Odes (Horace, Leconte de Lisle)/III/3

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Ode III. — À CÆSAR AUGUSTUS.


Rien n’ébranle, en son âme solide, l’homme juste et ferme dans son dessein, ni la fureur des citoyens qui commandent le mal, ni le visage d’un tyran menaçant, ni l’Auster,

Ce chef agité de l’orageuse Hadria, ni la grande main de Jupiter foudroyant ; si le monde s’écroulait brisé, ses ruines le frapperaient sans l’effrayer.

C’est ainsi que Pollux et l’errant Herculès ont atteint les citadelles enflammées, eux entre qui Augustus, couché, de sa bouche pourprée boit le nectar.

C’est ainsi que tu as mérité, Père Bacchus, d’être traîné par les tigres indociles au joug ; c’est ainsi que Quirinus échappa à l’Achéron sur les chevaux de Mars,

Grâce à Juno disant aux Dieux assemblés : « Ilion, Ilion, qu’un juge incestueux et fatal et une femme étrangère ont changée

« En poussière ! Depuis le jour où Laomédon priva les Dieux de la récompense promise, tu fus condamnée par moi et par la chaste Minerve, avec ton peuple et ton chef perfide.

« Il ne brille déjà plus l’hôte fameux de l’adultère Lacænienne ; la maison parjure de Priamus ne rompt plus, avec l’aide d’Hector, les belliqueux Archiviens,

« Et la guerre a cessé qui prolongeait nos dissensions. Désormais, mes colères terribles et cet odieux petit-fils enfanté par la prêtresse Troïque,

« Je les rendrai à Mars. Je souffrirai qu’il entre dans les demeures éclatantes, qu’il boive les sucs du nectar et qu’il soit admis dans les rangs des Dieux heureux.

« Tant qu’une large mer écumera entre Ilion et Roma, que les exilés règnent, paisibles, où ils voudront ; tant que sur les tombes de Priamus et de Pâris

« Bondiront les troupeaux, que le brillant Capitolium se dresse debout et que la fière Roma donne des lois aux Mèdes domptés.

« Que son nom terrible se répande aux extrémités de la terre, là où la mer intérieure sépare l’Europe de l’Afrique, là où le Nilus débordé inonde les campagnes ;

« Qu’elle soit plus grande en méprisant l’or enfoui que cachait la terre, et où il était mieux, qu’en l’amassant pour l’usage de l’homme, après l’avoir, de sa main rapace, enlevé aux choses sacrées ;

« Qu’elle atteigne de ses armes toutes les bornes du monde, désireuse de voir les contrées dévorées par les feux du soleil et celles qu’enveloppent les nuées et les pluies.

« Je décrète ces destinées pour les Quirites belliqueux, pourvu que, trop pieux et confiants, ils ne songent point à relever les murailles de leur aïeule Troja.

« La fortune de Troja renaissant sous un augure lugubre la ramènerait à une fin lamentable, car j’y conduirais de nouveau mes bandes victorieuses, moi, la femme et la sœur de Jupiter.

« Phœbus l’entourerait trois fois de murs d’airain, qu’elle périrait trois fois par mes Argiens, et que trois fois la femme captive pleurerait son mari et ses enfants ! »

Mais ceci ne convient pas à une lyre enjouée. Où vas-tu, Muse ? Cesse de redire les entretiens des Dieux et d’abaisser de grandes choses par de faibles chants.