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Odes (Horace, Séguier)/II/19 - À Bacchus

La bibliothèque libre.
Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 80-81).


XIX

À BACCHUS


J’ai surpris Bacchus, crois-moi, postérité,
Sur des rocs perdus prêchant l’art des aèdes :
      Nymphes sœurs, Satyres capripèdes
   Tendaient l’oreille au précepte chanté.

Evoé ! mon sein vibre encore de crainte,
Mon cœur s’attendrit, plein d’un bachique émoi.
      Evoé ! Liber, épargne-moi :
   Paix, dieu du thyrse à la terrible atteinte !

Je peux célébrer la Thyade aux grands bonds,
Les sources de vin, ces ondes copieuses
      Charriant du lait, puis ces yeuses
   Qui d’un tronc creux distillaient des miels blonds.


Je peux de ta femme encenser la couronne
Ajoutée aux cieux, rappeler Penthéus
      Et ses toits rudement abattus,
   Lycurgue enfin, mort aveugle et sans trône.

Tu marches domptant mer, fleuves étrangers ;
Tu cours, dans leurs monts, les prunelles humides,
      Enlacer au front des Bistonides
   Un nœud d’aspics innocents et légers.

Des géants, là-haut, quand la cohorte noire
Assiégeait le seuil de ton père éclatant,
      Tu défis Rhécus, en empruntant
   D’un fier lion la griffe et la mâchoire.

Quoique renommé pour les joyeux hauts faits,
La danse et les ris, on ne te croyait guère
      Des instincts belliqueux ; mais la guerre
   Fut ton théâtre aussi bien que la paix.

Un jour, aux enfers, Cerbère te distingue
À ta corne d’or : sa queue alors tout doux
      Bat le sol ; il lèche tes genoux
   Et tes deux pieds de sa gueule trilingue.