Odes (Horace, Séguier)/II/18 - À un riche avare
XVIII
À UN RICHE AVARE
L’ivoire en ma retraite
Ne brille pas, ni les lambris dorés ;
Les poutres de l’Hymette
N’y chargent pas des pilastres tirés
D’Afrique. Héritier rare,
Point n’ai d’Attale envahi le palais ;
Nuls beaux doigts, doux valets,
Ne m’ont filé la pourpre de Ténare.
Mais j’ai verve et cithare,
Sources de joie, et, pauvre, à maint Crésus
Je plais : des dieux en sus
Rien ne prétends ; pour plus, je ne chagrine
D’un grand seigneur l’amour,
Trop satisfait de ma terre sabine.
Le jour chasse le jour,
La lune monte, ensuite elle décline :
Et toi, près de mourir,
Tu veux du marbre ! Oubliant Proserpine,
Toujours tu fais bâtir !
Devers Baïa, cet Océan qui gronde
Tu repousses son onde !
Le continent ne peut te contenir.
Mais quoi ! tu romps les bornes
Des champs voisins, et ta cupidité
Franchit le lot planté
De tes clients. L’épouse et l’époux mornes,
Vont, loin de leurs sillons
Au sein leurs dieux et leurs fils en haillons.
Ah ! pour le riche hère
La seule cour est bien celle qu’Orcus
Destine à ses vaincus,
Là-bas. Pourquoi tendre plus haut ? La terre
Rend tout à son limon,
Rois et sujets : jamais, par l’or captée,
Au rusé Prométhée
Ne vint rouvrir l’Euménide. Pluton
Retient le fier Tantale
Et sa lignée ; et, qu’on l’appelle ou non
Du pauvre à l’abandon
Il tranche enfin l’existence fatale.