Odor di femina/Vendangeuses

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G. Lebaucher, libraire-Éditeur (p. 101-109).

VENDANGEUSES


Je menai de front mes amours avec mes aimables chausse-pieds, jusqu’aux vendanges, qu’on commença cette année, la maturité étant avancée, dans les premiers jours de septembre. Il y avait, en outre des vendangeuses du pays, des étrangères, qui viennent tous les ans des départements voisins ; je dis vendangeuses, bien qu’il y ait aussi des hommes avec elles, car je ne veux m’occuper que du sexe qui nous intéresse.

Celui qui n’a jamais assisté aux vendanges, telles qu’elles se pratiquent chez nous, ne peut se faire une idée des folies auxquelles se livrent les coupeuses, la moindre est celle qui consiste à se barbouiller la figure avec des grappes de raisins, ou à glisser entre la chemise et les épaules, des grains qu’on écrase en tapant à main plate. Quand on peut surprendre une coupeuse attardée à son sillon, si elle ne se tient pas sur ses gardes pendant qu’elle se dépêche pour arriver au bout, comme elle est penchée et que le renflement inévitable dans cette posture fait lever les jupes, une de ses compagnes, plus hardie que les autres, s’en vient par derrière, sans bruit, et si la vendangeuse attardée ne l’a pas entendue venir, elle lui lance avec force sous les jupes un gros raisin noir, très mûr, qui vient s’écraser sur les fesses de la jeune fille ou de la jeune femme, car nulle n’est épargnée.

Elle pousse presque toujours un cri arraché par la surprise, et par l’impression du contact imprévu. On voit bientôt le jus couler sur les jambes nues, rouge comme du sang pourpre, et on ne manque pas de lui faire des plaisanteries épicées, qu’elle aurait dû mettre ses linges, qu’on reste chez soi, quand on est exposé à des accidents de cette nature, on la traite de malpropre. Il y en a même d’assez osées, qui passent la main sous les jupes, et en retirent les doigts rougis, comme ensanglantés, qu’elles portent à leur nez en faisant des grimaces de dégoût. Généralement les vendangeuses savent à qui elles s’adressent, quelquefois elles tombent mal, sur des grincheuses, qui ne supportent pas la plaisanterie.

Il y avait dans le groupe des étrangères, une gentille Béarnaise, qui répondait au gracieux nom d’Angélique. Elle avait toujours achevé son sillon avant les autres, et elle se reposait dans l’allée, sans se livrer aux jeux auxquels ne manquaient pas de s’amuser ses compagnes ; elle paraissait cependant prendre plaisir à les voir faire. Une grande fille de l’endroit, haute et bien plantée, solide gaillarde, guignait la Béarnaise d’un regard malicieux, couvant une niche à lui faire.

Elle était dans le sillon derrière Angélique, et comme elle ne pouvait malgré sa vigueur et sa taille, dépasser l’alerte vendangeuse, qui coupait devant elle, quand elle la vit au bord du sillon, finissant toujours avant les autres, désespérant de jamais la pincer, la grande Rose s’arma d’un gros raisin très mûr, vint au bout de son sillon à pas de loup, et se penchant en avant, elle souleva de son grand bras allongé les jupes de la Béarnaise, lançant avec force la grappe contre les fesses, tandis que la coupeuse surprise par cette attaque inattendue, se retournait vivement, au milieu du rire général, pour savoir qui l’avait outragée.

Voyant que c’était la grande fille qui riait de sa bêtise, les deux poings sur les hanches, regardant de haut la petite vendangeuse, comme un colosse regarde un pygmée, la Béarnaise, l’œil étincelant, bondit sur la grande carcasse, et avec une vigueur qu’on n’aurait pas soupçonnée dans ce petit corps râblé, elle bouscule la grande Rose comme si elle avait une gamine dans les mains et, la tenant vigoureusement sous son genou et sous son bras, elle lui relève les jupes prenant à poignée des raisins dans le panier, et malgré les efforts désespérés de ces gros appas, qui se démènent furieusement pour se dégager, elle barbouille dans tous les coins les grosses fesses en montre, les cuisses, les jambes, toute la chair devient noire sous les raisins écrasés.

Les rieuses avaient changé de camp, abandonnant la grande Rose, admirant comment un bout de fille, bien roulée, il est vrai, menait tambour battant cette grosse fille que ses compagnes redoutaient. Ce n’était pas fini, elle la retourne comme un paquet, et lui arrange le devant comme elle venait de lui arranger le derrière, et cela en un clin d’œil. Puis la redressant et la retournant, et elle lui envoya son sabot dans le derrière, au bas des fesses recouvertes des jupes, mais si bien appliqué, que la grande fille poussa un cri de rage.

— Voilà comment les petites Béarnaises arrangent les grandes salopes de ton espèce, ma fille. J’aurais pardonné à une gamine, mais une grande carcasse comme toi qui s’adresse aux petites, grande lâche, voilà comment on les dresse ; il te fallait une leçon, tu l’as eue, et si tu t’avises de recommencer, j’en ai autant à ton service, ma fille.

Les vendangeuses applaudirent à ce hardi langage. Rose, qui avait tout subi et tout écouté sans mot dire, voyant qu’on l’abandonnait, honteuse d’avoir été abattue et battue par cette intrépide petite brune, s’élança sur la Béarnaise, qui l’attendait de pied ferme, et une bataille allait s’engager, malgré ma présence, car j’avais assisté sans intervenir de l’allée où je me trouvais, à cette lutte épique d’un David femelle, contre un Goliath du même sexe. Je m’interposai, m’intéressant à cette crâne brunette, et ne voulant pas d’ailleurs que ça dégénérât en duel sanglant.

— Rose, ma fille, tu n’as que ce que tu mérites.

— Tu as pris cette jeune fille en traître, mal t’en a valu, tu comptais sur tes muscles, tu as trouvé à qui parler. Reconnais tes torts, et donne-lui la main.

La grande fille hésitait, regardant la Béarnaise, essayant de lire dans ses yeux. « Je veux bien », dit celle-ci, et elle tendit la main à la grande Rose, qui se contenta de la serrer du bout des doigts, tandis qu’Angélique, aussi bonne que vigoureuse, se haussa sur la pointe des pieds et vint embrasser sa rivale. Rose lui rendit son baiser, je crus qu’elle allait la mordre.

Quand elle eut vidé son panier dans la hotte du porteur, j’accostai cette gaillarde petite Béarnaise, l’examinant de la tête aux pieds en l’interrogeant. Elle était admirablement roulée, la mâtine, des bras gros et ronds sortaient de ses manches, retroussées très haut, une belle gorge rebondie, libre de corset, moulait le corsage de toile, sous laquelle on voyait dessinés deux gros seins ronds dont les pointes raidies par la lutte semblaient vouloir crever la toile.

Tout le corps tenait de cette gorge saillante, les hanches en relief, les reins larges, le ballonnement des jupes, les jambes nues finement tournées, et avec ça une jolie figure ronde, éclairée par deux grands yeux noirs, longs, du plus doux velours, des joues fraîches et pleines, avec de la belle chair rose, des cheveux noirs abondants dans un petit foulard de soie à la mode de son pays, des sourcils épais, de longs cils soyeux, un nez fin aux ailes roses, une rangée de fines dents blanches, serrées, d’un émail éblouissant, qu’on découvre entre deux lèvres rouges taillées dans une cerise mûre, qui leur sert d’écrin.

Elle était ravissante, cette accorte vendangeuse et appétissante avec ses joues veloutées, dans lesquelles on voudrait mordre, comme dans une pêche vermeille.

— Quel âge as-tu, ma belle ?

— Dix-neuf ans, à votre service, monsieur, me dit-elle en me tirant une gracieuse révérence.

— À mon service, tu t’engages joliment, ma fille.

— Oh ! monsieur, à votre service, je m’entends, c’est révérence parler.

— Cependant si on y mettait le prix.

J’aime assez à brusquer les choses. D’ailleurs les vendanges ne devaient pas durer longtemps, et je devais mener l’affaire rondement, si je voulais arriver à mes fins avec cette sémillante brune, qui décidément était charmante, et pour la conquête de laquelle rien ne me coûterait. Cependant à la phrase un peu roide que je venais de lâcher, elle rougit jusqu’aux oreilles, et me tirant une autre révérence, elle se disposa à reprendre son panier, pour aller rejoindre les coupeuses, qui avaient recommencé un sillon, et elle craignait d’être en retard, car on lui avait laissé le sien.

— Réfléchis, ma belle Angélique, je te répète que j’attache un grand prix à tes faveurs et tu n’auras pas besoin, si tu as un amoureux, qui t’attend au pays, de revenir aux vendanges prochaines, pour compléter ta dot.

Elle ne se retourna pas, gagna son sentier sans mot dire, et se remit à sa besogne. Je la suivis des yeux, cette appétissante brune potelée, encroupée à la façon de la Vénus Callipyge, dont les jupes relevées par la saillie rebondissante, laissaient voir un bas de jambe nue, sur laquelle on voyait une longue raie couleur lie de vin, qui avait coulé d’en haut. Elle ne se retourna pas une seule fois, avant d’arriver au bout du sillon, qu’elle acheva encore la première, bien que partie après les autres.

J’allai au pressoir, d’où je revins une heure après. J’arrivai comme la jolie brune, toujours en avance, achevait son sillon. Je lui fis signe de venir me parler, elle parut hésiter un moment, enfin elle se décida et s’avança. Je lui demandai si elle avait réfléchi à mes propositions.

Elle répondit non d’un signe de tête.

— Tant pis pour toi, ma chère, tu manques ta fortune, car tu me plais, comme jamais fille ne m’a plu, par ta gentillesse, par ta crânerie, par ta vigueur, et aussi par tous les charmes de ta ravissante petite personne, et je paierai cher le droit de t’aimer un peu, si peu que tu voudras.

Elle baissait la tête, tentée évidemment par les offres séduisantes que je lui faisais, une lutte sembla s’engager en elle, mais elle ne me répondit rien, et reprenant son panier, elle fit quelques pas en avant, puis elle retourna la tête, la figure empourprée, me disant oui d’un clignement d’yeux.

  1. Aurait été imprimé en réalité à Paris, mais inscrit Montréal en contrefaçon. Voir Histoire du livre et de l’imprimé au Canada