang.
MOUILLETU, indiquant à chacun sa place respective.

La mariée ici, le marié là !

VAN PUTZEBOUM, à Étienne.

Ça est le grand jour, hein donc ! les chers petits, ils doivent être très émus.

ÉTIENNE.

Oui !… (Les dents serrées.) les chers petits !

MOUILLETU.

Monsieur le père ici ! Madame la mère…

POCHET.

La mère ? y en a pas !

VIRGINIE.

Non, je suis la tante.

MOUILLETU.

Eh ! bien, madame, la tante, là !

LE GÉNÉRAL, à Bibichon, gauche de la scène.

C’est-à-dire que, si je suis témoin, c’est que Son Altesse Royale m’a délégué…

BIBICHON.

En vérité !… Eh ! bien, moi, c’est à cause… (En se donnant une bonne tape sur la cuisse.) de ma respectabilité.

MOUILLETU.

Messieurs les témoins !

LES QUATRE TÉMOINS, s’avançant.

Voilà ! Voilà !

MOUILLETU, leur indiquant leurs places.

Les témoins de la mariée, ici ; les témoins du marié, là !

VAN PUTZEBOUM, voyant sa place prise par Adonis.

Alleï, les petits ! débarrassez, hein, donc ?

Adonis va s’asseoir sur la première chaise du deuxième rang ; la petite reste debout, près d’Amélie.
YVONNE, à Boas qui, derrière, donne le bras à Palmyre. Tous les quatre sont à l’extrême gauche.

Dis donc, ce mariage, ça ne te donne pas envie d’en faire autant ?

BOAS.

Avec toi ?

YVONNE.

Avec moi.

BOAS.

Eh ! bien, tu sais ! j’y penserai !

PALMYRE.

Moi, si je voulais, je n’aurais qu’un mot à dire, n’est-ce pas, chéri ?

VALCREUSE.

Ah ? possible ; mais pas avec moi, toujours.

PALMYRE.

Ah ! animal ! Tu me disais l’autre jour…

VALCREUSE.

Pardon, l’autre nuit !… et la nuit il y a bien des choses qu’on dit…

BOAS, achevant sa pensée.

par politesse.

MOUILLETU.

Monsieur le garçon d’honneur et la demoiselle ?

LA PETITE, se précipitant vers Adonis et le tirant par la main.

C’est nous, mon cher !

ADONIS, entrainé par la petite.

Oh ! « mon cher », non, pigez-moi, c’te larve !… si ça ne fait pas transpirer !

MOUILLETU, indiquant la petite banquette à droite de la scène.

Ici, monsieur le garçon d’honneur et sa demoiselle.

ADONIS, à la petite, tout en s’asseyant à droite de la banquette.

Non, mais à quelle heure qu’on te couche !

LA PETITE.

À huit heures, mon garçon !

ADONIS.

Oh ! là, là ! le biberon ! allez, tâche de te la clore.

LA PETITE.

Quoi ?

ADONIS.

La ferme !

MOUILLETU, au restant du cortège.

Si vous voulez prendre place sur les chaises ?… (Boas, Palmyre, Valcreuse et Yvonne s’asseyant aux places indiquées.) M. le maire est à vous dans un instant.

Il entre chez le maire. Conversation générale en sourdine.
MARCEL, après un temps, à Étienne.

Dis donc ?

ÉTIENNE.

Quoi ?

MARCEL, à Étienne.

C’est toujours Toto Béjard, le maire ?

ÉTIENNE, sur un ton qui en dit long, mais dont l’intention échappe à Marcel.

C’est Toto Béjard ! Oui.

MARCEL.

Dis donc, Amélie !

AMÉLIE.

Quoi ?

MARCEL.

C’est toujours Toto Béjard, le maire.

AMÉLIE.

Eh ! bien, oui, je sais.

POCHET, curieux.

Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

AMÉLIE.

Non, rien ! Il me dit que c’est Toto Béjard, le maire.

POCHET.

Ah ! oui ! (se tournant Vers Virginie.) C’est Toto Béjard, le maire !

VIRGINIE.

Ah ?… eh ! ben après ?…je m’en fiche !

VAN PUTZEBOUM, à Étienne.

Comment vous dites le bourgmestre ? Toto Béjard ?

ÉTIENNE, interloqué.

Hein ! non, oui ! Ça n’a pas d’importance. Un temps. Puis grand éclat de rires dans la bande, Yvonne, Palmyre, Boas et Valcreuse.

YVONNE, riant.

Idiot, va !

BOAS, riant.

Oh ! ben, quoi, si on ne peut plus être spirituel !

AMÉLIE, se levant et se retournant, un genou sur son fauteuil, riant de confiance.

Quoi ? quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

BOAS, riant.

Rien, rien !

PALMYRE, riant.

C’est Boas qui fait des plaisanteries d’un goût douteux.

AMÉLIE, curieuse.

Ah ! quoi ? quoi ?

ENSEMBLE.
YVONNE.

Il demande…

PALMYRE.

Il demande…

VALCREUSE.

Il demande…

YVONNE, cédant la parole à Palmyre.

Non, toi !

PALMYRE, de même.

Toi !

AMÉLIE.

Eh ! bien, quoi ? Qu’est-ce qu’il demande ?

VALCREUSE, se levant.

Il demande pourquoi tu n’as pas mis d’oranges dans ta couronne !

AMÉLIE.

Oh ! que c’est fin ! Oh ! que c’est spirituel !

Elle se rassied.
POCHET, se levant, et se retournant vers eux.

C’est Gueuledeb qui a trouvé ça ?… Ah ! c’est distingué, oui !

BOAS, assez content de lui.

Ben, mon Dieu… !

POCHET.

Allons, allons ! circulez ! Où croyez-vous donc z’être ! hein ? Où croyez-vous donc z’être !

Il se rassied. On entend les autres répéter en sourdine en riant « Où croyez-vous donc z’être ». — Un temps.
VALÉRY, assis sur la dernière banquette, à Gaby.

Eh ! bien, mais y a qu’à lui demander… (Appelant Bibichon.) Eh ! Bibichon !

BIBICHON, se levant.

Eha ?

VALÉRY.

Est-ce que tu es du dîner, demain, chez Fifi l’andouille ?

BIBICHON.

Ah ! non.

GABY, PÂQUERETTE, VALÉRY, GISMONDA, MOUCHEMOLLE, ensemble.

Ah ?

YVONNE, se levant.

Tu n’en es pas ?

BIBICHON.

Non.

PALMYRE, se levant.

Nous en sommes, nous.

Elles se rasseyent.
BIBICHON.

Oh ! mais ça ne fait rien ! On mange bien chez elle, je m’invite !

GABY.

Ah ! bravo !

BIBICHON.

Mais, dame ! (Il se rassied pour se relever aussitôt, et, à ceux du fond.) Allô !… Merci du renseignement.

Il s’assied. Mouilletu, sortant de chez le maire, monte sur l’estrade.
ADONIS, à la petite qui lui parle à l’oreille.

Quoi ?… Qu’est-ce que tu dis ? (La petite lui reparle.) Hein !… Ah ! zut ! Non !… tout à l’heure ! quand on s’en ira.

AMÉLIE.

Qu’est-ce qu’il y a ?

ADONIS.

Non, rien !

AMÉLIE.

Mais quoi ?

ADONIS.

Rien, c’est la gosse qui…

N’osant pas achever tout haut, il se lève et va parler bas à Amélie, après quoi il redescend pour retourner à sa place.
AMÉLIE, pendant qu’Adonis redescend.

Eh ! bien, quoi ? conduis-la, mon petit !

ADONIS.

Moi ! Ah ! ben non, alors ! tu m’as pas regardé.

Il s’assied.
POCHET, se levant et, curieux, à Amélie.

Quoi ! Qu’est-ce qu’il y a ?

AMÉLIE.

Non, rien, papa ! C’est la petite qui…

Elle lui parle bas.
POCHET.

Ah ?

ADONIS, sur un ton indigné.

Oui !

POCHET.

Eh ! bien, quoi ? c’est humain.

AMÉLIE Dites donc, garçon !

MOUILLETU.

Mademoiselle ?…

AMÉLIE.

Pourriez-vous nous indiquer…

Elle achève sa phrase à voix basse dans l’oreille de Mouilletu.
ADONIS, vexé, pendant qu’Amélie parle bas à Mouilletu.

Non, comme c’est agréable !

MOUILLETU.

Oh ! rien de plus facile, mademoiselle. (Indiquant Adonis.) C’est pour monsieur !

ADONIS, furieux.

Hein ! Mais non ! mais non !

MOUILLETU, descendant de l’estrade du maire.

C’est pour la petite demoiselle ! Tenez, par ici, mademoiselle.

Précédant la petite fille, il se dirige vers le rang de chaises.
LA PETITE, qui déjà suivait Mouilletu, s’apercevant qu’Adonis ne vient pas avec elle, courant à lui et le tirant par la main.

Eh ! ben, tu viens ?

ADONIS.

Mais, fiche-moi la paix.

AMÉLIE.

Eh ! ben, quoi ? va avec elle.

ADONIS.

Moi !

POCHET.

Un garçon d’honneur ne lâche pas sa demoiselle d’honneur.

ADONIS.

Ah ! ben, non, zut !

AMÉLIE.

Je te dis d’y aller… tu ne peux pas laisser cette petite toute seule.

ADONIS, rageant.

Oh !

POCHET.

Quoi, c’est pas la mer à boire.

ADONIS, se laissant entraîner par la petite en maugréant.

Non ! De quoi que j’ai l’air, moi ? de quoi que j’ai l’air ?

MOUILLETU, s’engageant entre le premier et le deuxième rang de chaises, suivi par la petite et Adonis, sur un ton pompeux et rythmé.

Laissez passer la demoiselle d’honneur ! Laissez passer la demoiselle d’honneur !

Dans le rang chacun se lève à son tout pour laisser passer.
ADONIS, furieux.

Oh ! c’t averse ! (À la petite.) Tu pouvais pas prendre tes précautions avant, toi !

MARCEL, au moment où Adonis passe derrière lui.

Va donc, petit Soleilland !

ADONIS, rageur.

Oh ! oui ! oh !

MOUILLETU.

Par ici, tenez, par ici !

ADONIS.

Sale gosse, va ! (Arrivés au seuil de la porte du fond, Mouilletu, avec force gestes, lui indique le chemin à prendre. Adonis, sur les charbons.) Oui, c’est bon ; pas de gestes. monsieur ! pas de gestes !… je trouverai bien ! merci ! Sale gosse, va !

Ils sortent.
VAN PUTZEBOUM, qui s’est levé sur le départ d’Adonis et l’a suivi des yeux, à Étienne qui se lève également pour se dérouiller les jambes.

Où c’est ça qu’ils vont donc ?

ÉTIENNE.

Rien, c’est la petite qui…

Il achève sa phrase à l’oreille de Van Putzeboum.
VAN PUTZEBOUM.

Ah ! oui, oui… Meneken !… Meneken… pssse…

ÉTIENNE.

Vous y êtes.

VAN PUTZEBOUM, joyeux et prenant le bras d’Étienne.

Oh ! ça est tout de même un mariage vraiment parisien !

Ils gagnent l’extrême gauche.
MARCEL, étalé dans son fauteuil, après un temps, regardant sa montre.

C’est pas pour dire, mais il nous fait poser, Toto Béjard.

AMÉLIE.

Tu parles !… Et moi, tu sais… je veux bien qu’on s’épouse, mais faut pas oublier que j’ai rendez-vous à quatre heures à la maison avec le prince.

MARCEL.

À quatre heures ?… Oh ! bien, tu as de la marge.

AMÉLIE.

C’est que, depuis le temps que je la fais droguer, la malheureuse… !

MARCEL.

Quelle… « malheureuse » ?

AMÉLIE.

Eh ! ben, Son Altesse !… C’est du féminin.

MARCEL.

Ah ?… C’est juste !

MOUILLETU, montant sur l’estrade.

Voici M. le maire.

Il descend se mettre à la table la plus près de l’avant-scène tandis que Van Putzeboum et Étienne regagnent vivement leurs places.

Scène IV

Les Mêmes, LE MAIRE, il a sur la partie gauche du front une loupe énorme.
Le maire en redingote, ceint de l’écharpe, entre, suivi de Cornette. Il monte à son estrade tandis que Cornette s’installe à sa table, au fond. Tout le monde s’est levé. Le maire s’incline légèrement pour saluer l’assistance, puis, d’un geste circulaire de la main, il fait signe à chacun de s’asseoir. Tout le monde s’assied, sauf Pochet qui regarde distraitement du côté de l’entrée.
LE MAIRE, la main tendue vers Pochet pour lui faire signe de s’asseoir.

Monsieur !

AMÉLIE, à Pochet, lui indiquant le maire.

Papa !

POCHET.

Oh ! pardon ! (Croyant que le maire lui tend la main.) Enchanté.

LE MAIRE.

Non, c’est pour vous prier de vous asseoir.

POCHET, s’asseyant.

Oh ! pardon.

Le maire s’assied et se penche vers Cornette pour lui faire quelques recommandations.
MARCEL, bas, à Étienne.

Dis donc !… C’est Toto Béjard, ça ?

ÉTIENNE, l’œil malin.

C’est Toto Béjard.

Marcel se lève et va considérer de plus près le maire.
LE MAIRE, relevant la tête.

Qu’est-ce qu’il y a ?

MARCEL, d’un ton blagueur.

Rien, rien ! (À Étienne, en allant s’asseoir.) La gueule est bonne ! Tu es sûr de lui, au moins. Il ne va pas faire de blagues ? Se mettre à rigoler ?

ÉTIENNE, perfide.

Non, non ! sois tranquille !… Il ne fera pas de blagues.

LE MAIRE, se levant, à Marcel.

Veuillez, je vous prie… ! (Voyant que Marcel ne l’écoute pas.) Monsieur le marié !…

AMÉLIE, donnant un coup de coude à Marcel.

Marcel !

MARCEL.

Hein ! moi ?…

LE MAIRE, sur un ton aimablement plaisant.

Évidemment vous ! vous n’êtes pas plusieurs ! (Achevant.) … me donner vos noms et prénoms !

MARCEL, à Étienne, tout en se levant.

Il est épatant !

ÉTIENNE.

N’est-ce pas ?

MARCEL, le bord de son chapeau contre sa joue gauche pour dissimuler son envie de rire que révèle le son de sa voix.

Joseph-Marcel Courbois.

LE MAIRE, le regarde ahuri, puis.

Qu’est-ce qui vous fait rire ?

MARCEL, blagueur et entre les dents.

Ça va bien, allez ! ça va bien !

LE MAIRE, le considère un instant, un peu étonné, puis à Amélie.

Et vous, mademoiselle ?

Amélie se lève pour répondre. Pochet, d’un geste, la fait rasseoir et s’avance vers la table du maire.
POCHET.

Clémentine-Amélie Pochet !

LE MAIRE.

Non, pas vous ! C’est à mademoiselle que je demande.

POCHET, allant se rasseoir.

Ah ! pardon.

AMÉLIE, se levant.

Clémentine-Amélie Pochet.

Elle s’assied.
POCHET, allant jusqu’à la table du maire.

Eh ! ben, hein ?… qu’est-ce que j’ai dit ?

LE MAIRE, commençant à être agacé.

Oui, c’est bien.

POCHET.

Vous comprenez, n’est-ce pas, c’est moi qui lui ai donné ces noms… C’est ma fille, alors !… je les connaissais avant elle.

LE MAIRE, lève les yeux au ciel, puis :

Je vous en prie, monsieur !

POCHET.

Continuez, monsieur le maire ! continuez !

Il va se rasseoir.
VAN PUTZEBOUM, à Étienne.

Mais « Pochet, Pochet » ? Je croyais le nom était d’Avranches ?

ÉTIENNE.

Hein ?… Oui, c’est… c’est un titre du pape ; ça ne se mentionne pas dans les actes.

VAN PUTZEBOUM, étonné.

Tenez, tenez, tenez !

LE MAIRE.

On va vous donner lecture de l’acte de mariage ! (À Cornette.) Lisez, Cornette !

Le maire se rassied et, pendant ce qui suit, écoute la lecture, le coude droit sur la table, la main en visière au-dessus des yeux.
MARCEL.

Il est épatant, ce Toto ! On dirait qu’il n’a fait que ça toute sa vie.

CORNETTE, le coude gauche sur la table, la tête appuyée dans sa main, commençant la lecture de l’acte.

« L’an mil neuf cent huit et le cinq mai, à trois heures du soir, devant nous, Maire du huitième Arrondissement de Paris, ont comparu en cette mairie pour être unis par le mariage, d’une part M. Marcel Courbois, rentier, demeurant 27, rue Cambon, (Diminuant peu à peu la voix pour arriver à la fin à n’être qu’un ronron, de façon à ne pas couvrir la voix des personnages qui, cependant, doivent donner la sensation de parler a mi-voix.) âgé de vingt-huit ans, célibataire… » etc.[1]

AMÉLIE, mi-voix, à Marcel, pendant que Cornette poursuit sa lecture.

Dis donc ! Marcel, t’as vu sa loupe ?

MARCEL, de même.

Quelle loupe ?

AMÉLIE, id.

La loupe du maire.

MARCEL, id.

Ah ! tu parles !

AMÉLIE, id. à Pochet.

T’as vu sa loupe, papa ?

POCHET, id.

Hein ?

AMÉLIE, id.

La loupe du maire !

POCHET, id.

Ah ! ben, je te crois ! Ce qu’elle est conséquente !

AMÉLIE, id.

Comme un œuf de… de colombe. (À Marcel.) Ah ! tu vois, je ne dis plus pigeon.

MARCEL, id.

Oh ! dans ce cas-là, tu peux dire comme tu veux ! (À Étienne.) Tu ne m’avais pas dit que Toto Béjard avait une loupe.

ÉTIENNE, id.

Tais-toi ! elle est fausse ! C’est du camouflage.

MARCEL, id. se tordant.

Non ? (À Amélie.) Dis donc, Amélie ! la loupe du maire… ! Il paraît qu’elle est fausse.

AMÉLIE, id.

Allons donc ! (À Pochet.) Oh ! papa, la loupe du maire ! elle est fausse.

POCHET, id.

Pas possible ! (Se levant.) Oh ! que c’est drôle ! De sa poche il tire des bésicles en écaille, se les fixe sur le nez et s’avance tout près du maire pour mieux regarder sa loupe.

LE MAIRE, se sentant examiné, relevant subitement la tête et se trouvant nez à nez avec Pochet.

Qu’est-ce qu’il y a ?…

POCHET, reculant instinctivement.

Rien !… Rien, rien ! (Il a un geste du coude vers le maire et un jeu de physionomie qui semble dire : « Ah ! farceur, va ! » puis va se rasseoir. Le maire hausse les épaules puis reprend sa position première. À Amélie, en se rasseyant.) C’est curieux, on jurerait qu’elle est vraie !

VIRGINIE, à Pochet.

Quoi ? qu’est-ce qu’on jurerait qui est vrai ?

POCHET.

La loupe du maire, il paraît qu’elle est fausse.

VIRGINIE.

Non ? (A ses voisins de gauche.) Ah ! la loupe du maire qui est fausse.

BIBICHON.

Non ? (Au général.) La loupe du maire qui est fausse !

LE GÉNÉRAL, indifférent.

Ah ?

PALMYRE, se penchant vers Pochet.

Quoi, qu’est-ce qui est qui est fausse ?

POCHET.

La loupe du maire, elle est fausse !

TOUT LE RANG DE PALMYRE.

C’est pas possible !

YVONNE, passant la nouvelle au troisième rang.

Ah ! la loupe du maire qui est fausse.

TOUT LE TROISIÈME RANG.

Non ?

LE DEUXIÈME RANG.

Si.

UN OU DEUX PERSONNAGES DU QUATRIÈME RANG.

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?

LE TROISIÈME RANG.

La loupe du maire est fausse.

UN DU QUATRIÈME RANG.

Quoi ? sa loupe ? Ah !

On se chuchote la nouvelle ; « la loupe du maire est fausse. La loupe est fausse… c’est une fausse loupe ! » Chacun veut voir de plus près ; le premier rang, moins Van Putzeboum qui somnole et Étienne qui sait à quoi s’en tenir, se lève et s’avance jusqu’à la table du maire pour mieux examiner la fameuse loupe ; le deuxième rang s’est levé et se penche en avant. Aux autres rangs, quelques-uns montent sur leur banquette. Le maire soudain lève les yeux, voit tout ce monde qui l’environne, se soulève lentement, ce qui amène l’effet contraire chez tous les autres qui se recroquevillent sur eux-mêmes à mesure que le maire redresse la taille, et reculent ainsi jusqu’à leurs places.
LE MAIRE, d’une voix forte.

Enfin, quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

TOUS.

Rien !… Rien-rien !

Tout le monde s’est rassis, sauf le général qui reste debout.
LE MAIRE.

Qu’est-ce que vous avez ?

LE GÉNÉRAL, qui n’a rien compris.

Il paraît qu’elle est fausse.

LE MAIRE.

Quoi ?

LE GÉNÉRAL.

Je ne sais pas !

Il se rassied.
LE MAIRE, à Mouilletu.

Mais quelle noce ! mon Dieu, quelle noce !

CORNETTE, augmentant le volume de sa voix sur la fin du contrat.

« Avons prononcé publiquement que M. Joseph-Marcel Courbois et mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet sont unis par le mariage. »

LE GÉNÉRAL.

Bravo !

LE MAIRE.

Chut ! (À Pochet.) Levez-vous. (Marcel, Pochet et Amélie se lèvent. Aux mariés.) Asseyez-vous ! (Tous trois s’asseyant. À Pochet.) Non, levez-vous !

AMÉLIE, MARCEL et POCHET, se levant.

Ah !

LE MAIRE, à Marcel et Amélie.

Asseyez-vous ! (Tous trois s’asseyent. À Pochet.) Mais non, levez-vous !

Tous trois se lèvent.
MARCEL.

Enfin, quoi, est-ce qu’on se lève ou est-ce qu’on s’assied ?

LE MAIRE, à Marcel.

Je parle à M. Pochet ! Asseyez-vous !

TOUS TROIS, s’asseyant.

Ah ! bon.

LE MAIRE, à Pochet.

Eh ben ? pourquoi vous asseyez-vous ?

POCHET.

Non, pardon ! Vous venez de dire : « Je parle à M. Pochet, asseyez-vous ! »

LE MAIRE.

Eh ben ! oui : « je parle à M. Pochet ; asseyez vous, vous, les mariés ; et vous, monsieur Pochet, restez debout. »

POCHET.

Ah ! bon !

MARCEL.

Eh ! ben ! on le dit.

LE MAIRE, à Pochet.

Monsieur Amédée Pochet !

POCHET.

C’est moi !

LE MAIRE, avec un soupir excédé.

Oui, oh ! je le sais ! Vous consentez au mariage de votre fille Clémentine-Amélie Pochet avec M. Joseph-Marcel Courbois ?

POCHET.

Avec joie.

LE MAIRE, lève les yeux au ciel, pousse un soupir, puis :

Ne dites pas, avec joie.

POCHET.

Je le dis comme je le pense.

LE MAIRE.

C’est possible, mais on ne vous demande pas vos impressions intimes. Dites « oui ou non » !

POCHET.

Absolument.

LE MAIRE.

Mais, pas « absolument » ! Est-ce oui ou est ce non ?

POCHET.

Mais oui, voyons ! puisqu’on est venu pour ça !

LE MAIRE, excédé.

Allons ! C’est bien ! je vais vous donner lecture…

À ce moment paraissant au fond Adonis et la petite qui sont accueillis par un « Ah ! » général qui coupe la parole au maire.



Toutes ces répliques entre Amélie, Adonis, Pochet, Bibichon, le Général, doivent s’échanger sans s’occuper des répliques du maire qui les piquera comme il pourra. (*)
(*)
AMÉLIE, à Adonis qui, précédé de la petite, traverse entre le premier et le deuxième rang de chaises.

Eh bien ! ça y est ?…

ADONIS, tout en regagnant sa place.

Oui ! oh ! je la trouve mauvaise !

LE MAIRE, essayant de parler.

Je vais vous donner…

POCHET.

Elle aurait seulement dix ans de plus, il trouverait ça charmant.

LE MAIRE.

Je vais vous donner lecture…

BIBICHON, descendant un peu en scène et blagueur.

Moi, elle en aurait seulement cinq de plus !…

LE GÉNÉRAL, riant.

Oh ! Oh ! Oh !

LE MAIRE, avec un fort coup de poing sur sa table.

Quand vous aurez fini !

BIBICHON, regagnant vivement sa place.

Oh !

POCHET, se levant et se tournant vers l’assistance.

Voyons, mes enfants !… mes enfants !… On est à la mairerie !

LE MAIRE, brusque et autoritaire.

Il est temps de vous le rappeler !

POCHET, à l’assistance.

Là ! rappelez-le-vous… rapp… rappelez Vous-le-le…

LE MAIRE.

Voulez-vous vous taire !

POCHET, martelant chaque syllabe.

Rap-pe-lez-le-vous-le ! (Au maire.) Là, ça y est.

LE MAIRE.

Oui, eh bien ! taisez-vous !

POCHET.

Oui.

MARCEL.

Il est épatant, Toto Béjard ! un naturel ! une autorité !

LE MAIRE.

Je vais vous donner lecture des articles du code concernant les droits et devoirs respectifs des époux.

POCHET, se levant à moitié et se tournant vers l’assistance.

Écoutez ça, mes enfants !

LE MAIRE, sans beaucoup de voix.

Silence !

POCHET, qui déjà faisait mine de se rasseoir, se levant.

Silence !

LE MAIRE, plus fort à Pochet.

Silence !

POCHET, au maire.

C’est ce que je leur dis : (À l’assistance.) Silence !

LE MAIRE.

Vous !

POCHET.

moi ! (À lui-même en s’asseyant.) Silence !

VAN PUTZEBOUM, à Étienne.

Quelle claquette, le père donc !

LE MAIRE, lisant les articles du code.

« Article 212 : Les époux se doivent mutuellement assistance secours, fidélité. — Article 213 : Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. — Article 214 : La femme est obligée d’habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider ; le mari est obligé de la recevoir et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état. — Article 226… »

MOUILLETU, au moment où le maire dit Article 213… et pendant qu’il continue à lire les articles du code, présentant un plateau d’argent à la petite fille.

Ma petite demoiselle, si vous voulez bien ?…

ADONIS.

Ah ! autre averse : faut faire quêter la gosse.


Adonis et la petite qui lui donne le bras suivent Mouilletu qui les mène jusqu’au Général ; commence la quête qui se continue en redescendant jusqu’à Van Putzeboum.
MOUILLETU, répétant le même refrain en sourdine chaque fois qu’on présente le plateau à un nouveau personnage.

Pour les pauvres de l’arrondissement !… Pour les pauvres de l’arrondissement !


Au moment où le maire prononce : « Article 226… » la petite fille qui a fini de quêter au premier rang et s’apprête à passer au second, s’attrape le pied dans le pied de la chaise de Van Putzeboum et s’étale par terre avec le plateau et la monnaie qui s’éparpille de tous côtés.
ADONIS.

Allons, bon !

MÉLANGE DE VOIX.

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que c’est ?…

LE MAIRE, essayant de dominer le tumulte de la voix.

« Article 226 : la femme ne peut pas tester sans l’autorisation de son mari. »

Presque à la fois et sur la lecture du maire.

ADONIS.

C’est la même qui s’a fichue par terre.

AMÉLIE, qui est descendue aussitôt.

Alors tu ne peux pas la tenir, non ? (À la petite.) Tu n’as pas bobo ?

YVONNE.

Tu ne t’es pas fait mal ?

LA PETITE, qu’on a relevée.

Non, non !

LE MAIRE, frappant plusieurs fois sur la table pour tâcher d’obtenir le silence.

Enfin, messieurs, mesdames !…

ADONIS, sans écouter les rappels du maire.

Naturellement ! Elle ne regarde pas où elle marche ! (À la petite.) Tu ne peux pas regarder où tu marches ?…

Pendant ce temps on récolte les pièces, qu’on remet sur le plateau.

LE MAIRE, furieux.

Ah ça ! qu’est-ce qu’il y a, à la fin ?

ADONIS, en retournant avec la petite à sa place.

C’est la gosse qui s’a répandue avec le plateau et la galette.

LE MAIRE, sévèrement.

Ce n’est pas une raison pour troubler la cérémonie !

ADONIS, à la petite, tout en l’asseyant avec brusquerie sur la banquette.

Là ! tu vois ! tu troubles la cérémonie.

À ce moment, dans l’embrasure de la baie, on aperçoit dans l’atrium Irène qui vient discrètement assister à la cérémonie.

Scène V

Les Mêmes, IRÈNE.
IRÈNE, dans l’atrium, s’adressant à l’un des photographes qui sort précisément à ce moment de scène.

C’est bien ici la salle des mariages ?

LE PHOTOGRAPHE.

Oui, madame, c’est ici.

LE MAIRE, imposant silence à Marcel et Amélie qui, devant sa table, lui expliquent ce qui s’est passé.

Enfin, voyons ! y êtes-vous ?

MARCEL et AMÉLIE, regagnant vivement leurs places.

Voilà, monsieur le maire ! Voilà !

LE MAIRE.

Monsieur Marcel Courbois !

MARCEL.

J’y suis, monsieur le maire !

AMÉLIE, en reprenant sa place, apercevant Irène, au fond.

Ah ! madame !

LE MAIRE.

Consentez-vous à prendre pour épouse…

AMÉLIE, à Marcel.

Dis donc ! madame, là-bas !

LE MAIRE.

Mademoiselle Clémentine,

MARCEL, se tournant du côté indiqué.

Qui ?… Irène !…

LE MAIRE.

Amélie,

AMÉLIE.

Oui !

LE MAIRE.

Pochet ?

MARCEL, dos au maire, à pleine voix en joignant les mains de surprise à la vue d’Irène.

Non ?

TOUS, tandis que Marcel et Amélie envoient des « bonjour » de la tête à Irène.

Hein !

LE MAIRE, se méprenant sur la réponse de Marcel.

Comment non !

MARCEL, Mse retournent à l’exclamation du maire.

Quoi ? Ah ! çà ?… mais naturellement, voyons…

LE MAIRE.

Quoi « naturellement » ? Vous consentez, oui ou non ?

MARCEL.

Mais oui ! (Faisant des petits bonjours à Irène qui les lui rend.) Bonjour… Bonjour !…

LE MAIRE.

Mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet !

AMÉLIE, à Marcel, sans entendre qu’on s’adresse a elle.

C’est gentil à elle d’être venue.

Elle fait des sourires et des petits saints de la tête à Irène.
LE MAIRE, répétant en voyant qu’Amélie ne l’écoute pas.

Mademoiselle Clémentine !… Clémentine ! Amélie !… Mademoiselle Pochet !

POCHET, à sa fille, la rappelant à la situation.

Amélie !

AMÉLIE.

Voilà ! voilà !

LE MAIRE, à Mouilletu.

Mais qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?

POCHET.

Fais donc attention à ce que tu fais !

AMÉLIE.

Oui, oui. (À mi-voix à Pochet.) C’est parce qu’il y a madame au fond, madame de Premilly !

POCHET.

Madame ? Non ? Madame est là ?… Ah ! tiens, oui ! (Avec force courbettes adressées à Irène mais entre chair et cuir.) Ah ! Madame !… Bonjour, madame !

Pochet, Amélie et Marcel ne sont occupés que d’Irène.
LE MAIRE.

Enfin, mademoiselle Pochet, est-ce pour aujourd’hui ?

AMÉLIE.

Voilà ! voilà, monsieur le maire !… (Indiquant de la tête Irène qui est allée s’asseoir en tête, côté public, de la dernière banquette.) C’est parce qu’il y a madame…

LE MAIRE, lui coupant la parole.

Oui, bon ! (Changeant de ton.) Mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet… consentez-vous à prendre, pour époux, M. Marcel Courbois ?

AMÉLIE.

Mais ça va de soi !

LE MAIRE.

En voilà une réponse !

AMÉLIE.

Pardon !… Oui ! monsieur le maire ! Oui.

LE MAIRE.

Au nom de la loi !… Je déclare M. Joseph Marcel Courbois et mademoiselle Clémentine-Amélie Pochet, unis par le mariage.

LE GÉNÉRAL, à pleine voix.

Bravo !

TOUTE LA BANDE, entraînée par le bravo du général.

Bravo !

LE MAIRE, frappant sur la table et avec énergie.

Messieurs ! Messieurs ! nous ne sommes pas ici au spectacle !

ÉTIENNE, se levant et à part, avec une joie mal contenue.

Ouf, ça y est !

MARCEL.

Qu’est-ce que tu dis ?

ÉTIENNE, affectant l’indifférence.

Hein ? Rien ; je dis : « Ça y est ! »

MARCEL.

Ah ! oui, ça y est ! (À Amélie.) Ça y est ! (À Irène de loin, — à voix basse mais poussée — en agitant en l’air son chapeau comme un tambour de basque.) Ça y est !

Irène fait en souriant signe que oui.
MOUILLETU.

Si vous voulez venir signer l’acte, monsieur et madame les mariés ? messieurs les parents ?… messieurs les témoins ?…

Tout le premier rang se lève et va signer à la table de Cornette, sauf Pochet et Amélie qui vont à la table de Mouilletu. Adonis va s’asseoir à la table de Van Putzeboum et la petite grimpe sur les genoux de Palmyre assise sur la première chaise du second rang.
LE MAIRE, indiquant l’endroit où, sur le registre, doit signer Amélie.

Si vous voulez signer là… (Avec intention.) mademoiselle ! (Après qu’Amélie a signé.) Merci… madame ! (Pendant qu’Amélie remonte pour signer sur l’autre registre, et se croise avec Marcel qui vient de signer au fond, Pochet signe sur le registre de Mouilletu, et, cédant la plume à Marcel, remonte à son tour. Le maire, se penchant vers Marcel pendant que celui-ci signe.) Ils ne sont guère raisonnables, monsieur le marié, vos amis.

MARCEL, tout en signant.

Excusez-les ! Ils ne savent pas garder comme vous leur sérieux.

LE MAIRE.

Comment ?

MARCEL, tout en reculant vers son fauteuil.

Admirable, monsieur Toto ! Admirable !

À ce moment, Van Putzeboum venant de signer au fond, passe entre lui et la table du maire pour aller à la table de Mouilletu.
LE MAIRE.

Quoi ! quoi, Toto ?

MARCEL, un doigt sur la bouche.

Chut ! (Indiquant Van Putzeboum en train de signer, et à voix basse.) Le parrain ! le parrain, là ! Chut !

LE MAIRE, à haute voix.

Je ne comprends pas ce que vous dites.

MARCEL, sur les charbons.

Oui, bon, ça va bien !

LE MAIRE, insistant bien.

Quoi ? « le parrain ! le parrain ! »

VAN PUTZEBOUM, dont l’attention est attirée par cette apostrophe.

Comment ?

MARCEL, attrapant de la main gauche Van Putzeboum par le bras et l’envoyant à sa droite.

Mais rien ! mais rien du tout !

LE MAIRE, à part.

C’est des mariés de Charenton, positivement !

MARCEL, à Étienne, qui revient de signer.

Quelle rosse, ton Toto Béjard ! il s’amuse à me faire marcher.

ÉTIENNE, sans se déconcerter.

Je te l’ai dit : C’est un blagueur a froid.

MOUILLETU, après les signatures, aux mariés.

Messieurs les mariés, si vous voulez avancer pour recevoir les compliments de M. le Maire.

Tout le monde a repris sa place. Adonis et la petite se précipitent à leur place ; Marcel et Amélie, seuls debout, s’avancent devant la table du maire.
LE MAIRE.

Monsieur et madame Courbois !…

MARCEL, se penchant vers le maire et vivement à mi-voix.

Pas de blagues, hein ?

LE MAIRE, interloqué et à haute voix.

Quoi ?

MARCEL.

Non, non, rien ! ça va bien !

LE MAIRE, le considère un instant, lève les yeux au ciel en poussant un soupir, puis reprenant.

Monsieur et madame Courbois ! Bien que peut-être je n’aie pu trouver chez vous… (Appuyant sur les mots.) et vos amis…

MURMURES DANS L’ASSISTANCE.

Quoi ?

LE MAIRE, encore plus appuyé.

… la gravité que j’étais en droit d’attendre au cours de cette cérémonie…

MURMURES DANS L’ASSISTANCE.

Oh !

LE MAIRE.

cela ne m’empêche pas de me conformer aux usages. Et, vous épargnant tout long discours, je viens vous prier, monsieur et madame Courbois…

LE GÉNÉRAL.

Bravo !

LE MAIRE, jette un regard sévère vers le Général, puis :

… d’agréer simplement les vœux sincères que le maire forme pour votre bonheur.

TOUS.

Bravo !

AMÉLIE.

Je vous remercie bien, monsieur le maire.

MARCEL.

Moi de même ! croyez bien que… (Se penchant et à mi-voix.) Non mais… tout à l’heure, je vous disais : « C’est le parrain ! » parce que c’est à lui qu’on fait la blague.

LE MAIRE, opinant du bonnet sans comprendre.

Oui, oui ! (Après un temps.) Quelle blague ?

MARCEL, lui envoyant un coup de son chapeau dans l’estomac.

Ah ! farceur, va !

LE MAIRE, estomaqué.

Hein !

MARCEL.

En tout cas, très bien joué ! Admirable cabotin !

Il regagne sa place en riant.
LE MAIRE.

Quoi !

AMÉLIE, grimpant à moitié sur l’estrade.

C’est comme la loupe, làl… Ah ! c’qu’elle est rigolo !

Sur ces derniers mots, entre ses doigts qu’elle crispe, d’un geste rapide, elle fait mine de saisir la loupe du maire et vivement va rejoindre sa place.
LE MAIRE, furieux.

Ah ! mais dites donc, madame ! (À part, exaspéré.) Ah ! mais ils m’embêtent, les mariés ! (Avec humeur, à l’assistance.) Messieurs, mesdames, bonsoir !

Suivi de Cornette il regagne son cabinet, légèrement conspué par l’assistance en mal de joie.
MOUILLETU, sortant de sa place et gagnant un peu vers les mariés.

Messieurs, mesdames, la cérémonie est terminée ; si vous voulez vous ranger la, pour le défilé des invités.

Tout le monde se lève ; l’orchestre attaque la marche nuptiale de Mendelssohn.
MARCEL.

Viens, Amélie ! prends garde à ta traîne !

AMÉLIE.

C’est à papa qu’il faut dire ça. (À Pochet.) Papa, ne me marche pas dessus.

POCHET.

As pas peur ! je prends mes distances.

Marcel se place (2) devant la première chaise du second rang, Amélie prend le no 1 à sa droite. On commence à défiler devant eux ; Pochet d’abord, puis Virginie, qui, après avoir embrassé les mariés, vont se placer à leur suite pour recevoir les félicitations à leur tour ; passent ensuite Adonis et la petite.
AMÉLIE, après avoir embrassé la petite, à Adonis.

Prends bien soin de la petite ! Si elle a besoin de quelque chose…

ADONIS.

Ah ! non, merci. Je sors d’en prendre.

Continuation du défilé : passent Van Putzeboum, Étienne, le Général et Bibichon. Pendant ce temps-là, les invités des autres rangs sont remontés vers le fond pour redescendre par la droite et passer devant les mariés et les parents. Après quoi ils remontent par l’extrême gauche pour gagner l’atrium par la baie. Mouilletu, à droite, fait le service d’ordre. Chacun en passant fait un compliment au marié, à la mariée ; les une leur serrent la main, d’autres les embrassent. On entend des : « Ah ! tous mes vœux, mon cher !… Eh bien, dis donc, tu ne t’embêtes pas !… Mon chou, tu as été épatante !… Rends-la heureuse !… Quelle robe, ma chère, c’est un rêve ! » et tout le temps le refrain de Pochet à chaque invité : « Vous venez au linche, hein ? c’est chez Gilet ; vous venez au linche ?)) Ce défilé ne doit pas s’exécuter trop vite — on a le temps. — Le dialogue en est laissé à la fantaisie des interprètes. Tous les invités ont peu à peu gagné l’atrium, sauf Étienne qui, après être remonté comme tout le monde par le fond gauche, fait le tour par le fond et revient se placer contre le manteau d’Arlequin droit.

Scène VI

POCHET (1), AMÉLIE (3), MARCEL (3), IRÈNE (4), ÉTIENNE (5), MOUILLETU (au fond rangeant les registres), puis VAN PUTZEBOUM.
IRÈNE, qui arrive la dernière à la suite du défilé.

Bonjour, Marcel !

MARCEL.

Ah ! te voilà !

IRÈNE.

Oui, j’ai voulu voir ça.

AMÉLIE.

Bonjour, madame !… Madame va bien ? (À son père.) Papa, Madame !

POCHET, passant dos au public avec force courbettes à l’adresse d’Irène ; cela l’amène au 3.

Madame, oui… oui… j’ai aperçu tout à l’heure… Et madame vient au linche, oui ?

IRÈNE.

Merci, Pochet ! Non ! vraiment !

POCHET.

Oh ! chez Gilet, madame ! Madame ne me refusera pas !… Ne serait-ce qu’un doigt de madère et un guillout.

IRÈNE.

Merci, Pochet ! Non, vraiment !

POCHET, passant devant elle avec force courbettes, dos au public, ce qui le porte au 4.

Oh ! je suis contristé ! je suis contristé !

IRÈNE.

Je suis désolée, mon pauvre Pochet.

MARCEL, passant son bras autour de celui d’Amélie.

Et tu as vu, hein ? quand on nous a unis ?

IRÈNE.

Oui, je suis arrivée pour ça ; ça m’a semblé tout drôle !

MARCEL.

C’était rigolo, en effet.

IRÈNE.

Eh ! bien, ça a réussi ! le parrain a marché ?

MARCEL.

Et comment !

POCHET.

Ce qu’il a pu donner dans le piano !

IRÈNE.

Alors, plus d’ennuis ? plus d’embêtements ?

MARCEL, avec chaleur.

Plus d’ennuis ! plus d’embêtements ! (Rire sardonique d’Étienne dans son coin. — Riant à son exemple.) Ah ! qu’est-ce qu’il a à rire, celui-là ?

IRÈNE.

Te voilà riche.

MARCEL.

Oh ! ma Rérène !

Il veut l’embrasser.
IRÈNE, reculant.

Oh !

MARCEL.

Eh ! ben, quoi ? c’est le mariage !

IRÈNE.

Au fait ! c’est vrai !

Elle se laisse embrasser par Marcel.
AMÉLIE, voyant Van Putzeboum qui arrive par la baie, à Marcel.

Attention ! le parrain !

MARCEL.

Oh !

Ils se dégagent.
IRÈNE, bas à Marcel en le quittant.

Je t’attends dans l’atrium.

Elle remonte par la droite, traverse le fond et sort par la baie.
VAN PUTZEBOUM, qui est descendu près du groupe et suit le départ d’Irène des yeux. Une fois sa sortie, passant dos au public jusqu’à Marcel.

Qu’est-ce que ça est donc ?

MARCEL.

Bien ! rien ! une parente de province !

POCHET.

Sa sœur de lait.

VAN PUTZEBOUM.

Ouye ! je te félicite ! on fait ça bien en province.

MARCEL.

N’est-ce pas ?

VAN PUTZEBOUM.

Mais c’est pas tout, ça, filske ! maintenant que le monde est parti, je te fais une fois aussi mes compliments.

MARCEL et AMÉLIE.

Oh ! parrain… merci !

POCHET.

Vous venez au linche, naturellement.

VAN PUTZEBOUM, allant à Pochet.

Ça, tu penses que je vais ! et les mariés aussi, hein donc ! vous venez, hé ?

MARCEL.

Oh ! non, non, les mariés ils ne paraîtront pas au lunch ; ils vont chez eux… Vous devez comprendre, n’est-ce pas… ?

VAN PUTZEBOUM, malicieux.

Oui, oui, je comprends. Alleï ! Alleï ! Mais avant, ça tu permets, une bise, hein ?

MARCEL, le faisant passer au 2 en le poussant vers Amélie.

Oh !… Bisez ; parrain ! bisez !

POCHET.

Y a pas ! c’est une incontinence chez lui !

MOUILLETU, venant du fond droit et descendant (4), à Marcel.

Voici votre livret de mariage.

MARCEL, interloqué.

Mon livr… (Agitant son livret à proximité de son visage et dans la direction d’Étienne en manière de menace comique.) Ah ! ce mâtin d’Ét… (À Mouilletu.) Merci, mon ami !

Il lui met une pièce dans la main.
MOUILLETU.

Merci, monsieur ! tous mes vœux !

Il remonte.
MARCEL.

Le livret de mariage ! (Dans la direction d’Étienne.) Ce mâtin d’Étienne, il a pensé à tout !

ÉTIENNE, sur un ton qui en veut dire long.

À tout.

VAN PUTZEBOUM, qui s’est approché de Marcel, curieusement.

À tout, quoi ?

MARCEL, surpris.

Hein ! À tout… à tout rien.

Il le fait passer (3) à sa gauche. À ce moment le Général, arrivant du fond, descend (n° 1), tenant grand ouvert et prêt à jeter sur les épaules le manteau d’Amélie.
LE GÉNÉRAL.

Madame, si vous voulez… ?

AMÉLIE.

Ah ! c’est juste ! (À mi-voix à Marcel, tout en passant le manteau que lui tend le Général.) bien, je file, moi, avec le Général ; Son Altesse m’attend.

MARCEL.

Ah ! oui.

AMÉLIE, avec une révérence.

Mon époux permet ?

MARCEL.

Comment donc !

AMÉLIE.

Nous sommes des mariés pas ordinaires ! (Au Général.) Vous y êtes, Général ?

LE GÉNÉRAL.

Je suis à vos ordres.

Ils remontent vers le fond gauche.
VAN PUTZEBOUM, les voyant partir et se dirigeant vers eux en traversant la scène par-devant.

Hein ? Eh bien, quoi ? Vous partez ?

AMÉLIE, tout en partant.

Oui, oui !

MARCEL, qui est remonté à la suite d’Amélie.

Oui, en avant ! en avant ! Je dois aller la rejoindre.

VAN PUTZEBOUM, qui est arrivé ainsi au fond.

Ah ! bon ! Alors, je vais aller chercher mon paletot, moi ! Maintenant que tu as rempli la condition, je vais à l’hôtel et je t’apporte ton chèque.

MARCEL, le poussant machinalement dehors.

C’est ça ! c’est ça !

POCHET, qui pendant ce qui précède est remonté par la droite et a gagné la gauche par le fond.

Ah ! bien, tout le monde file, je file aussi.

MARCEL, même jeu.

C’est ça ! C’est ça !

Sort Van Putzeboum.
POCHET.

Chez Gilet, hein ? On se retrouve chez Gilet.

MARCEL.

Chez Gilet, c’est ça ! Moi j’y vais pas ! mais bon appétit !

POCHET.

Merci.

Il sort.

Scène VII

MARCEL, ÉTIENNE, puis LE MAIRE, puis IRÈNE, puis VAN PUTZEBOUM, BIBICHON, MOUILLETU, et une partie de la noce.
Tandis qu’Étienne a gagné légèrement à gauche (devant de la scène), à peu près à l’extrémité de la banquette des enfants d’honneur, Marcel redescend un peu et s’arrête à hauteur du milieu de la dernière banquette, s’accroupissant légèrement sur les genoux, les mains appuyées sur les cuisses, regardant Étienne avec malice.
MARCEL.

Ehé !

ÉTIENNE, lui donnant la réplique de son côté.

Ehé !

MARCEL, même jeu.

Ça y est !

ÉTIENNE, même jeu.

Ça y est ![2]

MARCEL et ÉTIENNE, riant tous les deux comme deux complices.

Eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! eh !

MARCEL, retirant son chapeau qu’il a gardé sur la tête et le déposant sur la dernière banquette, tout en s’élançant radieux vers Étienne.

Ah ! Merci, mon bon Étienne ! Merci !

ÉTIENNE.

Tu es content, hein ?

MARCEL.

Si je le suis ! Ah !… Non, mais crois-tu, hein ? crois-tu que ça a pris !

ÉTIENNE, froidement ironique.

Oui, hein !

MARCEL.

Ce qu’il a marché, le parrain ! Ah ! la bonne farce ! la bonne farce !

Il accompagne chaque « bonne farce ! » d’une forte tape dans le dos d’Étienne, à la hauteur de la naissance de l’épaule.
ÉTIENNE, à son tour, même jeu que Marcel.

Oh ! oui, la bonne farce ! la bonne farce !… Et meilleure encore que tu ne l’imagines.

MARCEL, même jeu que précédemment.

Oh ! non ! (Tape) Oh ! non ! (Tape.)

ÉTIENNE, même jeu que Marcel.

Oh ! si ! Oh ! si !

ÉTIENNE et MARCEL, face a face, se riant mutuellement dans le nez.

Hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé !

MARCEL.

Il ne peut y avoir une meilleure farce que d’avoir fait croire au parrain que ce mariage était vrai !

ÉTIENNE.

Si ! si !… Il peut y en avoir une meilleure encore !

MARCEL, même jeu que précédemment.

Oh ! non ! Oh ! non !

ÉTIENNE, même jeu que précédemment.

Oh ! si ! Oh ! si !

ÉTIENNE et MARCEL, riant.

Hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé ! hé !

ÉTIENNE.

C’est de t’avoir fait croire à toi que ce mariage était faux.

MARCEL, ne comprenant pas et riant encore a moitié.

Oui !… Euh ! Quoi ?

ÉTIENNE.

Tu as cru que c’était une blague ? Eh ! bien, il est vrai, mon vieux ! il est vrai !

MARCEL, devenant anxieux.

Hein !

ÉTIENNE.

Ah ! tu m’as pris ma maîtresse ! Ah ! tu as couché avec elle !

MARCEL.

Comment ! tu sais ?

ÉTIENNE.

Oui je sais !

MARCEL, ne pouvant réprimer un geste nerveux.

Ouche !

ÉTIENNE.

Eh bien, mon vieux, couche encore si tu veux ! Tu n’as plus à te gêner ; c’est ta femme à présent ; tu es marié avec elle !

MARCEL, lui sautant à la gorge.

Qu’est-ce que tu dis ?

ÉTIENNE, qui a esquivé le coup en se baissant brusquement et en passant sous les bras tendus de Marcel.

Bonsoir ! Bien du plaisir… (Arrivé presque à la baie.) Occupe-toi d’Amélie !

MARCEL, affolé, se précipitant à sa suite.

Étienne ! Étienne !

ÉTIENNE, dans l’embrasure de la baie, d’une voix lointaine.

Occupe-toi d’Amélie !

Il disparaît.
MARCEL, titubant comme un homme ivre.

Étienne ! Étienne, voyons ! (Voyant le maire qui, son chapeau sur la tête, sort de chez lui en mettant ses gants.) Ah ! Toto Béjard ! (Se précipitant vers lui.) Venez ici, vous ! Vite, venez !

Il le saisit au collet.
LE MAIRE, ahuri.

Hein !

MARCEL, le secouant.

Qu’est-ce qu’il y a de vrai là-dedans !

LE MAIRE, se dégageant.

Quoi ! quoi ! qu’est-ce qui vous prend encore ?

MARCEL.

Dans mon mariage ? Est-ce vrai ? Est-ce vrai, que j’ai épousé Amélie ?

LE MAIRE.

Comment, si c’est vrai ! Mais naturellement que c’est vrai !

MARCEL.

Qu’est-ce que vous dites !

LE MAIRE.

Qu’est-ce que vous croyez donc que vous venez de faire, alors ?

MARCEL.

Moi ! moi, j’ai épousé… ! mais je ne veux pas ! je veux divorcer !

LE MAIRE, passant devant lui comme pour s’en aller.

Mais ce n’est pas mon affaire.

MARCEL (2), le rattrapant par le peu de sa redingote et le ramenant à lui.

Vous n’êtes donc pas Toto Béjard ?

LE MAIRE.

Moi ! (Bien net.) Je suis le maire de l’arrondissement !…

MARCEL, se trouvant mal.

Le maire de l’arr… ah ! ah !

Il se laisse tomber en avant ; le maire n’a que le temps de le rattraper dans ses bras.
LE MAIRE.

Hein ! Eh ! bien, voyons ! Voyons !

IRÈNE, arrivant du fond gauche.

Eh bien, mon ami… C’est comme ça que… ?

MARCEL (3), hagard.

Irène ! Je suis marié à Amélie !

IRÈNE (1), bondissant.

Qu’est-ce que vous dites ?

LE MAIRE, à Marcel touiours effondré contre sa poitrine.

Allons, monsieur… !

MARCEL.

Étienne a abusé de ma confiance. Je suis marié à Amélie d’Avranches !

IRÈNE.

Vous êtes… ! Ah ! Ah !

Elle s’affaisse dans l’autre bras du maire.
LE MAIRE, un personnage dans chaque bras.

Ah ! mon Dieu ! elle aussi ! (Appelant) Au secours ! Du monde ! Mouilletu ! Cornette ! Au secours !

Aux appels du maire, aux cris de pâmoison des deux amants tout le monde accourt de tous côtés.
TOUS, arrivant.

Qu’est-ce qu’il y a ! Qu’est-ce qu’il y a ?

MARCEL, aux abois.

J’ai épousé Amélie !

TOUS.

Hein !

MARCEL, même jeu.

J’ai épousé Amélie d’Avranches.

BIBICHON (1).

Qu’est-ce que tu dis ?

VAN PUTZEBOUM, qui est accouru par le fond et descendu par la droite.

Mais qu’est-ce que ça est donc, filske ?

MARCEL, passant son bras autour du cou de Van Putzeboum et d’une voix désespérée.

Ah ! mon parrain !… J’ai épousé Amélie d’Avranches !

VAN PUTZEBOUM.

Eh ! bien, quoi ? Ça je sais bien, Gottferdom !

BIBICHON.

Nom d’un chien ! et moi qui ai signé Bibichon !


Pendant que le rideau tombe. Marcel répète lamentablement

« J’ai épousé Amélie d’Avranches ! »


Fin du premier tableau du troisième acte.

  1. On trouvera le contrat entier à la fin de l’acte.
  2. Ne sachant comment donner l’intonation exacte de ces interjections, nous avons pris le parti de la noter musicalement :