Odes (Horace, Séguier)/II/13 - Contre un arbre de son domaine

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 71-72).


XIII

CONTRE UN ARBRE DE SON DOMAINE


Quiconque, arbre vil, dans un néfaste jour,
D’abord te planta, puis, d’une main impure,
      T’entretint pour la déconfiture
   Des gens à naître et l’opprobre du bourg,

Celui-là sans doute avait d’un parricide
L’affreux précédent : son couteau vers minuit
      Égorgea le voyageur conduit
   À ses foyers ; des poisons de Colchide,

De tout ce qu’on peut rêver de menaçant,
Usa ce bourreau qui te mit sur ma terre,
      Bois fatal, dont la chute naguère
   Surprit le chef de ton maître innocent !

Les dangers à fuir ne sont jamais par l’homme
Assez bien prévus : le punique nocher
      Du Bosphore a peur, sans rechercher
   Quelle autre mer doit l’engloutir en somme.

Le soldat craint l’arc, la fuite à fond de train
Du Parthe ; à son tour, le Parthe craint notre aigle
      Et nos fers : mais toujours, c’est la règle,
   La Mort nous frappe et frappera soudain.

Que j’ai vu de près, Pluton, ta sombre épouse,
Éaque siégeant à son noir tribunal,
      Les cœurs purs en leur palais final,
   Puis, sur sa lyre éolique et jalouse


Sapho se plaignant des vierges de Lesbos ;
Enfin Alcéus qui fait, plus rude spectre,
      Résonner, sous l’or fin de son plectre,
   L’horreur des camps, de l’exil et des flots !

Les Ombres sont là, dans un pieux silence,
Buvant ces accords ; mais leurs cercles pressés
      Aux récits des despotes chassés
   Et des combats vibrent de préférence.

Quoi de surprenant, quand le chien monstrueux
Baisse, à de tels sons, ses oreilles sévères,
      Quand le charme atteint jusqu’aux vipères
   De l’Euménide étreignant les cheveux ?

Que dis-je ? Tantale ainsi que Prométhée,
Émus des doux chants, goûtent quelque loisir ;
      Orion néglige de saisir
   Le lynx timide et l’ours à sa portée.