Odes (Horace, Séguier)/II/13 - Contre un arbre de son domaine
XIII
CONTRE UN ARBRE DE SON DOMAINE
Quiconque, arbre vil, dans un néfaste jour,
D’abord te planta, puis, d’une main impure,
T’entretint pour la déconfiture
Des gens à naître et l’opprobre du bourg,
Celui-là sans doute avait d’un parricide
L’affreux précédent : son couteau vers minuit
Égorgea le voyageur conduit
À ses foyers ; des poisons de Colchide,
De tout ce qu’on peut rêver de menaçant,
Usa ce bourreau qui te mit sur ma terre,
Bois fatal, dont la chute naguère
Surprit le chef de ton maître innocent !
Les dangers à fuir ne sont jamais par l’homme
Assez bien prévus : le punique nocher
Du Bosphore a peur, sans rechercher
Quelle autre mer doit l’engloutir en somme.
Le soldat craint l’arc, la fuite à fond de train
Du Parthe ; à son tour, le Parthe craint notre aigle
Et nos fers : mais toujours, c’est la règle,
La Mort nous frappe et frappera soudain.
Que j’ai vu de près, Pluton, ta sombre épouse,
Éaque siégeant à son noir tribunal,
Les cœurs purs en leur palais final,
Puis, sur sa lyre éolique et jalouse
Sapho se plaignant des vierges de Lesbos ;
Enfin Alcéus qui fait, plus rude spectre,
Résonner, sous l’or fin de son plectre,
L’horreur des camps, de l’exil et des flots !
Les Ombres sont là, dans un pieux silence,
Buvant ces accords ; mais leurs cercles pressés
Aux récits des despotes chassés
Et des combats vibrent de préférence.
Quoi de surprenant, quand le chien monstrueux
Baisse, à de tels sons, ses oreilles sévères,
Quand le charme atteint jusqu’aux vipères
De l’Euménide étreignant les cheveux ?
Que dis-je ? Tantale ainsi que Prométhée,
Émus des doux chants, goûtent quelque loisir ;
Orion néglige de saisir
Le lynx timide et l’ours à sa portée.